II. LA SITUATION DE CHAQUE TERRITOIRE

A. LA NOUVELLE-CALÉDONIE

L'année 1998 constitue une année charnière pour la Nouvelle-Calédonie : la reprise des négociations politiques entre les partenaires signataires des accords de Matignon-Oudinot, suspendues depuis le printemps 1996, a permis d'aboutir à une solution consensuelle permettant d'éviter un " référendum couperet " qui s'est concrétisée par la conclusion de l'Accord de Nouméa, signé le 5 mai 1998. A la suite de cet accord, une révision de la Constitution a été adoptée par le Parlement, réuni en Congrès à Versailles le 6 juillet, qui fait de la Nouvelle-Calédonie une collectivité sui generis . N'appartenant plus à la catégorie juridique des territoires d'outre-mer, la Nouvelle-Calédonie se verra bientôt dotée d'un nouveau statut qui sera examiné par le Parlement en fin d'année et au début de l'année prochaine.

1. De la reprise des négociations politiques à l'Accord de Nouméa

Le FLNKS (Front de libération nationale kanak socialiste) avait, le 19 avril 1996 , provoqué la suspension des négociations politiques sur l'avenir institutionnel du territoire entamées la veille, trois de ses quatre composantes posant comme préalable à la reprise des discussions le règlement du dossier relatif à l'accès à la ressource minière en vue de la création d'une usine de traitement du nickel dans la province nord.

FLNKS et RPCR (Rassemblement pour la Calédonie dans la République) défendaient alors des positions diamétralement opposées concernant l'avenir de la Nouvelle-Calédonie, le premier demandant une solution négociée consacrant l'existence d'un État associé dès 1998, le second étant favorable à une émancipation dans le cadre de la République française avec une prolongation des accords de Matignon permettant d'éviter l'intervention d'un référendum-couperet en 1998.

Afin de lever ce préalable minier , M. Lionel Jospin, Premier ministre, nommait, le 9 juillet 1997, M. Philippe Essig comme médiateur pour rechercher une issue à ce dossier. Ce dernier devait, le 1er novembre 1997, remettre son rapport proposant un projet d'accord sur l'échange de massifs miniers et la réalisation d'une usine métallurgique en province nord. Au terme de près de deux ans de négociations, les " accords de Bercy " étaient signés, le 1er février 1998 , le groupe Eramet, détenu en majorité par l'État, et la société SMSP (Société minière du sud Pacifique) convenant d'un échange de gisements permettant d'envisager la construction de l'usine du nord.

Les négociations sur l'avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie ont ainsi pu reprendre le 24 février 1998 . Après plusieurs semaines de discussions, un accord a été trouvé le 21 avril 1998 : l'Accord de Nouméa, signé conjointement par l'ensemble des partenaires le 5 mai 1998 lors du déplacement du Premier ministre en Nouvelle-Calédonie. Cet accord a consacré la solution consensuelle appelée de leurs voeux par l'ensemble des partenaires afin d'éviter le référendum d'autodétermination prévu par l'article 2 de la loi statutaire du 9 novembre 1988.

Pour autant, les négociations longues et délicates menées depuis 1996 n'ont pas été sans incidences sur la vie politique locale .

Au mois de novembre 1997, MM. François Burck, président de l'Union calédonienne (UC), et Léopold Jorédié, président de l'assemblée de la province nord, rejoignant la position prise par le Palika, l'une des composantes du FLNKS, ont contesté que le règlement du dossier minier soit présenté comme un préalable à la reprise des négociations politiques par le front indépendantiste. Le FLNKS a alors connu d'importantes dissensions : un comité de coordination des indépendantistes (CCI) auxquels ont adhéré plusieurs dirigeants du mouvement indépendantiste tels que MM. François Burck, Léopold Jorédié, Raphaël Mapou (vice-président du Palika) ou encore Nidoïsh Naisseline (président de la province des Iles) s'est créé le 26 décembre 1997 en vue de poursuivre les négociations politiques sans attendre la levée du préalable minier. Le congrès du FLNKS, repoussé à plusieurs reprises, s'est enfin tenu le 14 février 1998 : à cette occasion, son président, M. Roch Wamytan, a été reconduit et le front indépendantiste a accueilli dans ses rangs une nouvelle composante, le Rassemblement démocratique océanien (RDO).

