N° 131

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2023-2024

Enregistré à la Présidence du Sénat le 23 novembre 2023

AVIS

PRÉSENTÉ

au nom de la commission des affaires sociales (1) sur le projet
de
loi de finances, considéré comme adopté par l'Assemblée nationale
en application de l'article 49, alinéa 3, de la Constitution, pour
2024,

TOME II

COHÉSION DES TERRITOIRES

Hébergement, parcours vers le logement et insertion des personnes vulnérables

Par Mme Nadia SOLLOGOUB,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : M. Philippe Mouiller, président ; Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale ; Mme Pascale Gruny, M. Jean Sol, Mme Annie Le Houerou, MM. Bernard Jomier, Olivier Henno, Xavier Iacovelli, Mmes Cathy Apourceau-Poly, Véronique Guillotin, M. Daniel Chasseing, Mme Raymonde Poncet Monge, vice-présidents ; Mmes Viviane Malet, Annick Petrus, Corinne Imbert, Corinne Féret, Jocelyne Guidez, secrétaires ; Mmes Marie-Do Aeschlimann, Christine Bonfanti-Dossat, Corinne Bourcier, Céline Brulin, M. Laurent Burgoa, Mmes Marion Canalès, Maryse Carrère, Catherine Conconne, Patricia Demas, Chantal Deseyne, Brigitte Devésa, M. Jean-Luc Fichet, Mme Frédérique Gerbaud, M. Khalifé Khalifé, Mmes Florence Lassarade, Marie-Claude Lermytte, Monique Lubin, Brigitte Micouleau, M. Alain Milon, Mmes Laurence Muller-Bronn, Solanges Nadille, Anne-Marie Nédélec, Guylène Pantel, M. François Patriat, Mmes Émilienne Poumirol, Frédérique Puissat, Marie-Pierre Richer, Anne-Sophie Romagny, Laurence Rossignol, Silvana Silvani, Nadia Sollogoub, Anne Souyris, MM. Dominique Théophile, Jean-Marie Vanlerenberghe.

Voir les numéros :

Assemblée nationale (16ème législ.) : 16801715, 1719, 1723, 1745, 1778, 1781, 1805, 1808, 1820 et T.A. 178

Sénat : 127 et 128 à 134 (2023-2024)

4=4)3)

L'ESSENTIEL

Réunie le mercredi 29 novembre 2023, la commission des affaires sociales a donné un avis favorable à l'adoption des crédits du programme 177 (Hébergement, parcours vers le logement et insertion des personnes vulnérables), doté de 2,9 milliards d'euros en crédits de paiement pour 2024.

Deux axes stratégiques structurent le budget demandé pour 2024 :

- le lancement du deuxième plan quinquennal « Logement d'abord », qui vise à poursuivre la dynamique enclenchée par le premier plan en matière de logement adapté ;

- le maintien à un niveau historiquement élevé du volume du parc d'hébergement généraliste tout en améliorant son efficience et en déployant des actions ciblées.

I. UNE POLITIQUE DE LUTTE CONTRE LE SANS-ABRISME ORIENTÉE VERS L'ACCÈS AU LOGEMENT

A. L'ANNONCE EN JUIN 2023 DU DEUXIÈME PLAN « LOGEMENT D'ABORD »

1. Un plan qui s'inscrit dans la continuité du précédent

Le Gouvernement a présenté, en juin 2023, un deuxième plan « Logement d'abord » pour la période 2023-2027 qui s'inscrit dans la continuité directe du premier plan quinquennal des années 2018-2022.

440 000 personnes auraient accédé à un logement pérenne dans le cadre du premier plan Logement d'abord. Cette estimation agrège les personnes en hébergement ou sans abri ayant accédé à un logement social, les personnes ayant obtenu une place en pension de famille et les personnes ayant obtenu un logement dans le parc privé par le biais de l'intermédiation locative.

Les objectifs du nouveau plan concernent principalement la production et la mobilisation de logements adaptés et abordables dans le cadre de dispositifs existants :

l'intermédiation locative (IML) : l'objectif a été fixé à 30 000 nouvelles places pour la période 2023-2027 (dont 6 000 en 2023) ;

- les pensions de famille : l'objectif de 10 000 places a été renouvelé pour 2023-2027 ;

- les résidences sociales : leur production sera relancée avec un objectif de 25 000 nouveaux logements agréés.

