C. LE RISQUE TOUJOURS PRÉSENT D'UN " DÉVOIEMENT " DE L'AAH

Comme on l'a vu, l'AAH représentera dans le budget pour 2000 une charge de 25,5 milliards de francs au budget de l'Etat.

La progression constante de l'AAH au cours de ces dernières années conduit à s'interroger sur le respect par les COTOREP de l'esprit dans lequel le dispositif a été créé.

1. Les multiples explications d'une croissance très soutenue

Dans son rapport rendu en janvier dernier, l'IGAS a constaté que le coût de l'AAH avait progressé de 25 % entre 1990 et 1997 : 2,5 % à 3 % de nouveaux bénéficiaires entrent chaque année dans le dispositif, ce qui paraît difficile à expliquer dans la mesure où la population atteinte d'un handicap ne devrait pas augmenter indéfiniment.

Années

Bénéficiaires
en milliers

Evolution
en %

Dotation budgétaire (1) en milliard de francs

1990

539

2,8

15,1

1991

552

2,5

15,9

1992

563

3,1

16,6

1993

583

2,5

17,9

1994

597

2,4

18,7

1995

617

3,3

20,1

1996

630

2,1

21,5

1997

649

2,9

22,4

1998

668

2,8

23,4

(1) compte tenu des modifications budgétaires en cours d'année.

A cela, on peut apporter trois explications dont l'une est particulièrement préoccupante.

•  Tout d'abord, la difficulté accrue pour les handicapés d'entrer sur un marché du travail , lui-même insuffisant au cours de ces dernières années, explique que beaucoup plus de handicapés soient sans ressources.

Ce constat peut notamment trouver son explication dans la dégradation de la situation économique, le chômage touchant particulièrement les personnes handicapées, déjà fragilisées dans leur vie quotidienne par le handicap. Or, la situation de chômage donne lieu, en application de la réglementation, à des abattements ou à la neutralisation des ressources, ce qui permet de faire rentrer de nouvelles personnes dans le champ de la prestation ou de leur donner une différentielle d'AAH qui se rapproche davantage du taux plein.

Il faut également signaler l'afflux des personnes frappées par le SIDA au début des années quatre-vingt.

La nécessaire prudence en matière d'appréciation
de l'évolution des maladies chroniques

Dans son avis de l'année dernière, votre rapporteur avait appelé l'attention sur la nécessité d'interpréter avec prudence la situation des malades du SIDA titulaires de l'AAH lorsque ces derniers bénéficient des progrès de la trithérapie.

Une circulaire n° 99-937 du 7 juillet 1999 a apporté des précisions sur les modalités d'évaluation de l'incapacité en cas d'évolution d'une maladie chronique.

Il est précisé que même si la personne à des déficiences associées situées dans des chapitres différents du guide-barème pour l'évaluation des déficiences et incapacités des personnes handicapées, l'approche de sa situation doit rester " globale " ; " il ne convient pas d'additionner purement et simplement les pourcentages " de chaque déficience fixée dans ce guide-barème.

Il est rappelé la nécessité de tenir compte des conséquences des déficiences sur la vie quotidienne des intéressés, y compris celles liées au traitement. Ces difficultés n'étant pas, pour un même diagnostic et un même traitement, identiques d'une personne à l'autre, une approche individualisée de leurs situations doit être mise en place. Pour ce faire, il est recommandé de sensibiliser les équipes soignantes à la nécessité de fournir tous les éléments nécessaires à une rapide instruction du dossier.

Par ailleurs, afin d'éviter les malentendus, les membres de l'équipe technique, tout particulièrement les médecins dans le cas de maladies chroniques (Sida, hépatite C), sont invités à recevoir, à chaque fois que possible, la personne pour laquelle sera proposée, à la commission technique d'orientation et de reclassement professionnel (COTOREP), une décision de rejet afin de s'assurer qu'aucun élément n'a échappé à l'analyse et d'expliquer la position de l'équipe technique.

Si l'évolution de la pathologie chronique conduit à une amélioration de la santé de la personne, le taux ou les prestations accordées peuvent être révisés à la baisse. Dans ce cas, surtout si le taux devient inférieur à 80 %, il est recommandé de " bien évaluer les conséquences des décisions et d'examiner (...) les possibilités concrètes de retour à l'emploi ".

