C. LA RÉFORME DES LYCÉES

1. La consultation Meirieu

A la demande du ministre, une consultation destinée à préparer le colloque " Quels savoirs enseigner dans les lycées ? " a été organisée sous l'égide d'un conseil scientifique présidé par M. Edgar Morin et d'un comité national d'organisation présidé par M. Philippe Meirieu.

Cette consultation nationale s'est déroulée selon le calendrier suivant :

•  décembre 1997 : envoi dans les académies de trois questionnaires destinés respectivement aux élèves des lycées, à leurs enseignants et aux établissements ;

•  février : réunion des conseils académiques de la vie lycéenne consultés sur les savoirs et la vie au lycée ;

•  février/mars : dépouillement des questionnaires dans les académies ;

•  mars : synthèses académiques destinées à établir un bilan de la consultation et des propositions. Les conseils régionaux, les fédérations de parents d'élèves, les syndicats d'enseignants, les associations de spécialistes, les mouvements pédagogiques et d'éducation populaire ont été associés à ces journées de synthèse ;

•  fin mars : organisation de journées thématiques publiques par le conseil scientifique ;

•  20 mars : rassemblement national des conseils académiques de la vie lycéenne pour faire la synthèse des travaux conduits par chaque conseil académique ;

•  mars/avril : journées disciplinaires décentralisées destinées à établir des propositions sur l'évolution des contenus des enseignements en lycée ;

•  29 et 30 avril : colloque national de Lyon pour présenter l'ensemble des rapports et des propositions ;

•  mai : remise du rapport général définitif au ministre de l'éducation nationale.

Au total, 1 872 900 questionnaires-élèves (dont 10 % ont été remplis collectivement) ont été dépouillés, 78 % des élèves des lycées publics ont répondu et 52 % des enseignants, tous lycées confondus, se sont exprimés individuellement ou collectivement sur leur propre discipline.

Dans son rapport final, M. Meirieu, spécialiste des sciences de l'éducation, a dégagé quelque 49 principes de cette consultation, le ministre retenant onze principes de références destinés à servir de base à l'organisation des études au lycée.

2. Les principes de références retenus par le ministre

Présentés par le ministre le 1er juillet 1998 devant votre commission, ces onze principes sont destinés à servir de base à la réforme qui sera progressivement mise en place à partir de la rentrée 1999. Ces principes peuvent être ainsi résumés :

•  le lycée est dans le parcours scolaire le cycle de la diversification ;

•  le lycée doit être le lieu d'apprentissage de la citoyenneté républicaine ;

•  l'éducation et la formation doivent être présentes dans l'enseignement donné au lycée dans des proportions qui varient en fonction du type d'établissement ;

•  l'orientation devra être progressive, fondée sur des critères positifs et conçue de manière à permettre une réversibilité ;

•  les horaires d'enseignement excessifs et les programmes surchargés concourent à la déstructuration de la formation intellectuelle et aggravent la discrimination sociale ;

•  les enseignements littéraires et de sciences humaines devront s'appuyer sur la culture de base qui constitue le fondement de notre héritage européen ;

•  l'enseignement des sciences sera conçu sous son aspect autant culturel et historique qu'opératoire ;

•  l'enseignement des langues étrangères devient dans notre monde moderne un élément essentiel de la formation des futurs citoyens ;

•  le rôle de l'enseignant est de délivrer son enseignement, de permettre à tous les élèves l'accès au savoir, mais il est aussi d'aider l'élève à maîtriser ces apprentissages ;

•  le baccalauréat constitue l'examen final du lycée. Il est aussi l'examen d'entrée à l'université, dont il constitue le premier diplôme ;

•  deux voies, technologique et professionnelle, caractérisent la formation technique en France.

3. Le plan de réforme de la vie lycéenne

Présenté le 21 octobre 1998, à l'Assemblée nationale et au Sénat, à l'issue de plusieurs semaines de manifestations lycéennes suscitées pour l'essentiel par les difficultés traditionnelles subsistant plus d'un mois après la rentrée scolaire, ce nouveau plan, qui tend notamment à accélérer la mise en oeuvre de certaines mesures annoncées dans le droit fil de la consultation Meirieu, s'ordonne autour de cinq thèmes :

a) Le développement de la démocratie lycéenne

L'exercice effectif de la démocratie lycéenne sera assurée par une charte des droits et libertés des lycéens dans tous les établissements, un droit d'affichage, un soutien à la presse lycéenne, une cogestion des fonds lycéens, l'association des conseils de la vie lycéenne à la préparation des emplois du temps.

