N° 891

SÉNAT

SESSION EXTRAORDINAIRE DE 2022-2023

Enregistré à la Présidence du Sénat le 17 juillet 2023

AVIS

PRÉSENTÉ

au nom de la commission des finances (1) sur le projet de loi relatif à l'accélération de la reconstruction des bâtiments dégradés ou démolis au cours des violences urbaines survenues du 27 juin au 5 juillet 2023 (procédure accélérée),

Par M. Vincent DELAHAYE,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : M. Claude Raynal, président ; M. Jean-François Husson, rapporteur général ; MM. Éric Bocquet, Daniel Breuiller, Emmanuel Capus, Bernard Delcros, Vincent Éblé, Charles Guené, Mme Christine Lavarde, MM. Dominique de Legge, Albéric de Montgolfier, Didier Rambaud, Jean-Claude Requier, Mme Sylvie Vermeillet, vice-présidents ; MM. Jérôme Bascher, Rémi Féraud, Marc Laménie, Stéphane Sautarel, secrétaires ; MM. Jean-Michel Arnaud, Arnaud Bazin, Christian Bilhac, Jean-Baptiste Blanc, Mme Isabelle Briquet, MM. Michel Canévet, Vincent Capo-Canellas, Thierry Cozic, Vincent Delahaye, Philippe Dominati, Mme Frédérique Espagnac, MM. Éric Jeansannetas, Patrice Joly, Roger Karoutchi, Christian Klinger, Antoine Lefèvre, Gérard Longuet, Victorin Lurel, Hervé Maurey, Thierry Meignen, Sébastien Meurant, Jean-Marie Mizzon, Claude Nougein, Mme Vanina Paoli-Gagin, MM. Paul Toussaint Parigi, Georges Patient, Jean-François Rapin, Teva Rohfritsch, Pascal Savoldelli, Vincent Segouin, Jean Pierre Vogel.

Voir les numéros :

Sénat :

888 et 892 (2022-2023)

L'ESSENTIEL

I. UN CONTEXTE DE VIOLENCE QUI A GÉNÉRÉ DE NOMBREUSES DÉGRADATIONS SUR DES BIENS ET DES BÂTIMENTS PUBLICS NÉCESSITANT UNE RAPIDE REMISE EN ÉTAT

A. DES VIOLENCES URBAINES À L'ORIGINE DE NOMBREUSES DÉGRADATIONS SUR DES BIENS ET DES BÂTIMENTS PUBLICS

Les troubles à l'ordre et à la sécurité publics survenus entre le 27 juin et le 5 juillet 2023 sur l'ensemble du territoire national ont conduit à des dégradations ou des destructions importantes de biens publics, et notamment des édifices et équipements publics des collectivités territoriales et de leurs groupements.

Les dégradations subies compromettent le bon fonctionnement de ces services publics locaux dont certains ont d'ailleurs dû être fermés totalement.

La difficile évaluation des dégradations subies par les collectivités territoriales dans le contexte des violences urbaines survenues à compter du 27 juin 2023

Selon l'étude d'impact du projet de loi, plus de 750 bâtiments publics ont été atteints, de manière plus ou moins importante, avec des dommages causés sur des mairies, écoles, bibliothèques ou postes de police.

Le président de l'Association des maires de France avance, pour sa part, le chiffre de plus de 2 000 bâtiments publics touchés.

Le Ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires, Christophe Béchu, précise que 553 communes ont été touchées en huit jours d'émeutes sur l'ensemble du territoire français.

Dans la région Île-de-France, environ 100 bâtiments publics ont été dégradés ou détruits, selon un décompte de la Région qui a, par ailleurs, indiqué qu'en Île-de-France, plus d'une commune sur dix a été touchée par des violences urbaines. Ce sont au total 18 mairies centrales ou annexes, et 36 postes de police municipale franciliens qui ont été endommagés.

Les transports publics d'Île-de-France ont subi d'importants dégâts. Selon une première estimation publiée lundi 3 juillet par Île-de-France Mobilités (IDFM), les émeutes ont causé « au moins 20 millions d'euros de dégâts ». Au total, ce sont 39 bus qui ont été brûlés partout en Île-de-France durant les émeutes.

Pour autant, à ce stade, il est difficile d'établir une liste exhaustive et consolidée des dommages qui ont touché aussi bien les bâtiments publics, que la voirie ou le mobilier urbain. De nombreuses incertitudes subsistent sur le chiffrage exact des dépenses qui seront à réaliser par les collectivités pour les travaux de réparation, réfection et reconstruction afin de pouvoir remettre en état, le plus rapidement possible, les équipements endommagés et, de fait, les services publics offerts à la population.

