AUDITION DE M. LOUIS FAVOREU,
PROFESSEUR À L'UNIVERSITÉ D'AIX-MARSEILLE III,
CO-DIRECTEUR DE LA REVUE FRANÇAISE
DE DROIT CONSTITUTIONNEL

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M. Louis Favoreu a souligné en préalable que le titre du texte transmis au Sénat présentait une certaine neutralité en visant l'expiration des pouvoirs de l'Assemblée nationale et non le rétablissement ou l'inversion du calendrier électoral.

Constatant que, dans les pays étrangers, les réformes constitutionnelles touchant aux institutions se révélaient rares, il a regretté le penchant français pour les réformes institutionnelles. Il a en effet jugé préférable de toucher le moins possible aux institutions, estimant que les conséquences de telles réformes étaient difficiles à prévoir.

Il a indiqué qu'il considérait depuis longtemps que le droit devait encadrer la vie politique et que la réforme des institutions ne devait pas être utilisée pour réaliser des " coups politiques ".

M. Louis Favoreu a salué à cet égard le rôle essentiel joué par le Conseil constitutionnel dans l'encadrement juridique de la vie politique, estimant qu'au-delà de la protection des droits et libertés fondamentales, le rôle du Conseil constitutionnel était de clarifier les données du débat politique et de faire en sorte que les décisions soient prises en toute connaissance de cause, comme l'ont montré récemment les décisions relatives à la contribution sociale généralisée et à l'écotaxe.

Il a rappelé que le Conseil constitutionnel serait saisi obligatoirement de la présente loi organique et pourrait être sensible à certaines observations effectuées au cours des débats parlementaires.

Il a mis en doute l'existence soudaine d'une conception gaullienne des institutions, imposant une inversion du calendrier, et dénié, en toute hypothèse, toute valeur normative à une telle conception.

M. Louis Favoreu a souligné que l'édifice conçu pourrait être ruiné par une dissolution, la Constitution prévoyant en pareil cas la tenue d'élections entre vingt et quarante jours après celle-ci. Il a observé que le Gouvernement n'avait pas pris la responsabilité de déposer un projet de loi, évitant ainsi l'examen du texte par le Conseil d'Etat et son adoption en conseil des ministres, sous la présidence du Président de la République.

Il a déclaré qu'il allait essentiellement s'attacher à montrer que la réforme entreprise allait à l'encontre de la jurisprudence du Conseil constitutionnel.

Evoquant les quatre décisions du Conseil constitutionnel sur des reports de dates d'élections, intervenues en 1990, en 1994 pour deux d'entre elles, et en 1996, il a souligné qu'elles concernaient la prorogation du mandat des membres d'assemblées locales, à savoir les conseils municipaux et les conseils généraux pour les trois premières et une assemblée territoriale d'outre-mer pour la dernière, mais que les enseignements que l'on pouvait en tirer s'appliquaient a fortiori à la prorogation du mandat de l'Assemblée nationale.

M. Louis Favoreu a observé que le Conseil constitutionnel avait à chaque fois validé la démarche tout en la subordonnant au respect de conditions strictes, à savoir le caractère exceptionnel et transitoire de la prorogation et l'existence d'une réelle justification. Il a noté que les motifs retenus par le Conseil avaient été par exemple : de favoriser la participation des électeurs, d'assurer la continuité de l'administration départementale, d'éviter la concomitance des élections avec une réforme sur le statut des élus, de permettre aux électeurs d'être mieux informés des conséquences de leur choix.

Observant que cette jurisprudence était évidemment transposable au cas d'une élection nationale, il a indiqué que le Conseil constitutionnel serait donc amené à exercer un véritable contrôle des motifs de la modification proposée alors qu'en doctrine, il avait été relevé que le début d'un tel contrôle avait été observé justement à propos des décisions précitées de 1990 et 1994.

M. Louis Favoreu a ensuite récusé l'idée selon laquelle le Conseil constitutionnel aurait donné, par avance, une justification à l'inversion du calendrier dans ses recommandations du 23 juillet 2000, et il a estimé que la seule préoccupation exprimée par le Conseil constitutionnel -à savoir le respect de la date-limite de présentation des candidats- pouvait être parfaitement satisfaite par une fixation de la date des élections législatives aux 3 et 10 mars et par une clôture des présentations pour l'élection présidentielle au 2 avril à minuit, pour une élection présidentielle fixée aux 21 avril et 5 mai. Il a remarqué que le 19 décembre 2000, à l'Assemblée nationale, le ministre de l'intérieur l'avait reconnu explicitement.

Soulignant qu'il n'y avait donc pas de justification technique et, en conséquence, pas de motif à l'inversion des élections, il a fait valoir que la seule motivation était d'ordre politique et qu'elle était plutôt floue, le contenu de " l'esprit des institutions " variant selon les interlocuteurs. Il en a conclu qu'il flottait un parfum de " détournement de pouvoir ".

M. Louis Favoreu a rappelé que certains avaient estimé que la proposition pouvait apparaître soit comme un coup de semonce en réponse à l'intervention du Président de la République lors de la crise de la vache folle, soit comme un instrument ayant pour objectif réel de favoriser l'élection de certains. Il a toutefois souligné que les résultats de l'inversion du calendrier étaient difficilement prévisibles selon les spécialistes.

Il a fait ressortir qu'un projet de loi, tels les quatre projets de loi précédents, aurait comporté un exposé des motifs clair permettant au Conseil constitutionnel d'exercer un contrôle, ce qui n'était pas le cas de la proposition de loi organique dont les motifs avancés restaient diffus, que ce soit le respect d'une logique institutionnelle de la Ve République ou la mise en cohérence avec la réforme du quinquennat.

Considérant qu'on ne pouvait pas modifier une loi organique sans justification précise ne reposant pas uniquement sur des supputations politiques, M. Louis Favoreu, sans préjuger d'une éventuelle annulation, a estimé que le Conseil constitutionnel pourrait être conduit à émettre de sérieuses réserves sur le texte après avoir exercé un contrôle des motifs comme il l'avait fait s'agissant de l'écotaxe.

En conclusion, M. Louis Favoreu a considéré que, dans un Etat de droit, les choix politiques devaient reposer sur des bases juridiques claires, ce qui n'était pas le cas en l'occurrence.

En réponse à M. Guy Allouche, qui avait regretté qu'il ne se soit pas prononcé sur la question des conflits entre les majorités présidentielle et législative et avait considéré qu'il semblait difficile de prêter aux personnalités de droite ayant soutenu la proposition l'intention de favoriser l'élection de M. Lionel Jospin, M. Louis Favoreu a estimé que la question de la légitimité présidentielle ou législative ne relevait pas du droit et que le soutien de diverses personnalités ne suffisait pas à donner une motivation constitutionnelle au texte.

A M. Christian Bonnet qui l'interrogeait sur l'esprit des institutions, M. Louis Favoreu a indiqué que cette notion n'avait pas pour lui de caractère juridique et que le Conseil constitutionnel s'y référait très rarement.

A M. Jean-Jacques Hyest qui s'était demandé si le texte ne tendait pas à transformer l'interprétation de la Constitution par l'intermédiaire d'une modification de la loi organique, M. Louis Favoreu a répondu que ce fait ne serait pas susceptible d'être sanctionné par le Conseil constitutionnel. Il a répété que les conséquences de la loi n'étaient pas prévisibles et qu'elle était sans motivation juridique.

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