CHAPITRE V

RÉDUCTION DES DROITS SUR LES DONATIONS DANS LES ZONES D'AMÉNAGEMENT DU TERRITOIRE

ARTICLE 7

Réduction de droits pour les donations anticipées d'entreprises dans les zones économiquement fragiles

Comme le rappelait le Conseil des impôts dans son rapport au Président de la République de 1994 consacré à la fiscalité des entreprises, les transmissions à titre gratuit d'entreprises peuvent se révéler fiscalement prohibitives si elles ne sont pas anticipées.

Compte tenu du barème élevé des droits de mutation à titre gratuit 4 ( * ) , les droits dus en cas de donation ou de succession de biens professionnels peuvent en effet constituer une contrainte fiscale sérieuse, préjudiciable au développement de l'entreprise qui devra en supporter la charge.

Parmi les 5.000 entreprises de plus de 9 salariés qui changent de propriétaire chaque année, une transmission sur trois aboutit à un échec, rappelle ainsi Francis Grignon dans son rapport sur la présente proposition de loi. Le rapporteur de la Commission des affaires économiques souligne fort opportunément que la mauvaise préparation des transmissions constitue un facteur aggravant.

Aussi, des atténuations sont-elles prévues pour ne pas pénaliser les transmissions d'entreprises, à condition que ces mutations soient anticipées.

Le présent article propose d'aller encore plus loin pour les transmissions des entreprises localisées dans les zones les plus fragiles du territoire.

I.  RAPPEL DU DROIT EN VIGUEUR

En tant que gardien de la Constitution, le Conseil constitutionnel s'est opposé jusque récemment à l'institution de mesures fiscales dérogatoires en faveur des transmissions de biens professionnels. L'argument invoqué est que la fiscalité ne doit pas influencer la composition des patrimoines et ne pas privilégier certains héritiers aux dépens d'autres.

Le Conseil a ainsi déclaré contraire à la Constitution l'article 9 de la loi de finances pour 1996 qui tendait à diminuer de moitié (dans la limite de 100 millions de francs) les droits de mutation dus à l'occasion de la transmission par un ou plusieurs donateurs de moins de 65 ans de biens considérés comme des biens professionnels, à condition que les donataires conservent pendant cinq ans les biens transmis. Le Conseil a en effet estimé que l'avantage consenti était " de nature à entraîner une rupture de l'égalité entre les contribuables pour l'application du régime fiscal des droits de donation et de succession " .

Pour contourner cette difficulté, le législateur a d'abord prévu un régime général de réduction des droits de mutation en faveur des transmissions anticipées, quels que soient les biens transmis.

Ainsi, toutes les donations bénéficient d'une réduction de droits de mutation à titre gratuit de 50 % lorsque le donateur est âgé de moins de 65 ans et de 30 % lorsqu'il a entre 65 et 75 ans 5 ( * ) (article 790 du code général des impôts). De plus, pour encourager les chefs d'entreprise âgés à passer le relais, la loi de finances pour 1999 a prévu, à l'initiative du Sénat, que la réduction de 30 % serait appliquée sans limite d'âge pour les donations effectuées entre le 25 novembre et le 31 décembre 1999. Cette mesure de faveur a été prolongée, toujours à l'initiative du Sénat, jusqu'au 30 juin 2001.

Puis, très récemment, revenant sur la position très hostile qu'ils avaient exprimée en décembre 1995 à l'encontre d'un régime fiscal de faveur pour les transmissions d'entreprises, les députés ont, contre toute attente, introduit un amendement au projet de loi de finances pour 2000, fortement inspiré de l'article 9 précité de la loi de finances pour 1996, tendant à prévoir un régime particulier pour les biens professionnels. Certes, cet article 6 ( * ) ne concerne que les transmissions d'entreprises par décès et non les donations, mais il n'en a pas moins recueilli l'assentiment du Conseil constitutionnel alors qu'il réduit de moitié les droits de mutation.