Néanmoins, il est évident que les travaux à venir représenteront des dépenses importantes pour les collectivités, non prévues initialement dans leur budget prévisionnel.

Cette situation nécessite donc une réponse de la part du législateur et du Gouvernement, permettant un accompagnement des collectivités afin de pouvoir engager rapidement les travaux nécessaires pour réparer les biens et bâtiments dégradés et reconstruire les biens et bâtiments détruits mais également pour faciliter le financement de ces travaux.

B. L'HABILITATION À LÉGIFÉRER PAR ORDONNANCE : UNE RÉPONSE JURIDIQUE D'EXCEPTION POUR FAIRE FACE À UNE SITUATION ELLE-MÊME EXCEPTIONNELLE

Le Gouvernement, le Parlement et les collectivités territoriales partagent la volonté de reconstruire rapidement les biens dégradés ou démolis au cours des violences urbaines survenues du 27 juin au 5 juillet 2023 afin de permettre le maintien ou le retour de services publics essentiels pour les populations concernées, dans le respect du principe de continuité du service public, principe de valeur constitutionnelle.

Dans ce contexte, le présent projet de loi comporte trois articles, prenant la forme d'une habilitation du Gouvernement à légiférer par ordonnances dans un délai de trois mois.

L'habilitation prévue par l'article premier porte sur des mesures dérogatoires au droit de l'urbanisme. Cet article relève de la compétence de la commission des affaires économiques, commission saisie au fond du projet de loi.

L'habilitation prévue par l'article 2 porte sur des mesures dérogatoires au droit de la commande publique. Saisie pour avis, la commission des lois s'est vue déléguer au fond cet article.

Enfin, l'habilitation prévue par l'article 3 porte sur des mesures dérogatoires à certaines règles relatives au financement des opérations d'investissement des collectivités territoriales. La commission des finances, saisie pour avis, s'est vue déléguer son examen au fond.

La méthode de l'habilitation à légiférer par ordonnance appelle une certaine vigilance de la part du Parlement, qui accepte ainsi de se déposséder temporairement et de manière circonscrite de ses attributions législatives.

Au cas présent, elle conduit à réserver à l'examen parlementaire la discussion sur le principe général des mesures proposées par les habilitations et à renvoyer le détail technique, une fois les principes fixés par le législateur, au dispositif des ordonnances.

Cette méthode est ici proposée par le Gouvernement au regard du caractère à la fois urgent, technique et consensuel des mesures envisagées pour faciliter l'engagement rapide par les collectivités des travaux de réparation et de reconstruction. Le rapporteur en prend acte.

II. TROIS TYPES DE MESURES DÉROGATOIRES AU DROIT COMMUN POUR FACILITER ET ACCÉLERER LE FINANCEMENT DES TRAVAUX DE RÉPARATION QUI SERONT ENGAGÉS PAR LES COLLECTIVITÉS TERRITORIALES

A. LES INDEMNITÉS QUE LES COLLECTIVITÉS PERCEVRONT DE L'ÉTAT AU TITRE DE L'ENGAGEMENT DE SA RESPONSABILITÉ SANS FAUTE ET DES ASSUREURS NE COUVRIRONT QUE PARTIELLEMENT LE COÛT DES TRAVAUX, D'OÙ LA NÉCESSITÉ DE MESURES COMPLÉMENTAIRES

Pour financer leurs travaux de réparation et de reconstruction, les collectivités territoriales et leurs groupements pourront rechercher la responsabilité sans faute de l'État et ainsi bénéficier d'une indemnisation sur ce fondement, conformément à l'article L. 211-10 du code de la sécurité intérieure. La prise en charge des dépenses à venir au titre du régime de responsabilité de l'État est donc limitée à des cas strictement définis par la jurisprudence du Conseil d'État.

Par ailleurs, pour les dégradations et destructions qui ne relèveraient pas de la responsabilité de l'État, les collectivités territoriales et leurs groupements ayant souscrit des contrats d'assurance couvrant les biens concernés pourront faire valoir les obligations de leurs assureurs, qui doivent garantir aux victimes de bénéficier rapidement des indemnisations qui leur sont dues puisqu'elles ne sont soumises à aucune discussion juridique quant au fondement de responsabilité.