Votre rapporteur souligne à nouveau que les décisions de rejet doivent être prises avec précaution dans la mesure où le dispositif de l'AAH ne présente pas suffisamment de souplesse pour permettre des " allers et retour " rapides en cas de rechute ou d'effets collatéraux du traitement.

Ainsi, une personne malade du SIDA peut bénéficier de l'AAH dès lors qu'elle est reconnue handicapée par la COTOREP qui apprécie, sous réserve du contrôle ultérieur éventuel du juge, d'une part le taux d'incapacité, d'autre part la possibilité, compte tenu du handicap, de se procurer un emploi.

Par circulaires des 29 septembre 1994 et 25 août 1997, l'attention des COTOREP a été appelée sur la nécessité d'accélérer les procédures d'attribution des avantages et prestations sociales accordés aux adultes handicapés, pour les personnes atteintes par le virus VIH ou présentant une affection évolutive grave. Ces circulaires ont pour but de réduire à deux mois au maximum le délai entre la demande de la personne concernée et la perception effective des prestations auxquelles elle peut prétendre.

•  Le deuxième phénomène noté par l'IGAS tient au fait que le dispositif est encore récent à l'échelle d'une vie : beaucoup de personnes handicapées sont entrées jeunes dans le dispositif et elles sont appelées à y demeurer encore longtemps, surtout lorsque leur handicap est supérieur à 80 %.

Surtout, l'examen des relevés statistiques du régime général fait apparaître une forte inertie dans la structure des bénéficiaires. Ainsi, près de la moitié des allocataires ont moins de quarante ans. De l'âge peu élevé des bénéficiaires découle un effet mécanique, qui est la permanence dans le bénéfice de la prestation.

Le caractère relativement récent à l'échelle d'une vie (moins de 25 ans) explique le peu d'ampleur du flux des sorties. Ceux qui sont entrés jeunes dans le dispositif en 1975 ont aujourd'hui en moyenne 45 ans, tandis que chaque année de nouvelles vagues de demandeurs se présentent devant les COTOREP. Même à supposer constante la proportion de personnes handicapées dans la population, il y a donc un phénomène d'accumulation. Mais, au-delà de ce phénomène, il faut se demander si la notion de handicap ne se modifie pas.

•  Mais le point le plus regrettable, selon votre rapporteur, est la confusion qui existe entre un dispositif qui vise à compenser un handicap et le fait que celui-ci apparaisse aussi comme une prestation de compensation , en substitution de revenus professionnels, particulièrement protectrice et durable.

De fait, l'AAH est souvent attribuée, non en raison d'un handicap physique ou mental irréversible, mais pour tenir compte d'une " inadaptation sociale " dont le diagnostic repose sur des psychiques plutôt que sur un handicap mental.

Le rapport de l'IGAS fait ainsi état d'un certain phénomène de substitution entre l'AAH et le RMI : les bénéficiaires du RMI constituaient 17 % des entrants de plus de 25 ans à l'AAH en 1996.

L'instauration du RMI en 1998 n'a pas eu pour effet le basculement de certains bénéficiaires de l'AAH dans le champ du RMI . Dans un tel contexte, la phase d'instruction du RMI a pu, à l'inverse, être un facteur déclenchant de l'orientation vers la COTOREP et donc de l'attribution de l'AAH, notamment au titre de l'article L. 821-2 du code de la sécurité sociale (personnes atteintes d'un handicap au moins égal à 50 % et dans l'impossibilité, reconnue par la COTOREP, de se procurer un emploi).

18,8 % des demandeurs font état de déficience intellectuelle et 24,2 % de troubles du psychisme. Or, s'agissant de cette dernière catégorie, seuls 22 % des demandes sont rejetées alors que le taux de rejet est de 55 %, soit plus de la moitié, pour les personnes présentant un déficience de l'appareil locomoteur.

Le risque est que l'AAH soit alors conçue comme une sorte de RMI " consolidé " , ce qui constitue un dévoiement du dispositif , d'autant plus que les structures de réinsertion pour les personnes handicapées ne présentent pas les mêmes caractéristiques que celles qui s'avèrent efficaces auprès des personnes en situation de difficulté économique .

