Avis n° 165 (2021-2022) de MM. Jean-Pierre GRAND et André GATTOLIN , fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, déposé le 18 novembre 2021

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N° 165

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2021-2022

Enregistré à la Présidence du Sénat le 18 novembre 2021

AVIS

PRÉSENTÉ

au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées (1) sur le projet de loi de finances , adopté par l'Assemblée nationale, pour 2022 ,

TOME I

ACTION EXTÉRIEURE DE L'ÉTAT

Action de la France en Europe et dans le monde (Programme 105)

Par MM. Jean-Pierre GRAND et André GATTOLIN,

Sénateurs

(1) Cette commission est composée de : M. Christian Cambon, président ; MM. Pascal Allizard, Olivier Cadic, Olivier Cigolotti, André Gattolin, Guillaume Gontard, Jean-Noël Guérini, Joël Guerriau, Pierre Laurent, Philippe Paul, Cédric Perrin, Gilbert Roger, Jean-Marc Todeschini, vice-présidents ; Mmes Hélène Conway-Mouret, Joëlle Garriaud-Maylam, Isabelle Raimond-Pavero, M. Hugues Saury, secrétaires ; MM. François Bonneau, Gilbert Bouchet, Mme Marie-Arlette Carlotti, MM. Alain Cazabonne, Pierre Charon, Édouard Courtial, Yves Détraigne, Mmes Catherine Dumas, Nicole Duranton, MM. Philippe Folliot, Bernard Fournier, Mme Sylvie Goy-Chavent, M. Jean-Pierre Grand, Mme Michelle Gréaume, MM. André Guiol, Abdallah Hassani, Alain Houpert, Mme Gisèle Jourda, MM. Alain Joyandet, Jean-Louis Lagourgue, Ronan Le Gleut, Jacques Le Nay, Mme Vivette Lopez, MM. Jean-Jacques Panunzi, François Patriat, Gérard Poadja, Stéphane Ravier, Bruno Sido, Rachid Temal, Mickaël Vallet, André Vallini, Yannick Vaugrenard.

Voir les numéros :

Assemblée nationale ( 15 ème législ.) : 4482 , 4502 , 4524 , 4525, 4526 , 4527 , 4597 , 4598 , 4601 , 4614 et T.A. 687

Sénat : 162 et 163 à 169 (2021-2022)

L'ESSENTIEL

Avec une augmentation de crédits de 2 % en 2022, le programme 105 se caractérise cette année par trois évolutions réclamées par la commission : l'arrêt de la déflation des personnels, la budgétisation des crédits d'entretien de l'immobilier, et la poursuite de la remontée des contributions volontaires françaises aux organisations internationales.

Ces trois points étaient les conditions indispensables à l'arrêt de l'érosion de notre outil diplomatique, dans un monde où la compétition internationale s'exacerbe et où les crises, y compris sanitaires, se multiplient.

Ces améliorations posent toutefois la question de leur efficacité qui appelle des remarques spécifiques, telles que la nécessaire décorrélation des AE et des CP pour permettre la mise en oeuvre d'une politique immobilière pluriannuelle efficace, plus encore au moment où la spécificité des parcours des diplomates est remise en cause par la suppression de l'ENA.

Le mercredi 17 novembre 2021, sous la présidence de M. Christian Cambon, président, la commission a émis un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « Action extérieure de l'État ».

I. LA SUPPRESSION DU CORPS DIPLOMATIQUE HYPOTHÈQUE-T-ELLE L'EFFICACITÉ DE LA DIPLOMATIE FRANÇAISE ?

Le 3 ème réseau diplomatique mondial

dédiés au T2 du P105

un effectif stabilisé pour la deuxième année consécutive

de la fonction publique d'État

Pour la première fois depuis 20 ans la déflation des effectifs du P105 a été stoppée en 2021 . L'arrêt des attritions était indispensable après la perte de 3 000 postes depuis 2007 et alors que la crise sanitaire a montré le rôle de service public essentiel du corps diplomatique auprès des Français résidant à l'étranger. Représentant 0,55% de la fonction publique d'État , les personnels du ministère ont facilité le retour de 370 000 Français lors de la première vague de la pandémie, et évacué, à ce jour, 2 805 personnes d'Afghanistan (dont 2 635 ressortissants afghans) . Ils animent le 3 e réseau diplomatique mondial .

Cette stabilisation des effectifs du ministère se poursuivra en 2022 grâce à l'arrêt du programme « Action publique 2022 » qui visait la mutualisation et la réduction des fonctionnaires en poste à l'étranger, quel que soit leur ministère de rattachement, et le placement sous l'autorité de l'ambassadeur des services de soutien ainsi rénovés. L'unification des fonctions support a sans doute donné des leviers intéressants pour gérer la crise sanitaire mais cela n'a pas été sans répercussions sur les personnels, notamment les secrétaires généraux d'ambassade qui ont assumé un rôle essentiel dans la bonne gestion de la crise sanitaire.

