C. LA CNDA, UNE JURIDICTION EN VOIE DE TRANSFORMATION

Le projet de loi pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration, adopté par le Sénat et en cours d'examen devant l'Assemblée nationale, prévoit une réforme de la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) selon deux grands axes :

· une inversion du principe de collégialité, pour confier les dossiers au jugement d'un juge unique, sauf décision contraire du président de la CNDA ou du président de chambre s'il estime que l'affaire « pose une question qui le justifie ».

En l'état de la législation4(*), la Cour statue au contraire par principe en formation collégiale, sauf dans un nombre de cas limités - qui correspondent à certaines procédures suivies devant l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) - dans lesquelles le président de la Cour ou de la formation de jugement statue seul ;

· une territorialisation pour s'adapter au fait que plus de 45 % des recours sont désormais issus de demandeurs résidant en région et éviter ainsi au requérant un ou plusieurs déplacements à Montreuil en cas de renvoi (30 % des cas).

Le président de la CNDA et le secrétaire général du Conseil d'État ont tous deux affirmé au rapporteur qu'ils étaient attachés au principe de collégialité et que seuls certains dossiers justifieraient le recours à un juge unique. Il s'agirait, selon eux, de pouvoir orienter des dossiers vers un seul juge, non plus en raison de la procédure suivie devant l'OFPRA, mais plutôt en raison du fond du dossier, par exemple, lorsqu'une protection est accordée en raison de la situation de « violence aveugle d'intensité exceptionnelle » sévissant dans un État.

Répartition des décisions rendues par la CNDA par modalité de jugement en 2022

Source : Rapport public 2022 des juridictions administratives

La réforme envisagée comporterait surtout des enjeux organisationnels s'agissant de la territorialisation qui pourrait être déployée progressivement en fonction de différents paramètres : les bassins de langues identifiés, l'offre de desserte assurée par les transports en commun, les salles d'audiences disponibles au sein des CAA. Cette territorialisation supposera par ailleurs de recruter suffisamment d'assesseurs et d'interprètes localement, de même que de disposer des services d'avocats bien formés aux spécificités du droit d'asile. Les premières chambres territoriales pourraient être ouvertes en septembre 2024 à Nancy et Lyon où des vidéo-audiences sont déjà organisées.

Le service de l'interprétariat à la CNDA

La CNDA met gratuitement à disposition du requérant, pour l'assister à l'audience, un interprète qui a prêté serment d'apporter son concours à la justice en son honneur et en sa conscience, devant le président de la Cour ou l'un des vice-présidents5(*).

L'interprète est désigné dans la langue choisie par le demandeur d'asile ou, à défaut de choix de sa part ou dans le cas où sa demande ne peut être satisfaite, dans une langue dont il a une connaissance suffisante.

Les frais de justice de la CNDA sont ainsi constitués majoritairement de frais d'interprétariat et, dans une moindre mesure, de frais postaux : la dotation des frais de justice inscrite en PLF 2024, s'établit à 11,2 millions d'euros.

La CNDA a passé différents marchés publics, organisés par lots selon des zones géographiques, pour pouvoir assurer l'interprétariat dans une centaine de langues différentes. Les interprètes doivent justifier de diplômes universitaires et d'une expérience préalable en matière de traduction et d'interprétariat ainsi que de connaissances géopolitiques, juridiques et administratives. Ils se conforment aux devoirs et aux obligations qui sont attachés à cette fonction, énoncés dans le recueil des obligations déontologiques des interprètes à la CNDA.

Leur mission se limite à l'audience et ils doivent s'abstenir de tout contact préalable ou postérieur avec le demandeur ou l'avocat de ce dernier. L'interprète est en effet le lien entre le requérant et la formation de jugement, non entre l'avocat et le requérant en dehors de l'audience.

Lors de sa visite à la CNDA, le rapporteur a pu mesurer les difficultés de la mission qui leur est confiée, en particulier lorsqu'il s'agit d'intervenir dans une langue rare. Les interprètes ont souvent eux-mêmes des liens personnels avec les pays d'où proviennent les demandeurs d'asile. De ce fait, ils doivent faire une appréciation fine des éventuels conflits d'intérêts. Par ailleurs, leur intervention à la CNDA peut les soumettre, ainsi que leur entourage, à des pressions de la part des autorités de l'État concerné. Leur engagement doit être salué.

Selon les estimations du président de la CNDA, seul un quart des dossiers seraient concernés par la territorialisation, ce qui représenterait 5 chambres sur les 23 que compte la CNDA actuellement.

Dans ces conditions, une partie du projet immobilier de relogement de la CNDA et du tribunal administratif de Montreuil dans la tour AFPA devrait être redéfinie car ce projet, qui doit être livré en septembre 2026, a été à l'origine conçu pour 732 postes de travail, 22 chambres et 40 salles d'audience côté CNDA.

Si la réforme était menée à son terme, il conviendrait donc de réfléchir à un autre usage pour une partie de ces locaux, dont le coût de réfection a déjà été réévalué à la hausse, passant de 119,6 millions d'euros à 129,82 millions d'euros pour tenir compte de l'évolution du contexte économique6(*). L'hébergement du centre de formation des juridictions administratives un temps évoqué a semble-t-il été écarté en raison de l'éloignement du nouveau site des gares.


* 4 Article L. 532-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

* 5 Article R.532-41 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

* 6 La rémunération de l'Agence publique pour l'immobilier de la justice reste elle fixée à 1,78 millions d'euros.

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