b) Le renforcement de la présence des adultes

14 000 adultes supplémentaires devraient être mis à la disposition des lycées, soit 3 000 surveillants, 10 000 emplois-jeunes et 1 000 appelés du contingent pour des tâches d'animation et de surveillance.

c) Les locaux

Un fonds exceptionnel d'aménagement est créé afin d'accorder pendant quatre ans 4 milliards de francs de prêts à taux zéro aux régions qui seront chargées de construire dans chaque lycée des lieux de vie pour les élèves, d'aménager dans chaque établissement un amphithéâtre destiné à permettre le développement de la vie culturelle et sociale, de faciliter l'accès aux centres de documentation et aux salles d'informatique, d'achever la mise en sécurité des équipements des lycées professionnels et technologiques et de construire des bureaux pour les enseignants afin que ceux-ci puissent recevoir les élèves et les familles.

d) Les réformes pédagogiques

Dans l'attente d'une rénovation des programmes et d'un aménagement des horaires et des rythmes scolaires qui ne devraient intervenir qu'à la rentrée 1999, une circulaire permettant des allégements de programmes pour l'année scolaire en cours devrait être publiée à la fin du mois d'octobre 1998.

Une concertation s'engagera avec les enseignants des lycées professionnels pour alléger les horaires excessifs.

e) L'égalité face aux études

Afin de remédier aux carences constatées depuis la dernière rentrée dans de nombreux établissements, les mesures suivantes sont proposées :

- ouverture de listes complémentaires aux concours de recrutement dans les disciplines déficitaires ;

- mise à disposition d'enseignants appelés au service national dans les disciplines et les académies déficitaires ;

- priorité au remplacement dans les classes conduisant à un examen en fin d'année ;

- recrutement de 1 000 lecteurs étrangers pour améliorer la pratique des langues étrangères ;

- aucune classe de terminale ne devra dépasser 35 élèves à partir de 1999 ; un plan pluriannuel de réduction des effectifs par classe sera mis en chantier.

4. Les observations et les interrogations de votre commission

a) Des remarques générales

Après avoir suivi la genèse de la réforme du lycée, en procédant notamment à l'audition de M. Philippe Meirieu et de M. Claude Allègre, votre commission s'était interrogée à titre liminaire, non pas sur l'opportunité d'apporter des ajustements au fonctionnement du lycée, mais sur le caractère prioritaire d'une réforme d'envergure portant sur une institution scolaire qui fonctionnait plutôt moins mal que les autres.

Les lycées restent en effet, à l'exception de certains établissements professionnels, largement épargnés par la violence et l'échec scolaire qui gangrènent un trop grand nombre de collèges ; ils conduisent de manière convenable une part importante de leurs élèves aux divers baccalauréats qui ouvrent les portes de l'enseignement supérieur ; la souplesse de leur fonctionnement, notamment grâce à une organisation en modules, permet en outre de prendre en compte les situations individuelles et les goûts des élèves ; la réforme pédagogique des lycées engagée et poursuivie sous l'égide de plusieurs ministres avait enfin permis de simplifier et de revaloriser certaines filières.

En bref, la situation des lycées n'apparaissait pas si préoccupante qu'elle justifiait une réforme aussi urgente et ambitieuse.

Etait-il nécessaire d'engager une si vaste consultation pour légitimer des mesures qui, pour certaines d'entre elles, sont préconisées depuis longtemps dans des rapports inutilisés, tel l'excellent rapport de la commission Fauroux ?

Votre commission formulera ensuite quelques remarques sur le bien-fondé de certaines propositions de réforme du lycée.

La redéfinition du service des enseignants, c'est-à-dire le partage de leur service entre l'enseignement traditionnel et l'aide individualisée aux élèves, notamment ceux " en difficulté ", constitue à n'en pas douter la mesure prioritaire et la plus urgente de la réforme des lycées.

Une telle mesure qui s'inscrit parfaitement dans le cadre du principe de discrimination positive, et qui permettrait à coût budgétaire constant de réduire l'échec scolaire, a suscité l'hostilité de certaines organisations syndicales.

Votre commission souhaiterait connaître l'état de la concertation en cours sur ce dossier prioritaire et savoir s'il serait envisagé de passer outre à une éventuelle opposition syndicale pour aménager rapidement l'obligation de service des enseignants.