Nombre de créations de places prévu et réalisé
dans le cadre des premier et deuxième plans « Logement d'abord »

Dispositif

Objectif
2018-2022

Réalisation 2018-2022

% objectif

Objectif
2023-2027

Intermédiation locative

40 000

40 000

 

30 000

Pensions de famille

10 000

7 200

 

10 000

Résidences sociales

 

25 000

Source : Commission des affaires sociales du Sénat (données Dihal)

2. Le logement adapté : des dispositifs efficaces qui connaissent des limites

• Le développement de l'IML, qui mobilise le parc privé à des fins sociales avec l'intervention d'un tiers agréé par l'État entre le bailleur et le locataire, est considéré comme une des grandes réussites du premier plan « Logement d'abord ». Le parc atteint aujourd'hui 75 000 places, soit 30 000 logements. 211,2 millions d'euros sont inscrits dans le PLF pour 2024 afin de financer ce dispositif (après 210,8 millions en 2023).

Pour les acteurs de l'hébergement et de l'insertion auditionnés par le rapporteur, l'IML est un dispositif efficace mais qui ne peut suffire à répondre aux enjeux car il s'agit d'une solution temporaire : ainsi, dans le cadre d'une IML en location ou sous-location, la durée de la convention d'occupation est de 18 mois maximum. Une des conditions de sa réussite est le renforcement de l'accompagnement social des ménages pour accéder à un logement pérenne.

• 172,4 millions d'euros seraient consacrés aux pensions de famille et résidences accueil après 169,5 millions d'euros en 2023. Structures de taille réduite combinant logements privatifs et espaces collectifs, les pensions de famille sont destinées à l'accueil sans limitation de durée de personnes en forte exclusion sociale. 1 000 pensions de famille sont aujourd'hui réparties sur tout le territoire national.

• Les crédits de l'aide à la gestion locative sociale (AGLS) destinée aux gestionnaires de résidences sociales sont en forte augmentation : 46,2 millions d'euros sont demandés pour 2024 après 26 millions en 2023. Une partie de cette hausse sera absorbée par le financement des résidences sociales existantes : en particulier, 5 millions d'euros seront destinés à mieux soutenir les gestionnaires dans la mise en oeuvre de leur mission sociale.

Malgré leur intérêt, les dispositifs de logement adapté ne peuvent pallier la production insuffisante de logements sociaux.

B. LA RESTRUCTURATION EN COURS DES ACTEURS DU SECTEUR

1. Un pilotage amélioré

La mise en place au 1er janvier 2021 du « Service public de la rue au logement » traduit la volonté de transformer la gouvernance de la politique de lutte contre le sans-abrisme, tant dans son organisation que dans ses pratiques et outils.

Une gouvernance unifiée a ainsi été mise en place avec le transfert à la délégation interministérielle à l'hébergement et à l'accès au logement (Dihal) de l'ensemble des compétences de ce champ. Une instruction a été adressée le 26 mai 2021 aux préfets afin de mettre fin à la « gestion au thermomètre » au profit d'une démarche de programmation pluriannuelle.

Dans une note d'analyse datée d'avril 2023 sur l'exécution budgétaire 2022 de la mission Cohésion des territoires, la Cour des comptes relève que « pour la première fois, le programme 177 n'a pas connu d'abondement en cours de gestion, hors prise en compte de facteurs exogènes qui ne pouvaient être assumés sous enveloppe » (accueil de réfugiés ukrainiens, Ségur du travail social) et salue « une rupture nette avec les anciens modes de gestion et un assainissement des pratiques budgétaires ». 

2. Les SIAO renforcés et érigés en « clés de voûte » du « Service public de la rue au logement »

Les services intégrés d'accueil et d'orientation (SIAO) sont les opérateurs départementaux de la politique du « Logement d'abord ». La loi « ALUR » du 24 mars 20141(*) a posé le principe d'un SIAO unique par département, gérant à la fois le « 115 » (numéro d'urgence sociale), l'hébergement d'urgence et l'insertion.

L'instruction du Gouvernement du 31 mars 2022 érige les SIAO en « clés de voûte » du « Service public de la rue au logement ». Elle prévoit que leur pilotage doit refléter la responsabilité partagée des parties prenantes en matière de lutte contre l'exclusion : État, collectivités territoriales, associations et bailleurs sociaux. En outre, elle dispose que leurs missions doivent aller au-delà de la régulation de la demande et du pourvoi des places d'hébergement pour assurer le suivi de la progression des parcours des personnes sans domicile vers le logement. Un modèle de convention pluriannuelle d'objectifs est en cours d'élaboration afin d'uniformiser ces conventions et d'en réviser les exigences en déclinant les axes stratégique de l'instruction du 31 mars 2022.