Les principales mesures à retenir sont les suivantes :

- le plafond d'emplois du ministère est porté à 13 606 ETP, soit 43 postes supplémentaires (dont 40 postes d'apprentis ) par rapport à 2021,

- une provision de 12 M€ pour couvrir les risques de change et de prix sur les rémunérations des agents du ministère, face aux importantes fluctuations à l'étranger est inscrite en socle : 3,1 M€ sont prévus pour contrer les effets de l'inflation mondiale sur les salaires des agents de droit local et 8,9 M€ au titre du change-prix sur les indemnités de résidence à l'étranger

Prévus par le PLF pour faire face au risque de change et à l'inflation

Prévus pour la valorisation des métiers et des carrières diplomatique

La mission sur la valorisation des métiers et des carrières diplomatiques confiée à l'automne 2020 à l'ambassadeur Jérôme Bonnafont a abouti à une réforme d'ampleur de ses ressources humaines, pour toutes les catégories d'agents - titulaires de catégorie A, B ou C, contractuels de droit public, agents de droit local, pour promouvoir la dynamisation des carrières, effectuer un effort sur la formation à travers la création d'une école diplomatique et consulaire, et renforcer l'ouverture et l'attractivité du ministère. Seront consacrés à cette réforme 30 millions d'euros en 2022, dont :

- 20 millions d'euros au titre de la masse salariale (permettant le rapprochement des rémunérations d'administration centrale de celles versées par d'autres ministères, à métier et responsabilité comparables, à l'étranger, le rapprochement des rémunérations des agents contractuels des agents titulaires, des mesures de fluidification des déroulements de carrière, de valorisation des fonctions d'expertise de haut niveau et d'accompagnement des mobilités) ;

- 3 millions d'euros pour la création d'une école diplomatique et consulaire intégrant l'offre de formation initiale et continue du ministère, actuellement dispersée. Elle accueillera en son sein l'Académie diplomatique d'été, visant à ouvrir les portes du ministère à des lycéens et des étudiants boursiers, afin de rechercher des talents partout où ils se trouvent ;

- 4 millions d'euros supplémentaires portant à 5 millions euros l' enveloppe d'action sociale dédiée à la réservation de nouveaux logements.

La création du corps des administrateurs de l'État ne doit pas fragiliser la capacité d'impact et de rayonnement de la diplomatie française.

La stabilisation des effectifs du programme et la réforme relative à la valorisation des métiers et des carrières diplomatiques devront être articulées de façon optimale avec la création du corps des administrateurs de l'État pour ne pas fragiliser la diplomatie en affaiblissant les moyens du réseau diplomatique qui n'a pu faire face aux défis liés au coronavirus qu'au prix de l'engagement sans faille des personnels, dont le formidable dévouement doit être salué.

Au mois d'octobre 2021, le projet de décret portant création du corps des administrateurs de l'État a été transmis au Conseil d'État et au Conseil de la fonction publique, après arbitrage du Président de la République. Il prévoit que l'ensemble des corps pertinents, y compris les corps des conseillers des affaires étrangères et des ministres plénipotentiaires, seront versés dans le corps des administrateurs de l'État .

Cette mesure suscite l'inquiétude et amènera à en suivre l'application avec attention. Il est indispensable d'adapter cette réforme pour s'assurer qu'elle ne conduise pas à l'affaiblissement de l'action extérieure de la France . Il convient ainsi de trouver les conditions de modernisation de la fonction publique compatibles avec l'impératif d'une fonction publique diplomatique professionnelle, spécialisée et dont l'extrême compétence reste reconnue dans le monde et au sein de toutes les instances internationales et multilatérales.

1. Préserver la spécificité des concours d'Orient comme voie d'accès direct au Quai

2. Améliorer les perspectives d'accès des secrétaires des affaires étrangères à l'encadrement supérieur du ministère

3. Garantir la réalité du droit d'option

La mise en extinction des corps sera compatible avec le maintien de la vocation diplomatique des personnels du ministère si leur est offerte la possibilité de construire un parcours professionnel au Quai d'Orsay , dans le respect de l'obligation de mobilité.

Pour cela, il est essentiel de préserver la spécificité des concours d'Orient comme voies d'accès direct au Quai via le statut d'administrateur de l'État et l'Institut national du service public (INSP) qui va se mettre en oeuvre. Les concours d'Orient permettent en effet au ministère de répondre à ses besoins spécifiques en langues , en connaissances de civilisation et d'assurer l'obligation de parité et de diversité de ses recrutements. Un dispositif concret doit permettre d'articuler ce concours spécifique avec l'INSP , afin que ceux qui le réussissent soient versés directement au Quai d'Orsay .

