N° 174

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2001-2002

Annexe au procès-verbal de la séance du 16 janvier 2002

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des Affaires sociales (1) sur le projet de loi, ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE APRÈS DÉCLARATION D'URGENCE, relatif aux droits des malades et à la qualité du système de santé,

Par MM. Francis GIRAUD, Gérard DÉRIOT

et Jean-Louis LORRAIN,

Sénateurs.

(1) Cette commission est composée de : M. Nicolas About, président ; MM. Alain Gournac, Louis Souvet, Gilbert Chabroux, Jean-Louis Lorrain, Roland Muzeau, Georges Mouly, vice-présidents ; M. Paul Blanc, Mmes Annick Bocandé, Claire-Lise Campion, M. Jean-Marc Juilhard, secrétaires ; MM. Henri d'Attilio, Gilbert Barbier, Joël Billard, Jean-Pierre Cantegrit, Bernard Cazeau, Jean Chérioux, Mme Michelle Demessine, M. Gérard Dériot, Mme Sylvie Desmarescaux, MM. Claude Domeizel, Michel Esneu, Jean-Claude Étienne, Guy Fischer, Jean-Pierre Fourcade, Serge Franchis, Francis Giraud, Jean-Pierre Godefroy, Mme Françoise Henneron, MM. Philippe Labeyrie, Roger Lagorsse, André Lardeux, Dominique Larifla, Jean-René Lecerf, Dominique Leclerc, Marcel Lesbros, Mme Valérie Létard, MM. Jean Louis Masson, Serge Mathieu, Mmes Nelly Olin, Anne-Marie Payet, M. André Pourny, Mme Gisèle Printz, MM. Henri de Raincourt, Gérard Roujas, Mmes Janine Rozier, Michèle San Vicente, MM. Bernard Seillier, André Vantomme, Alain Vasselle, Paul Vergès, André Vézinhet.

Voir les numéros :

Assemblée nationale ( 11 ème législ.) : 3258 , 3263 et T.A. 705

Sénat : 4 (2001-2002)

Santé publique.

AVANT-PROPOS

Mesdames, Messieurs,

Votre commission des Affaires sociales ne peut que se réjouir de pouvoir débattre de questions de santé car l'ambition initiale des lois de financement de la sécurité sociale n'a pas été atteinte dans ce domaine. Tant le dispositif de ces lois que le rapport d'orientation qu'elles comprennent n'ont pas permis de poser la question : « Quels moyens pour quelle politique de santé ? » ni a fortiori d'y répondre.

Elle se réjouit également que le Gouvernement soit prêt aujourd'hui à débattre de dispositifs que le Sénat a déjà examinés sous la forme d'amendements ou de propositions de loi sans que le ministre au banc ni l'Assemblée nationale acceptent alors de nouer le dialogue.

Ainsi, le 28 mars 2001, lors de l'examen du projet de loi relatif à l'interruption volontaire de grossesse et à la contraception, le Sénat avait-il adopté un amendement disposant que « Nul n'est recevable à demander une indemnisation du seul fait de sa naissance » .

De même, le 26 avril 2001, le Sénat avait-il adopté une proposition de loi très complète relative à l'indemnisation de l'aléa médical et à la responsabilité médicale.

Enfin, le 9 mai 2001, avait-il adopté dans le cadre de l'examen du projet de loi de modernisation sociale un amendement améliorant le dispositif de formation continue des médecins.

Ces initiatives, toutes trois dues à M. Claude Huriet au nom ou avec l'avis favorable de votre commission des Affaires sociales, sont ou seront des éléments essentiels de la future loi relative aux droits des malades et à la qualité des soins.

Le Gouvernement avait jugé alors que le débat venait trop tôt.

De fait, le présent projet de loi annoncé en juin 1999 n'a été déposé qu'en septembre dernier.

Mais, à partir du moment où il se montre prêt à débattre, le Gouvernement n'entend pas que les choses traînent : le projet de loi a été examiné en séance publique à l'Assemblée nationale dès le 2 octobre 2001 et assorti immédiatement de l'urgence.

