F. AUDITION DE M. ETIENNE CANIARD, SECRÉTAIRE DU COMITÉ NATIONAL D'ORIENTATION DES ETATS GÉNÉRAUX DE LA SANTÉ

M. Nicolas ABOUT, président - Je suis heureux d'accueillir à présent M. Etienne Caniard, secrétaire du Comité national d'orientation des états généraux de la santé. Il est tout à fait naturel que notre commission vous entende puisque vous êtes en partie à l'origine de ce projet de loi. Je rappelle en effet que vous avez présidé un groupe de travail sur la place des usagers dans le système de santé, constitué à l'issue des états généraux de la santé qui se sont déroulés de l'automne 1998 à juin 1999. Le rapport de ce groupe de travail, rendu en mars 2000, insistait sur le besoin de donner une place aux usagers, aux niveaux national et régional, dans les établissements de santé, de leur permettre d'être partie prenante dans les orientations de la politique de santé, et de favoriser le débat public et l'information des citoyens.

J'aimerais donc que vous nous fassiez part des réflexions que vous inspire ce projet de loi et que vous nous indiquiez dans quelle mesure vous retrouvez dans ce texte les préoccupations exprimées par votre groupe de travail.

M. Etienne CANIARD - Merci monsieur le président. Mesdames et messieurs les sénateurs, je vous remercie de cette invitation à m'exprimer devant vous à l'occasion de l'examen par votre Assemblée du projet de loi « Droits des malades et qualité du système de santé ».

J'interviens davantage aujourd'hui pour le rôle que j'ai joué dans l'animation des états généraux et pour le rapport que j'en ai rendu que pour les autres mandats que je peux exercer dans le monde de la santé, notamment au sein de la Mutualité française.

L'intérêt premier que je vois dans ce projet de loi tient à son titre et à son articulation. Certains ont pu y voir un projet de loi trop ambitieux et nous avions eu un débat, dès les états généraux, pour savoir s'il fallait une loi portant droit des malades, ou s'il fallait y intégrer cette démarche dans un processus général d'amélioration du système de santé. C'est cette seconde voie qui a été choisie ; l'articulation entre les trois titres le montre bien, puisqu'il est question du droit des malades, individuel ou collectif, mais aussi de nombreux autres domaines. On peut se demander si les modifications sur l'organisation du système de soins sont à la hauteur des ambitions exprimées dans le titre I ? La question de l'indemnisation de l'aléa thérapeutique est aussi un signal fort en direction des usagers, potentiellement victimes, mais aussi des professionnels de santé, puisque cela concourt à une certaine clarification sur l'origine des accidents médicaux et permet de sortir de la seule recherche de responsabilité. A mes yeux, ce point essentiel mérite d'être souligné.

Si l'on s'intéresse à la première partie du projet, qui traite de la démocratie sanitaire, tient-elle compte du rapport que j'ai remis à Mme Gillot début 2000 ? La réponse est positive, même si j'y ajouterais un certain nombre de craintes qui ne sont pas liées à la rédaction du projet de loi, mais aux conditions de sa mise en oeuvre, et qui dépendront des intentions qui seront exprimées par le législateur au cours des débats, mais aussi des décrets qui suivront. Il est très important de comprendre que la réussite des ambitions contenues dans ce projet de loi dépendra de la bonne articulation entre droit individuel et droit collectif. Il a été très difficile de trouver un équilibre entre droits et devoirs, notamment s'agissant des droits individuels, dont on peut néanmoins dire qu'ils étaient en déséquilibre au détriment des malades. Disant cela, ce n'est pas une accusation portée au corps médical, mais le constat que pendant très longtemps, le médecin, à juste titre dépositaire de la santé de son malade, et qui mettait tout en oeuvre pour essayer de lui venir en aide, s'est assez peu interrogé sur le ressenti du malade, ou en tout cas s'est peu soucié d'associer le malade aux choix thérapeutiques mis en oeuvre. Cela tient peut-être au fait que la palette des possibilités thérapeutiques n'était pas aussi large que ce qu'elle est aujourd'hui, et, peut-être aussi, au fait que l'on est passé d'épisodes souvent aigus et de nature infectieuse à des pathologies chroniques, dans lesquelles le rôle du malade n'est évidemment pas le même.

Le texte proposé est davantage une réunion d'éléments qui existaient de façon éparse dans différents domaines. Ainsi, le fait que de nombreuses phrases figurant dans ce projet de loi sont tirées et transposées du code de déontologie. Ce passage est une appropriation par les malades de ce qui était une obligation pour les médecins, mais que les malades ne connaissaient pas forcément ; c'est une des façons de passer d'une position qui pouvait être vécue comme passive par les malades à une position d'acteur et de sujet de sa maladie. Même si l'on est là dans le domaine du symbole, le progrès est important.