Pour faire bénéficier ses héritiers de cet avantage, le défunt doit préalablement avoir pris la précaution de conclure un " engagement collectif de conservation " ou " pacte d'actionnaires " avec d'autres associés de son entreprise tendant à assurer la stabilité du capital de ladite entreprise pendant une durée de seize ans. L'octroi de l'abattement de 50 % est par ailleurs subordonné à la condition que l'un des associés ou l'un des héritiers, donataires ou légataires, assure une fonction de direction dans l'entreprise.

II.  LE DISPOSITIF PROPOSÉ

" Les incitations fiscales à la transmission d'entreprise devraient privilégier les opérations préparées et anticipées qui assurent mieux la pérennité de celle-ci. En effet, le problème essentiel de la transmission réside davantage dans le choix du meilleur repreneur possible - qui peut ou non se rencontrer dans le cadre familial - d'une entreprise rentable avec des perspectives de développement, que dans l'importance du coût fiscal attaché à une transmission à titre gratuit d'une entreprise sans réelle perspective d'avenir, quand bien même ce coût ne saurait être neutre. Dans cette perspective, l'anticipation de la transmission, qui permet à l'exploitant de choisir ce repreneur, paraît être le gage essentiel de sa réussite " .

Telles étaient les conclusions du Conseil des impôts dans son 13 ème rapport au Président de la République (1994) sur la fiscalité et la vie des entreprises.

C'est précisément ce que vise le présent article, dans les zones les plus fragiles du territoire, en augmentant sensiblement les réductions de droits de mutation dont peuvent bénéficier les donations de biens professionnels. On notera qu'à l'exception notable de l'avantage fiscal octroyé et du zonage prévu, le dispositif proposé est assez largement inspiré de l'article 9 de la loi de finances pour 1996, que le Conseil constitutionnel avait invalidé. Le texte est ainsi enserré dans une série de carcans qui visent à asseoir la légitimité de la mesure au regard des règles constitutionnelles.

1. Une disposition réservée aux donations de biens professionnels

Compte tenu de l'objectif poursuivi, le champ de la mesure se trouve de fait limité aux entreprises qui constituent pour leur propriétaire un véritable outil de travail.

A cet effet, il est proposé de se référer aux règles applicables en matière d'impôt de solidarité sur la fortune. Seront donc concernés par le nouveau dispositif les actifs ayant, pour la personne qui s'en dessaisit le caractère de biens professionnels au sens de cet impôt.

En conséquence, entrent dans le champ du nouveau dispositif :

les biens nécessaires à l'exercice, à titre principal, sous la forme individuelle, d'une profession industrielle, commerciale, artisanale ou agricole ;

les parts ou actions de sociétés soumises à l'impôt sur le revenu, lorsque la personne en cause exerce, dans cette société, son activité professionnelle principale ;

enfin, les parts ou actions de sociétés passibles de l'impôt sur les sociétés, lorsque leur propriétaire répond à deux conditions :

- il exerce dans la société une fonction dirigeante, lui procurant une rémunération qui représente plus de la moitié de ses revenus professionnels ;

- il possède directement ou par l'intermédiaire de son groupe familial une participation représentant 25 % des droits financiers et des droits de vote attachés aux titres émis par la société. Pour apprécier ce pourcentage, il est notamment tenu compte des titres détenus par l'intermédiaire d'une société interposée. En outre, ce pourcentage n'a pas à être respecté si la valeur des titres directement détenus par le redevable représente plus de 75 % de la valeur brute de son patrimoine.

En outre, afin d'éviter les opérations de circonstance tel l'achat d'une entreprise en vue de sa transmission immédiate à des héritiers, les biens professionnels transmis doivent avoir été détenus depuis au moins cinq ans par leur propriétaire, ce qui constitue une sécurité complémentaire.

Le paragraphe b) définit ensuite la notion de contrôle de l'entreprise. Il s'agit d'une condition essentielle dans un dispositif dont l'objectif est d'inciter à la transmission du contrôle de l'entreprise. Le texte distingue entre les entreprises individuelles et les sociétés par actions.

Dans le premier cas, la donation devra porter sur la pleine propriété de plus de 50 % des biens affectés à l'exploitation de l'entreprise individuelle. Dans le second, elle devra porter sur des parts ou des actions dont la détention confère directement ou indirectement au donataire la majorité des droits de vote attachés aux parts ou actions émises par la société dans toutes les assemblées générales.

