2. D'autres évolutions restent également nécessaires

Chaque année, à l'occasion de son avis budgétaire, votre commission des Affaires sociales recense les demandes du monde combattant qui restent en suspens et invite le Gouvernement à y apporter une solution. Des solutions sont parfois, mais trop rarement, trouvées.

Plutôt que d'égrener comme une litanie l'ensemble des évolutions qui lui semblent nécessaires, votre commission a choisi, cette année, d'insister tout particulièrement sur quatre questions qui lui paraissent prioritaires.

La question de la retraite anticipée des anciens combattants d'Afrique du Nord

En dépit de l'approfondissement des dispositifs de solidarité, le droit à la retraite anticipée pour les anciens combattants d'Afrique du Nord reste une demande permanente des associations d'anciens combattants.

Cette demande correspond largement au souhait du rétablissement du principe de " l'avantage relatif " tel qu'il s'est appliqué entre 1973 et 1982. La loi du 21 novembre 1973 avait, en effet, autorisé les anciens combattants de tous les conflits à prendre leur retraite entre 60 et 65 ans en bénéficiant d'une pension calculée sur la base du taux qui leur aurait été reconnu à l'âge de 65 ans. L'ordonnance du 26 mars 1982, en autorisant le départ à la retraite à l'âge de 60 ans, a mis fin à cet avantage, instaurant alors une inégalité de traitement entre les anciens combattants de première et deuxième génération et ceux de la troisième génération.

Depuis 1985, de très nombreuses propositions de loi (15 au Sénat) portant sur la retraite anticipée des anciens combattants d'Afrique du Nord ont été déposées sur les bureaux des deux assemblées.

Ces propositions de loi abordent différemment la question de la retraite anticipée :

- certaines -les plus générales- visent tous les anciens combattants d'Afrique du Nord qui pourraient bénéficier d'un droit à la retraite anticipée, la durée d'anticipation étant égale à la durée du séjour effectuée au titre du service militaire en Afrique du Nord entre le 1 er janvier 1952 et le 2 juillet 1962 ;

- d'autres -plus ciblées- ne concernent que les anciens combattants d'Afrique du Nord, qui sont dans les situations les plus difficiles. Ainsi, la proposition de loi de MM. Robert Pagès et Guy Fischer, discutée au Sénat en séance publique le 29 juin 1998, ne proposait d'accorder le droit à la retraite anticipée qu'aux chômeurs en fin de droits justifiant d'une durée d'assurance vieillesse de 40 annuités.

Les gouvernements successifs se sont opposés à ces deux types de propositions.

Pour les premières, le coût financier très lourd de la retraite anticipée rendait difficile sa mise en oeuvre. Le rapport Chadelat évaluait ainsi le coût de la mesure à 151 milliards de francs sur la période 1996-2004.

Pour les secondes, plusieurs séries d'arguments ont été avancées. D'une part, l'approfondissement des dispositifs de solidarité ( mise en place du fonds de solidarité en 1992, création de l'APR en 1995, création d'une allocation majorée de 5.600 francs nets mensuels pour les chômeurs justifiant de 160 trimestres d'affiliation à la sécurité sociale par la loi de finances pour 1998, suppression du " stage " de six mois préalable au bénéfice de l'APR proposée par le présent projet de loi de finances ...) rend moins nécessaire, sinon inutile, la retraite anticipée. D'autre part, des arguments " techniques " ont été soulevés (non-prise en compte des régimes de retraite complémentaire, impossibilité d'une option entre retraite anticipée et dispositifs de solidarité) pour remettre en cause les avancées réelles que pourraient engendrer ces propositions car certains anciens combattants pourraient finalement se retrouver dans une situation moins favorable.

Votre commission estime cependant que la question de la retraite anticipée n'a rien perdu de son actualité, ni de son urgence. Bien au contraire .

Ainsi, l'octroi d'une retraite anticipée ne concernerait que quelques milliers de personnes en 1999, les autres ayant déjà atteint l'âge de la retraite ou étant parties en préretraite. L'argument du coût budgétaire n'est donc plus qu'en partie recevable.

Paradoxalement, la mise en place de mesures de solidarité ne fait que renforcer l'urgence de la retraite anticipée. En effet, ces mesures présentent certains inconvénients :

- elles répondent à une logique d'assistance mal perçue par le monde combattant qui revendique l'affirmation d'une logique de droit légitime ;

- la superposition des différentes mesures de solidarité accentue le risque que ne se créent des failles dans le système. Or, ces failles existent bel et bien comme en témoigne la poursuite de l'action sociale de l'ONAC en faveur de populations théoriquement couvertes par le fonds de solidarité. Ainsi, l'action du fonds de solidarité se concentre actuellement sur les chômeurs ayant cotisé 160 trimestres à l'assurance vieillesse. Mais ce sont loin d'être les seuls anciens combattants en difficulté.

