EXAMEN EN COMMISSION

Au cours de sa réunion du mercredi 17 novembre 2021, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, sous la présidence de M. Christian Cambon, président, a procédé à l'examen des crédits du programme 185 - Diplomatie culturelle et d'influence - de la mission « Action extérieure de l'Etat » inscrits dans le projet de loi de finances pour 2022.

M. Ronan Le Gleut, rapporteur pour avis. - Monsieur le président, mes chers collègues, le budget du programme 185 sera en légère progression, de +2%, l'an prochain. C'est une source de satisfaction, même si nous aurions souhaité une véritable relance de la politique d'influence française.

En la matière, en effet, nous ne soutenons pas les appels à la rigueur budgétaire : notre commission est bien placée pour constater à quel point les luttes d'influence sont devenues un enjeu majeur dans la compétition internationale.

Je dirai même, pour reprendre la formule du nouveau chef d'état-major des armées, que la diplomatie culturelle et d'influence est l'un des instruments à notre disposition pour « gagner la guerre avant la guerre ».

La France a la chance de pouvoir déployer sa politique d'influence à partir d'un réseau historique universel qui a peu d'équivalents au plan mondial. Il s'agit aujourd'hui de saisir les opportunités offertes par ce réseau, et d'éviter à tout prix un repli, synonyme de recul, non seulement pour la francophonie, mais aussi pour nos valeurs et pour notre économie, car tous ces aspects - la langue, la culture, l'économie - sont bien sûr liés.

Dans ce contexte, nos préconisations sont les suivantes :

S'agissant de l'enseignement français à l'étranger, la subvention à l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger (AEFE) est, certes, stable, mais la trésorerie de l'agence sera très sollicitée, à hauteur de 10 M€ pour abonder les crédits d'aide à la scolarité, et de 10 M€ supplémentaires, en faveur du Liban. L'AEFE anticipe par conséquent une diminution substantielle de sa trésorerie. Or celle-ci lui sert aussi à venir en aide aux établissements en difficulté.

Ces ponctions sont d'autant plus préjudiciables que l'Agence ne peut pas emprunter, en dehors du système des avances de l'Agence France Trésor c'est-à-dire à l'échelle d'un an.

Nous souhaitons que l'Agence soit autorisée à emprunter à moyen et long terme pour financer ses opérations immobilières. C'est indispensable pour atteindre l'objectif de doublement des effectifs à l'horizon 2030. Au rythme actuel, cet objectif serait atteint en 2053... Il faut maintenant donner un coup d'accélérateur, en veillant à ne pas nuire à la qualité de l'enseignement.

Notre rapport souligne par ailleurs les risques qui pèsent sur l'enseignement français au Liban. Ce réseau, qui compte 55 établissements et représente 16 % des effectifs mondiaux, a bénéficié d'aides importantes en 2020 puis en 2021. Mais en 2022, aucun crédit budgétaire spécifique n'est programmé, en dehors du prélèvement que je viens de mentionner sur la soulte de l'AEFE. Cela ne nous paraît ni suffisant, ni pérenne.

Le ministère partage notre constat d'un risque d'effondrement de l'enseignement français au Liban. Des crédits budgétaires doivent donc être programmés. Par ailleurs, le concours de l'État au Fonds pour les écoles francophones chrétiennes au Moyen-Orient doit être reconduit et renforcé.

Enfin, nous demandons que le projet de contrat d'objectifs et de moyens de l'AEFE nous soit rapidement transmis. Le précédent COM a expiré en 2018... Le droit de regard du parlement sur la stratégie mise en oeuvre, institué par la loi du 27 juillet 2010 sur l'action extérieure de l'État, est mis à mal par l'absence de nouveau COM. L'objectif de doublement des effectifs imposerait, au contraire, que nous puissions porter un jugement éclairé sur la stratégie suivie.

Nous demandons, enfin, que ce COM soit gage de prévisibilité, c'est-à-dire qu'il prévoie une trajectoire de moyens suffisants dans la durée pour atteindre les objectifs.