Votre commission déplore que, sur un texte de cette nature et de cette importance, une navette normale n'ait pas été recherchée. La « très large concertation » dont aurait fait l'objet le projet du Gouvernement ne dispense pas à l'évidence ce dernier de laisser au Parlement le temps d'en débattre de façon approfondie.

Votre commission, dont l'activité a été monopolisée tout au long de l'automne par le projet de loi de financement de la sécurité sociale et une série d'autres textes sociaux dont un projet proprement monstrueux de 224 articles, (projet dit de modernisation sociale), n'a pu procéder, dans les quelques jours de janvier avant l'examen du rapport, à toutes les auditions qui lui semblaient indispensables. Elle a dû renvoyer à ses rapporteurs le soin d'entendre les nombreux points de vue qui, en dépit de la « très large concertation » conduite précédemment par le Gouvernement, souhaitaient s'exprimer.

La diversité des dispositions du présent projet de loi ne justifie guère un long exposé général qui ne serait que le rappel fastidieux de la teneur de ses différents chapitres. Tout au plus, s'agit-il à ce stade de formuler quelques observations.

*

* *

Vos rapporteurs constatent, en premier lieu, que l'examen d'un texte sur « les droits des malades et la qualité du système de santé » se greffe sur des « fondamentaux » qui sont inquiétants.

Notre système de santé est d'abord menacé par la persistance de lourds déficits de l'assurance maladie. Il y a quelques semaines, à l'occasion de la discussion du projet de loi de financement de la sécurité sociale, votre commission a vivement condamné les prélèvements que le Gouvernement a opérés sur les recettes de cette branche de la sécurité sociale pour financer la coûteuse politique des trente-cinq heures.

Cette politique creusant les déficits de la branche et alourdissant son endettement demeure incompréhensible et rend illusoire toute action tendant à demander un quelconque effort de maîtrise des équilibres aux différents acteurs de notre système de santé, gestionnaires des caisses, établissements et professionnels de santé ou assurés sociaux.

Il n'est guère étonnant dans ce contexte que les relations des pouvoirs publics avec les professionnels de santé connaissent une crise particulièrement grave, dont témoigne le mouvement des généralistes.

Aujourd'hui le Gouvernement estime qu'il appartient à la CNAM de négocier. La démarche serait acceptable si elle ne s'inscrivait pas dans une politique qui a gravement affaibli le principe même de la gestion paritaire des caisses et qui a accru la confusion des responsabilités dans le domaine de l'assurance maladie.

La démarche serait compréhensible si elle n'intervenait pas quelques semaines après la promulgation de la loi de financement de la sécurité sociale qui comporte un objectif national des dépenses d'assurance maladie voté solennellement sinon par le Parlement, du moins par l'Assemblée nationale.

En quelque sorte, c'est un « projet relatif aux fondements et à l'organisation du système de santé » dont il aurait été prioritaire que le Parlement puisse débattre tant il est vrai que le premier droit du malade est de pouvoir accéder à un système de santé efficient.

*

* *

En dépit du retard, en dépit de l'urgence imposée, en dépit du contexte inquiétant dans lequel il s'inscrit, votre commission a souhaité, comme elle le fait toujours, aborder le présent projet de loi sans a priori avec la volonté d'améliorer le dispositif et de parvenir à un accord avec l'Assemblée nationale.

Se faisant l'écho des débats au sein de la commission, vos rapporteurs expriment toutefois une inquiétude quant à la tonalité d'ensemble du projet de loi dont le titre premier a pour ambition de rétablir l'équilibre dans la relation patient-médecin.

Or, à leurs yeux, c'est la confiance mutuelle sur laquelle repose cette relation si particulière qu'il importe avant tout de préserver, voire de rétablir.