Le deuxième plan « Logement d'abord » prévoit de renforcer la veille sociale en recrutant, sur la période 2023-2027, 500 équivalents temps plein (ETP) supplémentaires au sein des SIAO, dans les accueils de jour et les équipes mobiles. L'atteinte de cet objectif représente toutefois une gageure car le secteur Accueil, hébergement et insertion (AHI) souffre de problèmes d'attractivité, d'autant plus que les professionnels des SIAO n'ont pas été éligibles à la revalorisation salariale de février 2022.

Pour 2024, 19 millions d'euros sont prévus afin de financer ces renforts sur un total de 212,5 millions d'euros consacrés à la veille sociale dans le PLF (190,7 millions en 2023).

3. La réforme à venir de la tarification des CHRS

Les centres d'hébergement et de réinsertion sociale (CHRS) sont des établissements et services sociaux financés par une dotation globale de fonctionnement : 758,5 millions d'euros sont prévus dans le PLF à ce titre.

La loi « ELAN » du 23 novembre 20182(*) a rendu obligatoire la conclusion, avant le 1er janvier 2023, d'un contrat pluriannuel d'objectifs et de moyens (CPOM) par l'ensemble des organismes gestionnaires d'un CHRS. Toutefois, seuls 35 % des gestionnaires de CHRS étaient signataires d'un CPOM à cette date et 50 % devraient l'être au 31 décembre 2023. L'objectif pour 2024 est que 75 % des gestionnaires soient couverts par un CPOM.

La lenteur du processus témoigne du changement de culture que représente la conclusion d'un CPOM au sein du secteur AHI. En outre, dans certains cas, les gestionnaires considèrent que la signature du CPOM mettrait les structures en difficulté compte tenu des conditions de financement proposées.

Un projet de réforme de la tarification des CHRS, initié en 2021, constitue pour la Dihal l'occasion d'affiner la démarche de contractualisation. Il intégrerait de nouveaux indicateurs de résultats à inscrire au sein des CPOM pour en faire des outils de pilotage du parc d'hébergement et des capacités d'accompagnement qui lui sont liées. Cette réforme serait progressivement déployée à partir de 2025. S'ils ont été largement associés aux travaux préparatoires, certains acteurs associatifs craignent qu'elle ne conduise à remettre en cause le principe de l'inconditionnalité de l'accueil.

II. UN BUDGET MIS SOUS TENSION PAR LE BESOIN CROISSANT DE PLACES D'HÉBERGEMENT D'URGENCE

A. UNE STABILISATION DU PARC D'HÉBERGEMENT APRÈS UNE FORTE HAUSSE

1. Le maintien du parc d'hébergement généraliste à son plus haut niveau

Le PLF pour 2024 prévoit la stabilisation du parc d'hébergement à son niveau de 2023, soit 203 000 places en moyenne annuelle en hébergement d'urgence et CHRS. Ce total inclut 1 000 nouvelles places dédiées aux femmes victimes de violences intrafamiliales.

Ce parc, inférieur à 150 000 places en 2017, avait fortement augmenté en 2020 pour faire face à la crise sanitaire. À partir de 2021, le Gouvernement a décidé de mettre fin à la gestion saisonnière de l'hébergement et de maintenir la même capacité de soutien aux personnes sans abri tout au long de l'année, tout en conservant des mesures exceptionnelles pendant les périodes de grand froid ou de chaleur.

Nombre de places en hébergement d'urgence et CHRS depuis fin 2017

Source : Commission des affaires sociales du Sénat (données Dihal)

Parmi les dispositifs d'hébergement, l'hôtel fait figure de variable d'ajustement et s'est imposé comme une solution d'urgence devant la forte pression qui s'exerce sur les structures d'hébergement. Ainsi, le recours aux nuitées hôtelières a fortement augmenté durant la crise sanitaire, culminant à 75 000 places début 2021. Il a ensuite reflué tout en restant à un niveau élevé (67 000 au 31 décembre 2022).

11 départements concentrent plus de 80 % des nuitées hôtelières, la région Île-de-France représentant plus des trois quarts des places mobilisées.

Le Gouvernement cherche, d'une part, à favoriser la transformation des places à l'hôtel en solutions d'hébergement plus qualitatives et, d'autre part, à améliorer les conditions d'accueil et d'accompagnement des personnes hébergées à l'hôtel. Une plateforme d'accompagnement des ménages hébergés à l'hôtel a ainsi été mise en place dans chaque département francilien entre septembre 2020 et janvier 2021.