Enfin, les arguments " techniques " avancés par le Gouvernement ne sont pas tous recevables. S'il est vrai que pour être effective la retraite anticipée doit inclure les régimes complémentaires qui relèvent de dispositions conventionnelles et non législatives, rien n'empêche en revanche la mise en oeuvre d'un régime optionnel : l'ancien combattant pourrait choisir soit la retraite anticipée, soit le maintien des mesures de solidarité en fonction de sa situation personnelle.

Le secrétariat d'Etat aux anciens combattants estime pourtant qu'une telle option n'est pas autorisée par les législations instituant les revenus de remplacement versés aux chômeurs qui prévoient la suppression automatique de ces prestations dès que les conditions d'obtention d'une retraite à taux plein sont réunies. Il y voit la " conséquence inévitable, issue des dispositions du code du travail (art. L. 351-19) et de l'article 125 (modifié en 1995, 1996 et 1997) de la loi de finances pour 1992 " .

Or, cette analyse s'appuie sur une base juridique bien fragile.

La retraite anticipée n'implique en effet nullement une modification du code du travail, l'article L. 351-19 soulevé par le secrétariat d'Etat ne concernant que les personnes de plus de 60 ans. Or, par définition, la retraite anticipée concerne uniquement les personnes âgées de moins de 60 ans. Il n'y a donc pas de liquidation d'office des retraites avant l'âge de 60 ans.

Quant à l'article 125 du projet de loi de finances pour 1992, il précise effectivement que " les allocations du Fonds (de solidarité) cessent d'être versées dès lors que le bénéficiaire... peut prétendre à l'attribution d'une pension de vieillesse au taux plein " . Mais, pour ce cas particulier, une modification législative est toujours possible.

Dans ces conditions, votre commission souhaite que la question de la retraite anticipée soit à nouveau examinée en détail dans les plus brefs délais. Loin d'être une mesure symbolique, elle pourrait au contraire compléter les mesures de solidarité existantes et réaffirmer l'égalité de traitement entre les différentes générations d'anciens combattants.

La situation des veuves d'anciens combattants

Au 1 er janvier 1998, 1.752.200 veuves étaient ressortissantes de l'ONAC. Mais, seules 160.000 d'entre elles étaient " pensionnées ", c'est-à-dire percevaient une réversion de la pension d'invalidité de leur mari décédé.

Or, la situation financière des veuves, qui bien souvent n'ont pas pu travailler car elles s'occupaient de leur mari invalide, est très préoccupante. Ainsi, en 1997, les services départementaux de l'ONAC ont apporté une aide financière à 4.500 veuves d'anciens combattants.

Certes, ces dernières années, un effort sensible a été réalisé pour améliorer la situation des veuves.

L'article 103 de la loi de finances pour 1996 a abaissé de 57 à 50 ans la condition d'âge requise pour bénéficier d'une pension de réversion à taux majoré.

La loi de finances pour 1997 a prévu que les veuves des anciens combattants allocataires du fonds de solidarité percevant l'APR bénéficieront d'un capital décès égal à quatre fois le montant mensuel brut de l'allocation, ce montant étant majoré d'une fois et demie par enfant à charge. Mais, en 1997, seules 46 veuves ont bénéficié de cette disposition.

La loi de financement pour 1999 prévoit une majoration de 5 millions de francs des crédits d'action sociale de l'ONAC en faveur des veuves.

Il n'en reste pas moins que ces mesures restent insuffisantes. Votre commission estime alors qu'un effort particulier doit être entrepris afin d'assurer un niveau de vie décent aux veuves d'anciens combattants dans les situations les plus difficiles.

Plusieurs pistes peuvent être explorées.

Une première solution pourrait être la mise en oeuvre d'une possibilité de réversion, en tout ou partie, de la retraite du combattant . Votre commission n'ignore pas que la retraite du combattant, qui constitue une récompense militaire strictement personnelle, n'est pas susceptible de réversion. Mais, pour les veuves d'anciens combattants les plus modestes, la réversion de cette retraite fournirait un complément de revenus non négligeable.

Une seconde solution, sans doute plus praticable, consisterait en un assouplissement des conditions de réversion des pensions . A l'heure actuelle, l'ouverture du droit à pension de veuve est fonction du taux d'invalidité du mari décédé :

- si ce taux est supérieur ou égal à 85 %, la réversion est automatique. On suppose, en effet, que le décès est très largement causé par les conséquences des infirmités pensionnées ;

- si ce taux est compris entre 60 et 85 %, la réversion est possible, mais la veuve doit faire la preuve que le décès est directement imputable à l'invalidité pour laquelle l'ancien combattant est pensionné pour obtenir une pension au taux normal. Or, la preuve du lien de causalité entre l'invalidité et le décès reste souvent difficile à établir. Dès lors, de nombreuses veuves doivent se contenter d'une pension de réversion à un taux moindre ;

- les veuves d'anciens combattants dont le taux d'invalidité est inférieur à 60 % ne peuvent prétendre à l'attribution d'une pension de réversion.