En dépit de la conclusion de l'Accord de Nouméa, une restructuration des forces politiques s'est opérée. Les dissidents du FLNKS ont créé, le 30 mai 1998, un nouveau parti, la Fédération des comités de coordination des indépendantistes (FCCI), présidé par M. Raphaël Mapou. Une dissidence a également frappé l'UNCT (Une Nouvelle-Calédonie pour tous), parti anti-indépendantiste fondé en 1995 par M. Didier Leroux pour " proposer une alternative non indépendantiste à la toute-puissance du RPCR " : troisième force politique calédonienne avec 6 élus sur 54 au congrès du territoire, trois d'entre eux ont créé le 29 mai 1998 un nouveau parti, dénommé " Renouveau ".

Cette recomposition du paysage politique calédonien a abouti à d'importantes modifications au sein du bureau du congrès du territoire . M. Simon Loueckhote (RPCR), Sénateur de la Nouvelle-Calédonie, a succédé à M. Harold Martin (RPCR) à la présidence du congrès. Le nouveau bureau du congrès ne comporte plus d'élu membre du FLNKS alors que ce mouvement détenait auparavant trois vice-présidences. Sur les huit postes de vice-président du bureau élu le 2 juin 1998, cinq sont membres du RPCR et les trois autres, élus avec les voix du RPCR, appartenant respectivement au FDIL (Front de Développement des Îles Loyauté), à Renouveau et à la FCCI.

2. L'Accord de Nouméa et la révision de la Constitution

L'accord de Nouméa , conclu le 21 avril 1998 et signé par l'ensemble des partenaires lors du déplacement du Premier ministre à Nouméa le 5 mai 1998, se compose d'un préambule et d'un document d'orientation.

Le préambule retrace les circonstances historiques de l'appropriation de la Nouvelle-Calédonie par la France. Reconnaissant " les ombres de la période coloniale " mais également ses apports, il affirme la nécessité de " poser les bases d'une citoyenneté de la Nouvelle-Calédonie " permettant " la refondation d'un contrat social entre toutes les communautés " pour l'affirmation d'un " destin commun ". Il indique que la solution négociée " définit pour vingt années l'organisation politique de la Nouvelle-Calédonie et les modalités de son émancipation ", l'équilibre institutionnel imaginé traduisant une nouvelle étape vers une éventuelle émancipation et la question de l'accès à la souveraineté devant être soumise, au terme de la période, à l'approbation des populations intéressées. Il précise que la Nouvelle-Calédonie continuera à bénéficier, pendant ces vingt ans, de l'aide de l'État.

Le document d'orientation , qui constitue le second volet de l'accord, définit les principes de l'organisation politique et sociale de la Nouvelle-Calédonie pour les vingt prochaines années.

Il traite tout d'abord, sous différents aspects, de l'identité kanak : statut civil coutumier, droit coutumier et structures coutumières, création d'un Sénat coutumier, promotion du patrimoine culturel kanak, régime foncier des terres coutumières, signes identitaires.

Une nouvelle organisation institutionnelle est ensuite définie, l'accord reconnaissant une citoyenneté de la Nouvelle-Calédonie, traduction d'une communauté de destin et fondement des restrictions apportées au corps électoral et à l'accès à l'emploi local. A côté du congrès, assemblée délibérante de la Nouvelle-Calédonie et émanation des assemblées de provinces, et du Sénat coutumier, le pouvoir exécutif est exercé par un gouvernement collégial. Les actes les plus importants du congrès, dénommés " lois du pays ", pourront être soumis, avant leur promulgation, au contrôle du Conseil constitutionnel. Les transferts de compétences de l'État vers la Nouvelle-Calédonie sont organisés : seules les compétences régaliennes telles que la justice, l'ordre public, le défense, la monnaie et les affaires étrangères seront exercées par l'État jusqu'à l'expiration de la période de vingt ans.

L'Accord de Nouméa prévoit en outre de mettre à la disposition de la Nouvelle-Calédonie les moyens de son émancipation en matière économique, sociale et culturelle.

Le processus de mise en oeuvre de l'Accord de Nouméa a immédiatement été engagé : un projet de loi constitutionnelle a ainsi été soumis au Parlement avant l'été 2( * ) . La loi constitutionnelle n° 98-610 du 20 juillet 1998 relative à la Nouvelle-Calédonie a été adoptée à une très large majorité lors du congrès de Versailles du 6 juillet. Elle a rétabli un titre XIII dans la Constitution intitulé " Dispositions transitoires relatives à la Nouvelle-Calédonie ".

L'article 76 inséré dans ce titre XIII prévoit que seront appelées à se prononcer avant le 31 décembre 1998 sur les dispositions de l'accord signé à Nouméa le 5 mai 1998 et que seront admises à participer au scrutin les personnes remplissant les conditions fixées à l'article 2 de la loi du 9 novembre 1988 (justifier de dix ans de résidence continue sur le territoire).

