N° 410

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2023-2024

Enregistré à la Présidence du Sénat le 12 mars 2024

AVIS

PRÉSENTÉ

au nom de la commission des affaires économiques (1) sur le projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, autorisant la ratification de l'accord économique et commercial global entre l'Union européenne et ses États membres, d'une part, et le Canada, d'autre part, et de l'accord de partenariat stratégique entre l'Union européenne et ses États membres, d'une part, et le Canada, d'autre part,

Par M. Laurent DUPLOMB,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente ; MM. Alain Chatillon, Daniel Gremillet, Mme Viviane Artigalas, MM. Franck Montaugé, Franck Menonville, Bernard Buis, Fabien Gay, Pierre Médevielle, Mme Antoinette Guhl, M. Philippe Grosvalet, vice-présidents ; MM. Laurent Duplomb, Daniel Laurent, Mme Sylviane Noël, M. Rémi Cardon, Mme Anne-Catherine Loisier, secrétaires ; M. Jean-Pierre Bansard, Mme Martine Berthet, MM. Yves Bleunven, Michel Bonnus, Denis Bouad, Jean-Marc Boyer, Jean-Luc Brault, Frédéric Buval, Henri Cabanel, Alain Cadec, Guislain Cambier, Mme Anne Chain-Larché, MM. Patrick Chaize, Patrick Chauvet, Mme Evelyne Corbière Naminzo, MM. Pierre Cuypers, Daniel Fargeot, Gilbert Favreau, Stéphane Fouassin, Mmes Amel Gacquerre, Annick Jacquemet, Micheline Jacques, MM. Yannick Jadot, Vincent Louault, Mme Marianne Margaté, MM. Serge Mérillou, Jean-Jacques Michau, Sebastien Pla, Mme Sophie Primas, M. Christian Redon-Sarrazy, Mme Évelyne Renaud-Garabedian, MM. Olivier Rietmann, Daniel Salmon, Lucien Stanzione, Jean-Claude Tissot.

Voir les numéros :

Assemblée nationale (15ème législ.) :

2107, 2123, 2124 et T.A. 324

Sénat :

694 (2018-2019)

L'ESSENTIEL

Bientôt sept ans après la mise en oeuvre « provisoire » de l'Accord économique et commercial global entre le Canada et l'UE ainsi que ses États membres (AECG ou CETA - Comprehensive Economic Trade Agreement en anglais), le projet de loi autorisant sa ratification fera enfin l'objet d'un vote au Sénat, en commission des affaires étrangères, le 13 mars 2024.

Le groupe communiste, républicain, citoyen et écologiste - Kanaky (CRCE-K) a en effet décidé d'inscrire à l'ordre du jour de son espace réservé ce projet de loi adopté le 23 juillet 2019 à l'Assemblée nationale avec 53 voix d'écart1(*), autorisant en son article 1er la ratification du CETA et en son article 2 celle de l'Accord de partenariat stratégique (APS), texte approfondissant le dialogue et la coopération politiques en matière de droits de l'homme et de sécurité internationale.

Saisie pour avis des deux articles du projet de loi, la commission des affaires économiques a nommé Laurent Duplomb rapporteur. Tout au long de ses travaux, il s'est voulu vigilant sur la réciprocité des normes, ayant à l'esprit les critiques exprimées lors des récentes protestations du monde agricole, dans toute l'Europe, à l'encontre des accords de libre-échange, incarnant l'incohérence (« on marche sur la tête ») entre un agenda normatif de plus en plus ambitieux au sein du marché intérieur et les défaillances des contrôles aux frontières, quand il ne faut pas tout bonnement déplorer l'absence de normes ou de contrôles sur les produits importés.

Soucieux cependant de ne pas priver l'économie française d'un bon accord s'il s'avérait à l'analyse que producteurs et consommateurs français en tirent des bénéfices, le rapporteur s'est efforcé d'examiner l'accord pour ce qu'il est - tout l'accord, rien que l'accord. Or, en dépit de gains sectoriels, il n'a pu qu'en constater les faiblesses : Parlement contourné, retombées macroéconomiques limitées, déstabilisation du secteur bovin disproportionnée, question non résolue des distorsions de concurrence économiques, environnementales et sanitaires.

Jugeant qu'autoriser la ratification de cet accord ouvrirait la voie à celui avec le Mercosur, les mêmes vices de conception se trouvant dans les deux accords avec de simples différences de degré, il appelle le Parlement à jouer le rôle diplomatique qu'il assume dans toute démocratie moderne, en fixant des principes dont l'exécutif pourra se prévaloir dans les négociations internationales.

Sur proposition du rapporteur Laurent Duplomb, la commission
a proposé de supprimer l'article 1er, refusant ainsi d'autoriser
la ratification du CETA2(*).