En d'autres termes, la notion de contrôle se concrétise par une règle uniforme : une participation majoritaire en pleine propriété.

En outre, il est précisé que pour l'appréciation du seuil de transmission, il est tenu compte des biens de l'entreprise, parts ou actions de la société reçus antérieurement à titre gratuit par le donataire et qui lui appartiennent au jour de la donation. Cette clause a pour objet de ne pas pénaliser les chefs d'entreprise qui souhaitent procéder par étapes ou qui se sont engagés dans un processus de transmission avant la mise en place du présent dispositif.

2. Une réduction substantielle des droits de mutation

Pour les donations qui portent sur les biens répondant aux conditions précitées, le présent article prévoit d'augmenter assez significativement le taux de réduction des droits de mutation prévu par le droit commun pour les donations anticipées :

- les donations consenties par des donateurs âgés de moins de 65 ans bénéficieraient ainsi d'une réduction de droits de 70 % (contre 50 % dans le droit commun) ;

- celles consenties entre l'âge de 65 et de 75 ans bénéficieraient d'une réduction de droits de 50 % (contre 30 % dans le droit commun) ;

- enfin, toute donation effectuée au delà de 75 ans bénéficierait d'une réduction de droits de 30 % (dans le droit commun, cette réduction prendra fin le 30 juin 2001).

Le texte précise toutefois que la réduction est limitée à dix millions de francs , sans qu'il soit toutefois aisé de déduire si ce plafond s'applique à l'assiette des droits de mutation ou s'il s'agit du montant maximal de réduction de droits susceptible d'être octroyé. La logique voudrait qu'il s'agisse d'un plafonnement de l'assiette, c'est-à-dire de la valeur de l'entreprise pouvant bénéficier du taux réduit. Ainsi, une entreprise d'une valeur de quinze millions de francs ne pourrait bénéficier d'une réduction de 70 % des droits de mutation qu'à concurrence de dix millions de francs. Au delà, la réduction de droit commun de 50 % s'appliquerait. Il convient toutefois de le préciser dans le texte de la proposition de loi afin de dissiper toute ambiguïté. Votre rapporteur pour avis vous proposera un amendement en ce sens.

Pour l'appréciation de cette limite, il est en outre prévu que la règle du non rappel fiscal des donations de plus de dix ans ne peut être invoquée.

En contrepartie de l'avantage fiscal consenti, et pour justifier une telle différence de traitement par rapport aux autres héritiers, donataires ou légataires, le donataire des biens professionnels transmis sous le régime prévu par le présent article devrait personnellement exercer une fonction dirigeante au sein de l'entreprise transmise pendant au moins cinq ans. Cette condition tend à faire droit à la principale objection 7 ( * ) formulée par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 95-369 du 28 décembre 1995 relative à l'article 9 de la loi de finances pour 1996.

On notera toutefois qu'elle conduit dans les faits à réserver le bénéfice de la réduction majorée de droits à un seul donataire, à l'exclusion donc des autres donataires potentiels de l'entreprise, ce qui peut s'avérer fortement douteux au regard de l'égalité des héritiers devant la loi fiscale. Votre commission pour avis vous proposera une nouvelle rédaction du paragraphe c) du présent article tendant à substituer à cette condition une double condition :

- que chacun des donataires prenne l'engagement de conserver les biens ou droits transmis pendant au moins cinq ans ;

- que l'un des donataires prenne l'engagement dans l'acte de donation d'exercer personnellement et continûment une fonction dirigeante au sein de l'entreprise transmise, pendant au moins cinq ans.

3. Un champ d'application géographiquement restreint

Comme pour l'article premier de la présente proposition de loi créant les Fonds communs de placement de proximité, la majoration des taux de réduction des droits de mutations prévue par le présent article serait réservée aux donations d'établissements situés dans les zones d'aménagement du territoire, dans les territoires ruraux de développement prioritaire et dans les zones de redynamisation urbaine. Votre rapporteur renvoie au rapport de M. Francis Grignon pour la définition de ces zones.