La seconde condition au maintien de la solidité de l'appareil diplomatique est l'amélioration des perspectives d'accès des secrétaires des affaires étrangères (SAE) à l'encadrement supérieur du ministère , afin de garantir la motivation des agents, l'attractivité du Quai et son unité. Les SAE doivent donc obtenir une voie d'accès au futur corps des administrateurs de l'État .

Enfin, pour éviter toute hémorragie des conseillers des affaires étrangères et des ministres plénipotentiaires, les conditions d'exercice du droit d'option permettant de choisir de rester dans ces corps ou de basculer dans le corps les administrateurs de l'État devront être réelles et ne pas pénaliser en termes financiers ou en matière de perspectives de carrière et de promotion ceux qui choisiraient de ne pas rejoindre le corps des administrateurs de l'État.

II. COMMENT MENER UNE ACTION IMMOBILIÈRE EFFICACE SANS LES AUTORISATIONS DE PROGRAMME PERMETTANT UNE GESTION PLURIANNUELLE ?

La politique immobilière à l'étranger est à réinventer de toute urgence . Elle est grevée par le choix qui a été fait pendant plusieurs années de faire dépendre l'entretien normal des bâtiments des recettes exceptionnelles de cessions d'immeubles .

Ce système qui revient à appauvrir l'État a en outre été en partie capté par le désendettement de l'État jusqu'en 2017 à hauteur de 207 M€. Il est en voie d'essoufflement au point qu'il est désormais nécessaire , pour pallier le manque à financer dû aux cessions non réalisées , d'augmenter les crédits budgétaires.

Les plus belles ventes ont déjà été réalisées. En 2018, 12 cessions de biens domaniaux à l'étranger ont été opérées (Londres, Édimbourg, Lisbonne, Jakarta, Ho Chi Minh Ville, Libreville, Malabo, Bissau, Yaoundé, Lusaka et Dar Es Salam) pour un montant total de 30,3 M€, les trois ventes en Europe ont représenté à elles seules les deux tiers de ce montant. En 2019, trois ventes ont eu lieu (ancienne Ambassade à Budapest, ancien service culturel à Ottawa, maison à usage de locaux culturels à Tunis) pour un montant de 4 M€.

La commission s'est déjà prononcée contre le principe de la vente des biens immobiliers du quai d'Orsay pour financer l'entretien des bâtiments. Sa faisabilité est en outre aujourd'hui en cause.

Le système de financement des dépenses de sécurisation du réseau par avance des crédits du CAS a aggravé la situation : pour rembourser les 100 M€ prévus, vu le mécanisme mis en oeuvre, 200 M€ de produits de cessions seront nécessaires (sous réserve que le retour à 100 % au MEAE de ces ventes reste garanti, ce que la commission soutient vivement). Le plan pluriannuel de cessions décidé dans le cadre du remboursement de « l'avance » de sécurité (67,8 M€) comporte une liste de 29 biens à vendre dont 9 ont déjà été effectuées.

Ainsi, en 2020 , malgré la crise sanitaire, 7 ventes ont été réalisées pour un montant total de 13,54 M€ : Il s'agit de l'ex Villa de l'attaché de Défense à Séoul (1,51 M€), d'une villa en Côte d'Ivoire (399 k€), de l'ex logement de l'attaché de Défense à Copenhague (3,68 M€), de l'ancienne résidence à Nairobi (3,89 M€), de l'immeuble du CEMCA à Mexico (2,07 M€), de l'ancienne ambassade à Assomption (1,01 M€) et de l'ancienne trésorerie à Dakar (1 M€). Pour 2021, outre l'ancien consulat de Séville et l'immeuble sis 45th East street à New-York dont les ventes sont terminées, plusieurs projets de cessions sont en cours : notamment l'appartement du chef du SER à Rome, l'ancien campus diplomatique à Kingston, et la villa du chef du SER à Nairobi.

de produits de cessions attendus

de remboursement de l'avance « sécurisation »

programmation d'opération d'entretien
en 2020 et 2021
sur le CAS 723

Le montant total des produits de cessions escomptés s'élèvent à hauteur de 168 M€, dont 67,8 M€ seront consacrés au remboursement de l'avance de sécurité. Les produits de cessions restants seront quant à eux réaffectés au MEAE et contribueront au financement des opérations. L es droits de tirage disponibles sont ainsi fléchés vers l'opération d'extension et réhabilitation de l'aile des archives sur le site du Quai d'Orsay, dite QO XXI. Faute de ressources suffisantes sur le CAS 723 pour engager de nouvelles opérations, par exemple celles décidées dans le cadre des schémas directeurs immobiliers à l'étranger, aucune autre programmation n'a eu lieu sur ce programme en 2020 et en 2021 . Il a simplement été décidé que les opérations engagées sur ce support budgétaire seront achevées (concerne par exemple les constructions d'ambassades à Libreville ou Séoul, l'extension de l'IF de Tokyo,...).

