III. L'ENVIRONNEMENT INTERNATIONAL ET COMMUNAUTAIRE

A. LA POURSUITE DE LA MISE EN OEUVRE DE LA RÉFORME DE LA PAC

1. Un bilan moins négatif que redouté...

À l'orée de la dernière année de la période transitoire de mise en oeuvre de la réforme de la PAC, l'Assemblée permanente des Chambres d'agriculture (APCA) a tiré, en juin dernier, un bilan des deux premières années de la réforme. Ce bilan est mitigé : si les objectifs affichés ont globalement été atteints, les incertitudes sont encore nombreuses.


La maîtrise de la production pour les céréales et la viande bovine, tout d'abord, s'est révélée efficace.

L'instauration d'un gel obligatoire, conditionnant le versement de paiements compensatoires, s'est traduite par une réduction de 4 % de la production communautaire de céréales, soit une réduction de 9 % des surfaces. C'est la France, premier pays producteur, qui a le plus réduit le nombre d'hectares consacrés aux céréales. D'une façon générale, les pays où dominent les grandes exploitations ont le plus contribué à l'équilibre du marché des céréales. À l'inverse, dans les pays où les petites exploitations sont nombreuses, la régression de la sole céréalière a été plus faible : elle n'est que de 3 % en Allemagne, 6 % en Italie et en Grèce.

Le marché de la viande bovine a suivi la même évolution avec une baisse de la production communautaire de 9 % et de la production nationale de 14 %.

Cette maîtrise de la production s'est donc traduite par une diminution des stocks d'intervention tant en matière de céréales, où ils sont passés de 33 millions de tonnes en juin 1993, à 6 millions de tonnes en juin 1995, qu'en matière de viande bovine où ils ne sont plus que de 82.000 tonnes aujourd'hui, contre plus d'un million il y a deux ans.


L'amélioration de la compétitivité, recherchée par la baisse des prix, a été différemment atteinte selon les secteurs de production.

Alors que les céréales perdaient régulièrement des débouchés sur le marché de l'alimentation animale, elles ont reconquis, en deux campagnes, près de 6 millions de tonnes.

En revanche, au sein de la filière viande, la conjonction du maintien des prix de la viande bovine et de l'effondrement du prix des viandes blanches a déséquilibré la consommation de viandes rouges.


• D'une façon générale, le revenu des agriculteurs a été maintenu sous l'effet d'une stabilisation des prix de marché au-dessus des prix d'intervention -alors que les paiements compensatoires étaient censés compenser leur baisse- et des efforts d'adaptation des agriculteurs.

Les évolutions sont contrastées selon les secteurs.

Pour les grandes cultures, l'écart des revenus entre céréaliers s'est resserré au détriment des plus compétitifs, et en particulier de ceux qui se trouvent dans les zones peu productives où le rendement départemental moyen est faible.

Dans le secteur de l'élevage, la situation des éleveurs extensifs, qui bénéficient en plus de la prime à l'herbe, s'est améliorée par rapport à celle des éleveurs plus intensifs, sans pour autant modifier la hiérarchie des revenus : les éleveurs bovins et ovins ont toujours les revenus les plus faibles.


• Enfin, le coût budgétaire de la réforme s'avère moins élevé que prévu.

On constate d'ailleurs des transferts entre produits (les cultures arables représentent désormais 53 % des dépenses contre 43 % il y a 3 ans) et entre États. Ainsi, la part revenant à la France s'est sensiblement améliorée : elle est passée de 19,7 % des versements communautaires en 1991 à 24 % en 1994, soit 1,6 milliard d'ECU de plus en trois ans.


• Alors qu'on pouvait s'inquiéter, lors de la mise en place de la réforme, de ses conséquences négatives, il apparaît aujourd'hui que les prévisions les plus pessimistes ne se sont pas réalisées. Plusieurs facteurs peuvent l'expliquer.

Tout d'abord, la conjoncture a été favorable : les prix se sont maintenus, alors qu'ils étaient censés suivre la baisse des prix d'intervention.

