II. LE PROJET DE LOI DE FINANCEMENT DE LA SÉCURITÉ SOCIALE POUR 2002 : « UNE AGRESSION CONTRE LA BRANCHE FAMILLE »20 ( * )

A. LES MESURES AFFICHÉES EN FAVEUR DES FAMILLES : L'ARBRE QUI CACHE LA FORÊT

Lors de la Conférence de la famille du 11 juin dernier, le Gouvernement a présenté le contenu de l'effort consenti en faveur des familles.

L'ensemble de ces mesures, dont l'une -le congé de paternité- est emblématique, entraîne en 2002 l'inscription d'une dépense supplémentaire dans les comptes de la branche estimé à environ 2,5 milliards de francs, somme à laquelle doit être ajouté 1,5 milliard de francs issu des réserves de la CNAF et destiné à l'alimentation, en 2002, du fonds d'investissement pour les structures d'investissement pour la petite enfance (FIPE).

Simultanément, et par une sorte de balancier, le Gouvernement prélève sur la branche 6 milliards de francs pour financer les majorations de pension, dépense liquidée et financée originellement par le FSV et affecte 5 milliards de francs au fonds de réserve des retraites. Le projet de loi de financement prévoit en outre l'annulation de 3 milliards de francs de créances détenues par la CNAF sur l'Etat au titre des 35 heures.

1. Les mesures en faveur des familles : une diversion de 4 milliards

a) Le congé de paternité : rattraper un retard sur nos voisins européens

1. Un retard sur nos voisins du Nord de l'Europe

L'année dernière, M. Paavo Lipoven, Premier ministre finlandais, alors jeune père, annonçait son intention de suspendre ses fonctions gouvernementales afin de profiter d'un congé de paternité d'une semaine.

Mais en ce domaine, seuls les pays nordiques ont véritablement mis en place des dispositifs incitatifs.

En Suède, le mois des pères « dady month », disent eux-mêmes les Suédois), témoigne d'une perception différente de la parentalité.

Dans ce pays qui n'offre pas de congé de maternité spécifique, père et mère disposent d'un long congé parental à se partager, indemnisé à hauteur de 80 % du salaire.

Depuis 1995, les pères sont tenus de s'arrêter au moins un mois, sous peine de perdre 30 des 365 jours de congé offerts entre la naissance et les 7 ans de l'enfant.

La Norvège offre, pour sa part, à ses habitants une formule extrêmement souple. A l'instar de la Suède, les congés parentaux sont répartis sur plusieurs mois, la rémunération variant, selon la durée du congé, entre 80 % (1 an) et 100 % du salaire (42 semaines).

Au Danemark, la loi organise les congés de parentalité, là encore, avec souplesse. Si la mère doit rester auprès de son enfant durant les 14 premières semaines, le père ayant droit à un congé de 15 jours dès la naissance, les parents bénéficient en sus de 10 semaines qui peuvent être partagées ou prises en totalité par l'un des deux.

Durant toute la durée du congé de « parentalité », le parent ayant suspendu son activité professionnelle est rémunéré à hauteur de 100 % du salaire pendant les 18 premières semaines et 60 % pour la période restante.

Ainsi qu'en témoigne l'expérience de ces pays, l'avancée modeste réalisée aujourd'hui par la France n'est qu'un premier pas pour rattraper le retard accumulé.

Combler cette lacune de notre politique familiale avait fait l'objet d'une tentative sénatoriale.

En effet, le chapitre III de la proposition de loi relative à la famille déposée en 1999 par MM. Jean Arthuis, Guy Cabanel, Henri de Raincourt et Josselin de Rohan, intitulé « Valorisation du rôle des pères », proposait une extension du congé parental pour inciter les pères à jouer un rôle plus actif dans la vie de famille et l'éducation des enfants.

2. Le texte du projet de loi : une architecture complexe

Lors de la Conférence du 11 juin dernier, le Premier ministre annonçait, en ces termes, la création du congé de paternité :

« Le Gouvernement a décidé de créer un congé de paternité. Avec les mères, les pères doivent pouvoir vivre pleinement l'événement que constitue une naissance, afin d'accueillir ensemble l'enfant dans les meilleures conditions. En s'ajoutant aux trois jours prévus par le code du travail, le congé de paternité, qui sera mis en place dès janvier 2002, permettra aux pères de disposer au total de deux semaines de congé. Le mode de calcul des indemnités journalières versées pendant cette période sera aligné sur celui du congé de maternité. Les dispositions législatives nécessaires seront soumises au Parlement à l'automne prochain, dans le cadre du projet de loi de financement de la sécurité sociale . »

Votre rapporteur s'interroge toutefois sur les modalités pratiques de sa mise en oeuvre.

Le texte du projet de loi prévoit la mesure pour les salariés du privé et du secteur public au sens large.

S'ajoutant aux congés légaux de naissance, le congé de 11 jours sera rémunéré à hauteur du plafond de la sécurité sociale (14.950 francs/mois). Au-delà, les salariés devront compter sur la générosité des entreprises. A ce titre, votre rapporteur souhaite ardemment que tous les salariés aient accès à ce congé et non seulement certaines catégories sociales ou professionnelles, et que n'en soient pas exclus, de fait, les cadres du secteur privé.