2. Des dispositifs « embolisés » malgré les moyens déployés

Malgré les moyens déployés, les acteurs associatifs constatent une pression croissante sur l'hébergement d'urgence. Selon l'Unicef et la Fédération des acteurs de la solidarité (FAS), on dénombrait 8 351 demandes non pourvues au « 115 » le soir du 2 octobre 2023, soit 2 500 personnes de plus qu'au mois de juin. En outre, une étude menée par Interlogement 93 en 2022 évalue à 70 % le taux de non-recours au « 115 ».

Le nombre de familles avec enfants à la rue constitue une nouveauté alarmante. Selon l'Unicef, on comptait en octobre 2 822 enfants dont les parents avaient été refusés par le « 115 » faute de solution de mise à l'abri disponible, soit une hausse de 42 % en un mois.

Pour le rapporteur, cette embolie est liée au manque de solutions de logement abordable en aval des dispositifs d'hébergement et d'insertion. Son aggravation est un symptôme de l'intensification de la crise du logement, alors que les charges locatives et le coût de l'énergie ont fortement augmenté.

B. UNE ÉVOLUTION DES CRÉDITS EN DÉCALAGE AVEC LA RÉALITÉ

1. Des crédits budgétaires qui ont doublé en dix ans
a) La progression spectaculaire des dépenses d'hébergement

Les crédits du programme 177 ouverts en loi de finances initiale sont passés de 1,3 milliard d'euros en 2014 à 2,8 milliards d'euros en 2023.

La progression la plus spectaculaire est celle des dépenses consacrées à l'hébergement d'urgence. Entre 2012 et 2022, les crédits exécutés en matière d'hébergement (hors CHRS) ont quintuplé, passant de 262 millions d'euros à 1,4 milliard d'euros.

Évolution des dépenses d'hébergement d'urgence hors CHRS
(en crédits de paiement)

(en millions d'euros)

Source : Commission des affaires sociales du Sénat (données Dihal)

b) L'ouverture de crédits supplémentaires dans la loi de finances de fin de gestion pour 2023

La loi de finances de fin de gestion (LFFG) pour 2023, définitivement adoptée par le Parlement le 22 novembre, a ouvert 218,7 millions d'euros supplémentaires en crédits de paiement au titre du programme 177, portant le total des crédits ouverts pour 2023 à 3,119 milliards d'euros. La Dihal prévoit d'exécuter la totalité de ces crédits.

Décomposition des crédits supplémentaires ouverts en LFFG pour 2023

Objet de la dépense

Montant des crédits ouverts
(en millions d'euros)

Ouverture de places supplémentaires dans le parc généraliste

49 M€

Ajustement des sous-jacents de coûts pour l'hébergement généraliste (prise en compte de l'inflation)

64 M€

Soutien aux acteurs de l'hébergement d'urgence

6,7 M€

Ouverture de places dédiées à l'hébergement des femmes victimes de violence

3,5 M€

Opérations de desserrement Île-de-France

39,8 M€

Dispositifs de soutien aux personnes déplacées d'Ukraine

55,7 M€

Total

218,7 M€

Source : Commission des affaires sociales du Sénat (données Dihal)

Les dispositifs d'accueil, d'hébergement et d'accompagnement
des personnes déplacées d'Ukraine

À la suite de l'invasion de l'Ukraine par la Russie en février 2022, le Conseil européen a décidé, le 4 mars 2022, d'activer la protection temporaire au profit des ressortissants ukrainiens, ce qui leur a ouvert un droit au séjour sur le territoire des États membres de l'Union européenne pour trois ans. La France a ainsi accueilli, au total, 115 000 personnes sous ce statut depuis le début du conflit.

Les services de l'État, notamment la Dihal et la Direction générale des étrangers en France (DGEF), se sont rapidement mobilisés pour mettre en place des dispositifs d'aide à l'accès au logement pour les personnes déplacées d'Ukraine en France. Ces dispositifs ont été financés par le programme 303 (« Immigration et asile ») de la mission Immigration, asile et intégration et par le programme 177 (« Hébergement, parcours vers le logement et insertion des personnes vulnérables ») de la mission Cohésion des territoires.

Selon les informations fournies par la Dihal, le programme 177 a pris en charge la mobilisation de l'intermédiation locative en faveur de 21 000 bénéficiaires et un dispositif exceptionnel de complément de loyer pour près de 3 000 ménages ne disposant pas de ressources suffisantes. En outre, il a financé l'accompagnement de 11 000 bénéficiaires de la protection temporaire accueillis en hébergement citoyen.

Quant au programme 303, il a financé l'accueil des personnes nouvellement arrivées dans des « sas » puis leur hébergement dans des structures collectives ad hoc mobilisées par la DGEF, où elles bénéficient d'un accompagnement social adapté.

