II. UN COÛT INCERTAIN POUR LES COLLECTIVITÉS LOCALES ET LES ORGANISMES DE PROTECTION COMPLÉMENTAIRE

A. LE COÛT D'UNE RECENTRALISATION JUSTIFIÉE

1. L'essentiel du financement de la couverture de base repose sur la recentralisation de l'aide sociale départementale

a) La compétence d'aide sociale des départements6( * )
(1) Une compétence héritée de l'histoire

Les premiers, les ordres religieux ont assumé la fonction d'assistance auprès des nécessiteux. Puis elle s'est sécularisée, à partir de la création par François Ier des " bureaux des pauvres ". La Constitution de 1793 pose, elle, le principe du devoir de la puissance publique à l'égard de tout citoyen ne disposant pas d'un niveau de subsistance suffisant : " La société doit la subsistance aux citoyens malheureux, soit en leur procurant du travail, soit en assurant les moyens de subsister à ceux qui sont hors d'état de travailler " . En 1889 se réunit à Paris un congrès de l'assistance qui rédige une charte de l'assistance inspirée de ces principes. De 1893 à 1913 sont votées les grandes lois sur l'assistance : assistance médicale gratuite (1893), assistance aux tuberculeux (1901), assistance aux vieillards, infirmes et incurables (1905), assistance aux femmes en couche et aux familles nombreuses (1913). Les principes de l'aide sociale sont posés : limitation du nombre des bénéficiaires, simplicité et gratuité du mécanisme offert, reconnaissance du rôle de la commune.

En 1953, une réforme de l'aide sociale (complétée par les décrets du 17 novembre 1954 et du 21 mai 1955 sur la tarification) met en place des financements croisés entre l'Etat, les départements et les communes. La décentralisation est envisagée en 1978 par le projet de loi sur le développement des responsabilités des collectivités locales. La loi du 22 juillet 1983 la réalise, en confiant aux départements une compétence de droit commun dans le domaine de l'aide sociale. La loi de 1988 sur le revenu minimum d'insertion puis celle de 1992 l'ont complétée.

Qu'est-ce que l'aide sociale ?

Le rapport précité de la Cour des comptes rappelle en introduction ce qu'est l'aide sociale.

L'aide sociale constitue d'abord un droit alimentaire attribué par le code civil, ensuite un droit subsidiaire : la puissance publique n'intervient que si l'intéressé et sa famille ne peuvent subvenir à leurs besoins. L'aide sociale est spécialisée. Elle concerne aujourd'hui quatre grands publics : les bénéficiaires de la protection maternelle et infantile et les enfants en danger ; les personnes âgées ; les personnes handicapées ; les personnes sans ressources nécessitant une aide médicale et une couverture sociale.

Il ne s'agit donc pas d'une prestation de sécurité sociale car elle ne procède pas d'un régime d'assurance - le droit aux prestations n'y est pas conditionné par des cotisations mais par un besoin - ni d'une logique indemnitaire - l'origine en est alimentaire. Il ne s'agit pas non plus d'une prestation d'action sociale. L'aide sociale constitue en effet un droit du bénéficiaire et non une faculté laissée à l'appréciation d'une collectivité publique. L'aide sociale est donc limitée à une partie de la population et la loi et les règlements en déterminent les modalités d'accès.

(2) Les principes de la décentralisation

Les principes de la décentralisation sont alors simples : définir des blocs de compétences homogènes permettant à chacun d'assumer pleinement ses responsabilités ; rapprocher ensuite l'échelon de gestion des usagers. Le choix du législateur se fixe sur le département, pour éviter que la solution communale ne conduise à une augmentation des disparités. Les départements constituaient déjà l'échelon de mise en oeuvre des politiques d'aide sociale et de santé et semblait concilier les exigences de proximité et de taille suffisante.

Cependant, si la gestion de l'aide sociale était décentralisée, la détermination des conditions légales d'accès restaient fixées par l'Etat. Les collectivités locales ne pouvaient que rendre plus facile cet accès et créer des prestations supplémentaires facultatives.

La compensation financière entre l'Etat et les départements fut plus délicate à déterminer. Le principe posé fut celui du transfert des ressources nécessaires à l'exercice des compétences selon trois règles :

• concomitance du transfert des ressources et des charges ;

• compensation intégrale ;

• évaluation des dépenses à la date effective du transfert.

Les départements ont notamment reçu la garantie que l'évaluation se ferait collectivité par collectivité.

(3) Une montée en charge forte des dépenses d'aide sociale

Les dépenses des départements au titre de l'aide sociale ont considérablement augmenté depuis leur décentralisation.

Evolution des dépenses nettes d'aide sociale des départements (dont aide médicale)

 

Montant
(en millions de francs)

Evolution

1984

35 096

 

1985

36 371

3,63 %

1986

37 702

3, 66%

1987

39 193

3,95 %

1988

40 908

4,38 %

1989

42 485

4,74 %

1990

46 293

8,05 %

1991

50 533

9,16 %

1992

55 378

9,59 %

1993

60 254

8,80 %

1994

64 472

7,00 %

1995

67 839

5,22 %

1996

71 504

5,40 %

1997

73 993

3,48 %

1984-1997

-

110,83 %

France entière hors Paris

Source : ADF

Les dépenses d'aide médicale ont également connu une forte progression :

Les dépenses d'aide médicale des départements

 

1995

1996

1997

Dépenses d'aide médicale

Progression

6 349 385

6 741 233

+ 6,17 %

7 657 232

+ 13,9 %

Source : ADF

b) Un premier exemple de recentralisation
(1) Le principe justifié et accepté de la recentralisation des charges...

