B. DES DISPOSITIONS INSUFFISAMMENT AMBITIEUSES POUR FACILITER L'ACCÈS À LA PROPRIÉTÉ DES PERSONNES SOUFFRANT DE RISQUES DE SANTÉ AGGRAVÉS

1. Une proposition de loi qui se borne à la tenue de négociations, sans résultat concret pour le moment

Alors que l'auteure et rapporteure de la proposition de loi partage l'idée que des améliorations de la convention AERAS sont nécessaires, le rapporteur pour avis regrette le manque d'ambition des dispositions du titre II de la présente proposition de loi en matière d'accès à l'assurance emprunteur pour les personnes présentant des risques aggravés de santé .

En effet, l'article 7 se limite à prévoir la tenue d'une négociation entre les signataires de la convention AERAS sur plusieurs évolutions envisageables .

Aux termes du I de l'article 7 , les signataires doivent engager, dans un délai de trois mois à compter de la promulgation de la loi, « une négociation sur la possibilité d'appliquer » :

- des délais plus courts pour le droit à l'oubli en matière de pathologies cancéreuses , en particulier pour les pathologies pour lesquelles les délais applicables sont supérieurs à cinq ans ;

- étendre le droit à l'oubli et la grille de référence AERAS pour davantage de pathologies autres que cancéreuses .

Le II du même article prévoit que les signataires engagent, dans le même délai, une négociation sur la hausse du montant du prêt pouvant être assuré aux termes de la convention AERAS.

Le III du même article précise que l'instance de suivi et de propositions de la convention adresse un rapport d'avancement au Gouvernement et au Parlement au plus tard neuf mois après la promulgation de la loi.

Certes, le IV du même article prévoit qu'à défaut de la mise en oeuvre des négociations prévues par les signataires, les conditions d'accès à la convention peuvent être fixées par décret en Conseil d'État . Toutefois, le rapporteur pour avis souligne que cette disposition n'est que peu engageante pour le Gouvernement :

- premièrement, la définition de ces conditions d'accès par décret n'est qu'une possibilité, et non une obligation , dans l'hypothèse où les signataires n'engageraient pas les discussions prévues ;

- deuxièmement, les négociations prévues aux I et II de l'article 7 ne portent que sur la possibilité d'appliquer certaines évolutions à la convention AERAS, sans obligation de résultat ;

- enfin, les conditions d'accès qui pourraient être fixées par décret ne seraient pas nécessairement beaucoup plus avantageuses pour les assurés, ces dispositions prévoyant que « les conditions sont fixées à un niveau au moins aussi favorable pour les candidats à l'assurance que celles en vigueur à la date de publication de la présente loi ».

Néanmoins, il convient de rappeler qu'en 2019, le législateur avait défini avec succès un cadre de négociation similaire sur la possibilité d'appliquer un droit à l'oubli différencié pour les cancers intervenus avant les 18 ans 29 ( * ) .

2. La remise en cause partielle du questionnaire médical : une véritable avancée pour l'assurabilité des personnes avec un risque aggravé de santé

Certes, à première vue, les deux titres de la proposition de loi semblent traiter d'enjeux distincts de l'assurance emprunteur, le premier visant à garantir un degré de concurrence approprié sur ce marché et à protéger les droits des consommateurs , et le second ayant trait à la question de l'accès à ce marché des personnes ayant une santé plus fragile .

Néanmoins, les travaux du rapporteur pour avis l'ont conforté dans l'idée que ces enjeux étaient profondément liés par la question suivante : quel équilibre doit-il être défini entre une tarification « sur mesure » de l'assurance emprunteur, encouragée par l'accroissement de la concurrence sur ce marché, et la nécessaire mutualisation des risques et des coûts pour permettre au plus grand nombre d'emprunteurs d'accéder à la propriété ?

Au croisement de ces deux visions de l'assurance emprunteur, le rôle du questionnaire médical constitue un outil majeur dans la détermination du coût de l'assurance emprunteur . Pour les profils les moins risqués , tels que les jeunes actifs ne souffrant d'aucune pathologie, le questionnaire médical permet de « sécuriser », aux yeux de l'assureur, une offre très concurrentielle : l'assuré s'acquitte d'un faible niveau de prime pour bénéficier de garanties larges, en raison d'un faible risque de sinistralité. Pour les profils les plus risqués , tels que les fumeurs approchant de l'âge de départ à la retraite, ou les personnes ayant souffert d'une pathologie cancéreuse, le questionnaire médical évalue l'ampleur du risque pris par l'assureur sur toute la durée du prêt .

En théorie, le questionnaire médical permet ainsi à l'assureur d'équilibrer son portefeuille de prêts assurés, et de maîtriser le coût des sinistres . Afin d'apprécier dans quelle mesure les contrats d'assurance emprunteur exposaient les assureurs à un risque élevé, le rapporteur pour avis a interrogé l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR), la direction générale du Trésor, et France Assureurs sur le ratio sinistres/primes des contrats d'assurance emprunteur. Néanmoins, il lui a été indiqué que cette donnée n'était pas connue .

En pratique, le questionnaire médical s'apparente à un « révélateur de risques » très perfectible .

