Avis n° 141 (2020-2021) de M. Olivier HENNO , fait au nom de la commission des affaires sociales, déposé le 19 novembre 2020

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N° 141

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2020-2021

Enregistré à la Présidence du Sénat le 19 novembre 2020

AVIS

PRÉSENTÉ

au nom de la commission des affaires sociales (1) sur le projet de loi
de finances , adopté par l'Assemblée nationale, pour 2021 ,

TOME II

COHÉSION DES TERRITOIRES

Hébergement, parcours vers le logement et insertion
des personnes vulnérables

Par M. Olivier HENNO,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : Mme Catherine Deroche, présidente ; M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur général ; M. Philippe Mouiller, Mme Chantal Deseyne, MM. Alain Milon, Bernard Jomier, Mme Monique Lubin, MM. Olivier Henno, Martin Lévrier, Mmes Laurence Cohen, Véronique Guillotin, M. Daniel Chasseing, Mme Raymonde Poncet Monge, vice-présidents ; Mmes Florence Lassarade, Frédérique Puissat, M. Jean Sol, Mmes Corinne Féret, Jocelyne Guidez, secrétaires ; Mme Cathy Apourceau-Poly, M. Stéphane Artano, Mme Christine Bonfanti-Dossat, MM. Bernard Bonne, Patrick Boré, Laurent Burgoa, Jean-Noël Cardoux, Mmes Catherine Conconne, Annie Delmont-Koropoulis, Élisabeth Doineau, MM. Alain Duffourg, Jean-Luc Fichet, Mmes Laurence Garnier, Frédérique Gerbaud, Pascale Gruny, M. Xavier Iacovelli, Mmes Corinne Imbert, Annick Jacquemet, Victoire Jasmin, Annie Le Houerou, M. Olivier Léonhardt, Mmes Viviane Malet, Colette Mélot, Michelle Meunier, Brigitte Micouleau, Annick Petrus, Émilienne Poumirol, Catherine Procaccia, Marie-Pierre Richer, Laurence Rossignol, M. René-Paul Savary, Mme Nadia Sollogoub, M. Dominique Théophile.

Voir les numéros :

Assemblée nationale ( 15 ème législ.) : 3360 , 3398 , 3399 , 3400 , 3403 , 3404 , 3459 , 3465 , 3488 et T.A. 500

Sénat : 137 et 138 à 144 (2020-2021)

L'ESSENTIEL

Réunie le mercredi 25 novembre 2020 sous la présidence de Mme Catherine Deroche, présidente, la commission des affaires sociales a examiné le rapport pour avis de M. Olivier Henno sur les crédits du programme « Hébergement, parcours vers le logement et insertion des personnes vulnérables » de la mission « Cohésion des territoires » du projet de loi de finances pour 2021.

La commission a émis un avis favorable à l'adoption de ces crédits.

I. DES DÉPENSES D'HÉBERGEMENT PROFONDÉMENT AFFECTÉES PAR LA CRISE SANITAIRE EN 2020

A. DES DÉPENSES EN HAUSSE DANS UN CONTEXTE DE SOUS-BUDGÉTISATION DU PROGRAMME

1. Un programme soumis à l'urgence et en sous-budgétisation constante

Le programme budgétaire 177 « hébergement, parcours vers le logement et insertion des personnes vulnérables » est le support financier des politiques de lutte contre le sans-abrisme et d'insertion vers le logement des personnes à la rue et en situation d'exclusion . Cette politique répond au principe de mise à l'abri de toute personne à la rue, qualifié « d'accueil inconditionnel » et posé à l'article L. 345-2-2 du code de l'action sociale et des familles. Le programme budgétaire finance ainsi principalement des actions de veille sociale (maraudes, accueils de jour et haltes de nuit, services intégrés d'accueil et d'orientation - SIAO 1 ( * ) ) et des places d'hébergement à l'hôtel ou en centres d'hébergement. Pour l'insertion des personnes vulnérables dans le logement, le programme finance également des places de logement adapté en pensions de famille, en intermédiation locative et en résidences sociales.

Si tous ces dispositifs sont financés par le budget de l'État, ils sont pour l'essentiel gérés par des associations qui bénéficient de subventions et de dotations en fonction des actions qu'elles mènent (gestion d'un SIAO, maraudes, etc.) et des structures qu'elles gèrent (centres d'hébergement), dans le cadre d'un dialogue de gestion avec les services déconcentrés de l'État.

L'augmentation du nombre de personnes à la rue du fait de la progression de la pauvreté et des difficultés sociales qui en découlent ainsi que la hausse des flux migratoires ont eu pour conséquence d'accroitre considérablement la demande d'hébergement d'urgence et d'accompagnement vers le logement ces dernières années. Les capacités d'hébergement ont donc connu une augmentation significative depuis dix ans, passant de 72 000 places d'hébergement d'urgence en 2010 à près de 153 000 places à la fin de l'année 2019.

Nombre de places par dispositif d'hébergement

CHRS

CHU

Hôtel

2010

39 525

18 593

13 948

2011

39 346

19 766

16 235

2012

39 142

22 091

20 727

2013

39 145

28 692

25 496

2014

40 690

30 537

32 300

2015

42 176

31 846

37 962

2016

43 198

36 293

42 646

2017

44 691

45 911

45 162

2018

44 865

51 837

48 733

2019

44 722

57 171

50 879

Évolution 2010-2019

+ 13 %

+ 207 %

+ 265 %

Source : DGCS

En conséquence, les crédits du programme 177, qui financent ces dispositifs, ont augmenté de 45% en cinq ans (LFI 2015 / LFI 2020) et ont atteint 2,1 milliards d'euros en 2019 .

Malgré cette augmentation, le programme est en sous-budgétisation chronique , les crédits ouverts chaque année à l'occasion des lois de finances initiales s'avérant insuffisants pour couvrir les besoins. Il est donc procédé chaque année, en cours d'exercice, à l'ouverture de crédits supplémentaires par la voie de lois de finances rectificatives.