Source : Sénat - Visite du chantier QOXXI en mars 2021

L'engagement des travaux du Projet QO XXI, à l'issue des phases d'études, devrait se traduire en 2022 par un investissement de l'ordre de 57 M€. Ce projet est composé d'une vingtaine d'opérations concourant à moderniser les emprises pour les rendre respectueuses des normes environnementales et modulables afin que le MEAE soit en capacité de monter très rapidement des cellules de crises et autres task-forces.

Le projet Quai d'Orsay XXI structure le schéma pluriannuel de stratégie immobilière (SPSI) dit d'administration centrale présenté en février 2021 devant le Conseil de l'immobilier de l'État (CIE). Il détaille, pour les 5 ans à venir, la politique immobilière du ministère pour ses emprises en France. Le ministère présentera cet automne au CIE son SPSI pour l'étranger , qui dresse l'inventaire des travaux à réaliser pour mettre à niveau le parc immobilier du ministère à l'étranger (qui comporte près de 2 000 biens). Il détaille la trajectoire budgétaire pluriannuelle pour y parvenir. L'exécution de ce plan de rattrapage compte plus de 200 opérations en cours ou à mener d'ici 2025 .

Le Quai doit être doté d'AE pluriannuelles pour mener à bien la réalisation des SPSI que la commission appelait de ses voeux depuis 2015.

La LFI pour 2022 prévoit une dotation exceptionnelle de 36 millions d'euros sur le CAS 723 (sans contrepartie) et l'inscription de 41,7 millions d'euros de crédits de paiement consacrés à l'entretien lourd à l'étranger . Les autorisations d'engagement sont strictement égales aux CP ce qui ne permet pas la programmation pluriannuelle des travaux prévu par les SPSI.

La dotation budgétaire doit se stabiliser annuellement au niveau nécessaire, c'est-à-dire au moins 80 millions d'euros de CP par an et un niveau largement supérieur, dans un premier temps, d'AE , afin de permettre la réalisation des schémas pluriannuels de stratégie immobilière.

III. LA POURSUITE DE LA REMONTÉE DES CONTRIBUTIONS VOLONTAIRES SUFFIT-ELLE POUR ACCROÎTRE LE RAYONNEMENT DE LA FRANCE ?

Le programme 105 est le programme support du ministère de l'Europe et des affaires étrangères. Il regroupe toutes les dépenses de fonctionnement des services en administration centrale et des implantations à l'étranger ainsi que les contributions obligatoires de la France aux organisations européennes et internationales et aux opérations de maintien de la paix (CI-OMP) . Cette structure budgétaire laisse très peu de marge de manoeuvre pour piloter la politique mise en oeuvre dans le cadre du P105.

Sur les 652,2 M€ dédiés aux CI-OMP, les 15 principales contributions représentent 603,77 M€ des crédits du P105 en 2021.

La quote-part de la France au budget de l'ONU se réduit peu à peu, en raison de nos résultats économiques et de la montée en puissance des pays émergents, passant de 6,03 % sur la période 2004-2006 à 4,43 % sur 2019-2021 . Pour rester dans le classement des 10 premiers contributeurs à l'ONU, il faudrait à l'avenir fournir un effort de plusieurs centaines de millions d'euros .

La somme des contributions volontaires et obligatoires françaises la place au 9 e rang des contributeurs des agences onusiennes, avec une participation annuelle dix fois inférieure à la contribution américaine, 1 er contributeur avec 10,5 milliards d'euros par an. Arrivent ensuite l'Allemagne, au deuxième rang, avec une contribution près de 4 fois supérieure à la nôtre, de 3,7 milliards, et le Royaume-Uni, au 3 ème rang, avec 2,8 milliards, puis, le Japon, la Suède, la Norvège, le Canada, et les Pays-Bas (avec 1,32 milliard par an). Notre classement en tant que contributeur devrait diminuer avec la progression de la Chine notamment. Les économies sur les contributions obligatoires permettent de financer les mesures en faveur du réseau déjà évoquées , mais elles induisent également un risque de perte d'influence de la France et un impact négatif sur la capacité de la France à peser à l'avenir sur les orientations des organisations internationales . Un certain décalage a pu être observé en raison de l'écart entre l'activisme diplomatique français et notre contribution réelle. Notre pays, à la manoeuvre politique et diplomatique, s'est retrouvé dans la gestion de certaines crises humanitaires 10 fois moins disant que nos partenaires européens. Notre capacité d'entrainement vis-à-vis de nos partenaires européens pourrait s'en ressentir cruellement . Ce serait d'autant plus regrettable que nos OPEX requièrent la participation de ces partenaires et des organisations internationales, pour que l'action militaire puisse aboutir à des solutions politiques et de développement économique durables.