S'agissant de l'apprentissage à la citoyenneté dite " républicaine " au lycée, elle peut s'étonner à bon droit que cet apprentissage ne soit pas acquis par les élèves à l'école primaire et surtout au collège.

Il a été dit que l'instruction civique serait dispensée en classe de première par des professeurs de philosophie, puis que cet enseignement serait donné par des professeurs d'autres disciplines, et notamment d'histoire, et serait mis en place à titre expérimental à la rentrée prochaine.

Votre commission souhaiterait obtenir des précisions supplémentaires sur les modalités concrètes de cet enseignement et sur son contenu auquel le Parlement ne saurait rester indifférent.

Concernant l'acquisition d'une culture de base, " fondement de notre héritage européen ", pour l'ensemble des élèves des filières générales, technologiques et professionnelles, il serait souhaitable que soient précisées les disciplines concernées par cette culture de base et le contenu de ces connaissances.

Enfin, la réduction des horaires d'enseignement proposée et la simplification des programmes ne risquent-elles pas d'entraîner une baisse des exigences jusqu'alors requises des lycéens ?

Sur un plan plus général, votre commission se demande si le rôle du lycée est de transmettre des connaissances ou des valeurs sociales et si la culture commune dispensée à tous les lycéens n'implique pas par ailleurs un contrôle idéologique sur le contenu des disciplines et ne risque pas de conduire à une sorte de " SMIC culturel " qui ne ferait que renforcer le marché florissant du soutien scolaire.

Par ailleurs, comment sera-t-il possible d'intégrer dans un horaire réduit à 26 heures par semaine les nouveaux enseignements proposés dans le domaine des sciences politiques et économiques, de l'éducation civique, de la culture artistique et des nouvelles technologies ?

A l'évidence, l'introduction de ces nouvelles disciplines dans un horaire réduit ne peut se traduire que par des réductions importantes d'horaires dans les autres disciplines.

En outre, alors que l'inspection générale a établi un bilan largement positif des modules qui ont été introduits par la réforme antérieure des lycées, est-il envisagé de remettre en cause cette formule et/ou affecter les moyens ou emplois correspondants à une politique de soutien individualisé des lycéens ?

Enfin, s'agissant du renforcement de la participation des élèves à la vie lycéenne, si ce souci apparaît louable, il ne semble pas qu'il réponde prioritairement aux revendications exprimées au cours des dernières semaines par les lycéens manifestant dans de nombreuses villes de France contre des classes surchargées, des enseignants et des personnels ATOS et de surveillance en nombre insuffisant et le développement de la violence dans de trop nombreux établissements.

b) Les incidences budgétaires du plan d'urgence du 21 octobre 1998

Votre commission remarque d'abord que l'enveloppe de 4 milliards de francs de prêts à taux zéro sur quatre ans qui transitera par les organismes prêteurs des régions n'aura guère d'incidences sur la loi de finances pour 1999, sous réserve de la bonification de ces prêts qui pourrait représenter un peu plus de 100 millions de francs par an pour toute la durée des emprunts.

Selon certaines estimations, le volet consistant à renforcer la présence des adultes dans les lycées pourrait représenter un coût voisin de 700 millions de francs en 1999, dont 200 millions de francs pour les postes de surveillance, qui devrait être financé par redéploiement de crédits.

Au total, le coût du plan lycée du 21 octobre dernier ne devrait donc représenter pour l'Etat que 865 millions de francs en 1999, y compris la bonification des prêts accordés aux régions.

Il convient de rappeler que le plan lycée de 1990 prévoyait une enveloppe du même ordre de grandeur, soit 4,5 milliards de francs dont 2,5 milliards de francs de crédits budgétaires et 2 milliards de francs de prêts bonifiés.

S'agissant de l'effort demandé aux régions, votre commission constate que l'Etat se défausse largement sur celles-ci alors qu'il reste débiteur à leur égard d'une dette évaluée à 5,6 milliards de francs. Le plan d'urgence apparaît donc moins comme un plan national que comme un encouragement à la poursuite de programmes régionaux engagés en faveur des lycées.

Au total, la subvention réelle de l'Etat attribuée aux régions ne devrait représenter, compte tenu de la faiblesse actuelle des taux d'intérêt, qu'environ 1 % des efforts consacrés par les régions aux lycées.

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