Les départements ont accepté le principe de la recentralisation des crédits de l'aide médicale au profit de la couverture maladie universelle. Ce mouvement paraît d'autant plus justifié que la répartition des compétences avait été difficile et assez floue entre l'Etat et les départements. La justification d'un double guichet pour la couverture de base (la Sécurité sociale pour les uns ; les collectivités locales pour les autres) n'était jamais apparue avec évidence. En effet, la valeur ajoutée des collectivités locales n'existe aujourd'hui que par la couverture complémentaire. Les départements font simplement office de guichet pour ce qui concerne l'assurance de base. De plus, à partir du moment où l'aide sociale devient une prestation de sécurité sociale, plus rien ne justifie son maintien au niveau départemental.

On peut cependant s`interroger sur la légitimité de ce mouvement ou de celui qui l'a précédé. L'aide médicale a été confiée aux départements parce que, subsidiaire, elle est destinée à pallier les insuffisances des autres mécanismes de protection. Cependant, avec le temps, elle est devenue un transfert financier entre les collectivités locales et l'assurance personnelle pour la prise en charge des cotisations (3,7 milliards de francs en 1997) ; des prestations gratuites selon un barème avec un minimum légal au niveau du RMI ; certains départements y ajoutèrent une protection supplémentaire. Ce projet de loi transfère l'ensemble des dépenses, fait disparaître les transferts financiers et doit rendre inutile tout mécanisme supplémentaire. Il ne s'agit donc pas de la recentralisation de l'aide médicale mais de sa disparition, avec une recentralisation de ses crédits.

L'échelon local a perdu toute marge de manoeuvre pour la décision de l'admission à l'aide sociale, les commissions départementales ne jouant plus depuis 1992 qu'un rôle de dialogue et non de décision.

Les départements acceptent d'autant plus volontiers ce transfert des dépenses de l'aide médicale vers l'Etat que leurs dépenses ont fortement augmenté et qu'existent de fortes inégalités de traitement selon les collectivités, qu'il s'agisse du barème ou du règlement départemental d'aide sociale. Néanmoins, il s'agit d'un précédent dans les rapports entre l'Etat et les collectivités locales qui pourrait en appeler d'autres.

(2) ... et de la ressource : un transfert de la dotation globale de décentralisation

Le transfert des dépenses doit naturellement s'accompagner d'un transfert de recettes des départements vers l'Etat. Le choix du Gouvernement s'est arrêté sur la dotation globale de décentralisation qui a, justement, pour raison d'être la compensation de charges nouvelles crées par la décentralisation et non assumées par le transfert des ressources fiscales.

Le mécanisme retenu laisse aux départements la disposition de 5 % des montants consacrés au titre de l'aide médicale. Ces 455 millions de francs, sont censés représenter ce que les départements versaient indûment, à la place notamment des CAF (pour des raisons de complexité dans l'accession aux droits, notamment au titre du RMI). Les crédits de fonctionnement sont laissés aux départements.

(3) Les conséquences naturelles pour le RMI

Au titre du revenu minimum d'insertion, les départements ont l'obligation de consacrer à l'insertion 20 % du montant des allocations RMI versées par l'Etat. Or ils peuvent à concurrence de 3 % de ces montants imputer leurs dépenses sur celles d'aide médicale. La suppression de ces dernières privant les départements de cette faculté, le projet de loi ramène, dans son article 13, à 17 % du montant des allocations de RMI l'obligation d'insertion des départements.

c) Les modalités du transfert de la dotation globale de décentralisation

Le projet de loi retient, dans son article 13, un mécanisme parallèle à celui de 1984. Il s'appuie ainsi sur les dépenses effectives des départements, ramenées à la date du transfert, prévue au 1 er janvier 2000. Il s`agit donc des dépenses inscrites sur les comptes administratifs de 1997, revalorisées par le taux de progression de la dotation globale de fonctionnement pour les années 1997, 1998 et 1999. Le montant s'impute ensuite en soustraction sur la dotation globale de décentralisation prévue pour l'année 2000.

Ce mécanisme appelle plusieurs remarques.

Tout d'abord, il est permis de douter sérieusement de l'applicabilité au 1 er janvier 2000 de la loi portant création de la couverture maladie universelle. Il faudrait alors revoir la date du transfert de la dotation globale de fonctionnement, et donc ses modalités de calcul pour l'année entamée.

Ensuite, le taux de progression affecté aux dépenses d'aide médicale est celui de la dotation globale de fonctionnement, alors que les deux variables n'ont pas de lien. Rien n'indique que pour tous les départements les dépenses d'aide médicale pour 1998 et 1999 aient augmenté aussi vite que la dotation globale de fonctionnement.

La simplicité du mécanisme promu par le Gouvernement et retenu par l'Assemblée nationale est donc porteur d'inégalités, et surtout d'une très forte insécurité juridique pour les départements.

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