Des contributions volontaires portées à 29,8 M€ en 2022 : un levier d'action qui doit être amplifié par l'union des efforts européens.

Face à cette situation, en 2021, 20,2 M€ de contributions volontaires ont été inscrits sur le programme 105, parmi lesquels 17,2 M€ de mesures reconduites , auxquelles s'ajouteront 9,6 millions de mesures nouvelles en 2022 pour porter ces contributions volontaires du programme 105 à 29,8 M€.

Pour mémoire les 17,2 M€ reconduits en 2022 sont ainsi répartis :

Les 9,6M€ de mesures nouvelles seront ainsi ventilés :

Si ces choix traduisent bien la vision française en faveur d'une approche coopérative et multilatérale , le mouvement d'affaiblissement et de contestation du système multilatéral est en voie d'accélération, malgré le réengagement de l'administration Biden, et alors que la France est attendue sur ce sujet. Il serait donc souhaitable que cet effort soit renforcé grâce à :

- son inscription dans la durée . Ainsi lorsque des effets de change permettent de retrouver une marge de manoeuvre, il conviendrait qu'elle ne soit pas intégralement captée par Bercy , mais qu'une partie revienne au Quai, et plus encore lorsque ce sont des négociations qui permettent de diminuer la quote-part française. Que les gains ainsi réalisés permettent d'accroître l'influence française serait une mesure de bonne gestion ,

- la coordination et la mutualisation des initiatives et efforts déployés par les pays de l'Union européenne en termes de contributions volontaires. Un effort ciblé non sur l'ensemble du spectre mais sur quelques priorités à forts effets de levier est réalisé. Il peut être décuplé grâce à la coopération européenne . Ainsi, la France et l'Allemagne ont choisi de coordonner leurs interventions en faveur des jeunes experts associés des Nations unies qui sont les leviers d'influence du futur à court et long terme. Cette coopération est d'autant plus importante que la Chine investit 20 fois plus dans ce seul levier d'action que la France . Si les Européens ne regroupent pas leurs efforts, leur poids au sein des organisations internationales risque un déclin extrêmement rapide .

EXAMEN EN COMMISSION

Au cours de sa réunion du mercredi 17 novembre 2021, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, sous la présidence de M. Christian Cambon, président, a procédé à l'examen des crédits du programme 105 - Action de la France en Europe et dans le monde - de la mission « Action extérieure de l'Etat » inscrits dans le projet de loi de finances pour 2022.

M. Jean-Pierre Grand, rapporteur pour avis. - Je souhaite tout d'abord adresser un hommage sincère aux personnels, titulaires, contractuels et agents de droit local, qui se dévouent depuis le début de la pandémie, sans retour vers leurs familles et leurs proches, pour porter au plus haut notre diplomatie et leur assurer notre reconnaissance. La pandémie et l'effondrement de l'Afghanistan ont montré à quel point leur engagement était essentiel, et a pointé les limites des politiques de restriction imposées depuis des années.

La stabilisation des effectifs du ministère se poursuivra en 2022 grâce à l'arrêt du programme « Action publique 2022 » visant la mutualisation et la réduction des fonctionnaires en poste à l'étranger, quel que soit leur ministère de rattachement. 12 millions d'euros sont prévus par le PLF pour faire face aux risques de change et d'inflation et 30 millions d'euros pour la revalorisation des métiers et carrières diplomatiques. Dans cette perspective, la création du corps des administrateurs de l'Etat ne doit pas fragiliser la capacité d'impact et de rayonnement de la diplomatie française. Et il faut trouver les conditions de modernisation de la fonction publique compatibles avec l'impératif d'une fonction publique diplomatique professionnelle et spécialisée. Trois conditions sont nécessaires :

- préserver la spécificité des concours d'Orient comme voie d'accès direct au Quai,

- améliorer les perspectives d'accès des secrétaires des affaires étrangères à l'encadrement supérieur du ministère

- et garantir la réalité du droit d'option qui sera proposé aux personnels.