Cette rectification vient remédier au fait qu'aucun crédit n'avait été ouvert en loi de finances initiale pour financer les dispositifs d'accueil et d'accompagnement vers le logement des Ukrainiens déplacés depuis le début du conflit entre la Russie et l'Ukraine. Dans un audit flash en date de février 2023, la Cour des comptes regrettait un défaut de sincérité budgétaire et une absence de visibilité quant au financement de ces dispositifs pour les acteurs chargés de leur mise en oeuvre. La Cour préconisait donc de prévoir en loi de finances les crédits nécessaires.

2. Une trajectoire à la baisse peu vraisemblable

Pour 2024, le PLF prévoit l'ouverture de 2,901 milliards d'euros en autorisations d'engagement et 2,926 millions d'euros en crédits de paiement.

Le projet annuel de performance indique par ailleurs des prévisions indicatives de dépenses de 2,850 milliards d'euros pour 2025 et 2,825 euros pour 2026 (en crédits de paiement). Lors de son audition par la commission des affaires économiques, le 7 novembre 2023, le ministre délégué chargé du logement Patrice Vergriete a considéré que cette trajectoire baissière reposait sur l'hypothèse d'une meilleure intégration des personnes sans domicile dans le logement. Pour le rapporteur, cette trajectoire est toutefois peu vraisemblable en l'absence d'une inflexion de la politique du logement et dans un contexte d'augmentation des coûts des structures d'hébergement et de crises internationales entraînant des flux migratoires.

Alors que le pilotage budgétaire du programme tendait à s'améliorer, les crédits demandés pour 2024 apparaissent inférieurs de plus de 200 millions d'euros à la prévision d'exécution de 2023.

Crédits du programme 177 ouverts en LFI et exécutés (2022-2024)

(en millions d'euros)

- 6,5 %

Source : Commission des affaires sociales du Sénat (d'après la Dihal et les documents budgétaires)

Comme en 2023, aucun crédit n'est demandé dans le PLF pour le financement des dispositifs d'accueil des Ukrainiens en France au titre du programme 177. Or, compte tenu de la poursuite du conflit et du nombre élevé d'Ukrainiens qui restent présents en France, environ 60 millions d'euros devraient être dépensés en 2024 pour leur prise en charge, pour le seul volet accès au logement.

L'incertitude et l'absence de visibilité quant au financement de ces dispositifs est source de difficultés de trésorerie et de risques pour les acteurs chargés de leur mise en oeuvre, qui sont principalement des associations.

La commission a donc adopté un amendement visant à abonder de 60 millions d'euros les crédits du programme afin d'assurer la continuité du financement de ces dispositifs en 2024.

De même, les crédits inscrits dans le PLF ne semblent pas intégrer, dans les sous-jacents de coûts des structures d'hébergement, l'inflation anticipée pour 2024 ni même celle de 2023. Il est donc vraisemblable qu'une correction importante interviendra à nouveau en fin de gestion.

Pour le rapporteur, la volonté gouvernementale de ne pas afficher de dépenses en hausse ne doit pas prendre le pas sur la rationalisation de la programmation budgétaire de cette politique.

 
 
 

personnes sans domicile
en France

(estimation Dihal)

places en hébergement d'urgence et CHRS

(moyenne annuelle 2023)

des demandes d'hébergement au 115
non pourvues concernent des personnes en famille3(*)

Réunie le mercredi 29 novembre 2024 sous la présidence de Philippe Mouiller, la commission des affaires sociales a donné un avis favorable à l'adoption des crédits du programme « Hébergement, parcours vers le logement et insertion des personnes vulnérables » de la mission Cohésion des territoires, sous réserve de l'adoption d'un amendement visant à garantir le financement des dispositifs d'accueil des Ukrainiens déplacés en France.

EXAMEN DU RAPPORT

Réunie le mercredi 29 novembre 2023 sous la présidence de M. Philippe Mouiller, président, la commission des affaires sociales a examiné le rapport pour avis de Mme Nadia Sollogoub, rapporteur pour avis, sur le projet de loi de finances pour 2024 (programme « Hébergement, parcours vers le logement et insertion des personnes vulnérables » de la mission « Cohésion des territoires »).

Mme Nadia Sollogoub, rapporteur pour avis. - Le programme 177 « Hébergement, parcours vers le logement et insertion des personnes vulnérables », de la mission « Cohésion des territoires » porte les crédits budgétaires de la politique publique de lutte contre le sans-abrisme.