D'une part, comme indiqué précédemment, les données scientifiques étant encore insuffisantes pour correctement mesurer l'assurabilité de diverses pathologies médicales, le questionnaire médical peut conduire à appliquer des surprimes sans lien avec le risque sur l'espérance de vie . Ainsi, pour un emprunteur porteur du VIH, la surprime appliquée à la garantie décès peut s'élever jusqu'à 100 %, alors que l'espérance de vie est désormais semblable à celle des personnes non porteuses.

D'autre part, même si l'essentiel des personnes présentant des risques aggravés de santé se voient proposer une offre assurantielle, celle-ci peut être assortie de surprimes et d'exclusions de garanties telles que son intérêt devient limité pour l'emprunteur, qui voit pourtant le coût de son achat immobilier être considérablement alourdi .

Alors que les dispositions de la présente proposition de loi se contentent de poser la première pierre d'une éventuelle évolution de la convention AERAS, le rapporteur pour avis souhaite proposer une solution plus innovante, de nature à remettre la mutualisation des risques, principe cardinal en matière assurantielle, au coeur du fonctionnement de l'assurance emprunteur . Afin d'offrir des conditions d'indemnisation homogènes à une large palette d'assurés, le rapporteur pour avis propose la suppression du questionnaire et des examens médicaux, sous certaines conditions, pour la souscription d'un contrat d'assurance emprunteur visant à garantir un prêt immobilier .

Certes, la suppression du questionnaire médical prive l'assureur d'un outil de connaissance du risque, ce qui pourrait se traduire par une hausse du coût de l'assurance emprunteur pour l'ensemble des assurés. Toutefois, cet écueil doit être relativisé par plusieurs facteurs.

Premièrement, le marché de l'assurance emprunteur permet une large répartition des risques . En effet, le taux de couverture est de 92 % des crédits immobiliers 30 ( * ) . En outre, la part des personnes avec un risque de santé aggravé présentant une demande d'assurés est relativement stable depuis plusieurs années, et devrait nécessairement diminuer si les négociations prévues à l'article 7 aboutissent, ce qui permet une certaine prévisibilité de la fréquence des sinistres.

Deuxièmement, une plus grande mutualisation des risques ne signifie pas une homogénéisation des conditions tarifaires de l'assurance emprunteur . En effet, outre les risques de santé, le coût de l'assurance emprunteur varie également en fonction de l'âge, de la catégorie socio-professionnelle, du caractère fumeur ou non de l'assuré, du montant du prêt, ou encore de la localisation du bien immobilier. Par conséquent, la proposition du rapporteur pour avis vise à supprimer les discriminations tarifaires en fonction de l'état de santé, sans pour autant abandonner le principe d'une tarification individuelle .

Troisièmement, le risque assumé par l'assureur est en réalité d'une durée plus courte que la durée initiale de remboursement du prêt souscrit . Si la durée initiale d'un prêt est en moyenne de 21,1 ans en France en septembre 2021 31 ( * ) , la durée réelle oscille entre 8 et 10 ans 32 ( * ) , le bien étant souvent revendu avant l'échéance du prêt.

Quatrièmement, les auditions menées ont rappelé que la collecte et le traitement d'informations sur la santé des assurés, via le questionnaire médical notamment, se traduisaient par des coûts de gestion conséquents pour les assureurs, qui seraient ainsi réduits par le dispositif proposé.

Enfin, le rapporteur pour avis propose d'assortir la suppression du questionnaire médical de deux conditions cumulatives pour contenir l'exposition des assureurs aux risques.

D'une part, le montant du prêt pour lequel l'assurance emprunteur est souscrite ne peut être supérieur à 200 000 euros, ce qui est de nature à contenir le coût du sinistre à indemniser pour chaque contrat . Ce montant est défini par analogie avec le montant moyen d'un prêt pour l'habitat, qui s'élève à 190 000 euros en septembre 2021. En fixant un seuil à 200 000 euros, près de 77 % des prêts pourraient être souscrits sans devoir remplir de questionnaire médical 33 ( * ) .

D'autre part, l'échéance de remboursement du prêt doit intervenir avant le soixante-cinquième anniversaire de l'assuré, ce qui correspond à l'âge approximatif de la fin de la vie active . Compte tenu de la maturité initiale des prêts, cette limite d'âge permet a priori de cibler une population encore relativement jeune, présentant un risque aggravé de santé moindre, et qui bénéficie encore de revenus issus de son activité professionnelle.

Sur proposition du rapporteur pour avis, la commission des finances a adopté un amendement COM.37 en ce sens.


* 29 Loi n° 2019-180 du 8 mars 2019 visant à renforcer la prise en charge des cancers pédiatriques par la recherche, le soutien aux aidants familiaux, la formation des professionnels et le droit à l'oubli, article 7 .

* 30 Comité consultatif du secteur financier, Bilan de l'assurance emprunteur , 11 novembre 2020.

* 31 Données de l'ACPR, Suivi mensuel de la production de crédits à l'habitat, septembre 2021.

* 32 D'après les informations transmises au rapporteur pour avis.

* 33 Évaluation de la commission des finances, à partir des données présentes dans le rapport précité du CCSF, p. 38.

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