Comme le congé de maternité, la prestation relèverait de la branche maladie-maternité mais serait remboursée par la CNAF. Circonspect sur ce montage, votre rapporteur ne souhaite pas voir, demain, un gouvernement transférer la charge financière relative à la maternité sur la branche famille, pour alléger les comptes de l'assurance maladie.

L'Assemblée nationale a modifié le dispositif initial pour majorer la durée du congé en cas de naissance multiple.

3. Un impact financier sans doute surestimé

Prudent, le projet de loi de financement de la sécurité sociale ne précise par ailleurs pas le montant de la dépense que pourrait occasionner la création de ce congé de paternité.

Tout au plus, le document remis lors de la conférence de presse suivant la réunion de la commission des comptes de la sécurité sociale fait état d'une possible dépense de 700 millions de francs.

Dans son avis toujours bien informé, M. Jérôme Cahuzac 21 ( * ) écrit :

« le coût total du congé est évidemment difficile à établir. Il s'agit d'une nouvelle prestation, d'un nouveau droit. Or une variation d'1 % du nombre de bénéficiaires peut conduire à un coût ou une économie de près de 20 millions de francs. Cependant, des extrapolations peuvent être menées à partir du nombre de naissances, de la répartition de la population active et d'un taux d'utilisation analogue à celui des pays nordiques de 40 % pour les salariés et de 20 % pour les professions indépendantes. Le coût pourrait alors être de 700 millions de francs. »

Cette estimation semble fortement surévaluée pour plusieurs raisons.

En premier lieu, la tendance forte du Gouvernement est à créer des prestations emblématiques mais dont le coût financier est très faible. L'habitude paraît prise de surestimer le coût des mesures afin de gonfler l'annonce d'un effort en faveur des familles. Ainsi, l'expérience de l'allocation de présence parentale relève de cette surdimension : prévue initialement pour 10.000 allocataires, seules 1.000 personnes en bénéficiaient en juillet dernier, incitant d'ailleurs Mme Françoise Clergeau, rapporteur de l'Assemblée nationale, à proposer l'assouplissement du dispositif initial dans le présent projet de loi...

En second lieu, l'alignement sur les statistiques des pays du Nord semble prématuré. Notre pays ne relève pas de la même tradition. Les entreprises n'ont pas ici, même si des progrès sont probablement enregistrés tous les jours, l'implication dans la vie familiale des salariés qui est constatée dans les pays nordiques.

Or le succès de ce système repose sur un engagement des entreprises appelées à financer la portion de l'indemnité supérieure au plafond de la sécurité sociale. Ces dernières devront également apprendre à organiser ce congé, bien que, dans de nombreux cas, les jeunes pères ne soient pas aisément remplaçables. Ces évolutions requerront sans doute du temps, d'autant plus de temps que l'environnement économique des entreprises est aujourd'hui plus incertain.

En outre, le congé tel que prévu par la loi n'offre pas la même souplesse que dans les pays du Nord, notamment en Suède ou il peut être pris jusqu'à la septième année de l'enfant. En offrant moins de souplesse, le nombre de bénéficiaires pourrait diminuer d'autant.

En reconnaissant que le calcul de l'incidence financière d'une telle mesure n'est guère aisé la première année, votre rapporteur estime néanmoins surévaluée la budgétisation de 700 millions de francs annoncée.

b) Le FIPE II : une rallonge contrainte par la nécessité

1. Le FIPE I : un succès « cousu de fil blanc »

Dans un rapport d'information consacré au FIPE I 22 ( * ) , votre rapporteur a déjà indiqué les raisons pour lesquelles les crédits dévolus à ce fonds, relevant pourtant d'une démarche pluriannuelle, avaient été consommés très rapidement.

En effet, précédant la discussion parlementaire, le Gouvernement a donné des instructions pour qu'en amont, la CNAF procède à un recensement des projets, sondant ainsi le probable succès du fonds.

Le 13 septembre 2000, la commission de l'action sociale de la CNAF « se prononce favorablement sur les modalités opérationnelles de la mise en oeuvre du fonds d'investissement de la petite enfance présentées par les services ».

Le 29 septembre 2000, le directeur de l'action sociale a adressé une lettre-circulaire décrivant les modalités d'éligibilité au fonds.

Après quatre jours d'existence, le 4 janvier 2001, le fonds était déjà engagé à hauteur de 840 millions de francs pour 997 projets. Au 30 mars 2001, l'engagement portait sur 1.311 dossiers soit 1,2 milliard de francs de dépenses. La plupart des projets étaient déjà « ficelés »  avant toute décision officielle.

Lors de leur rencontre avec votre rapporteur, en mai dernier, les représentants de la CNAF ont déclaré faire face à plus de 2 milliards de francs de demandes.

Lors de son audition par votre commission des Affaires sociales, le 17 octobre dernier, Mme Nicole Prud'homme, présidente de la CNAF, a confirmé ce constat en ces termes : « La première tranche de 1,5 milliard de francs s'était révélée insuffisante puisqu'aujourd'hui 500 millions de francs restaient nécessaires pour faire face aux demandes ».