Écarts entre crédits du programme 177 ouverts en LFI et exécutés (2014-2018)

en millions d'euros, en CP

Écart
en montant

Écart en %

LFI 2015

1 366 M€

+ 225 M€

+ 16,5 %

Exécution 2015

1 591 M€

LFI 2016

1 513 M€

+ 238 M€

+ 15,7 %

Exécution 2016

1 751 M€

LFI 2017

1 742 M€

+ 221 M€

+ 12,7 %

Exécution 2017

1 963 M€

LFI 2018

1 954 M€

+ 145 M€

+ 7,4 %

Exécution 2018

2 099 M€

LFI 2019

1 891 M€

+ 225 M€

+ 11,9 %

Exécution 2019

2 116 M€

LFI 2020

1 991 M€

+ 452 M€

+ 22,7 %

Prévision d'exécution 2020

2 443 M€

PLF 2021

2 200 M€

-

-

Source : Commission des affaires sociales d'après les annexes budgétaires aux lois de finances

2. Une hausse considérable des crédits consommés en 2020 pour faire face à la crise

Les dépenses du programme ont été significativement affectées par les besoins d'hébergement induits par la crise sanitaire, en particulier pendant le premier confinement, du mois de mars au mois de mai, au cours duquel des capacités supplémentaires d'hébergement ont été déployées pour limiter aux maximum les personnes à la rue et « desserrer » les structures existantes afin de respecter la distanciation physique entre les personnes accueillies.

Alors que la loi de finances initiale pour 2020 avait ouvert une enveloppe de crédits à hauteur de 1,99 milliard d'euros en CP, le montant de crédits consommés en 2020 avoisinerait 2,44 milliards d'euros , soit un écart de + 22,7 %. Les besoins de financement dus à la crise sanitaire ont engendré des reports et des transferts de crédits, ainsi que l'ouverture de crédits supplémentaires par les lois de finances rectificatives pour 2020.

Prévision d'exécution du programme 177 pour 2020 (en CP)

LFI pour 2020

1 991 214 477 €

Reports de crédits 2019 sur 2020

2 328 277 €

LFR du 30 juillet 2020

200 000 000 €

Transfert de crédits (décret du 30 juillet 2020)

169 862 €

Crédits demandés en PLFR-4 pour 2020

249 238 519 €

Prévision d'exécution

2 442 951 135 €

Source : Réponses au questionnaire budgétaire du rapporteur

B. DES MESURES EXCEPTIONNELLES DANS LE SECTEUR DE L'HÉBERGEMENT POUR LUTTER CONTRE L'ÉPIDÉMIE ET SES CONSÉQUENCES

1. Une mobilisation d'aides et de capacités d'accueil exceptionnelles depuis le mois de mars

Des mesures exceptionnelles ont été prises dans le secteur de l'hébergement et de l'insertion depuis le début de la crise afin de lutter contre l'épidémie de covid-19.

Elles ont consisté à accroitre significativement les capacités d'hébergement d'urgence afin de mettre à l'abri un maximum de personnes et de diminuer la densité d'occupation des structures existantes pour respecter les consignes sanitaires. Ce sont ainsi 35 000 places exceptionnelles qui ont été ouvertes en complément des places pérennes du parc généraliste. Elles étaient ainsi réparties :

- prolongation des 14 000 places temporaires ouvertes pour l'hiver 2019-2020 ;

- ouverture de 17 000 places supplémentaires à l'hôtel, en centres d'hébergement et dans des locaux à titre exceptionnel ;

- ouverture de 3 600 places en centres d'hébergement spécialisés (CHS) pour personnes malades de la covid-19.

Le parc d'hébergement généraliste a ainsi atteint près de 180 000 places d'accueil entre fin avril et fin juin 2020.

S'agissant des CHS pour personnes sans-abri malades , ils ont été créés afin d'accueillir des personnes atteintes de formes peu graves de la covid-19 mais ne pouvant être hébergées dans des structures d'hébergement, faute de pouvoir les isoler et au regard des facteurs de vulnérabilités des personnes. L'orientation en CHS était donc une solution de dernier ressort, effectuée après avis médical et recueil du consentement de l'intéressé. La personne hébergée en CHS bénéficie d'une consultation médicale entre le 6 ème et le 8 ème jour de la maladie puis en fin de suivi ainsi que de la visite d'un infirmier au moins deux fois par jour .

La capacité des CHS a atteint 3 620 places le 5 mai 2020, réparties dans l'ensemble des régions, puis a progressivement diminué pour atteindre 757 places ouvertes au 25 août. Du 16 mars au 25 août le taux d'occupation national moyen des places de CHS ne s'est élevé qu'à 10 % des capacités , même si cette moyenne cache des situations ponctuelles de saturation qui se sont présentées dans certains territoires, pendant de courtes durées. Au total, le coût de ces places ouvertes sur cette période, financées à hauteur de 80 € par jour et par place, est estimé à 27,3 millions d'euros.

Les capacités exceptionnelles à l'hôtel et en lieux temporaires ont également diminué à partir de la sortie du premier confinement . Si ces capacités ont atteint 35 000 places jusqu'à la fin du mois de mai, elles s'élevaient à 29 000 places au 25 août. Le Gouvernement a pris deux décisions pour accompagner cette décroissance. D'une part, l'instruction ministérielle du 2 juillet 2020 a conditionné la fermeture des places temporaires à la proposition d'une solution d'hébergement pérenne, de logement adapté ou de logement. D'autre part, il a été décidé de pérenniser 14 000 de ces places temporaires , dont 10 000 en hébergement généraliste, 1 000 en places pour l'hébergement de femmes victimes de violences et 3 000 en places d'intermédiation locative. Ces pérennisations s'effectueront en deux vagues, à la fin de cette année puis dans le courant de l'année 2021.

En matière de veille sociale, des équipes mobiles sanitaires départementales ont été mises en place par les ARS. Ces équipes, composées d'un médecin et de deux infirmiers 2 ( * ) , se sont déplacées vers les personnes à la rue ou en centres d'hébergement et ont été en capacité de prendre en charge une cinquantaine de personnes par semaine, intervenant à la demande du personnel des centres d'hébergement ou assurant des maraudes. Ces équipes avaient pour mission de détecter des cas d'infection, d'évaluer la nécessité d'orienter ces personnes vers des CHS, de suivre les personnes infectées en ambulatoire et de sensibiliser le personnel des structures d'hébergement aux protocoles sanitaires. Même si ces équipes n'étaient pas suffisantes pour couvrir l'ensemble des besoins, le ministère chargé du logement et les acteurs de l'hébergement ont constaté leur grande utilité afin de renforcer les liens entre les secteurs social et sanitaire, alors que le public hébergé est bien souvent en situation de grande vulnérabilité. C'est la raison pour laquelle les conclusions du Ségur de la Santé comportent l'instauration d'équipes mobiles « santé précarité » régulées par la SIAO et financées par l'assurance maladie.

En outre, un dispositif de chèques services pour les personnes sans domicile a été mis en place à partir du mois d'avril afin que ces personnes vulnérables puissent acheter des produits alimentaires et de première nécessité.

Cinq livraisons de chèques services ont été effectuées dans l'ensemble des départements, pour un montant de 43,3 millions d'euros. Les chèques, d'une valeur unitaire de 3,5 euros, ont été distribués par des associations sélectionnées par les préfets de département. Selon les informations transmises au rapporteur par le ministère chargé du logement, 90 000 personnes ont bénéficié de chèques services dont 20 % de mineurs. Plus du quart des chèques a été distribué à des personnes hébergées à l'hôtel.