En vue de cette consultation , dont la date a été fixée au 8 novembre , une commission de contrôle de l'organisation et du déroulement de la consultation, constituée de quatre magistrats, a habilité neuf partis politiques à participer à la campagne électorale officiellement ouverte le 19 octobre. Cinq formations ont milité en faveur du " oui " : le RPCR, le FLNKS, le LKS (parti de Libération Kanak Socialiste), la FCCI et Renouveau. Trois ont appelé à voter " non " : l'UNCT, le Front national et le Mouvement pour la France (MPF), le parti Développer Ensemble pour Construire l'Avenir (DECA) restant partagé. Sur les 106.706 électeurs inscrits sur les listes électorales (65.401 résidant en province sud, 25.660 en province nord et 15.645 dans la province des îles), le taux de participation s'est élevé à 74,23 % , soit onze points de plus qu'au référendum de 1988 sur les accords de Matignon. Les électeurs calédoniens ont massivement approuvé l'accord de Nouméa, le " oui " ayant recueilli 71,87 % des voix. Alors qu'en 1988 six communes, dont Nouméa, avaient exprimé un vote de rejet, le " oui " est cette fois majoritaire dans chacune des trente-trois communes. Ces résultats recouvrent cependant une disparité de situations entre les trois provinces : le taux de participation, de plus de 80 % en province sud et dépassant 73 % en province nord n'a pas atteint 50 % dans la province des îles ; par ailleurs, si le " oui " obtient près de 87 % en province nord et plus de 95 % dans la province des îles, où la population est majoritairement d'origine mélanésienne, le " non " recueille 37 % en province sud.

A la suite de cette consultation, le projet de loi organique définissant le nouveau statut de la Nouvelle-Calédonie doit être adopté en conseil des ministres le 25 novembre et déposé sur le bureau du Parlement avant la fin de l'année pour une mise en place des institutions au milieu de l'année 1999.

3. La poursuite du rééquilibrage économique entre les provinces

a) La poursuite de la politique contractuelle

L'article 85 de la loi référendaire du 9 novembre 1988 portant dispositions statutaires et préparatoires à l'autodétermination de la Nouvelle-Calédonie dispose que des contrats de développement déterminent les actions à engager pour atteindre un certains nombre d'objectifs : Favoriser un rééquilibrage du territoire par rapport à l'agglomération chef-lieu et améliorer les infrastructures pour permettre le désenclavement des populations isolées. L'effort devra porter, d'une part, sur l'aménagement des voies routières transversales et la réalisation des équipements, y compris portuaires, nécessaires au développement d'un centre urbain dans la province nord, d'autre part, sur le renforcement des infrastructures communales et provinciales d'adduction d'eau, d'assainissement, de communication et de distribution électrique . Pour atteindre ces objectifs et en application de l'article 84 de la loi précitée, des conventions et des contrats de développement ont été conclus entre, d'une part, l'État et le territoire, et d'autre part, l'État et chacune des trois provinces.

Après une série de contrats couvrant la période 1990-1992, de nouveaux contrats ont été conclus pour la période 1993-1997 : une convention de développement entre l'État et le territoire en date du 8 juin 1993 et trois contrats entre l'État et les provinces en date du 4 février 1993. Le montant total des aides contractualisées pour cette dernière période s'élève à 3,9 milliards de francs, dont 1,65 milliards de francs représentant la contribution de l'État, 1,07 milliards de francs étant imputés sur le budget du secrétariat d'État à l'outre-mer. Au 31 décembre 1997, 68% des crédits de l'État avaient été engagés et 50% des paiements avaient été effectués.

Les trois contrats de développement État-provinces représentent un montant de 2,603 milliards de francs dont 1,426 milliards, soit 55 %, sont à la charge de l'État et 1.177 milliards, soit 45 %, sont assumés par les provinces. La convention État-territoire correspond quant à elle à un montant de 520 millions de francs, dont 47 % à la charge de l'État.

La mise en oeuvre des contrats de développement des provinces est cependant freinée, la province nord éprouvant des difficultés à mobiliser ses propres fonds, les opérations relatives au logement ayant pris du retard en province sud et la complexité des problèmes fonciers ralentissant l'avancée des projets dans la province des îles.