Votre commission est alors favorable à la baisse de 85 à 60 % de la valeur minimale du taux d'invalidité requis pour que la veuve puisse bénéficier d'une pension de réversion à taux normal sans avoir à apporter la charge de la preuve.

Une troisième solution consisterait à revaloriser sensiblement les pensions de réversion.

Cette mesure permettrait d'augmenter substantiellement le montant de la pension de réversion des veuves qui n'ont pas pu travailler en raison de leur présence continue auprès de leur mari même si son invalidité reconnue était inférieure à 85 %.


La pension de réversion au taux normal n'est actuellement que de l'ordre de 3.300 francs par mois, soit un niveau inférieur au minimum vieillesse (3.470 francs par moi).

Cette revalorisation pourrait alors prendre plusieurs formes :

- une revalorisation de la valeur du point d'indice ou de l'indice de la pension de veuve au taux normal (indice 500) ;

- un assouplissement des conditions d'attribution de la pension de veuve au taux spécial (indice 667). Pour que la pension de veuve soit majorée au taux spécial, la veuve doit avoir plus de 50 ans et déclarer un revenu imposable inférieur à un plafond. On pourrait donc augmenter ce plafond qui est actuellement de l'ordre de 70.000 francs. A cet égard, votre commission observe que les veuves de déportés morts en déportation et les veuves de prisonniers du Viêt-minh morts en captivité bénéficient du taux spécial sans autre condition.

La dernière solution consisterait, comme vient de le faire M. Jean-Pierre Masseret, à augmenter sensiblement les crédits d'action sociale de l'ONAC en faveur des veuves, et notamment des veuves non pensionnées .

La réforme du rapport constant

Le mécanisme du rapport constant permet de revaloriser les pensions militaires de manière à leur assurer une évolution similaire à celle des traitements de la fonction publique.

Ce mécanisme a été modifié par l'article 123 de la loi de finances pour 1990 afin de prendre en compte non seulement les mesures générales de revalorisation des traitements dans la fonction publique, mais également les mesures catégorielles.

L'encadré ci-après présente le mode de calcul actuel du rapport constant.

Présentation générale du rapport constant.

Principe du rapport constant : les pensions militaires d'invalidité (PMI) versées aux anciens combattants font l'objet d'un mécanisme de revalorisation fixé de manière à leur assurer une évolution similaire à celle des traitements de la fonction publique. Ce mécanisme s'appelle le rapport constant, dont le principe est établi depuis 1954.

Régime juridique : c'est l'article L. 8 bis du code des PMI qui met en oeuvre ce rapport constant. Depuis 1990, il permet la transposition des mesures catégorielles applicables aux agents de l'Etat et non plus seulement des revalorisations générales.

Les mécanismes de revalorisation des pensions :

A chaque fois que le point fonction publique est revalorisé, le point de pension militaire d'invalidité l'est également, du même taux et à compter de la même date.

Une fois par an, une comparaison est établie relativement à l'année précédente, entre l'évolution des traitements des fonctionnaires, telle que mesurée par l'indice INSEE, et celle des pensions militaires d'invalidité de l'année précédente.

Cette comparaison montre généralement une augmentation plus importante de l'indice INSEE, car il intègre en plus des revalorisations générales du point fonction publique, les mesures catégorielles attribuées à divers corps de fonctionnaires. Il faut alors mettre au même niveau d'évolution la valeur du point de pension au 1 er janvier de l'année en cours (recalage en niveau), mais aussi effectuer un versement de supplément de pension compensant le manque à gagner subi par les anciens combattants pendant l'année précédente (rattrapage en masse).

Source : Ministère de l'économie et des finances.

Le mécanisme réformé en 1990 est plus favorable que l'ancien mode de calcul. Ainsi, la valeur du point PMI s'élève à 78,90 francs au 1 er janvier 1998. L'application de l'ancien mode de calcul n'aurait donné qu'une valeur de 78,16 francs à la même date.

Mais, s'il est plus favorable, le rapport constant reste extrêmement complexe et peu lisible .

Une commission spécifique chargée de l'examen d'une simplification de ce calcul a été mise en place en 1996, mais ses travaux n'ont débouché sur aucune réforme.

A la suite d'un rapport de l'Inspection générale du secrétariat d'Etat aux anciens combattants, M. Jean-Pierre Masseret a soumis aux associations deux propositions de réforme du mode de calcul du rapport constant. Auditionné par votre commission, il a déclaré que la proposition la plus favorable se traduirait par une revalorisation supplémentaire de 0,6 % des pensions d'invalidité la première année, mais que cette mesure ne pourrait pas s'appliquer en 1999.