2. Des conditions d'accueil et d'accompagnement rendues difficiles pendant la crise

Lorsqu'est intervenu le premier confinement, de nombreuses actions de veille sociale (accueils de jour, maraudes, distribution alimentaire) ont du s'interrompre car, dans certaines situations, les consignes sanitaires ne pouvaient être appliquées (distanciation physique, équipements de protection individuelle) et parce que ces activités reposent en partie sur des bénévoles qui n'ont pas pu poursuivre leur mission, notamment en raison de leur âge.

Face à cette déstabilisation, les acteurs de la veille sociale ont constaté une hausse significative des sollicitations pour obtenir une aide alimentaire , notamment dans les grandes villes, alors que les personnes en grande précarité parviennent la plupart du temps à subvenir à leurs besoins alimentaires grâce à la mendicité et aux dons, qui se sont interrompus du fait du confinement, ainsi qu'aux dispositifs de veille sociale. A contrario , la hausse des capacités d'accueil et l'absence de rotation des publics dans le parc d'hébergement en raison du confinement a contribué à une réduction importante des appels au 115 , de l'ordre de 50 % à 70 % au niveau national selon la fédération des acteurs de la solidarité.

Le secteur a également été fragilisé par des difficultés d'approvisionnement en équipements de protection individuelle pour le personnel et les personnes hébergées. La priorité ayant été donnée au personnel soignant pendant les premiers mois de la crise, les acteurs de l'hébergement ont dû prendre des initiatives individuelles, parfois avec l'appui de collectivités territoriales, avant que ne se mettent en place des commandes groupées coordonnées par l'État, en lien avec l'UGAP 3 ( * ) et l'association La Clé solidaire. Les aménagements rendus nécessaires par la crise ont impliqué des surcoûts pour les opérateurs dont la prise en charge par l'État a été définie cet été 4 ( * ) . Les dépenses prises en compte concernent les achats d'équipements de protection et les dépenses supplémentaires de personnel.

En outre, l'État a décidé de financer le versement d'une prime exceptionnelle d'un montant maximum de 1 000 euros au personnel du secteur de l'hébergement , qui représente une dépense de 20 millions d'euros pour le programme en 2020.

3. Les évolutions du secteur de l'hébergement et de l'insertion mises en suspens

Les évolutions structurelles du parc d'hébergement, destinées à améliorer son efficience et ses capacités en logements adapté ont connu un net ralentissement du fait de la crise, puisque la priorité a été donnée à la mise à l'abri et au respect des consignes sanitaires.

Tout d'abord , les créations de places de logement adapté ont été très réduites cette année et les objectifs fixés ne pourront pas être atteints. Ces objectifs s'inscrivent dans le cadre du plan « Logement d'abord » mis en place par le Gouvernement pour les années 2017-2022. Ce plan est destiné à accélérer la production de logements adaptés aux personnes sans-abris afin d'améliorer l'accès au logement, à renforcer l'accompagnement des plus vulnérables et à recentrer l'hébergement d'urgence sur ses missions de réponse immédiate et inconditionnelle. Dans ce cadre, le plan a fixé pour objectif de créer en cinq ans 10 000 places supplémentaires en pensions de familles et 40 000 places en intermédiation locative (IML). S'agissant des pensions de famille, 3 770 places ont été ouvertes entre 2017 et 2019, dont 1 279 en 2019, ce qui représente 38 % de l'objectif fixé par le plan à l'horizon 2022. Sur les six premiers mois de 2020, seulement 82 places de pensions de famille ont été ouvertes , alors que l'objectif fixé pour 2020 s'élevait à 2 000 places nouvelles. Pour l'IML, ce sont 6 107 places qui ont été créées en 2018 et 8 253 places en 2019. L'objectif de créer 8 850 places fixé en 2019 a été reconduit pour 2020.

Les évolutions en cours concernant la tarification et le pilotage des places de centres d'hébergement ont également été ralenties par la crise sanitaire. La démarche de convergence tarifaire applicable aux centres d'hébergement et de réinsertion sociale (CHRS), initiée en 2018, a été suspendue cette année 5 ( * ) . Cette démarche avait été initiée alors qu'une enquête nationale des coûts avait fait état d'importantes disparités entre les CHRS selon les territoires. Elle a consisté en la mise en place de tarifs plafonds fixés selon l'activité et les missions des CHRS. Cet exercice devait permettre de réaliser une économie de 5,1 millions d'euros en 2020 selon les objectifs fixés par le Gouvernement.

En outre, la généralisation de la contractualisation pluriannuelle d'objectifs et de moyens entre l'État et les CHRS , prévue par l'article 125 de la loi dite « ELAN 6 ( * ) » à l'horizon 2022 a été également freinée en 2020, ainsi que les démarches en cours visant à transformer des places d'hébergement du statut de la déclaration au statut de l'autorisation. Les services déconcentrés et les opérateurs de l'hébergement, mobilisés par la gestion de crise, n'ont pas eu le temps de poursuivre ces démarches cette année. Par exemple, les services déconcentrés de la région Hauts-de-France ont indiqué au rapporteur que toutes les négociations de contrats prévues cette année ont été reportées en 2021.

II. POUR 2021, UN BUDGET EN HAUSSE DONT LES PRIORITÉS SERONT SOUMISES À L'ÉVOLUTION DE LA CRISE

A. DES CRÉDITS EN HAUSSE DE 10,5 % POUR 2021

Les crédits demandés par le projet de loi de finances pour 2021 progressent de 10,5 % par rapport à la loi de finances initiale pour 2020 et s'élèvent à 2 200 millions d'euros en crédits de paiement. C'est sur l'action 12, consacrée aux actions de veille sociale, d'hébergement et de logement adapté, que porte principalement cette augmentation.

Crédits par action votés pour 2020 et demandés pour 2021

LFI 2020

PLF 2021

Évolution en montant

Évolution en %

AE

CP

AE

CP

AE

CP

AE

CP

Action 11

50 361 191 €

52 361 191 €

2 000 000 €

4,0 %

Action 12

1 905 920 629 €

1 931 720 629 €

2 113 024 919 €

2 138 506 152 €

207 104 290 €

206 785 523 €

10,9 %

10,7 %

Action 14

9 132 657 €

9 132 657 €

0

0 %

Total

1 965 414 477 €

1 991 214 477 €

2 174 518 767 €

2 200 000 000 €

209 104 290 €

208 785 523 €

10,6 %

10,5 %

Source : Commission des affaires sociales d'après le PAP 2021 et les réponses au questionnaire budgétaire.