Toutefois, la prise en charge du financement des réparations par l'État au titre de la mise en jeu de sa responsabilité et par les assureurs laisseront, dans bien des situations, un reste à charge pour les collectivités territoriales et leurs groupements, ce qui justifie la mise en oeuvre de mesures de soutien complémentaires.

B. LE VERSEMENT ANTICIPÉ DU FONDS DE COMPENSATION POUR LA TAXE SUR LA VALEUR AJOUTÉE : UNE MESURE UTILE MAIS QUI NE POURRA PAS RÉPONDRE À TOUTES LES SITUATIONS

En premier lieu, l'article 3 prévoit que l'ordonnance déterminera les modalités particulières de versement des attributions destinées aux bénéficiaires du fonds de compensation pour la taxe sur la valeur ajoutée (FCTVA), au titre des dépenses éligibles au bénéfice des dispositions de l'article L.1615-1 du code général des collectivités territoriales.

L'exposé des motifs précise que l'habilitation permettra le versement anticipé du FCTVA pour les travaux de reconstruction entrepris par les collectivités à la suite des dégradations intervenues durant les émeutes.

Concrètement, il est donc proposé que les dépenses éligibles au FCTVA exécutées à ce titre fassent l'objet systématiquement et pour tous les bénéficiaires d'une attribution de FCTVA l'année d'exécution de ces dépenses et non l'année N+2 comme le prévoit le droit commun.

Ce versement anticipé représente incontestablement un outil utile aux collectivités afin de faciliter le financement des travaux de réparation.

Pour autant, il ne concerne que les dépenses habituellement éligibles au FCTVA. Il en résulte qu'un certain nombre de dépenses engagées par les collectivités pour procéder aux réparations suite aux dégradations intervenues durant les émeutes ne seront pas éligibles au FCTVA.

C. UNE DÉROGATION AUX RÈGLES DE PARTICIPATION MINIMALE DU MAÎTRE D'OUVRAGE QUI S'ACCOMPAGNE DE LA MISE EN PLACE D'UN FONDS DÉDIÉ AU FINANCEMENT DES TRAVAUX DE RÉPARATION, MAIS DONT LA TRADUCTION BUDGÉTAIRE EST ENCORE INCONNUE

En deuxième lieu, l'ordonnance permettrait de déroger à l'exigence, posée à l'article L. 1111-10 du CGCT, de participation minimale des collectivités territoriales ou des groupements maîtres d'ouvrages au financement de leurs projets d'investissement. Dans le droit commun, cette participation minimale est fixée à 20 % de l'ensemble des financements apportés par les personnes publiques. D'après l'exposé des motifs du projet de loi, l'ordonnance permettra aux collectivités concernées de bénéficier de subventions allant jusqu'à 100 % du coût des travaux.

Cette mesure serait notamment adossée à la création d'un fonds dédié financé sur les crédits de la mission « Relations avec les collectivités territoriales » et fonctionnant sur le modèle de la dotation de solidarité en faveur de l'équipement des collectivités territoriales et de leurs groupements touchés par des événements climatiques ou géologiques (DSEC), mais dont le coût pour l'État n'a pas été évalué à ce jour. Les premières subventions versées au titre du fonds pourront être financées dans un premier temps par les crédits provisionnels ouverts en loi de finances initiale pour 2023 au titre de la DSEC (soit 40 millions d'euros d'autorisations d'engagement) restant disponibles, tandis que des besoins complémentaires, qui ne peuvent pas être déterminés avec précision à ce stade, pourront conduire à mobiliser la réserve de précaution du programme 122 qui ne serait pas affectée à d'autres besoins ainsi que, le cas échéant, faire l'objet d'ouvertures de crédits sur le programme en loi de finances de fin de gestion.

D. LA MESURE DE DÉPLAFONNEMENT DES FONDS DE CONCOURS PERMET DE DONNER DAVANTAGE DE SOUPLESSE AUX COLLECTIVITÉS

En troisième lieu, l'ordonnance permettrait de déroger à la règle de plafonnement des fonds de concours pouvant être versés au sein des intercommunalités, dont les attributions ne peuvent aujourd'hui excéder la part du financement assurée, hors subventions, par le bénéficiaire du fonds de concours (soit une exigence de participation minimale de 50 %).

Cette mesure permettrait de donner davantage de souplesse aux collectivités pour le financement des travaux de réparation.

Son impact budgétaire est neutre pour l'État, puisqu'il n'est question que de flux financiers internes au bloc communal.

La commission propose à la commission des affaires économiques d'adopter l'article 3 du projet de loi sans modification.