Sous réserve de ces remarques, et de celles que va maintenant présenter André Vallini, nous vous proposons d'émettre un avis favorable à l'adoption de ce budget.

M. André Vallini, rapporteur pour avis. - Monsieur le président, mes chers collègues, après l'enseignement français, le réseau culturel est un autre atout majeur de notre diplomatie d'influence.

Le budget et les effectifs du réseau culturel public sont globalement stables, ce qui est satisfaisant compte-tenu du contexte économique. Mais nous souhaitons que le réseau soit préservé, afin que la conjoncture n'ait pas d'effet structurel à long terme, et que la capacité de notre diplomatie culturelle à remonter en puissance soit préservée.

Or, en 2019, le ministère a fermé 3 instituts français (Amérique centrale, Brésil et Canada). Deux antennes ont par ailleurs été supprimées, à Stavanger en Norvège et à Valence en Espagne. Nous le regrettons. En dehors des recettes issues des cours de langue française, le potentiel de ressources propres de ces instituts n'a-t-il pas été sous-exploité ?

La question du statut des établissements à autonomie financière est en voie de résolution, dans le cadre de l'examen de la proposition de loi organique relative à la modernisation de la gestion des finances publiques. Ce point est resté incertain pendant plusieurs années, suite aux réserves émises par la Cour des comptes. Il faut que cette clarification permette de dynamiser et de diversifier les ressources des instituts français, lorsque les seuls cours de langue ne permettent pas une rentabilité suffisante.

Le soutien aux alliances françaises en difficulté doit par ailleurs se poursuivre.

S'agissant de l'accueil des étudiants étrangers, en dix ans, la France est passée du 3e au 7e rang des pays d'accueil. Alors qu'elle était auparavant le premier pays non anglophone à accueillir des étudiants étrangers, elle est désormais devancée par l'Allemagne, la Russie et le Canada. Le prochain pays qui risque de passer devant la France, ce sont les Émirats Arabes Unis. La Turquie et l'Arabie saoudite font des efforts considérables pour attirer des étudiants étrangers.

Les bourses étudiantes sont l'un des rares postes en augmentation de ce budget. Deux réserves toutefois à ce sujet :

- d'une part, il ne s'agit que d'un retour au niveau antérieur à la pandémie de covid-19 ;

- d'autre part, la Cour des comptes a mis en évidence un écart, de l'ordre de 10 M€ en 2018, entre le montant prévu pour les bourses d'études et le montant effectivement consommé.

La Cour des comptes a souligné aussi la dispersion de la gouvernance de cette politique d'accueil et, en particulier, l'insuffisante coordination entre le ministère, les ambassades, les établissements d'enseignement supérieur, et Campus France. Cette politique doit donc être revue. Nous proposons l'instauration d'une marque dédiée, bien visible, et un recrutement mondial selon des critères unifiés.

Comme pour l'AEFE, le contrat d'objectifs et de moyens de Campus France se fait attendre. La pandémie ne peut pas tout justifier, et surtout pas un manque de considération pour le Parlement. C'est le contraire qui devrait prévaloir, alors que les opérateurs de l'action extérieure de l'État sont contraints de revoir en profondeur leurs stratégies.

Je terminerai en évoquant le tourisme. Le programme 185 porte en effet la subvention de l'État à l'agence Atout France. La pandémie a eu des effets dévastateurs : alors que nous espérions atteindre une cible de 100 millions de touristes internationaux par an, ce sont 40 millions de touristes qui sont venus en France en 2020, et probablement 50 millions cette année même si la reprise de la pandémie introduit des incertitudes. Les recettes tirées des visas ont fortement baissé. Or ces recettes viennent abonder chaque année le budget opérationnel d'Atout France. Une rallonge budgétaire est donc nécessaire, pour ne pas rater le tournant de la reprise du tourisme. Des pays - la Grèce, l'Espagne - font des efforts considérables pour attirer les touristes grâce à des campagnes de communication de grande ampleur

Sous ces réserves, je serai moi aussi favorable à l'adoption de ce budget pour 2022.