1. Les crédits alloués à la veille sociale

Les crédits alloués à la veille sociale permettent de financer l'activité des SIAO, les maraudes et les dispositifs d'accueil tels que les haltes de nuit ou les accueils de jour. Ces crédits progresseraient de 12,2 % par rapport à ceux votés en LFI pour 2020.

Crédits alloués à la veille sociale votés pour 2020 et demandés pour 2021 (AE = CP)

LFI 2020

PLF 2021

Évolution en montant

Évolution en %

Veille sociale

148 343 294 €

166 475 083 €

18 131 789 €

12,2 %

Source : Commission des affaires sociales d'après les réponses au questionnaire budgétaire

L'augmentation des crédits permettra de soutenir le fonctionnement des SIAO pour lesquels le recrutement de 150 ETP supplémentaires est prévu pour l'année 2021 . L'année prochaine permettra en outre de poursuivre l'amélioration des outils à la disposition des SIAO afin de renforcer leur rôle de coordinateurs de la politique d'hébergement et d'insertion sur le territoire. À cet égard, une refonte de l'outil informatique des SIAO (SI-SIAO) a été engagée en 2018 afin de fusionner les volets « urgence » et « insertion » et de proposer aux gestionnaires une application unique permettant de faciliter la gestion des demandes d'hébergement et de l'orientation du public vers l'ensemble des solutions d'accueil. La nouvelle version de l'outil informatique a été livrée au mois de septembre mais a connu de graves dysfonctionnements qui ont perturbé le fonctionnement des opérateurs pendant plusieurs semaines. Ces difficultés ont été progressivement résolues par les services de l'État.

Si la quasi-totalité des départements disposent dorénavant d'un SIAO unique, les efforts de coordination entre SIAO sont à poursuivre, en particulier dans les zones tendues . Une étape a été franchie en Ile-de-France pour la réservation des nuitées hôtelières confiée à un opérateur régional unique, le Samu social de Paris. Une mutualisation des moyens sur les autres champs de compétences des SIAO pourrait être envisagée en région parisienne mais aussi dans les autres régions soumises à une forte demande d'hébergement.

L'augmentation des crédits permettra enfin de renforcer les moyens consacrés aux accueils de jour , qui constituent un outil de suivi des personnes en grand exclusion et permettent, au-delà d'une mise à l'abri la journée et d'éventuelles aides alimentaires, d'accompagner ces personnes dans leur accès aux droits et leurs démarches d'insertion.

2. L'importante augmentation des crédits consacrés aux dispositifs d'hébergement

Crédits dédiés à l'HU et aux CHRS votés pour 2020 et demandés pour 2021

LFI 2020

PLF 2021

Évolution en montant

Évolution en %

AE

CP

AE

CP

AE

CP

AE

CP

HU

760 554 914 €

784 754 914 €

865 972 076 €

891 453 309 €

105 417 162 €

106 698 395 €

13,9 %

13,6 %

CHRS

631 003 521 €

648 220 444 €

17 216 923 €

2,7 %

Source : Commission des affaires sociales d'après les réponses au questionnaire budgétaire

La progression significative des crédits finançant l'hébergement d'urgence suit la hausse importante des capacités d'accueil et la décision du Gouvernement de pérenniser 14 000 des places d'hébergement temporaires ouvertes pour l'hiver 2019-2020 puis du fait de la crise sanitaire. Cette progression reflète la difficulté de contenir le recours aux dispositifs d'urgence, en particulier les nuitées hôtelières, objectif pourtant fixé par le plan « logement d'abord ».

Les capacités d'hébergement d'urgence ont doublé en six ans et le nombre de places à l'hôtel et en CHU devrait dépasser les 125 000 à la fin de l'année 2021. Cette augmentation constante révèle que le choix d'une mise à l'abri dans l'urgence a longtemps été privilégié aux solutions d'insertion plus durables par le logement adapté ou le logement social. En effet, la réservation de nuitées hôtelières se présente souvent comme la solution de facilité pour l'hébergement les personnes à la rue. La situation sanitaire vient ainsi s'ajouter à une progression continue et inexorable des capacités d'accueil depuis une dizaine d'années, malgré les initiatives pour favoriser l'insertion par le logement. Ces difficultés sont essentiellement dues aux difficultés d'accès au logement social et à la présence significative de personnes hébergées en situation administrative précaire qui ne peuvent prétendre à un emploi stable ou à un logement social car elles ne résident pas de façon régulière sur le territoire. En conséquence, l es crédits consacrés à l'hébergement d'urgence, qui ont atteint 884 millions d'euros en 2019, ont presque doublé en cinq ans, suivant la hausse constante des capacités d'accueil.

En outre, la progression limitée des crédits alloués aux CHRS tient compte de la neutralisation de la démarche de convergence tarifaire décidée cette année en raison de la crise et permet de poursuivre la démarche de transformation de places du statut « CHU » (régime de la déclaration, financé par subventions) au statut « CHRS » (régime de l'autorisation, financé par dotations).

Ces transformations sont soutenues par le rapporteur qui considère qu'il existe de moins en moins de différences dans la nature de l'hébergement entre ces types de places et que le statut de la déclaration, qui implique un financement par dotations pluriannuelles, permet d'assurer un meilleur pilotage du parc d'hébergement par les services de l'État.

3. Le financement des dispositifs de logement adapté

Le logement adapté permet d'offrir des solutions de logement aux personnes vulnérables dont la situation ne leur permet pas d'accéder au logement social ou ordinaire. Le programme 177 finance ainsi des places en pensions de famille , en intermédiation locative et en résidences sociales dont le nombre de places s'élève à 247 196 places à la fin 2019.

Crédits dédiés au logement adapté pour 2019 et demandés pour 2020 (CP)

LFI 2020

PLF 2021

Évolution en montant

Évolution en %

Pensions de famille

125 892 922 €

154 443 222 €

28 550 300 €

22,7 %

IML

121 931 981 €

148 834 481 €

26 902 494 €

22,1 %

Résidences sociales

26 000 000 €

26 000 000 €

0

0 %

ALT 1

73 468 934 €

74 754 550 €

1 285 616 €

1,8 %

Source : Commission des affaires sociales d'après le PAP 2019 et les réponses au questionnaire budgétaire

Le développement des places de logement adapté , en particulier en pensions de famille et en intermédiation locative, fait partie objectifs du plan « Logement d'abord » selon une approche d'accès direct de la rue au logement , plutôt que par l'intermédiaire de dispositifs d'hébergement, afin de limiter les ruptures dans le parcours d'insertion par des changements successifs de lieux d'accueil et d'accompagnement.