Ce programme finance, pour plus de 90 % de ses crédits, des places d'hébergement sous différents statuts, notamment en centre d'hébergement d'urgence (CHU) ou en centre d'hébergement et de réinsertion sociale (CHRS) - ainsi que des dispositifs de logement adapté.

Cette année a été marquée par la présentation par le Gouvernement du deuxième plan « Logement d'abord » pour la période 2023-2027, qui s'inscrit dans la continuité directe du premier plan quinquennal des années 2018-2022.

Le Gouvernement dresse un bilan flatteur de ce premier plan : 440 000 personnes auraient accédé à un logement pérenne dans ce cadre. Cette estimation agrège les personnes en hébergement ou sans-abri ayant accédé à un logement social, les personnes ayant obtenu une place en pension de famille et les personnes ayant obtenu un logement dans le parc privé par le biais de l'intermédiation locative.

Les objectifs du nouveau plan concernent principalement la production et la mobilisation de logements adaptés dans le cadre des dispositifs existants : l'intermédiation locative, les pensions de famille et les résidences sociales.

Le développement de l'intermédiation locative, qui mobilise le parc privé à des fins sociales avec l'intervention d'un tiers agréé par l'État entre le bailleur et le locataire, est considéré comme l'une des grandes réussites du premier plan : l'objectif de 40 000 nouvelles places a été atteint et le parc compte aujourd'hui 75 000 places dans 30 000 logements. Pour la période 2023-2027, le deuxième plan « Logement d'abord » prévoit la création de 30 000 places supplémentaires. Pour l'exercice 2024, 211 millions d'euros sont inscrits dans le projet de loi de finances (PLF) à ce titre.

Selon les acteurs de l'hébergement et de l'insertion que j'ai auditionnés, l'intermédiation locative est un dispositif efficace, mais qui ne peut suffire à répondre aux enjeux, car il s'agit, par définition, d'une solution temporaire. Une des conditions de sa réussite est le renforcement de l'accompagnement social des ménages pour accéder à un logement pérenne.

Malgré tout leur intérêt, les dispositifs de logement adapté ne peuvent pallier la production insuffisante de logements sociaux. Selon la Fédération des acteurs de la solidarité (FAS), le nombre de personnes en attente d'un logement social atteindrait en effet un niveau inédit.

La politique du « Logement d'abord » est soutenue par la mise en place, au 1er janvier 2021, du Service public de la rue au logement, qui traduit la volonté de transformer la gouvernance de la politique de lutte contre le sans-abrisme, tant dans son organisation que dans ses pratiques et outils.

Les opérateurs départementaux de cette politique sont les services intégrés d'accueil et d'orientation (SIAO). La loi du 24 mars 2014 pour l'accès au logement et un urbanisme rénové (Alur) a posé le principe d'un SIAO unique par département, gérant à la fois le numéro d'urgence sociale « 115 », l'hébergement d'urgence et l'insertion.

L'instruction du Gouvernement du 31 mars 2022 érige les SIAO en « clés de voûte » du Service public de la rue au logement. Leur pilotage doit désormais refléter la responsabilité partagée des parties prenantes en matière de lutte contre l'exclusion : l'État, les collectivités territoriales, les associations et les bailleurs sociaux. En outre, leurs missions sont étendues au-delà de la régulation de la demande et du pourvoi des places d'hébergement afin qu'ils assurent le suivi de la progression des parcours des personnes sans domicile vers le logement.

Le deuxième plan « Logement d'abord » prévoit de renforcer la veille sociale en recrutant, sur la période 2023-2027, 500 équivalents temps plein (ETP) supplémentaires au sein des SIAO, dans les accueils de jour et les équipes mobiles. L'atteinte de cet objectif représente toutefois une gageure, car le secteur « Accueil, hébergement et insertion » souffre de problèmes d'attractivité, d'autant plus que les professionnels des SIAO n'ont pas été éligibles à la revalorisation salariale de février 2022.

Pour 2024, 19 millions d'euros sont prévus dans le PLF afin de financer ces renforts, sur un total de 212,5 millions d'euros consacrés à la veille sociale.

Bien qu'il ait pris beaucoup de retard, le processus de contractualisation avec les CHRS, rendu obligatoire par la loi du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique (Élan), est relancé. Un projet de réforme de la tarification de ces établissements, engagé en 2021, pourrait permettre de renforcer cette démarche de contractualisation en intégrant de nouveaux indicateurs de résultats aux contrats pluriannuels d'objectifs et de moyens (CPOM).

Toutefois, la conclusion d'un CPOM ne doit pas mettre en difficultés financières les structures ni les inciter à sélectionner les publics accueillis.