Si l'on devait résumer l'essentiel de l'activité médicale, il conviendrait, en reprenant les mots du Professeur René Mornex, de rappeler qu'elle consiste à donner du bonheur à son prochain, soit en le rassurant, soit en le guérissant, en le soulageant ou en l'accompagnant. C'est bien ce qui se passe au cours de la relation privilégiée qui s'établit entre un souffrant et un soignant, la rencontre d'une confiance et d'une conscience dont témoigne le colloque singulier.

Le présent projet de loi, malgré sa volonté affirmée de rééquilibrer la relation patient-médecin, comporte en réalité le risque de créer un déséquilibre et de contribuer à la judiciarisation, déjà de plus en plus marquée, des relations entre patients et professionnels de santé.

Il n'est pas évident en effet que l'on puisse multiplier à l'infini les obligations faites aux professionnels sans risquer de déséquilibrer le système et de le dénaturer.

Respecter les droits du malade est à l'évidence un impératif ; mais il faut aussi tenir compte de la complexité de l'acte médical, dans lequel l'absence de risque n'existe pas, pour lequel le médecin se confronte, en conscience, à des choix commandés par des examens et des symptômes qui ne sont pas toujours convergents, et pour lequel il n'a qu'une obligation de moyens et non de résultats.

Il n'est d'ailleurs pas sans signification que, dans le présent projet de loi, l'affirmation d'un droit des malades ne s'accompagne pas, en miroir, de l'énoncé, sinon des « obligations », du moins des responsabilités des patients ou « usagers » afin d'accéder, comme cela est annoncé dans son exposé des motifs, à « un équilibre harmonieux des responsabilités entre les usagers, les professionnels, les institutions sanitaires et l'Etat ».

A cet égard, l'utilisation de la terminologie « usager du système de santé » , qui se substitue au « patient » ou au « malade » tend à accréditer l'idée que le système de santé ne serait, au fond, qu'un service comme les autres, comparable par exemple au service des transports.

Or, il y a, dans l'acte médical, dans la relation patient-malade, une spécificité irréductible que le projet de loi s'efforce trop souvent de nier.

L'acte médical ne saurait être assimilé à une simple prestation de services comme une autre.

L'analyse formulée par l'Académie de médecine dans son avis, adopté à l'unanimité le 9 octobre dernier, témoigne de l'inquiétude que suscite une telle évolution « De grands mots tels que « démocratie sanitaire », « droits fondamentaux de la personne », « responsabilité des usagers du système de santé » ne sauraient suffire à dissimuler l'inspiration de ce texte qui se veut le reflet de l'incontestable évolution qui marque en notre société la relation médecin-malade. Notre tradition humaniste est profondément ébranlée par l'évolution scientifique et technique de la médecine, qui conduit à des attitudes consuméristes vis-à-vis du médecin qui tend à devenir prestataire de services mais aussi par les récentes et nouvelles peurs qui conduisent à des revendications sécuritaires et indemnitaires ».

Votre commission a souhaité, sans bouleverser l'économie du texte, proposer un certain nombre d'amendements de principe qui témoignent de cette préoccupation.

Le titre premier du projet de loi comporte également un dispositif destiné à « aménager la procédure d'élaboration de la politique de santé de manière à mieux y associer la représentation nationale ».

Vos rapporteurs rappellent qu'il s'agit là d'une préoccupation ancienne de votre commission. Dans un rapport de juin 1999 1 ( * ) , elle avait formulé un double constat : la notion de priorité de santé n'a de sens que dans un cadre pluriannuel ; le rapport d'orientation annexé à la loi de financement de la sécurité sociale, à l'expérience, n'a pas permis de donner un « contenu en santé » au débat annuel sur les finances sociales.

Aussi proposait-elle que le Parlement puisse débattre à intervalles réguliers de lois d'orientation assorties de programmes pluriannuels de santé publique. Il appartiendrait à la loi de financement, chaque année, de prévoir les voies et moyens permettant la mise en oeuvre de ces programmes et au Parlement, à cette occasion, d'en vérifier l'état d'exécution et les résultats.