D'autre part, le Gouvernement s'est employé, avec succès, à « réformer la réforme » pour en améliorer les mécanismes sur de nombreux points (prime jachère, prime à l'herbe...). On doit sur ce point se féliciter de la décision, obtenue cette année par le Gouvernement, d'instaurer un taux de jachère unique , qui permettra une simplification opportune de la gestion « administrative » de la PAC.

En outre, le taux retenu (10 %) permettra la baisse de 40 % de la jachère en France, soit 600 à 700.000 hectares. Même si l'accroissement de la production communautaire induite (environ 6 millions de tonnes) ne sera par suffisante, selon les céréaliers français, pour alimenter les exportations et le marché intérieur, cette décision va dans le sens d'une utilisation du taux de gel comme un instrument de gestion des marchés.

De même, le Gouvernement français a pu obtenir de la Commission qu'elle arrête, le 12 juillet, une proposition de règlement prévoyant la possibilité d'octroyer une aide nationale compensant les pertes de revenus agricoles causées par les mouvements monétaires dans les États membres.

Selon cette proposition, l'aide est destinée à compenser les fluctuations monétaires « importantes » enregistrées entre le début de la campagne 1994/95 et le 31 décembre prochain. Le dispositif prévu est donc ciblé. L'aide, autorisée par la Commission, est dégressive sur une durée maximale de trois ans, la date limite de souscription étant le 30 juin 1996.

Ce règlement a été approuvé par le Conseil et permettra de servir de « cadre » juridique aux aides que le ministre s'était engagé, dès le mois de juillet, à verser aux producteurs touchés par les désordres monétaires : les producteurs de fruits et légumes et les éleveurs de jeunes bovins mâles.

Enfin, les divers plans d'accompagnement ont permis d'alléger les charges et ont facilité l'adaptation de l'agriculture à cette nouvelle donne.

Il faut mettre également au crédit du ministère la célérité avec laquelle les aides compensatrices à l'hectare et à la viande bovine sont versées.

2. ... qui ne lève pas, loin de là, toutes les incertitudes

a) Les OCM non réformées

Deux « grandes » organisations communes de marché dans le secteur des productions végétales restent encore à réformer.


• La réforme de l'OCM viti-viticole est, sur le plan de la procédure, la plus avancée.

C'est, en effet, en juillet 1993 que la Commission a présenté au Conseil un document de réflexion sur « l'évolution et l'avenir de la politique vitivinicole » qui devait servir de base à la proposition de règlement portant réforme de l'OCM, soumise au Conseil en juin 1994 et que le Gouvernement n'a transmis au Parlement qu'en avril 1995.

Cette réforme n'a pas pu aboutir sous présidence française. Deux raisons peuvent l'expliquer : une conjoncture favorable (la campagne 1994-1995 a été équilibrée) et surtout l'encombrement de l'ordre du jour du Conseil par des dossiers « horizontaux » particulièrement « lourds » (les désordres monétaires, le transport des animaux, le paquet-prix).

La France reste cependant résolue à ce que cette réforme aboutisse.

Le ministère estime, en effet, que « le pire serait de laisser le dossier s'enterrer et de prendre le risque de voir un nouveau projet émerger dans des conditions d'urgence, face à une récolte communautaire importante et à l'obligation de recourir à une distillation de gros volumes de vin. Il serait alors bien plus difficile d'éviter une approche simplificatrice qui conduirait à imposer à tous les vignobles, quelle que soit leur situation, des efforts de réduction importants. »

C'est pourquoi en juin dernier, afin de dessiner le cadre dans lequel la réforme doit s'inscrire et dans le fil de la résolution adoptée le 29 juin 1995, par le Sénat, sur le rapport de votre commission, le ministre de l'agriculture a présenté lors du Conseil des ministres à Bruxelles, les grandes orientations qui devraient présider à la réforme de l'OCM :

- la responsabilisation des pays producteurs vis-à-vis de leurs excédents (c'est-à-dire la non mutualisation des excédents) ;

- l'adaptation régionale des mesures structurelles afin d'offrir à chaque vignoble, selon ses spécificités, les outils nécessaires à l'ajustement de sa production au marché ;

- le renforcement des moyens communautaires de contrôle pour parvenir à une application homogène de la réglementation dans tous les États-membres.