Votre commission souhaite que la concertation actuelle débouche sur une solution satisfaisante afin que le mode de calcul du rapport constant soit réformé dans le sens d'une plus grande transparence.

La question récurrente de la " décristallisation "

Lorsque les possessions françaises d'outre-mer ont accédé à l'indépendance, les pensions d'invalidité et les pensions militaires de retraite versées par la France aux anciens combattants ressortissants de ces pays ont été figées à leur valeur de l'époque. Cette " cristallisation " résulte de la loi de finances pour 1959 pour l'Indochine et de l'article 71 de la loi de finances pour 1960 pour les autres Etats. En outre, les demandes de concession ou de révision des pensions militaires d'invalidité sont frappées de forclusion à compter de ces dates.

Aujourd'hui, on estime à quelque 38.000 le nombre d'anciens combattants et d'ayants cause qui sont soumis à cette cristallisation des pensions.

La valeur du point cristallisé est celle atteinte à la date du changement du statut international du pays ou à la date d'effet des textes instaurant la cristallisation, si elle est postérieure à ce changement.

A l'heure actuelle, la cristallisation des tarifs se traduit par une très grande dispersion des valeurs du point de pension : 45,05 francs à Djibouti, 27,97 francs au Sénégal mais 12,88 francs en Guinée, 9,02 francs en Algérie, 7,77 francs au Maroc et en Tunisie et 3,14 francs au Vietnam. La valeur du point était de 78,90 francs en France au 1 er janvier 1998.

Cette forte dispersion s'explique de deux manières :

- les dates de cristallisation ont été très différentes d'un pays à l'autre ;

- des revalorisation ponctuelles de la valeur du point sont intervenues à partir de 1971, touchant de manière inégale les différents pays.

Cette cristallisation apparaît largement incompatible tant avec le respect du principe d'égalité de traitement entre anciens combattants qu'avec la nécessaire reconnaissance de la France pour les services rendus et les sacrifices consentis par les anciens combattants ressortissants des Etats anciennement placés sous sa souveraineté.

Certes, des mesures de décristallisation partielle et ponctuelle sont intervenues ces dernières années :

- la loi de finances pour 1995 a revalorisé les pensions d'invalidité et les pensions militaires de retraite de 4,75%, les pensions d'invalidité avec allocation de grand mutilé de 20 % et la retraite du combattant de 30 % ;

- la loi de finances pour 1996 a levé pour une année la forclusion frappant depuis 1959 les demandes de première liquidation de pensions d'invalides et d'ayants cause et les demandes de révision de pension d'invalidité. Cette mesure a été prorogée jusqu'au 31 décembre 1997.

Ces mesures restent pourtant insuffisantes et aucune mesure nouvelle de décristallisation n'est intervenue depuis lors.

Alors que M. Jean-Pierre Masseret affirmait vouloir " redéfinir la politique générale en faveur des anciens combattants des armées françaises ressortissant de pays devenus indépendants " (14 ème engagement pour 1998), il semble se refuser à avancer dans la voie de la décristallisation. Il fonde sa position sur une étude montrant que le pouvoir d'achat de la pension d'invalidité serait en moyenne supérieur dans les pays anciennement sous souveraineté française qu'en France.

Votre commission estime néanmoins que, même si une mesure générale de décristallisation n'est pas forcément souhaitable, un effort doit être fait.

A cet égard, elle formule deux propositions.

Premièrement, il importe de réduire significativement les disparités résultant des tarifs d'origine . Sans aller jusqu'à l'uniformisation des valeurs du point d'indice applicable aux pays concernés, il faudrait resserrer l'éventail de celles-ci en relevant prioritairement le tarif des Etats où il est le plus faible.

Il faudrait également lever la forclusion pesant sur les pensions d'invalidité . Celle-ci pose, en effet, deux séries de problèmes aux implications très délicates :

- il est impossible pour un ancien combattant dont le taux d'invalidité a été fixé de faire reconnaître une aggravation de son état ,

- les pensions ne sont pas réversibles car, au décès du bénéficiaire, la demande de réversion de la veuve est considérée comme une demande nouvelle et celle-ci se voit donc opposer la forclusion.

*

Votre commission a émis un avis favorable à l'adoption des crédits du budget des anciens combattants pour 1999. Elle vous propose un amendement à l'article 75, étendant la mesure proposée par cet article aux anciens combattants titulaires du titre de reconnaissance de la Nation et a émis un avis favorable à l'adoption de cet article 75 tel qu'amendé, ainsi qu'à l'adoption des articles 76, 76 bis (nouveau) et 76 ter (nouveau) rattachés à ce budget.

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