J'en viens à la politique immobilière du ministère. Nous avons été entendus sur trois points cruciaux :

- la vente de biens pour entretenir le parc immobilier n'est plus considérée comme normale ;

- l'entretien du patrimoine immobilier fait désormais l'objet d'ouverture de crédits budgétaires, et bénéficie même cette année d'un apport non remboursable du compte d'affectation spéciale de 36 millions d'euros ;

- enfin et vous étiez un ardent partisan de cette évolution Monsieur le Président lorsque vous étiez rapporteur du programme 105, le ministère s'est doté de deux schémas pluriannuels de stratégie immobilière (SPSI), l'un pour l'administration centrale et les biens métropolitains, et l'autre pour le parc immobilier situé à l'étranger.

Là encore je me félicite que nos recommandations aient été suivies. Pour que ces évolutions puissent porter leurs fruits il faut :

- que le niveau des crédits de paiement inscrits annuellement soit de l'ordre de 80 millions d'euros ce qui correspond au besoin,

- que les autorisations d'engagement soient portées à un niveau encore supérieur. La programmation pluriannuelle de travaux rend nécessaire l'ouverture des autorisations d'engagement au bon niveau, en fonction des capacités de traitement des dossiers par les services et en fonction des SPSI dont le ministère s'est doté.

Nous sommes allés en mars faire un contrôle sur pièce et sur place des travaux menés dans le cadre du projet Quai d'Orsay XXI avec mon co-rapporteur André Gattolin. Nous en avons conclu que la fonction immobilière du ministère s'était professionnalisée, et qu'il convenait de lui donner les moyens de mener à bien ses missions.

Mes chers collègues, je vous propose d'adopter les crédits du programme 105.

M. André Gattolin, rapporteur pour avis. - Je m'attacherai essentiellement à la question des contributions internationales de la France aux grandes organisations mondiales, onusiennes et européennes notamment, parce qu'elles constituent une part très significative du programme 105. La quote-part de la France au budget de ces organisations a tendance structurellement à diminuer, en raison de nos résultats économiques au long cours et de la montée en puissance des pays émergents, passant pour le budget de l'ONU de 6,03% sur la période 2004 2006 à 4,43 % sur 2019-2021.

C'est un mouvement mécanique puisque le calcul de ces contributions obligatoires s'appuie sur le RNB par habitants, ce qui ne conduit pas à l'augmentation de notre quote-part. Pour rester dans le classement des 10 premiers contributeurs à l'ONU, il faudrait à l'avenir fournir un effort de plusieurs centaines de millions d'euros. Nous sommes au 9ème rang des contributeurs des agences onusiennes, avec une participation annuelle dix fois inférieure à la contribution américaine, 1er contributeur mondial avec 10,5 milliards d'euros par an. Arrivent ensuite l'Allemagne, au deuxième rang, avec une contribution près de 4 fois supérieure à la nôtre, puis, le Royaume Uni, le Japon, la Suède, la Norvège, le Canada, et les Pays-Bas. Notre classement en tant que contributeur devrait diminuer avec la progression de la Chine notamment. Cette évolution mécanique de nos contributions obligatoires a un impact négatif sur la capacité de la France à peser à l'avenir sur les orientations des organisations internationales. Un décalage important s'est créé au fil du temps et est perçu par nos partenaires comme par nos concurrents entre l'activisme diplomatique français et notre contribution réelle. Notre pays s'est retrouvé dans la gestion de certaines crises humanitaires 10 fois moins disant que nos partenaires européens. Notre capacité d'entrainement vis-à-vis de nos partenaires européens pourrait s'en ressentir cruellement, alors que nos OPEX requièrent leur participation et celle des organisations internationales, pour que l'action militaire aboutisse à des solutions politiques durables. Ça a toujours été un paradoxe de la France, qui consacre beaucoup d'argent aux opérations militaires. La gestion a posteriori des crises revient à nos partenaires moins engagés militairement.

Face à cette situation, en 2021, 20,2 M€ de contributions volontaires ont été inscrits sur le programme 105, parmi lesquels 17,2 M€ de mesures nouvelles, auxquelles s'ajouteront 9,6 millions de mesures nouvelles en 2022 pour porter ces contributions volontaires du programme 105 à 29,8 M€. C'est important et il faut le souligner, le détail de la répartition de ces contributions volontaires est donné dans l'essentiel que vous avez eu. Je souligne simplement que 20,3 millions d'euros sont dédiés au renforcement de la sécurité internationale et 2,3 millions d'euros au programme des jeunes experts associés.

Ces choix traduisent bien notre vision en faveur d'une approche coopérative et multilatérale, à un moment où le mouvement d'affaiblissement et de contestation du système multilatéral est en voie d'accélération, malgré le réengagement de l'administration Biden, et alors que la France est attendue sur ce sujet. Il me paraît donc souhaitable que cet effort soit renforcé grâce à deux recommandations.