Mme Hélène Conway-Mouret. - Je partage les analyses des rapporteurs, notamment concernant le Liban.

Vous avez indiqué que la France était passée de la troisième à la septième place du classement des pays d'accueil des étudiants étrangers. Quelles sont les raisons de ce recul ? Le processus d'obtention des visas, la non-reconnaissance de certains vaccins sont-ils en cause ?

L'Institut français d'Oslo est aujourd'hui réduit à quelques bureaux et ses professeurs de langue ont été licenciés. Une école privée a été créée. Cet institut français n'a donc plus de ressources. N'aurions-nous pas intérêt à analyser de plus près les causes de ces fermetures ? À chaque fois, c'est la France qui disparaît, de façon non seulement physique mais aussi hautement symbolique.

M. André Vallini, rapporteur pour avis. - Ces fermetures sont en effet très dommageables pour l'image de la France mais aussi pour son économie. Quand la présence française recule, la France se rétracte globalement. Plus on diminue les moyens des instituts français, plus ils sont contraints de réduire leur activité, ce qui conduit finalement à les fermer.

Concernant l'accueil d'étudiants étrangers, l'augmentation des frais d'inscription a pu jouer. Il faut se préoccuper aussi de l'image que l'actuelle campagne électorale donne de la France à l'étranger.

M. Ronan Le Gleut, rapporteur pour avis. - Les fermetures d'instituts français et la stabilité des budgets doivent être analysées au regard des luttes d'influence qui existent au plan mondial. La Chine a, en particulier, créé en 2004 le réseau des instituts Confucius qui compterait aujourd'hui 525 instituts dont 18 en France. Ce réseau s'insère au sein d'universités étrangères tout en restant contrôlé par un organisme émanant de l'administration chinoise. C'est dans ce contexte global qu'il faut analyser la diplomatie culturelle et d'influence de la France.

M. Jean-Marc Todeschini. - Disposez-vous de chiffres sur l'orientation, après le baccalauréat, des élèves de l'enseignement français à l'étranger ? Au Liban, en particulier, il semble que les élèves de l'enseignement français partent bien souvent vers des universités américaines. Pour que cet enseignement français porte ses fruits, il est essentiel que les élèves poursuivent leurs études dans le système français.

M. André Vallini, rapporteur pour avis. - La Chine, la Turquie, la Russie, l'Arabie saoudite font des efforts considérables pour attirer des étudiants. Une prise de conscience est nécessaire.

M. Christian Cambon, président. - La problématique est bien connue : les déclarations sont ambitieuses mais les moyens ne suivent pas. À Vienne, par exemple, la vente du palais Clam-Gallas a des impacts en termes de rayonnement. Le Qatar y a fait son ambassade. Cela donne le sentiment d'un déclassement de la France.

La liste des cessions immobilières est impressionnante, alors même que le Ministre nous avait indiqué que ce mouvement serait stoppé. La pression de Bercy se fait probablement sentir.

M. Ronan Le Gleut, rapporteur pour avis. - En 2020, sur 17 955 bacheliers, 9 400 élèves scolarisés dans un établissement homologué ont accepté une proposition d'admission dans l'enseignement supérieur français.

Mme Hélène Conway-Mouret. - À ce sujet, nous avons signalé des difficultés avec Parcoursup.

Pour revenir sur le sujet des cessions, Bercy a été jusqu'à demander la vente d'une ambassade qui nous avait été donnée par les autorités du pays concerné... Là encore, cela donne une image déplorable.

M. Christian Cambon, président. - Comme ce fut longtemps le cas pour les forces armées, les moyens reculent chaque année, jusqu'au moment où il deviendra évident que l'on a été au-delà du raisonnable. Ce sujet devrait être davantage présent dans le débat public, d'autant que nous parlons d'un budget de trois milliards d'euros, relativement raisonnable à l'échelle de l'État, mais contribuant directement au rayonnement de la France.

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