Il peut arriver toutefois que certaines entreprises ne disposent que d'une partie de leurs établissements dans les zones précitées. Pour ces entreprises, un dispositif permettant de réserver le bénéfice de la majoration du taux de réduction des droits de mutation à la valeur des seuls établissements situés dans ces zones est prévu. Il s'inspire pour cela d'une disposition similaire de l'article 44 octies du code général des impôts relatif à l'exonération d'impôt sur les sociétés pour les établissements situés dans les zones franches urbaines, le principe étant que pour apprécier la valeur des différents établissements d'une entreprise, il convient de se référer à l'assiette de taxe professionnelle que l'entreprise déclare pour chacun d'eux.

En clair, si une entreprise ne dispose que d'un établissement dans l'une des zones visées, la valeur à prendre en compte pour le calcul des droits de mutation réduits devra être affectée du rapport entre les éléments de taxe professionnelle déclarés pour l'établissement situé dans la zone et l'assiette totale de taxe professionnelle de l'entreprise.

On peut s'étonner toutefois qu'aucune disposition n'oblige le ou les donataires à maintenir l'établissement dans la zone économiquement fragile que le présent article propose de renforcer. En l'absence d'une telle disposition, rien n'empêche les donataires d'une entreprise située dans une telle zone de bénéficier de l'avantage fiscal prévu puis de délocaliser le siège et les activités de l'entreprise aussitôt après, ce qui serait contre-productif par rapport à l'objectif poursuivi.

Votre commission des finances vous proposera en conséquence d'introduire une " clause de maintien " des activités sur place.

Au total, bien qu'elle approuve l'esprit d'une disposition tendant à faciliter les transmissions d'entreprise et à encourager les entrepreneurs âgés à passer le relais à de nouvelles générations, votre commission des finances tient à rappeler que beaucoup a déjà été fait pour alléger la fiscalité des transmissions d'entreprises, notamment à l'initiative du Sénat. C'est pourquoi elle craint que ce nouveau dispositif complexe et soumis à de nombreuses conditions soit finalement d'une portée relativement limitée.

Décision de la commission : votre commission vous propose de donner un avis favorable à l'adoption de cet article ainsi amendé.

* 4 Pour les transmissions en ligne directe ou entre époux, le barème est le suivant :

FRACTION DE PART NETTE TAXABLE TARIF APPLICABLE EN %

N'excédant pas 50.000 F 5

Comprise entre 50.000 et 75.000 F 10

Comprise entre 75.000 et 100.000 F 15

Comprise entre 100.000 et 3.400.000 F 20

Comprise entre 3.400.000 et 5.600.000 F 30

Comprise entre 5.600.000 et 11.200.000 F 35

Au delà de 11.200.000 F 40

Pour les transmissions en ligne collatérale ou entre non-parents, le barème est le suivant :

FRACTION DE PART NETTE TAXABLE TARIF APPLICABLE EN %

Entre frères et soeurs

N'excédant pas 150.000 F 35

Supérieure à 150.000 F 45

Entre parents jusqu'au 4 ème degré 55

Entre parents au delà du 4 ème degré et entre personnes non parentes 60

* 5 Initialement de 25 % et de 15 % pour les seules donations-partage, puis de 35 % et de 25 %, les taux de réduction ont été portés à 50 % et 30 % pour toutes les donations par la loi de finances pour 1999.

* 6 Devenu l'article 11 de la loi de finances pour 2000.

* 7 " En instituant un abattement de 50 % sur la valeur des biens professionnels transmis entre vifs à titre gratuit à un ou plusieurs donataires, à la seule condition que ceux-ci conservent ces biens pendant une période de cinq années, sans exiger qu'ils exercent de fonction dirigeante au sein de l'entreprise et en étendant le bénéfice de cette mesure aux transmissions par décès accidentel d'une personne âgée de moins de soixante-cinq ans, la loi a établi vis-à-vis des autres donataires et héritiers des différences de situation qui ne sont pas en relation directe avec l'objectif d'intérêt général ci-dessus rappelé ;

Dans ces conditions et eu égard à l'importance de l'avantage consenti, son bénéfice est de nature à entraîner une rupture de l'égalité entre les contribuables pour l'application du régime fiscal des droits de donation et de succession ".

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