L'augmentation des crédits alloués aux pensions de famille doit permettre de poursuivre la création de places nouvelles pour ces structures de petites taille gérées par un hôte rémunéré et offrant un accompagnement social aux personnes qui y sont hébergées sans limitation de durée. Alors que le financement par jour et par place était fixé à 16 euros depuis 2007, ce forfait sera porté à 18 euros en 2021 , ce qui devrait permettre de mieux soutenir ces structures et d'encourager leur développement. L'objectif fixé par le plan « logement d'abord » de créer 10 000 places supplémentaires en cinq ans (2018-2022) risque toutefois de ne pas être atteint puisque seulement 3 638 places nouvelles ont été ouvertes entre 2017 et 2019.

Les moyens consacrés à l'intermédiation locative sont également en nette augmentation afin de poursuivre la dynamique de création de places initiée par le plan « logement d'abord », qui a fixé pour objectif de créer 40 000 places nouvelles en cinq ans. Ce dispositif consiste à verser une aide à des associations ou organismes de logement social afin qu'ils louent des logements du parc privé pour les sous-louer à un tarif social à des personnes défavorisées suffisamment autonomes pour occuper un logement. Les objectifs fixés risquent également de ne pas être atteints, même s'il faut saluer une réelle dynamique dans la création de places , puisque 6 107 places nouvelles ont été ouvertes en 2018 et 8 253 en 2019.

Les moyens alloués aux résidences sociales et à l'aide au logement temporaire ALT1 sont stables. S'agissant des crédits consacrés aux résidences sociales, soutenues par l'intermédiaire de l'aide à la gestion locative sociale (AGLS), ils sont reconduits pour 2021 pour un montant inchangé depuis cinq ans. Il est toutefois regrettable que cette enveloppe soit sous-exécutée chaque année (18,4 M€ consommés en 2019 sur une enveloppe de 26 M€ ouverte en LFI), du fait de redéploiements de crédits au profit de l'hébergement d'urgence. Ces moyens permettent pourtant de soutenir une solution de logement adapté en cohérence avec les orientations fixées par le plan « Logement d'abord ».

4. Les crédits des actions 11 et 14 restent stables

Les crédits de l'action 11 « prévention de l'exclusion » connaissant une faible progression pour 2021 (+ 4 %). Ils permettent de financer des allocations et prestations d'aide sociale aux personnes âgées et handicapées , par dérogation à la compétence des conseils départementaux. En effet, l'État se substitue aux collectivités de façon résiduelle pour attribuer ces prestations aux personnes sans domicile et qui ne pourraient pas en bénéficier dans le cadre du financement des départements, faute de domiciliation stable. Cette action finance également le fonctionnement des aires d'accueil des gens du voyage , par le versement d'une aide (ALT2) aux gestionnaires de ces aires.

Les crédits de l'action 14 « conduite et animation des politiques de l'hébergement et de l'inclusion sociale » demandés pour 2021 sont identiques à ceux ouverts pour 2020. Ils permettent de financer des actions d'ingénierie pour l'élaboration d'outils de pilotage et d'évaluation des dispositifs d'hébergement, à destination des opérateurs, tels que les systèmes d'information des SIAO. Ces crédits apportent également un soutien financier aux associations tête de réseaux du secteur de l'hébergement et de l'insertion pour leur fonctionnement et des actions de professionnalisation et de promotion des bonnes pratiques auprès du personnel sur le territoire.

5. Les moyens supplémentaires figurant dans le plan de relance

L'action 8 « soutien aux personnes précaires » du programme 364 « cohésion » de la mission « plan de relance » prévoit l'ouverture de 100 millions d'euros en AE et 49,5 millions d'euros en CP pour le secteur de l'hébergement et de l'insertion . Cette enveloppe de 100 millions d'euros en autorisations d'engagement serait ainsi répartie :

- 50 millions d'euros pour la création de places d'hébergement supplémentaires et l'humanisation des centres d'hébergement et des accueils de jour ;

- 30 millions d'euros pour financer des programmes de rachat d'hôtels et de construction de logements modulaires ainsi que pour accélérer la transformation des foyers pour travailleurs migrants ;

- 20 millions d'euros destinés à réhabiliter des aires d'accueil des gens du voyage.

Ces moyens supplémentaires permettront de renforcer les restructurations nécessaires pour accueillir et accompagner les personnes vulnérables dans de meilleures conditions. Il est toutefois regrettable que ces crédits ne figurent pas au sein du programme 177 alors qu'ils financent des dispositifs qui lui sont pleinement rattachables et qu'ils ne relèvent pas à proprement parler d'une politique de relance économique. Leur rattachement à la mission « plan de relance » nuit à la lisibilité budgétaire et crée des incertitudes sur leur destination, compte tenu de possibles redéploiements de crédits au sein de cette mission selon les besoins.

B. DES PRIORITÉS POUR L'ANNÉE À VENIR SOUMISES À L'ÉVOLUTION DE LA CRISE SANITAIRE ET À SES CONSÉQUENCES ÉCONOMIQUES ET SOCIALES

1. La budgétisation du programme pour 2021 dépendra de l'évolution de la crise sanitaire

S'il faut saluer la hausse significative des crédits demandés pour 2021, portés à 2 200 millions d'euros en crédits de paiement, cette enveloppe risque d'être, un nouvelle fois, insuffisante pour couvrir les besoins de financement . Elle est en effet légèrement supérieure à l'enveloppe de crédits consommés en 2019 (2 116 millions d'euros), en progression de 4 %. Or, la crise sanitaire intervenue en 2020 a conduit à une hausse significative des capacités d'accueil et le montant des crédits ouverts cette année s'élève à 2 443 millions d'euros.

Le rebond épidémique que connait notre pays depuis la fin de l'été conduit à accroitre de nouveau les capacités d'hébergement des personnes sans-abri. À cet égard, le Gouvernement a décidé d'avancer au 18 octobre, au lieu du 1 er novembre, la campagne hivernale d'ouverture de places temporaires, ce qui conduira à des besoins de financement supplémentaires. En concertation avec les services déconcentrés, le Gouvernement a également décidé au mois de septembre de maintenir ouvertes 656 places en CHS pour malades de la covid-19 , ce nombre pouvant être augmenté au gré de l'évolution de la situation sanitaire. Par la suite, les conséquences économiques et sociales de la crise risquent d'augmenter le nombre de personnes vulnérables et en demande d'hébergement.

2. Des difficultés à surmonter pour poursuivre la transformation du secteur en 2021

Les conditions de poursuite des transformations structurelles du secteur de l'hébergement dépendront donc de l'évolution de la crise sanitaire et des besoins d'hébergement. Ces évolutions sont pourtant essentielles pour limiter la progression constante de l'accueil en urgence et des crédits pour le financer.