Il s'agit tout d'abord de l'inscription de cet effort de nos contributions volontaires dans la durée. Lorsque des effets de change permettent de retrouver une marge de manoeuvre, elle ne doit pas intégralement captée par Bercy et bénéficier à la quote-part française. Que les gains ainsi réalisés permettent d'accroître l'influence française serait une mesure de bonne gestion.

La deuxième recommandation concerne la coordination des efforts des pays de l'Union européenne. Notre effort doit être conjoint entre pays européens, voire avec les États-Unis lorsqu'il s'agit d'objectifs partagés. La Chine est à la tête de 4 organisations onusiennes, ce qui est inhabituel dans l'histoire de l'ONU et pose question.

Nous devons pérenniser notre effort et renforcer nos coopérations. Notre effort ciblé sur quelques priorités à forts effets de levier pourrait être décuplé grâce à la coordination européenne. La France et l'Allemagne coordonnent d'ailleurs leurs interventions en faveur des jeunes experts associés des Nations unies. Cette coopération est d'autant plus importante que la Chine investit 20 fois plus dans ce domaine. Si les Européens ne regroupent pas leurs efforts, leur poids au sein des organisations internationales risque un déclin extrêmement rapide.

Enfin, comme mon collègue, je recommande un avis favorable de la commission sur les crédits que nous examinons ce matin.

Mme Michelle Gréaume. - Il est difficile de se satisfaire de la fin de la déflation des effectifs, alors que le Quai a fait face à la diminution de près de la moitié de ses agents en moins de 50 ans. La réforme du corps diplomatique qui conduit à la fusion dans le corps des administrateurs de l'État pose de réelles questions et l'on peut se demander à quoi ressemblera la prochaine génération des fonctionnaires du corps diplomatique. J'espère que la création de l'école diplomatique et consulaire soit à la hauteur des enjeux soulevés. Je vous rappelle que notre corps diplomatique est à la peine, certains postes ne sont pas pourvus, c'est le cas notamment à Glasgow. Le groupe communiste votera donc contre l'adoption de la mission « Action extérieure de l'État » et contre l'avis sur le programme 105.

Mme Hélène Conway-Mouret. - Je remercie nos rapporteurs pour leurs analyses et les propositions formulées. Je rejoins toutefois ma collègue. Je trouve assez paradoxal d'envisager de se réjouir d'une stabilisation des moyens alors qu'une augmentation apparaît évidemment nécessaire. Nous voyons aujourd'hui que les équipes consulaires et diplomatiques sont en souffrance. On connaît nombre de burn-out de gens qui ont essayé de faire au mieux et qui ont cumulé des retards phénoménaux avec la fermeture des consulats pendant la pandémie et l'inadaptation des outils au télétravail. Nous devons avoir sur ces sujets une réflexion et devrions être plus revendicatifs pour soutenir ce réseau diplomatique qui fait des miracles. Nous observons des équipes qui sont a minima et qui continuent à fonctionner et à donner une belle image de notre pays. Il me semble que nous devons les aider en dénonçant le manque de moyens, ce que nous avons déjà fait. Cependant dénoncer en votant le budget année après année n'est peut-être pas la meilleure façon de procéder.

Je voulais également signaler que je suis en désaccord avec le terme de rapatriement, utilisé pour les 370 000 Français qui sont rentrés en France lors de l'épidémie. Cela n'a pas été un rapatriement. Un rapatriement c'est lorsque l'on met les gens dans un avion et qu'on les ramène en France. Les Français qui se trouvaient à l'étranger ont tous acheter leur billet pour rentrer en France, parfois ils ont dû l'acheter plusieurs fois parce que les vols été annulés. Ils ont vu leur retour facilité par le réseau diplomatique mais il n'y a pas eu de rapatriement en tant que tel. Nous en avions discuté avec le ministre qui avait utilisé ce terme au départ, ce qui avait créé un mouvement de foule vers les consulats qui n'étaient pas en mesure de le gérer, faute d'avoir des avions à disposition.

Mon dernier point concerne la réforme en cours du réseau diplomatique. Il faut que nous fassions très attention. Nous avons un réseau diplomatique qui a fait ses preuves depuis très longtemps. Il ne faut pas casser ce qui marche. Je comprends la tentation qui consiste à montrer qu'une grande réforme est en cours, mais il convient d'être très attentif à la façon dont ceci va être mené. Être en poste à l'étranger, ce n'est pas être en poste en préfecture et en changer tous les trois ans. Quand on passe d'un poste comme Bagdad au Luxembourg, ce n'est pas du tout le même travail pour le diplomate qui est en charge du fonctionnement du poste. Je crois qu'il y a une spécificité diplomatique et j'encourage notre commission à être très vigilante à ce qui est fait dans la réforme en cours. Nous devrions la suivre de façon très précise. Nous avions un outil qui s'appelait l'administration numérique pour les étrangers en France (ANEF) qui a été supprimé, il a fallu trois ans pour trouver un nouvel outil qui n'est pas du tout satisfaisant. On a cassé un outil pour ensuite seulement se demander ce qu'on allait faire. Ne laissons pas casser l'outil diplomatique sans réfléchir d'abord à ce qui va en être fait, il est trop précieux et trop important pour nous.