L'autre point saillant de ce budget 2024 est le maintien du parc d'hébergement généraliste à son plus haut niveau. Le PLF prévoit la stabilisation du parc d'hébergement à hauteur de 203 000 places en moyenne annuelle en hébergement d'urgence et CHRS. Ce total inclut 1 000 nouvelles places dédiées aux femmes victimes de violences intrafamiliales.

Ce parc, inférieur à 150 000 places en 2017, avait fortement augmenté en 2020 pour faire face à la crise sanitaire. À partir de 2021, le Gouvernement a décidé de mettre fin à la gestion saisonnière, ou « au thermomètre », de l'hébergement et de maintenir la même capacité de soutien aux personnes sans abri tout au long de l'année, tout en conservant des mesures exceptionnelles pendant les périodes de grand froid ou de chaleur.

Parmi les dispositifs d'hébergement, l'hôtel s'est imposé comme une solution d'urgence devant la forte pression qui s'exerce sur les structures d'hébergement. Ainsi, le recours aux nuitées hôtelières a fortement augmenté durant la crise sanitaire, culminant à 75 000 places début 2021. Il a ensuite reflué tout en restant à un niveau élevé, atteignant 67 000 places au 31 décembre 2022.

Onze départements concentrent plus de 80 % des nuitées hôtelières, la région d'Île-de-France représentant plus des trois quarts des places mobilisées.

Sans renoncer à cette variable d'ajustement, le Gouvernement cherche, d'une part, à favoriser la transformation des places à l'hôtel en solutions d'hébergement plus qualitatives et, d'autre part, à améliorer les conditions de l'accueil et de l'accompagnement des personnes hébergées à l'hôtel.

Malgré les moyens déployés, les acteurs associatifs constatent une pression croissante sur l'hébergement d'urgence. Selon l'Unicef et la Fédération des acteurs de la solidarité (FAS), on dénombrait 8 351 demandes non pourvues au « 115 » le soir du 2 octobre 2023, soit 2 500 personnes de plus qu'au mois de juin. En outre, une étude menée par Interlogement93 en 2022 évalue à 70 % le taux de non-recours au « 115 ».

Le nombre de familles avec enfants à la rue constitue une nouveauté alarmante. Selon l'Unicef, on comptait en octobre dernier 2 822 enfants dont les parents avaient vu leur demande refusée par le « 115 » faute de solution de mise à l'abri disponible. Le baromètre « enfants à la rue » publié en août avait comptabilisé 1 990 enfants dans cette situation.

Cette embolie apparaît liée au manque de solutions de logement abordable en aval des dispositifs d'hébergement et d'insertion. Son aggravation est un symptôme de l'intensification de la crise du logement.

Dans ce contexte, les crédits du programme 177 ouverts en loi de finances initiale (LFI) ont doublé en dix ans, passant de 1,3 milliard d'euros en 2014 à 2,8 milliards en 2023.

La progression la plus spectaculaire est celle des dépenses consacrées à l'hébergement d'urgence. Entre 2012 et 2022, les crédits exécutés en matière d'hébergement, hors CHRS, ont quintuplé, passant de 262 millions d'euros à 1,4 milliard d'euros.

La loi de finances de fin de gestion (LFFG) pour 2023 a ouvert 218,7 millions supplémentaires en crédits de paiement (CP) au titre du programme 177, portant le total des crédits ouverts pour 2023 à 3,1 milliards d'euros. La délégation interministérielle à l'hébergement et à l'accès au logement (Dihal) prévoit d'exécuter la totalité de ces crédits.

Cette rectification a notamment remédié au fait qu'aucun crédit n'avait été ouvert en LFI pour financer les dispositifs d'accueil et d'accompagnement vers le logement des Ukrainiens déplacés depuis l'invasion de l'Ukraine par la Russie. Dans le cadre du soutien apporté par l'État aux personnes bénéficiant de la protection temporaire, le programme 177 a pris en charge la mobilisation de l'intermédiation locative en faveur de 21 000 bénéficiaires ainsi qu'un dispositif exceptionnel de complément de loyer pour près de 3 000 ménages ne disposant pas de ressources suffisantes. En outre, il a financé l'accompagnement de 11 000 personnes accueillies en hébergement citoyen. Pour 2023, la LFFG a donc ouvert 55,7 millions d'euros de crédits à ce titre.