À cet égard, le développement du logement adapté, dans le cadre du plan « logement d'abord » doit être poursuivi. Les objectifs fixés pour 2021 s'élèvent à 2 000 places nouvelles en pensions de familles et 8 850 en IML, soit une reconduction des objectifs fixés pour 2020. Le retard pris en 2020 pour l'ouverture effective de nouvelles structures devrait conduire à une augmentation des places nouvelles l'année prochaine, si la situation sanitaire le permet.

En outre, le nouvel appel à manifestation d'intérêt engagé en septembre dernier permet de désigner une dizaine de territoires supplémentaires pour la mise en oeuvre accélérée du plan « logement d'abord ». Il permettra dans ces territoires, et par l'allocation d'une enveloppe spécifique de 4 millions d'euros, d'accroitre la mobilisation des acteurs pour la mise en oeuvre de ces objectifs.

Par ailleurs, les chantiers visant à améliorer le financement et le pilotage des dispositifs d'hébergement sont à poursuivre. Concernant les SIAO, les projets d'interconnexion des systèmes d'information des SIAO et de ceux d'attribution des logements sociaux doivent être rapidement mis en oeuvre pour accélérer la sortie des dispositifs d'hébergement vers des solutions de logement pérenne.

Malgré les conséquences de la crise, les travaux de contractualisation, de transformation de places sous le statut de l'autorisation, de convergence tarifaire, ou encore de meilleure connaissance du public accueilli sont à poursuivre. Ils sont la condition d'un pilotage plus efficient de la politique de l'hébergement qui permettra d'accroitre l'insertion vers le logement et de limiter la progression du parc d'hébergement.

Pour mener à bien ces travaux, une attention particulière devra être portée sur les moyens alloués aux services déconcentrés pour mener de front l'ensemble de ces transformations dont une partie a dû être reportée du fait de la crise.

*

La commission a émis un avis favorable à l'adoption des crédits du programme 177 « Hébergement, parcours vers le logement et insertion des personnes vulnérables » de la mission « Cohésion des territoires ».

EXAMEN EN COMMISSION

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Réunie le mercredi 25 novembre 2020, sous la présidence de Mme Catherine Deroche, présidente, la commission examine le rapport pour avis de M. Olivier Henno sur le projet de loi de finances pour 2021 (programme « Hébergement, parcours vers le logement et insertion des personnes vulnérables » de la mission « Cohésion des territoires »).

M. Olivier Henno , rapporteur pour avis de la mission « Cohésion des territoires », programme « Hébergement, parcours vers le logement et insertion des personnes vulnérables » . - Permettez-moi tout d'abord d'avoir une pensée amicale pour le sénateur Morisset, qui m'a précédé pour présenter le programme 177.

Le programme 177 « Hébergement, parcours vers le logement et insertion des personnes vulnérables » de la mission « Cohésion des territoires » a été profondément marqué cette année par la crise sanitaire, pour mettre à l'abri les personnes vulnérables. En effet, ce programme finance principalement des structures d'hébergement d'urgence et des dispositifs de logement adapté, afin de répondre aux demandes d'hébergement des personnes en détresse et d'accompagner les plus précaires vers l'accès au logement.

La crise sanitaire est intervenue dans un contexte de sous-budgétisation chronique de la politique de l'hébergement d'urgence malgré la progression continue des moyens qui lui sont alloués. Les crédits du programme ont augmenté de 45 % en cinq ans et ont atteint 2,1 milliards d'euros en 2019. Ils permettent de financer un parc d'hébergement dont les capacités ont doublé en six ans pour atteindre 157 000 places fin 2019.

C'est dans ce contexte de tension sur l'offre d'accueil que le Gouvernement a décidé, face à la crise, d'accroître significativement les capacités d'hébergement d'urgence, afin de limiter au maximum le nombre de personnes à la rue à partir du premier confinement et de réduire la densité d'occupation des centres d'hébergement, pour respecter les distanciations sociales.

Ainsi, 35 000 places supplémentaires en hébergement d'urgence ont été ouvertes au plus fort de la crise, au printemps dernier, portant les capacités d'accueil à un total de 180 000 places, parmi lesquelles 14 000 places temporaires ouvertes pour l'hiver qui ont été prolongées. S'y sont ajoutées 17 000 places à l'hôtel ou dans des locaux mis à disposition à titre exceptionnel et 3 600 places dans des centres d'hébergement spécialisés pour accueillir les malades de la covid-19. Ces centres spécialisés ont permis de prendre en charge, avec un suivi médical, les personnes sans domicile qui avaient développé une forme peu grave de la maladie lorsqu'elles ne pouvaient être isolées dans un centre d'hébergement. Le taux d'occupation de ces places spécialisées a finalement été assez faible, de 10 % en moyenne de mi-mars à mi-août, même si quelques situations de saturation se sont présentées ponctuellement. Les capacités de ces centres spécialisés ont été réduites à 757 places à la fin du mois d'août.

En matière de veille sociale, deux dispositifs exceptionnels ont été mis en place pour accompagner les plus vulnérables. D'une part, des équipes mobiles sanitaires ont été déployées dans chaque département par les agences régionales de santé (ARS). Elles ont permis d'assurer un suivi des malades en ambulatoire dans les centres d'hébergement, d'aller vers le public à la rue et de sensibiliser le personnel aux consignes sanitaires.

En rapprochant les secteurs sanitaire et social, ces équipes se sont révélées d'une grande utilité dans le champ de l'hébergement d'urgence, qui accueille un public très vulnérable. C'est la raison pour laquelle il est prévu, dans le cadre des mesures issues du Ségur de la santé, de mettre en place des équipes mobiles « santé précarité » coordonnées par les services intégrés d'accueil et d'orientation (SIAO), qui gèrent les demandes et les orientations en matière d'hébergement, et financées par l'assurance maladie.

En outre, l'État a procédé à la distribution de chèques services par l'intermédiaire d'associations, afin que les plus vulnérables puissent acheter des produits alimentaires et de première nécessité. D'une valeur unitaire de 3,50 euros, ces chèques ont bénéficié à 90 000 personnes grâce à cinq vagues de distribution depuis le début du premier confinement, ce qui a représenté une dépense de 27,3 millions d'euros.

Cette situation de crise a bouleversé les acteurs du secteur de l'hébergement. Ils ont dû faire face à l'arrivée de nouveaux types de publics tels que des jeunes, des indépendants, des artisans ou encore des familles monoparentales en difficulté. Les associations ont constaté une hausse croissante de la demande d'aide alimentaire, car le confinement ne permettait plus la mendicité ou les dons informels de repas, notamment des restaurants. Néanmoins, les demandes d'hébergement formulées au 115 ont été considérablement réduites, de 50 % à 70 % en moyenne grâce à la hausse du nombre de places et à l'arrêt de la rotation du public pour respecter les consignes sanitaires.