Parallèlement, sans pour autant renoncer à une réforme complète, le ministre de l'agriculture, de la pêche et de l'alimentation a insisté sur la nécessité de remettre en place très rapidement, au plan communautaire, une politique structurelle cohérente -notamment d'aide au réencépagement-abandonnée depuis deux ans dans l'attente de la réforme de l'OCM.


• L'autre OCM en cours de réforme est celle des fruits et légumes. La Commission a arrêté, le 6 octobre dernier, sa proposition en ce domaine.

Ce projet, qui s'inspire très largement des orientations figurant dans la communication de la Commission du 27 juillet 1994 sur l'évolution et l'avenir de la politique communautaire dans ce secteur, prévoit une refonte complète de la réglementation.

Pour les fruits et légumes frais, il est prévu de renforcer les critères de reconnaissance, par les États membres, des organisations de producteurs, afin que celles-ci jouent un rôle plus actif dans la commercialisation. Des mesures transitoires, sur quatre ans au maximum, permettront aux groupements de s'adapter à ces nouvelles exigences.

Il prévoit également une baisse de 15 % , sur cinq ans, de l'indemnité communautaire de retrait des excédents, égale au départ à la moyenne des prix de retrait mensuels les plus bas de la campagne 1995/96. Le prix de revient serait par ailleurs réduit en cas de dépassement d'un seuil d'intervention.

D'autre part, le projet propose la mise en place de caisses de régulation alimentées par le versement, aux organisations professionnelles reconnues, d'une participation publique (financée généralement à 80 % par la Communauté et à 20% par l'État membre) représentant 50 % d'un « fonds opérationnel », approvisionné, pour l'autre moitié, par les cotisations des membres.

L'organisation de producteurs devrait utiliser cette caisse pour entreprendre un programme (de trois à cinq ans) visant à favoriser la qualité, l'utilisation de techniques respectueuses de l'environnement et le respect des normes phytosanitaires. Le fonds pourrait aussi servir, mais de façon dégressive, à améliorer le prix payé pour les retraits.

Enfin, les retraits ne pourraient pas dépasser 50 % de la production commercialisée la première année d'application, 40 % la deuxième, 30 % la troisième, 20 % la quatrième, puis 10 % à partir de la cinquième année.

Pour les fruits et légumes transformés, le projet tend à modifier sur trois points le régime actuel.

Il s'agit, principalement, de diminuer l'aide communautaire en cas de dépassement de seuils de garantie, pour les pêches (582.000 tonnes) et les poires (102.805 tonnes) au sirop ou au jus naturel.

En outre, la gestion des quotas d'aide à la transformation des tomates serait « fluidifiée ». Ceux-ci seraient fixés globalement à 6,596 millions de tonnes équivalent produit frais, moyennant une répartition adaptée entre le concentré, les tomates pelées entières en conserve et les autres produits.

Pour le secteur de la transformation des agrumes, la Commission soumettrait une proposition ultérieurement.

Selon les services bruxellois, le dispositif ainsi envisagé permettrait de stabiliser les dépenses communautaires pour les fruits et légumes frais et transformés qui, selon les prévisions, atteindraient 1,685 milliard d'Ecu en 1996 et environ 1,5 milliard en l'an 2000.

b) Des contradictions non résolues

À l'issue des deux premières années de mise en oeuvre de la réforme, il apparaît qu'un certain nombre d'objectifs ne sont pas atteints et que des contradictions ne sont pas résolues.


Le marché des céréales : reconquête du marché intérieur et maintien de la vocation exportatrice de la Communauté.

Dans le secteur des céréales, il est manifeste que la réussite de la politique de maîtrise de la production peut aller à rencontre de ces deux objectifs principaux de la réforme.

S'agissant du marché intérieur, et de la reconquête au profit des céréales communautaires du marché de l'alimentation animale, la tension observée sur les prix est en effet un élément défavorable, ce qui conduit d'ailleurs la Commission a essayé de maintenir un approvisionnement satisfaisant, et à un prix suffisamment bas, du marché intérieur.

Cette volonté de contenir les prix intérieurs conduit à des sous réalisations par rapport aux quantités qui pourraient être exportées, compte tenu du redressement du marché international, voire même à ne pas remplir le « quota » d'exportations autorisées dans le cadre du GATT.