Pour 2024, le PLF prévoit l'ouverture de 2,9 millions d'euros en CP. Le projet annuel de performance indique par ailleurs des prévisions de dépenses de 2,850 milliards d'euros pour 2025 et 2,825 millions d'euros pour 2026. Lors de son audition par la commission des affaires économiques, le 7 novembre 2023, le ministre délégué chargé du logement Patrice Vergriete a indiqué que cette trajectoire baissière reposait sur l'hypothèse d'une meilleure intégration des personnes sans domicile dans le logement. Cette trajectoire paraît toutefois peu vraisemblable en l'absence d'une inflexion de la politique du logement, et dans un contexte d'augmentation des coûts des structures d'hébergement et de crises internationales entraînant des flux migratoires.

Ainsi, alors que le pilotage budgétaire du programme tendait à s'améliorer, les crédits demandés pour 2024 apparaissent inférieurs de plus de 200 millions d'euros, donc de 6,5 %, à la prévision d'exécution de 2023.

Comme ce fut le cas pour le projet initial de 2023, aucun crédit n'est demandé au titre du programme 177 pour le financement des dispositifs d'accueil des Ukrainiens en France. Or, compte tenu de la poursuite du conflit et du nombre élevé d'Ukrainiens encore présents sur le territoire, environ 60 millions d'euros devraient être dépensés en 2024 pour leur prise en charge, au titre du seul volet « accès au logement ».

L'incertitude et l'absence de visibilité quant au financement de ces dispositifs sont source de difficultés de paiement et de risques pour les acteurs chargés de leur mise en oeuvre, qui sont principalement des associations.

Je vous proposerai donc un amendement visant abonder de 60 millions d'euros les crédits du programme, afin d'assurer la continuité du financement de ces dispositifs en 2024.

De même, les crédits inscrits dans le PLF ne semblent pas intégrer l'inflation anticipée pour 2024 ni même celle de 2023. Il est donc vraisemblable qu'une correction importante interviendra à nouveau en fin de gestion.

J'estime que ces omissions sont contre-productives : la volonté du Gouvernement de ne pas afficher de dépenses en hausse ne doit pas prendre le pas sur la rationalisation de la programmation budgétaire de cette politique.

Au regard des moyens financiers importants prévus par l'État dans ce PLF, et compte tenu du besoin de visibilité des acteurs de terrain, je vous propose d'émettre un avis favorable à l'adoption des crédits, sous réserve de l'adoption de l'amendement que je vais vous présenter.

Mon amendement prévoit d'abonder 60 millions d'euros au programme 177 « Hébergement, parcours vers le logement et insertion des personnes vulnérables », pour répondre aux besoins d'hébergement des réfugiés ukrainiens présents en France. Cette augmentation est gagée sur une diminution du programme 135 « Urbanisme, territoires et amélioration de l'habitat », déjà bien pourvu en crédits cette année.

Les associations ont poussé un grand cri d'alerte face aux importantes difficultés de trésorerie qu'elles rencontrent. Tout repose sur elles. Compte tenu du nombre de personnes déjà à la rue, la situation deviendra ingérable le jour où leur filet de sécurité lâchera.

L'amendement n° II-638 est adopté.

La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits du programme « Hébergement, parcours vers le logement et insertion des personnes vulnérables » de la mission « Cohésion des territoires », sous réserve de l'adoption de son amendement.

LISTE DES PERSONNES ENTENDUES

· Fédération des acteurs de la solidarité (FAS)

Emmanuel Bougras, responsable du service stratégie analyse des politiques publiques

Rémi Boura, responsable des relations parlementaires et de la recherche-action

· Délégation interministérielle à l'hébergement et à l'accès au logement (Dihal)

Sylvain Mathieu, délégué interministériel

Sylvain Budillon, chargé de mission budgétaire

Manon Cousseau, chargée de mission budgétaire

· Fondation Abbé Pierre

Manuel Domergue, directeur des études

· Croix-Rouge française

Victor d'Autume, chef de projet Hébergement-Logement

· Armée du Salut

Guillaume Latil, directeur général

Samuel Coppens, directeur relations publiques, communication et ressources

· Emmaüs France

Lotfi Ouanezar, directeur général d'Emmaüs Solidarité

· Union nationale interfédérale des oeuvres et organismes privés sanitaires et sociaux (Uniopss)

Jeanne Dietrich, conseillère technique Hébergement Logement

Dorothée Guédon, directrice de l'Association catalane d'actions et de liaisons (ACAL), adhérente de l'antenne régionale Uriopss Occitanie


* 1 Loi n° 2014-366 du 24 mars 2014 pour l'accès au logement et un urbanisme rénové.

* 2 Loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique.

* 3 Baromètre « enfants à la rue » FAS-Unicef, août 2023.

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