Par ailleurs, les conditions de travail des acteurs de l'hébergement ont été fragilisées par le manque de matériel de protection individuelle pendant plusieurs semaines avant que ne s'organisent des commandes groupées en liaison avec l'État. Ceux-ci ont aussi dû faire face à la baisse significative du nombre de bénévoles qui participent aux activités de veille sociale. L'État a ainsi décidé de financer les surcoûts liés à la crise pour les structures d'hébergement s'agissant de l'acquisition d'équipements de protection et des dépenses supplémentaires de personnel. L'État compense également, par des crédits du programme 177 à hauteur de 20 millions d'euros pour 2020, le versement d'une prime de 1 000 euros au personnel du secteur de l'hébergement.

Ces mesures exceptionnelles ont conduit à un besoin de financement inédit pour les dispositifs d'hébergement d'urgence et d'insertion. Alors que la loi de finances initiale (LFI) avait ouvert des crédits à hauteur de 1,99 milliard d'euros pour 2020, nous pouvons estimer que l'exécution budgétaire avoisinera les 2,44 milliards d'euros cette année. Deux des quatre lois de finances rectificatives (LFR) pour 2020 ont autorisé l'ouverture de crédits supplémentaires pour un montant cumulé de 449 millions d'euros, afin de faire face à ces besoins de financement.

Pour 2021, il est prévu d'ouvrir 2,2 milliards d'euros en crédits de paiement (CP) pour le programme, soit une hausse de 10,5 % par rapport à la loi de finances pour 2020. Cette enveloppe, en hausse significative, risque toutefois d'être de nouveau insuffisante, étant bien inférieure au montant de crédits ouverts pour cette année.

En outre, la mission « Plan de relance » du PLF prévoit de consacrer 100 millions d'euros en autorisations d'engagement (AE) aux dispositifs d'hébergement. Ce soutien est bienvenu, même si nous pouvons regretter que ces moyens ne figurent pas au sein même du programme 177, alors qu'ils ne relèvent pas vraiment de dispositifs de relance économique et qu'ils pourront être redéployés à la faveur des besoins de financement d'autres programmes du plan de relance.

La budgétisation pour 2021 est relativement incertaine, car les besoins de financement des dispositifs d'hébergement dépendront largement de l'évolution de la crise sanitaire et de ses conséquences économiques et sociales. Je souhaiterais m'arrêter sur trois principaux enjeux auxquels devra faire face le secteur de l'hébergement dans les mois à venir.

Le premier est celui de la réponse à apporter aux demandes d'hébergement, qui pourraient continuer de croître face à la recrudescence attendue des situations de précarité. Le Gouvernement a déjà décidé de pérenniser 14 000 des 35 000 places temporaires ouvertes depuis le début de la crise à l'horizon de 2021, dont 10 000 places en hébergement généraliste, 1 000 places pour l'hébergement de femmes victimes de violences et 3 000 places en intermédiation locative. En outre, la ministre chargée du logement a décidé d'avancer la campagne hivernale au 18 octobre, au lieu du 1 er novembre, afin de relancer l'ouverture de places temporaires. Ces mesures auront un coût dont le montant dépendra de l'ampleur de la crise.

Le deuxième enjeu est celui de la poursuite du développement du logement adapté, qui a été fortement ralenti par la crise sanitaire. Dans le cadre du plan gouvernemental pour le « Logement d'abord », il est prévu de créer, entre 2017 et 2022, 10 000 places supplémentaires en pensions de famille et 40 000 places en intermédiation locative, afin d'améliorer l'insertion vers le logement et de mieux cantonner les places d'hébergement aux besoins de l'urgence.

Si cette dynamique a bien été enclenchée, les objectifs fixés risquent de ne pas être atteints. Pour les pensions de famille, 3 770 places ont été ouvertes entre 2017 et 2019. Alors que l'objectif était d'en ouvrir 2 000 supplémentaires en 2020, seulement 82 places ont pu être ouvertes sur les six premiers mois de cette année du fait de la crise sanitaire. Il faut donc que le développement de ces places soit relancé en 2021. L'augmentation de plus de 22 % des crédits qui y sont consacrés, ainsi que la hausse du forfait à la place pour les pensions de famille, qui passera de 16 à 18 euros par jour, devrait y contribuer.

Le troisième point d'attention concerne le pilotage et le financement des structures d'hébergement d'urgence. D'importants chantiers sont engagés afin de rationaliser le parc, mais ils ont été ralentis cette année par la crise. Ils portent, pour les centres d'hébergement et de réinsertion sociale, sur la conclusion obligatoire de contrats pluriannuels d'objectifs et de moyens (CPOM) à l'horizon de 2022 et sur la convergence tarifaire de ces établissements pour harmoniser leur financement. Cette démarche, qui devait permettre de réaliser 5,1 millions d'euros d'économies en 2020, a été suspendue et les conclusions des contrats souvent reportées. La transformation de places d'urgence du statut de la déclaration, sous subventions, au statut de l'autorisation, sous dotations, doit aussi être poursuivie pour améliorer leur pilotage.

Enfin, les outils mis à la disposition des SIAO pour coordonner l'offre et la demande d'hébergement sont en cours d'évolution. Un nouveau système d'information leur a été livré en septembre par l'État, mais celui-ci a connu de graves dysfonctionnements qui ont perturbé le fonctionnement des acteurs de l'hébergement pendant plusieurs semaines. Il est impératif que ces acteurs bénéficient d'une meilleure connaissance des publics, notamment de ceux qui sont en situation administrative précaire, et puissent renforcer leur capacité d'orientation vers le logement social. Ces travaux sont en cours et ils doivent, selon moi, être mis en oeuvre rapidement pour améliorer l'accompagnement et l'insertion du public.

La poursuite de ces chantiers sera bien entendu soumise à l'évolution de la crise et ce contexte complique la budgétisation de ce programme qui, par nature, répond à des situations d'urgence. Il est néanmoins essentiel de poursuivre, malgré la crise, ces travaux de transformation du secteur de l'hébergement. Ils sont la condition d'une meilleure insertion vers le logement et d'un pilotage plus efficient de l'hébergement d'urgence afin de limiter sa progression constante et pour qu'il réponde effectivement aux situations de détresse.

Au regard des efforts considérables déployés par les acteurs de l'hébergement et des moyens engagés par l'État pour répondre aux besoins depuis le début de la crise et pour l'année à venir, je vous propose d'émettre un avis favorable à l'adoption des crédits qui sont soumis à votre examen.