De fait, la proposition de loi organique, issue de ces travaux et déposée le 5 avril, relative aux lois de financement de la sécurité sociale 2 ( * ) , articule une telle architecture.

Force est de constater que le présent projet de loi, de par sa nature peut être de loi ordinaire, reste très en deçà d'une telle ambition.

Aussi vos rapporteurs ont-ils souhaité tout au moins :

- affirmer l'horizon pluriannuel des priorités de santé publique ;

- mieux distinguer l'expertise technique, qui est du ressort du Haut conseil de la santé, et la prise de décisions politiques en vue de la préparation du projet de loi de financement de la sécurité sociale, qui appartient au Gouvernement ;

- conserver au Parlement toute sa place dans le nouveau dispositif de santé publique : il ne peut être un acteur « passif » de la santé publique, intervenant seulement en aval ; il convient de lui donner la possibilité, par exemple, de saisir la Conférence nationale de santé et le Haut conseil de la santé ;

- donner un rôle majeur à un Haut conseil de la santé, aux missions élargies, outil d'expertise placé auprès des pouvoirs publics, organe chargé de l'évaluation annuelle de la politique de santé, s'appuyant notamment sur les travaux des conseils régionaux de santé.

De la même manière, pour le titre II, vos rapporteurs observent que, sous un intitulé ambitieux, les dispositions du présent projet de loi ne constituent pas, loin s'en faut, un programme cohérent d'amélioration de la qualité de notre système de santé. Elles apparaissent bien plus comme un catalogue de mesures disparates.

Certes, ces mesures sont souvent utiles et étaient, pour beaucoup, attendues.

Il serait toutefois illusoire d'y chercher les réponses de fond à la question de la nécessaire modernisation de notre système de santé.

Aussi, ce n'est sans doute pas un hasard si l'intitulé envisagé à l'origine pour le projet de loi, qui était « Modernisation du système de santé », a été finalement modifié. Ce glissement sémantique témoigne en définitive d'une révision à la baisse des objectifs initiaux. Vos rapporteurs le regrettent.

Quant au titre III consacré à la réparation des conséquences des risques sanitaires, vos rapporteurs se félicitent qu'il tente enfin d'apporter une réponse législative à la très délicate question de l'aléa médical et de son indemnisation.

Ils souscrivent donc largement à son économie générale tant il était nécessaire d'unifier et de stabiliser le droit applicable, d'origine essentiellement jurisprudentielle, en matière de responsabilité en cas d'accident médical et de définir un nouveau droit à indemnisation en cas d'aléa thérapeutique.

Il n'en reste pas moins que le dispositif proposé apparaît indéniablement complexe et présente certaines faiblesses et imprécisions qu'il importe de corriger.

*

* *

Enfin, prenant acte de la volonté du Gouvernement de poursuivre, dans le présent projet de loi, le débat sur l'arrêt Perruche, vos rapporteurs ont souhaité introduire un titre additionnel nouveau consacré à la « solidarité envers les personnes handicapées » .

A l'issue d'un débat particulièrement riche et d'une haute tenue, votre commission, à l'unanimité, a entendu clairement affirmer quatre principes :

- le droit, pour toute personne handicapée, quelle que soit la cause de sa déficience, à la compensation de celle-ci par la solidarité de la collectivité nationale ;

- l'absence de préjudice du seul fait de la naissance ;

- la confirmation du droit à réparation en cas de faute médicale ayant provoqué directement le handicap ;

- l'indemnisation du préjudice moral des parents d'un enfant né avec un handicap non décelé pendant la grossesse à la suite d'une faute caractérisée.

Votre commission souhaite que ces principes, fondés sur le respect des personnes handicapées et l'équité à l'égard des médecins, puissent rencontrer un large consensus.

* 1 Rapport d'information n° 433 (1998-1999) fait par M. Charles Descours, au nom de la commission des Affaires sociales.

* 2 Proposition de loi organique n° 268 (2000-2001).

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