10 chiffres clés

 
 
 
 
 

après l'entrée en application provisoire du CETA, 10 États ne l'ont toujours pas ratifié

Évolution constatée
du solde commercial
de la France vis-à-vis du Canada entre 2017et 2023 (DG Trésor)

Gain macroéconomique
du CETA dans l'UE en 2035, contre 313 $
par an et par personne au Canada (Cepii)

Part des calories produites en France exportées...
avec CETA ou sans CETA

Part des fromages exportés au Canada sur la production fromagère française totale en volume

 
 
 
 
 

Perte de valeur ajoutée liée au CETA anticipée pour le secteur transformation
de la viande rouge,10 fois plus que l'évolution, positive ou négative,
pour n'importe quel autre secteur, et 2 ou 3 fois plus qu'usuellement pour un tel type d'accord (Cepii)

Substances actives phytosanitaires approuvées au Canada, pour lesquelles des préoccupations sanitaires existent, et interdites dans l'UE mais tolérées à l'importation sous des limites maximales
de résidus (LMR) réglementaires

Hausse de la limite maximale de résidus de glyphosate dans la lentille décidée par l'UE en 2012, permettant au Canada
de continuer à exporter ses lentilles traitées juste avant la récolte
pour accélérer
leur maturité, pratique interdite en Europe

Audits de la Commission (2019 et 2022)
ne permettant pas
de garantir l'absence
de viande aux hormones dans les exportations
vers l'UE, pourtant historiquement notre seule mesure miroir

Date d'application effective de la mesure miroir de 2018 interdisant les antibiotiques activateurs
de croissance... reposant sur une attestation
sur l'honneur,
et sans contrôle dédié

I. UNE MISE EN OEUVRE « PROVISOIRE » DU CETA QUI DURE : LE PARLEMENT CONTOURNÉ, LA SOUVERAINETÉ NATIONALE ESCAMOTÉE

En plus de la procédure usuelle d'adoption des accords commerciaux (art.  218 TFUE, approbation par le Parlement européen, adoption à la majorité qualifiée du Conseil), les accords « mixtes » comme le CETA doivent3(*) être ratifiés par les États (ce qui implique 43 parlements nationaux ou régionaux) pour les mesures ne relevant pas de la compétence exclusive de l'UE en matière de politique commerciale. La Commission a plus récemment proposé, pour contourner leur faible acceptabilité, de scinder ces accords entre dispositions commerciales ou non4(*).

90 % du CETA, en réalité l'intégralité du texte hormis le chapitre 8 sur les investissements, sont mis en oeuvre de façon « provisoire » depuis le 21 septembre 20175(*). 10 États ne l'ont toujours pas ratifié (Belgique, Bulgarie, Chypre, Grèce, Hongrie, Pologne, Slovénie, Irlande, Italie et France6(*), malgré les demandes répétées du Sénat d'inscrire le projet de loi adopté à l'Assemblée à son ordre du jour7(*)). L'application de l'accord peut en théorie rester « provisoire » indéfiniment.

Après sept ans, le CETA est un accord commercial « de nouvelle génération » paradoxalement déjà daté (accord de Paris, Covid-19, guerre en Ukraine...)

Même en cas de refus d'un parlement d'autoriser la ratification, les gouvernements réunis au sein du Conseil de l'UE se sont octroyé la liberté de notifier ou non leur incapacité de ratifier l'accord à la Commission européenne - tenue, elle, de dénoncer l'application provisoire, ce qui prend effet après 6 mois8(*). De fait, le refus du parlement chypriote n'a jamais été notifié par ce pays, figurant dans la liste des États n'ayant pas ratifié l'accord, comme s'il ne s'était jamais prononcé.


* 1 Voir l'analyse du scrutin public.

* 2 Elle a cependant proposé à la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées d'adopter sans modification l'article 2, afin d'autoriser la ratification de l'Accord de partenariat stratégique (APS), dissociable du CETA, par égard pour notre allié et ami canadien et pour rappeler les liens indéfectibles, non seulement économiques, mais aussi culturels, politiques et sur le plan des valeurs, liant la France et l'Union européenne au Canada.

* 3 CJUE, 16 mai 2017, avis 2/15 (accord de libre-échange avec Singapour).

* 4 Voir plusieurs réactions et commentaires sur Politico.

* 5 Décision (UE) 2017/38 du Conseil du 28 octobre 2016 relative à l'application provisoire de l'AECG.

* 6 Ces trois derniers États n'ayant pas non plus ratifié l'Accord de partenariat stratégique.

* 7 Voir ce rapport sur la souveraineté économique (2022) ou cette proposition de résolution (2020).

* 8 Voir ce rappel de la Commission européenne.

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