• Le marché des viandes

La situation du marché de la viande est au moins aussi inquiétante.

Deux années favorables ont masqué, jusqu'à la brutale détérioration de ces derniers mois, le déséquilibre structurel du marché de la viande bovine. Ce marché est, à plusieurs titres, particulièrement fragile : les mécanismes de la PAC réformée sont peu protecteurs (en matière, notamment, de mise à l'intervention) ; la consommation est structurellement en déclin alors que la production devrait s'accroître ; ces produits sont concurrencés par ceux de l'élevage porcin et avicole, directement bénéficiaires de la baisse du prix des céréales et d'autre part, particulièrement affectés par la limitation des exportations décidées au GATT, encore amplifiée par la gestion des restitutions par la Commission.

À bien des égards, l'évolution du marché de la viande bovine sera conditionnée par celle des autres marchés : repli éventuel sur le marché intérieur de viandes blanches compte tenu des contraintes à l'exportation, diminution à venir des quotas laitiers (on estime à 3 % la réduction théorique des quotas à l'horizon 2000, ce qui se traduirait par une mise sur le marché de 240.000 tonnes de viande bovine...).


La pérennité du soutien au niveau et selon les mécanismes actuels

L'autre principale incertitude tient à l'avenir du système de soutien mis en place.

Tout d'abord, même si la pérennité budgétaire de la réforme de la PAC est assurée jusqu'en 1999, la situation favorable des premières années de la réforme pourrait ne pas se renouveler. Les marges de manoeuvre, par rapport à la ligne directrice du FEOGA, risquent en effet de se réduire sous la pression des variations des monnaies européennes notamment.

Les désordres monétaires observés sont, en effet, particulièrement préoccupants : ils risquent de remettre en cause les objectifs mêmes de la réforme (dans les États qui dévaluent, l'effet de baisse des prix institutionnels est pratiquement annihilé) ; ils créent d'insupportables distorsions de concurrence 1 ( * ) ; ils renchérissent le coût de la PAC et rendent encore plus difficile le respect des engagements souscrits dans le cadre du GATT.

D'autre part, les mécanismes mis en place sont contestés au motif qu'ils constitueraient une « surcompensation ». Les aides directes sont censées compenser une baisse des prix, qui, compte tenu de la situation des marchés, n'est pas intervenue dans les proportions prévues. Il est également souligné que les exploitations les plus importantes en sont les principales bénéficiaires : 6 % des exploitations seraient destinataires de 36 % des aides versées aux grandes cultures.

Le débat est donc aujourd'hui ouvert sur le niveau du soutien -beaucoup plus sensible avec le passage voulu par la réforme de la PAC d'un soutien par le consommateur (par les prix) à un soutien par le contribuable (par les aides compensatoires) -et sur ses mécanismes (absence de plafonnement, insuffisante prise en compte des objectifs non « productifs » désormais assignés à l'agriculture).

L'élargissement à de nouveaux États du nord de l'Europe -enclins à contester le niveau global du soutien communautaire à l'agriculture et favorables à une agriculture plus sociale et environnementale qu'économique- et surtout l'élargissement envisagé aux pays de l'Europe de l'Est ne peut qu'amplifier cette contestation.

c) Les perspectives d'élargissement

L'élargissement à l'Autriche, à la Finlande et à la Suède ne paraît pas devoir, en matière agricole, poser de problèmes particuliers pour les productions agricoles françaises. Les quantités produites dans ces pays représentent 10 % de la production communautaire et ne devraient donc pas déstabiliser les marchés. D'autre part, ces pays ont du reprendre l'acquis communautaire dans les principaux secteurs. Enfin, l'agriculture française devrait bénéficier, comme celles des autres États membres de l'ouverture de ces nouveaux marchés, qui étaient jusqu'alors très fermés aux productions agricoles et agro-alimentaires des pays tiers.

Il faut néanmoins souligner que l'entrée dans l'Union de ces pays renforce le poids des États particulièrement sensibilisés aux préoccupations environnementales et favorables à une « agriculture d'occupation du territoire » plus qu'économique.