Certaines associations s'inquiètent en outre que la notion du handicap ne soit ainsi élargie et dénaturée.

2. Les dysfonctionnements des COTOREP

Les commissions techniques d'orientation et de reclassement professionnel (COTOREP) sont au coeur du dispositif d'attribution de l'AAH.

Pour apprécier l'incapacité, les COTOREP se réfèrent au guide-barème annexé au décret n° 93-1216 du 4 novembre 1993. Basé sur les concepts proposés par l'organisation mondiale de la santé, ce guide-barème s'appuie sur la notion de déficience, c'est-à-dire des pertes de substance ou des altérations d'une structure ou d'une fonction psychologique, physiologique ou cognitive. La déficience peut être provisoire ou définitive ; elle peut être congénitale ou acquise.

Ce guide ne repose pas sur l'application d'un taux à chaque lésion, mais sur la prise en compte des difficultés que la déficience engendre dans la vie quotidienne.

En conséquence, toute personne peut bénéficier de l'AAH dès lors qu'elle est reconnue handicapée par la COTOREP qui apprécie, sous réserve du contrôle ultérieur éventuel du juge, d'une part le taux d'incapacité, d'autre part la possibilité, compte tenu du handicap, de se procurer un emploi.

Ce rapport d'enquête de l'IGF et de l'IGAS sur l'AAH présente un certain nombre de dysfonctionnements :

- l'attribution de l'AAH étant de nature principalement médical, le caractère collégial des décisions d'attribution de l'AAH apparaît largement comme une fiction ;

- la coordination est faible en matière d'échanges d'informations entre CAF et COTOREP. Il n'existe pas de contrôle informatisé systématique entre les fichiers des CAF des CPAM et des COTOREP pour contrôler les limites de cumul en matière d'invalidité ;

- les médecins vacataires des COTOREP, face au nombre important de dossiers à traiter, sont très largement conduits à se reposer sur les dossiers transmis par le médecin traitant. Face à la pression de la demande, le processus de décision apparaît peu encadré.

- l'attribution de l'AAH fait l'objet de fortes disparités départementales : plus le nombre de dossiers traités par rapport à la population est élevé, plus les COTOREP reconnaissent des taux d'incapacité supérieurs à 80 % accentuant le bénéfice de l'AAH.

En revanche, plus le taux de chômage est élevé dans le département ou plus le pourcentage d'allocataires du RMI est important, plus les COTOREP reconnaissent des taux d'incapacité compris entre 50 % et 79 %.

Il manque en réalité une vraie structure de coordination des COTOREP qui fonctionnent indépendamment les unes des autres et attribuent l'AAH dans la plus grande diversité.


Au cours de l'audition en commission, il a été précisé que les COTOREP devaient faire l'objet d'un effort " important " par la création de 20 emplois budgétaires et la mise en place de 9 millions de francs de crédits de vacation.

En fait, le dispositif des COTOREP appelle aujourd'hui une réforme plus fondamentale.

Les disparités départementales doivent être atténuées en donnant plus de cohérence aux évaluations faites par les organismes qui doivent être constitués en un réseau mieux coordonné s'appuyant sur des doctrines et des pratiques homogènes.

Dans l'exercice de leur mission, les COTOREP doivent être recentrées sur leur mission médicale et médico-sociale visant à la constatation des compensations nécessitées par des handicaps irréversibles qu'ils soient physiques ou mentaux ou par des maladies invalidantes et de longue durée.

Les COTOREP doivent être mises en mesure de jouer un rôle de veille, de recueil d'informations et d'indicateur en matière de handicap qui permette aux pouvoirs publics d'ajuster leur dispositif et de mieux prévoir les évolutions. Cela suppose une amélioration des systèmes informatiques et une communication plus efficace avec les caisses d'assurance maladie et les CAF.

Enfin, au-delà du rôle de contrôle, et sans se substituer aux organismes d'insertion sociale, les COTOREP doivent fournir un appui, un conseil et un soutien à la personne handicapée qui doit pouvoir être aidée à choisir un projet de vie qui lui soit personnel.

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