M. Jean-Pierre Grand, rapporteur pour avis. - Je suis tout à fait d'accord, cette réforme du corps diplomatique nous préoccupe et c'est pour cela que nous avons énuméré trois conditions pour que la réforme soit encadrée. Nous savons qu'il nous faut être pugnaces, nous l'avons été sur d'autres sujets et nous avons été entendus. Notre commission, sous la direction de notre Président, l'est et elle obtient des résultats.

M. André Gattolin, rapporteur pour avis. - Après la diminution de 3 000 emplois depuis 2007, les effectifs sont stabilisés et 43 ETP seront créés en 2022, dont 40 apprentis. À cela s'ajoute les 30 millions prévus pour la valorisation des métiers et des carrières diplomatiques. Lorsque j'ai assisté à l'examen des crédits de la mission « Action extérieure de l'État » par la commission des finances, la tonalité était très différente, ce à quoi je ne m'attendais pas vu les efforts incroyables qui ont été faits et qui perdurent puisque 80 % des personnels en poste à l'étranger sont encore sur des horaires atypiques. Il y a eu un effort absolument incroyable des personnels et je trouve regrettable que nos collègues aient une vision aussi strictement comptable de quelque chose qui est essentiel par rapport à notre souveraineté et notre place au sein du concert international.

M. Christian Cambon, président. - Je voudrais abonder dans le sens de ce qui a été dit sur deux sujets. Je partage le sentiment exprimé sur la façon dont la commission des finances examine nos crédits, tant dans le domaine de la défense que dans celui des affaires étrangères. Il faut que notre commission garde sa totale indépendance dans son appréciation. Nous sommes libres d'exprimer notre vote. Nous faisons un travail différent du leur, et chaque commission doit pouvoir exercer ses compétences comme elle l'entend.

Je donne écho aux inquiétudes évoquées sur la réforme des grands corps de l'État. Les remarques faites pour le corps diplomatiques touchent aussi, à mon avis, le corps des préfets. Comme d'habitude, selon la formule hélas usée « quand ça marche, on pourrait faire en sorte que cela ne marche plus ». C'est un réflexe typiquement français. Je me fais l'écho de l'émotion qui agite le corps diplomatique, que ce soit d'anciens diplomates plus libres de parole, ou des diplomates en poste, qui espèrent que le Sénat prendra position sur ces sujets. Il y a une spécificité dans les métiers diplomatiques, des compétences indiscutables, une organisation du temps de travail, un dévouement personnel, l'acceptation de l'expatriation. Je cherche encore vainement la justification d'une telle réforme. C'est un sujet sur lequel nous devons approfondir notre réflexion.

M. Jean-Marc Todeschini. - Sur ce sujet, le ministre de l'Europe et des affaires étrangères n'a pas pesé, c'est la ministre de la transformation et de la fonction publique qui a remporté les arbitrages. C'est vraiment un sujet qu'il faut regarder de près, nous serons très attentifs aux nominations après cette réforme. Cela va être une catastrophe pour la diplomatie française et un renforcement du fait du prince. Les hauts fonctionnaires sont là pour servir l'Etat et le gouvernement quel qu'il soit.

Mme Hélène Conway-Mouret. - Pour illustrer ces propos, en 2017, le gouvernement avait suggéré la nomination de 21 consuls généraux. Les syndicats du Quai d'Orsay s'y étaient opposés très justement. Cela avait été d'autant plus mal reçu qu'un consul général est un chef d'équipe qui doit avoir de l'expérience. Cette mesure était tout à fait inhabituelle.

LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES

Ø Par les rapporteurs :

Jeudi 14 octobre 2021

Mme Hélène DUCHENE , Directrice générale de l'administration et de la modernisation, Mme Claire BODONYI , Directrice des affaires financières, Mme Myriam ACHARI , Directrice des immeubles et de la logistique, M. Eric GÉRARD , Directeur de la Sécurité diplomatique.

M. Philippe ERRERA , Directeur général des affaires politiques et de sécurité, M. Laurent LEGODEC , Chef du programme 105, M. Jérôme BRESSON , Directeur adjoint.

Ø Par la commission :

Mercredi 20 octobre 2021

M. Jean-Yves LE DRIAN , ministre de l'Europe et des affaires étrangères.

Mercredi 3 novembre 2021

M. François DELATTRE , secrétaire général du ministère de l'Europe et des affaires étrangères.

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