Il conviendra, en outre, de veiller au niveau des différentes aides nationales afin d'éviter des « surcompensations », qui permettraient de concurrencer indûment les autres producteurs communautaires.

En revanche, l'ouverture de l'Union aux pays d'Europe centrale et orientale (PECO) sera l'un des facteurs déterminants de l'évolution de la PAC au cours des prochaines années.

L'agriculture constitue, d'ailleurs, l'un des principaux enjeux de ce nouvel élargissement.

En effet, la place de l'agriculture dans ces pays est considérable tant par rapport au produit intérieur brut (PIB) que sur le plan de l'emploi. L'agriculture représente -pour les deux extrêmes- : 6,5 % du PNB et 4,5 % des emplois pour la République Tchèque mais 24 % du PNB et 32 % de l'emploi en Roumanie. Au total, ce sont 7,5 millions de personnes qui sont actuellement employées dans l'agriculture dans ces six pays, contre 8,4 dans l'Union européenne.

En outre, contrairement à l'élargissement agricole à l'Espagne et au Portugal, les productions des pays candidats correspondent aux principales productions de l'Union Européenne à 15. La production de céréales de ces pays représente un peu moins de la moitié de la production communautaire et celle de sucre un peu moins du quart. Les productions animales représentent de 20 à 35 % de la production communautaire (20 % pour la viande bovine, 25 % pour la viande de volaille et un peu moins de 30 % pour la production laitière).

Il est par conséquent compréhensible que l'adhésion de ces pays suscite des inquiétudes.

On notera, tout d'abord, que des problèmes pourraient se poser au regard des engagements contractés dans le cadre du GATT.

Les engagements des PECO étant exprimés en monnaie nationale (sauf pour la Pologne), la question de révision du soutien interne maximum autorisé pour tenir compte de l'inflation se posera rapidement. Mais le principal problème sera celui des subventions aux exportations, pour lesquelles il n'est normalement pas prévu de révision.

Le coût budgétaire, à PAC inchangée, de ces nouvelles adhésions est, lui aussi, préoccupant.

Certaines évaluations, relayées par les médias, font en effet état de coûts budgétaires considérables, dont certains tirent argument pour suggérer le démantèlement des mécanismes actuels de la PAC.

C'est ainsi que les études commanditées par la DG I (relations extérieures) de la Commission font apparaître un coût annuel de ces adhésions compris entre 13,5 et 37 milliards d'écus (alors que le budget de la PAC pour 1995 est de 37 milliards d'écus). Il n'est pas étonnant, dans ces conditions, que ces études préconisent, conformément au souhait du commissaire commanditaire, Sir Léon Brittan, une réforme radicale de la PAC.

De son côté, la direction de la production et des échanges du ministère de l'agriculture chiffre le coût budgétaire « agricole » de l'adhésion des six PECO à un niveau sensiblement moindre : entre 8,3 et 11 milliards d'écus (selon le rythme d'adhésion et l'évolution des productions). Ces montants sont à comparer à ceux qui résulteraient de l'éligibilité des PECO aux fonds structurels : entre 5 et 10 milliards d'écus.

Le Livre blanc, que la Commission doit adopter d'ici la fin du mois pour le soumettre au sommet de Madrid, estimer que l'élargissement aux PECO devrait provoquer de nouvelles réductions des prix agricoles dans l'Union, mais pas de nouvelle réforme de la politique agricole commune : de nouvelles baisses de prix agricoles interviendront bien, mais dans la logique de la réforme de la PAC.

Frantz Fischler, commissaire européen à l'agriculture, avait d'ailleurs exclu que l'arrivée de ces États provoque une nouvelle réforme de la PAC ou sa remise en cause. « L'élargissement à l'Est ne doit pas devenir un prétexte pour faire table rase de la politique agricole », avait-il récemment déclaré à Bonn le 9 octobre.

Le Livre blanc devrait donc proposer deux étapes. Dans une première période (jusqu'à l'an 2000), l'Union aiderait les agricultures des pays de l'Est à supporter le choc de leur future intégration et à surmonter leurs handicaps (difficultés foncières, réorganisation de la production, modernisation des structures, changement des mentalités...).