M. Philippe Mouiller . - Je félicite tout d'abord le rapporteur pour la présentation de son premier rapport ; la continuité est assurée.

Les créations de places qui sont évoquées peuvent faire l'objet d'une triple lecture : d'abord, les places annoncées, puis les places ouvertes et enfin les places réellement créées. Parmi les 35 000 places temporaires, combien ont été réellement ouvertes ?

Par ailleurs, la Cour des comptes a souvent rappelé l'importance des coûts dans le domaine de l'hôtellerie, dans le cadre de l'hébergement d'urgence. Des programmes de construction et de réhabilitation ont été mis en place en parallèle. Où en sommes-nous des préconisations évoquées par la Cour des comptes visant à proposer des hébergements plus pérennes ?

Concernant les centres d'hébergement et de réinsertion sociale, la convergence tarifaire a certes vocation à améliorer la gestion et la lisibilité, mais elle crée aussi un certain nombre de perturbations, notamment au regard des territoires - le coût de l'immobilier n'est pas le même en région parisienne qu'en province.

S'agissant de la mise en place de ces CPOM, et malgré la crise sanitaire, avez-vous eu un retour sur leur impact direct sur les structures ? De mon côté, j'ai des informations sur des fragilisations, voire des fermetures de structures.

M. Daniel Chasseing . - Je voudrais également féliciter le rapporteur pour son rapport complet, qui montre combien l'occupation des places spécialisées a été très faible. Il démontre aussi pourquoi nous n'avons pas pu isoler les cas contacts, les personnes éventuellement contaminées n'ayant pas accepté d'être hébergées.

Mme Élisabeth Doineau . - Je m'associe aux remerciements de mes collègues, j'ai lu avec beaucoup d'attention ce rapport, très en prise avec la situation que nous traversons.

En Mayenne, les réponses ont été assez rapides en matière de volume de propositions d'hébergement, pour les personnes en difficulté et l'accompagnement a été relativement important.

Nous devons maintenant nous interroger sur la suite : comment pouvons-nous mettre en adéquation le besoin et l'offre dans nos départements, en temps normal ? La crise sanitaire a démontré, malheureusement, qu'il était possible d'héberger les personnes en difficulté. Mais l'accompagnement de ces publics reste la grande difficulté. Comment les accompagner vers la sortie de l'hébergement d'urgence ? Il me semble que les associations manquent de moyens en termes de ressources humaines pour accompagner pleinement ces publics.

Je salue donc l'effort réalisé en matière d'hébergement, mais nous devons aussi penser à financer les associations qui accompagnent ces publics, afin qu'ils ne soient, demain, pas plus nombreux.

M. Olivier Henno , rapporteur pour avis . - S'agissant des 35 000 places annoncées, elles ont bien été ouvertes.

Le recours aux nuitées d'hôtel est effectivement le point noir de ce programme et de nombreuses personnes sont hébergées dans des hôtels et des hébergements d'urgence pour de longues durées.

Je pense cependant que les élections municipales, auxquelles s'est ajoutée la crise sanitaire, ont ralenti la mise en oeuvre de certains projets.

Concernant les CPOM, nous n'avons pas suffisamment de recul car leur généralisation, prévu par la loi portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique (ÉLAN), est en cours de mise en oeuvre.

Par ailleurs, il est très juste de dire que nous avons éprouvé des difficultés à isoler, dans des centres spécialisés covid-19, des sans-abri contaminés. Cela peut-il expliquer en partie la seconde vague ? Difficile à dire, mais force est de reconnaître que peu de places ouvertes ont été occupées.

Enfin, l'État a effectivement mis les moyens qu'il fallait dans l'hébergement d'urgence durant la crise. Mais les associations ont toutes évoqué le manque d'accompagnement. D'autant que la crise sanitaire a entraîné une crise du bénévolat, un certain nombre de personnes âgées n'ayant pas pu s'engager de façon aussi forte que d'habitude. Le point positif de cette crise, c'est qu'elle a mis en exergue l'engagement de nouveaux bénévoles, notamment pour la distribution de denrées alimentaires.

Mme Monique Lubin . - Je note une certaine dichotomie entre ce qui est indiqué publiquement et ce qui est effectué. Une des deux plus grosses communes de mon département a divisé par deux une subvention versée à la Maison du logement, qui a vocation à accueillir les personnes vivant dans la rue, les jeunes en difficulté, les femmes victimes de violence, sous prétexte que l'association disposait de quatre mois de fonds propres.

Ce n'est peut-être qu'un exemple, mais je suis sûre qu'en cherchant un peu nous allons en trouver d'autres. Les discours sont là, mais accueillir ces personnes chez soi, finalement ce n'est pas très joli, et nous préférons balayer la poussière sous le tapis.

La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits du programme « Hébergement, parcours vers le logement et insertion des personnes vulnérables » de la mission « Cohésion des territoires ».

LISTE DES PERSONNES ENTENDUES

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• UNIOPSS

Jérôme Voiturier , directeur général

Jeanne Dietrich , conseillère technique

• Fédération des acteurs de la solidarité

Emmanuel Bougras , chargé de mission

• Fondation Abbé Pierre

Manuel Domergue , directeur des études

Noria Derdek , chargée d'études

• Croix-Rouge française

Sami Chayata , délégué national adjoint - Lutte contre les exclusions

• Direction régionale de la jeunesse, des sports et de la cohésion sociale (DRJSCS) des Hauts-de-France

André Bouvet , directeur régional

Émilie Mamcarz , directrice régionale adjointe

Nicolas Pauliac , chargé de mission auprès du préfet de la région Hauts-de-France

• Samu social de Paris

Alain Christnacht , président

• Direction générale de la cohésion sociale (DGCS)

Denis Darnand , adjoint au sous-directeur de la sous-direction Inclusion sociale, insertion et lutte contre la pauvreté


* 1 Ces services assurent le recueil des demandes d'hébergement, par la gestion des plateformes d'appel « 115 » et par les maraudes, qu'ils coordonnent sur les territoires, ainsi que l'orientation de ces demandes vers l'ensemble des dispositifs d'hébergement. Ils assurent en outre les réservations des nuitées hôtelières.

* 2 En équivalent temps plein.

* 3 Union des groupements d'achats publics.

* 4 Instruction n° DGCS/SD5/SD4/2020/127 du 24 juillet 2020 relative à la prise en charge par le budget de l'État (programmes 177 et 137) des surcoûts occasionnés par la crise sanitaire.

* 5 Instruction n° DGCS/SD5A/SD5C/SD1A/2020/139 du 31 août 2020 relative à la campagne budgétaire des centres d'hébergement et de réinsertion sociale (CHRS) pour 2020.

* 6 Loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique.

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