2. Le FIPE II sur les traces du FIPEI

La précipitation dans laquelle fut conduite l'attribution des crédits du FIPE I a exclu, de fait, de nombreux dossiers.

En conséquence, le Gouvernement a annoncé, lors de la Conférence de la famille du 11 juin dernier, l'ouverture d'une nouvelle tranche de crédit pour 1 milliard de francs.

En définitive, le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2002 prévoit un abondement de 1,5 milliard de francs.

Selon le dossier de presse diffusé lors de la Conférence de la famille, la procédure en vigueur pour 2001 est partiellement reconduite pour le FIPE II, à savoir « un appel à projet limité dans le temps (date butoir fixée en concertation avec les associations d'élus locaux ) »

Néanmoins, ce dossier précise « Au vu du bilan du premier fonds, la procédure sera revue avec la CNAF et un effort particulier sera fait en direction de l'accueil des 2-3 ans et du soutien à l'accueil de qualité ».

Souhaitant voir dans cette précision un écho aux observations figurant dans son rapport d'information, votre rapporteur affirme qu'au vu des défauts constatés lors de l'ouverture du FIPE I, les mêmes difficultés seraient à prédire au FIPE II en l'absence d'une évolution substantielle des procédures.

En outre, les problèmes comptables que ce type d'action engendre 23 ( * ) ne sont pas aplanis puisque le mécanisme de l'année dernière, transferts d'excédents n-2, est reconduit par le présent projet de loi sur ce point.

c) La mise en oeuvre de la convention d'objectif et de gestion (COG) 2001-2004 nécessite une augmentation du FNAS de 1,6 milliard de francs en 2002

1. La nouvelle COG : 6 milliards de francs sur 4 ans en faveur de l'action sociale

Le 3 juillet 2001, la CNAF et l'Etat ont signé une deuxième convention d'objectif et de gestion s'étendant sur la période 2001-2004.

Les objectifs fixés par cette convention sont de :

- mieux répondre aux attentes des usagers en ayant pour préoccupation première la qualité et la personnalisation du service rendu aux allocataires ainsi que l'adaptation au contexte local ;

- améliorer l'efficacité et le positionnement des CAF comme acteurs du social grâce à des liens renforcés avec les partenaires.

Dans le cadre de cette convention, la CNAF a donc pris, vis-à-vis des allocataires et de ses partenaires, un certain nombre d'engagements.

Objectifs de la CNAF à l'égard de ses partenaires

Vis-à-vis des Allocataires

Vis-à-vis des Partenaires

Faciliter l'accès aux droits, mieux accueillir et mieux informer les allocataires, garantir la qualité du traitement et l'exactitude des droits, traiter rapidement les demandes et assurer la régularité et la continuité des paiements.

Être plus accessible, faire bénéficier les usagers de leurs droits, renforcer le partenariat et partager nos connaissances sur les besoins sociaux.

Source : CNAF.

La nouvelle COG confirme en outre les principes de l'action sociale, déjà cités plus haut :

- sa dimension familiale avec une prise en compte particulière des familles en difficulté ;

- son rôle préventif qui vise à favoriser la participation des familles aux projets les concernant ;

- sa complémentarité avec les prestations légales et les autres politiques sociales ;

- son caractère décentralisé qui permet à chaque conseil d'administration de définir, dans le cadre des orientations nationales, des interventions au plus près des besoins sociaux.

Ensemble, la CNAF et l'Etat se sont accordés sur les priorités suivantes :

l'accueil des jeunes enfants :

- créer 8.000 places d'accueil par an ;

- mettre en oeuvre une prestation de service unique.

- atteindre un taux de couverture d'un relais assistant maternel pour 500 bénéficiaires d'AFEAMA.

les loisirs et les vacances des enfants et des familles :

- développer des contrats temps libre à 50 % des 6-16 ans ;

- soutenir les vacances familiales par une action complémentaire aux bons-vacances.

l'accompagnement des familles par le biais de la médiation parentale.

Les moyens mis à la disposition de la CNAF pour mener à bien ces objectifs s'élèvent à 6 milliards de francs sur quatre ans.

2. En 2002, une première tranche de 1,6 milliard de francs sera disponible

Au regard des besoins financiers liés au fonctionnement des structures d'accueil petite enfance, la branche disposera de 1,6 milliard de francs supplémentaire en 2002.

L'augmentation des prestations de services, versées à « guichet ouvert » at soulevé une interrogation au sein du conseil d'administration de la CNAF : cette action, uniforme sur le territoire, ne relève-t-elle pas davantage de la prestation légale que de l'action sociale ?

* 20 Lettre de M. H. Brin, président de l'UNAF à propos de l'article 29 du présent projet de loi

* 21 Jérôme Cahuzac, Assemblée nationale, rapport n° 3319, p.98

* 22 Rapport d'information n° 382 (2000-2001) sur les fonds sociaux, Quatrième partie Le fonds d'investissement pour les crèches : les limites et les risques d'une opération ponctuelle

* 23 Cf. I - C ci-dessus et Tome IV du présent rapport - Examen des articles.

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