Une aide agricole spéciale « préadhésion » devrait être débloquée comme cela avait été fait pour le Portugal et un volet agricole, plus ambitieux, pourrait être ajouté au programme Phare.

La seconde étape débuterait lors de l'entrée de ces pays dans l'Union. Une période transitoire de cinq à dix ans pourrait être instaurée, au cours de laquelle des mesures seraient prises pour éviter une explosion des dépenses agricoles de l'Union, tout en tenant compte de ses engagements internationaux dans le cadre de la préparation d'un nouveau round du GATT.

Il n'en reste pas moins que le Livre blanc s'inscrit, dans le fil de l'esquisse tracée par le commissaire à l'agriculture : il s'agirait de poursuivre la logique de la réforme de 1992, en rapprochant, via des baisses supplémentaires, les prix européens des prix mondiaux et des prix pratiqués dans les nouveaux États membres. En contrepartie, de nouvelles aides seraient prévues, notamment en faveur d'une meilleure gestion de l'espace rural, mais aussi pour améliorer la protection de l'environnement et la qualité des productions agricoles.

Sans qu'il s'agisse du démantèlement souhaité par certains, l'élargissement ne pourra donc qu'accélérer la réflexion sur la nouvelle réforme de la PAC dans le sens d'un découplage accentué entre politique de marché et maintien des revenus 1 ( * ) .

B. LES ASPECTS INTERNATIONAUX

1. La mise en oeuvre du GATT

a) Des contentieux qui perdurent

Censés devoir « pacifier » les relations commerciales internationales, les accords du GATT n'ont cependant pas mis un terme à l'éclosion, ou à la poursuite de contentieux, opposant la Communauté à des États tiers, au premier rang desquels les États-Unis.

C'est ainsi qu'à l'occasion de l'élargissement à l'Autriche, à la Suède et à la Finlande, les compensations commerciales offertes par l'Union sont contestées par les États-Unis.

La mise en oeuvre même de certaines modalités de ces accords, notamment en matière de céréales, fait l'objet d'approches contradictoires entre l'Union et les États-Unis. C'est ainsi que pour l'application d'un droit d'entrée à l'importation, la Communauté a introduit un dispositif visant à calculer ce droit sur la base de cotations internationales au lieu d'utiliser les valeurs transactionnelles, cargaison par cargaison, afin d'éviter les risques de fraude (les opérateurs majorant le prix d'importation déclaré pour s'exonérer du droit à l'importation). Les États-Unis et le Canada contestent cette approche forfaitaire, l'estimant contraire aux dispositions du GATT sur les valeurs en douane. Ils demandent par conséquent l'annulation des règlements communautaires et le retour à la valeur transactionnelle pour définir le droit à l'importation.

Des consultations se sont déroulées à Genève le 13 septembre 1995 entre la Commission et les États-Unis et ont conduit à la constitution d'un panel.

Le Gouvernement américain a engagé la même procédure, pour les mêmes motifs, en ce qui concerne la tarification dans le secteur du riz.

De la même façon, les États-Unis, l'Australie, la Nouvelle-Zélande et le Canada ont contesté, avec succès, la comptabilisation au titre de l'accès minimum des contingents d'importation des produits des PECO bénéficiaires du régime des « préférences améliorées ».

Par ailleurs, sur la plainte de la société Chiquita, les États-Unis, avec le soutien du Guatemala, du Honduras et du Mexique, ont introduit une procédure contentieuse devant l'OMC contre l'OCM banane, déjà contestée dans la Communauté par l'Allemagne.

Mentionnons, enfin, le contentieux portant sur l'interdiction communautaire d'utiliser des hormones dans l'élevage dont on peut s'inquiéter du sort qui lui sera réservé devant l'OMC.

b) Une gestion contestable des restitutions par la Commission

Qu'il s'agisse des exportations de céréales, de viandes avicoles ou porcines ou de produits laitiers, on constate en effet que la Commission gère de façon contestable les exportations.

Comme l'a souligné M. Philippe Vasseur devant le Conseil des Ministres de l'agriculture le 26 septembre dernier, la Commission a en effet décidé de baisser, souvent brutalement et massivement 1 ( * ) , les restitutions dans certains secteurs de production, alors que les données objectives ne le justifient pas, notamment le respect des contraintes à l'exportation résultant de l'accord du GATT.