En 1998 , il a été décidé de prolonger d'une année la durée des contrats de développement , soit une participation supplémentaire de l'État de 318 millions de francs. Une nouvelle prorogation sera décidée pour 1999 , une nouvelle génération de contrats devant débuter en 2000 aux termes de l'Accord de Nouméa. Le point 4.2 de cet accord prévoit en effet que " des contrats de développement pluriannuels seront conclus avec l'État ", susceptibles de " concerner la Nouvelle-Calédonie, les provinces et les communes " et tendant à " accroître l'autonomie et la diversification économiques ".

b) L'aide globale de l'État à la Nouvelle-Calédonie et le bilan des accords de Matignon

Sur la période 1989-1998 , soit en dix ans, le montant cumulé des dotations inscrites au chapitre du budget de l'outre-mer intitulé " Actions diverses pour le développement de la Nouvelle-Calédonie " a atteint 3,625 milliards de francs en autorisations de programme et 3,134 milliards de francs en crédits de paiement .

Si ce chapitre constitue la base budgétaire de mise en oeuvre des accords de Matignon pour le financement des aides aux dépenses de fonctionnement et d'investissement, il ne couvre qu'environ 10% de l'effort global consenti par l'État sur la période, soit environ 35 milliards de francs , hors pensions civiles et dépenses militaires. Sur ce montant, 28 milliards de francs correspondent à des dépenses non spécifiques de l'État (10 milliards : exercice par l'État de ses attributions propres, en matière d'enseignement notamment ; 17 milliards : traitements des fonctionnaires de l'État ; 6 milliards : dépenses de fonctionnement ; 2 milliards : dépenses d'investissement ; 3 milliards: DGE et DGF versées aux communes). Restent donc 7 milliards qui représentent l'aide apportée aux institutions de la Nouvelle-Calédonie et s'ajoutent à l'aide supplémentaire liée à la mise en oeuvre des accords de Matignon.

Il convient de préciser que les aides ont été affectées plus que proportionnellement (60%) à la province nord et à la province des îles qui ne regroupent que le tiers de la population . Pour ces deux provinces, on estime que les accords de Matignon ont conduit au moins à tripler l'aide par personne.

Cette période de dix ans a permis d'obtenir des résultats significatifs en matière de rééquilibrage du territoire . D'importants équipements ont été réalisés : construction des bâtiments nécessaires aux services administratifs de chaque province ; création et modernisation d'hôpitaux et de dispensaires ; construction de collèges, de lycées et de bâtiments universitaires permettant d'améliorer les conditions de scolarisation sur l'ensemble du territoire ; amélioration des dessertes entre les provinces, en particulier des liaisons routières entre les côtes Est et Ouest du " caillou ". Certaines zones restent cependant à désenclaver et l'électrification rurale doit être parachevée.

Si le taux d'occupation des fonctions d'encadrement administratif par des personnes originaires de la Nouvelle-Calédonie a bien progressé, un effort de rattrapage demeure nécessaire pour les cadres techniques supérieurs des collectivités. Il en est de même en matière de services rendus à la population (seuls deux médecins mélanésiens exercent à ce jour en Nouvelle-Calédonie).

En outre, peu d'entreprises sont implantées hors du grand Nouméa car les freins restent importants (faible densité de la clientèle potentielle, coût des transports, obstacles culturels à la mobilité de la main d'oeuvre). La création d'une usine métallurgique en province nord à la suite de l'accord minier intervenu entre Eramet et la SMSP est donc porteuse d'espoir pour parvenir au rééquilibrage entre les provinces.

Plusieurs organismes ont été créés en Nouvelle-Calédonie pour contribuer à faire progresser ce rééquilibrage. On peut en particulier citer l'Agence de développement rural et d'aménagement foncier (ADRAF) et l'Institut calédonien de participation (ICAP), instaurés par la loi référendaire du 9 novembre 1988. Sur les quelque 83 500 hectares attribués par l'ADRAF entre 1989 et 1996, 81,7% de ces terres ont été accordés à des mélanésiens. L'ICAP est quant à lui intervenu dans de nombreux secteurs (agriculture, élevage, pêche, aquaculture, artisanat, tourisme...) pour promouvoir les projets concourant au rééquilibrage économique ; de 1989 à 1996, sur 209 opérations réalisées, 99 l'ont été en province nord et 47 dans la province des îles.

Pour aider les provinces et le territoire à définir les investissements productifs et à accompagner la réalisation des projets de développement, un poste de commissaire au développement économique de la Nouvelle-Calédonie a par ailleurs été créé par un décret du 23 février 1995. Ce commissaire, nommé pour trois ans renouvelables, est placé auprès du haut-commissaire de la République. Pour accomplir sa tâche, il bénéficie du soutien de l'ADECAL (Agence pour le Développement Économique de la Nouvelle-Calédonie), association regroupant l'ensemble des interlocuteurs politiques, économiques et sociaux concernés.

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