En outre, elle a suspendu en juillet les restitutions à l'exportation sur les céréales et n'accorde qu'un nombre très réduit de certificats d'exportation, alors même que les opérateurs pourraient exporter sans restitutions.

Il en résulte que, pour des raisons budgétaires ou d'équilibre du marché intérieur, la Communauté s'autolimite dans ses capacités d'exportation alors même que le marché est demandeur et que les quotas d'exportations, péniblement négociés dans le cadre du GATT, ne sont pas remplis.

2. La multiplication des projets d'accords préférentiels et de zones de libre échange

Que ce soit dans le cadre de la révision des mécanismes existants (par exemple, la réforme du système de préférences généralisées en matière agricole), de la conclusion de nouveaux accords de commerce et de coopération (avec, notamment, la République sud africaine) ou de projets d'accord de libre échange (avec les pays d'Amérique latine ou avec les États-Unis), on assiste à une multiplication de projets qui concernent, directement ou non, l'avenir de l'agriculture communautaire.

La Commission a ainsi adopté tout un ensemble de propositions visant à développer les relations de l'Union avec des pays tiers (le Mexique, l'Afrique du Sud) ou des entités régionales (comme le MERCOSUR-Argentine, Brésil, Uruguay, Paraguay-, ou les pays du Bassin méditerranéen).

À titre d'exemple, on peut mentionner la communication présentée par le commissaire chargé des relations extérieures, en juillet 1995, qui suggère de mener une étude de faisabilité relative à une zone de libre échange ainsi que la conclusion d'accords bilatéraux dans de nombreux domaines sectoriels entre les États-Unis et l'Union...

Selon le ministère, il apparaît qu'un tel accord poserait des problèmes très sérieux à l'agriculture communautaire.

En effet, les principales productions des États-Unis sont directement concurrentes de celles de l'Union Européenne et concernent des volumes considérables comparés à la production communautaire, notamment en céréales, volailles et oléagineux. Une libéralisation des échanges avec les États-Unis entraînerait inévitablement une baisse des prix agricoles dans la Communauté du fait du démantèlement de la protection aux frontières, l'objectif d'une zone de libre échange étant d'obtenir la diminution progressive et la suppression de tous les droits de douane entre les deux parties. Le libre échange appliqué à l'agriculture se traduirait par une disparition à échéance de dix ans des droits à l'importation qui viennent d'être consolidés à l'occasion du cycle d'Uruguay... Compte tenu de la compétitivité des États-Unis dans le secteur agricole, l'établissement d'une zone de libre échange avec ceux-ci se traduirait, de fait, par l'abandon de la préférence communautaire.

Dans tous les cas, ces accords font peser une menace sur l'avenir de la politique agricole de la Communauté : les « produits sensibles », que sont notamment les produits agricoles, ne pourraient durablement déroger au principe de l'élimination des doits de douane. Les accords d'Uruguay ont, en effet, précisé que les « délais raisonnables » pendant lesquels certains produits pouvaient être exclus du libre échange ne peuvent excéder dix ans. De son côté, l'OMC interdit qu'un « secteur majeur » du commerce puisse être exclu.

Il apparaît par conséquent qu'une vigilance extrême de la part du Gouvernement français s'impose à l'égard de tels projets, envisagés sans vision d'ensemble évidente et sans même attendre que les accords du GATT produisent leurs effets attendus.

* 1 En juillet dernier, d'ailleurs, la Commission a été amenée à accepter le principe d'aides nationales compensant les pertes de revenu causées par les mouvements monétaires.

* 1 cf les déclarations du commissaire en charge de l'agriculture : « Distinction nette entre politique de marché et soutien des revenus, accent plus marqué sur le développement intégré de l'espace rural, mise en évidence du rôle multifonctionnel de l'agriculture, simplification radicale et décentralisation renforcée de la PAC : c est là une voie que nous pourrons certainement parcourir en commun avec nos partenaires d'Europe centrale ».

* 1 C'est ainsi que les restitutions auraient été réduites de 25 %, le 18 novembre dernier, interdisant de fait toute possibilité d'exportation.

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