Pour ce qui concerne les droits collectifs, j'ai toujours l'appréhension que l'affirmation des droits individuels se transforme peu à peu en l'affirmation d'une sorte de « consumérisme médical », qui ait pour conséquence une certaine déresponsabilisation, une exigence toujours plus forte, sans que l'on s'aperçoive qu'il y a des choix collectifs qu'il convient de prendre en compte. Il est important de reconnaître le rôle des associations dans ce domaine. Je m'interroge d'ailleurs sur le terme « représentant les usagers » qui est attaché à ces associations ; on y a souvent vu une représentation au même titre que celle des élus, c'est-à-dire une légitimité pour parler « au nom de », ce qui n'est pas le cas. Ces entités sont plutôt une forme d'organisation, de corps social intermédiaire, qui a un regard différent et qui permet de jeter sur le système un oeil qui n'est pas forcément celui du professionnel ou de l'institution, et qui permet de faire émerger un certain nombre de questions. Le fait de confier aux associations à la fois un rôle individuel dans les établissements de santé, mais aussi un rôle dans le débat public, est un bon moyen, au moins en théorie, pour équilibrer les deux soucis d'approche individuelle et d'approche collective, et pour éviter de sombrer dans un consumérisme médical excessif, qui privilégierait l'aspect individuel, ou au contraire de rester dans un débat public éthéré, coupé de la réalité, sur lequel un consensus se dégagerait facilement, mais qui serait aussitôt nié par les comportements individuels que nous pouvons avoir les uns et les autres.

Cette dimension, qui est fondamentale, nécessite aussi que l'on puisse structurer le mouvement associatif. De ce point de vue, le projet de loi apporte des éléments importants : une reconnaissance du rôle social, des possibilités de formation... Je crois qu'il faudra aussi veiller à donner au groupement associatif les moyens de se structurer, ce qui ne signifie pas nécessairement des financements individuels pour chaque association, mais peut-être en leur donnant les moyens de se structurer à un niveau supérieur, comme cela existe dans le monde de la consommation, avec le Conseil national de la consommation, qui permet effectivement aux associations bénéficiant d'un agrément de trouver recours auprès d'une structure nationale. Ce point est pour moi aussi important que la question de l'indépendance des associations ; il est clair que, s'agissant d'un mouvement naissant, en cours de structuration, il existe un risque d'instrumentalisation. Dans ce cadre, il est essentiel que les pouvoirs publics assument leur rôle.

Se pose ensuite la question de l'articulation des structures qui peuvent contribuer au débat public. S'il y a une relative unanimité pour réclamer davantage de partage dans les choix de santé, notamment pour les rendre plus acceptables une fois qu'ils sont déclinés sur le terrain, et même si nous disposons maintenant de l'expérience de quelques années de fonctionnement d'outils du type des conférences régionales de santé, nous ne sommes pas face à une construction stabilisée. On y introduit, soit des organismes nouveaux, comme le Haut Conseil de la Santé, soit des missions nouvelles, ce qui est le cas de la Conférence nationale de santé. Il est très important de veiller à l'articulation non seulement des missions de ces organismes, mais aussi des calendriers selon lesquels elles s'expriment. Une des critiques majeures que l'on peut aujourd'hui faire à ces organismes est d'être en grande coupure avec les débats parlementaires et de n'avoir pas permis de nourrir ces débats, notamment autour du projet de financement de la sécurité sociale, d'un contenu de santé publique, ce qui était pourtant l'intention des ordonnances de 1996.

M. Francis GIRAUD, rapporteur - Monsieur le président, monsieur Caniard, vous nous avez présenté votre contribution à ce projet de loi. Le ministre, dans sa présentation, a insisté sur plusieurs points, en dehors de cette novation de droit reconnu aux malades et du rôle joué par les usagers dans le système de santé. Il a en particulier évoqué l'équilibre de la relation de confiance entre un citoyen, malade ou non, et un professionnel de la santé. Si le discours que vous tenez sur la reconnaissance du droit des malades, dont vous dites très bien qu'il existait, mais qu'il est important qu'il soit formalisé, si vous insistez également, et vous avez raison, sur le fait que l'on a revisité le code de déontologie en mettant bien en exergue les obligations et les devoirs des professionnels de santé, ma question sera une question de fond, voire une question de philosophie. Dans le cadre de l'équilibre de la relation, pourquoi n'est-il jamais fait mention de la responsabilité du citoyen à côté de ses droits ? Cela tient-il à un oubli de la part du législateur ou bien votre groupe de travail n'a-t-il pas jugé utile de signaler aux pouvoirs publics l'importance de parler de la responsabilisation d'un citoyen dans un système collectif de santé ?

Je souhaite également vous soumettre deux questions techniques. Le projet de loi prévoit, dans son article 24, que la Conférence nationale de santé sera l'instance destinée aux débats publics permettant l'expression des citoyens sur des questions de santé ou d'éthique médicale. Est-ce la meilleure solution ? S'agissant de l'article 25, qui fait obligation aux conseils régionaux de santé d'organiser des débats publics sur les mêmes questions, ne risque-t-on pas d'aboutir à une parcellisation d'un débat national en 22 débats régionaux ? Comment contrôler le respect de cette obligation ?

M. Etienne CANIARD - Je crois que personne n'a oublié les devoirs des patients. Simplement, l'énorme difficulté est d'exprimer des devoirs individuels de la même façon que l'on peut exprimer des droits individuels. En matière individuelle, les devoirs sont ceux de tout citoyen, ils existent dès lors que l'on fréquente une structure collective. C'est par exemple la nécessité de suivre la réglementation de l'établissement hospitalier dans lequel on est hébergé. Peut-être aurait-il fallu l'écrire, mais cela me paraît tellement évident.

Lorsque le groupe de travail que j'ai animé a commencé ses réflexions, j'avais prévu de rencontrer de nombreuses associations de patients, parce que je pressentais des difficultés pour trouver un terrain d'entente sur la représentativité, sur leur rôle... Mais j'ai été très surpris à la fois par la maturité de leur réflexion ainsi que par la grande inquiétude des professionnels. La principale difficulté qu'il a fallu surmonter a été de convaincre que l'affirmation des droits des malades n'était pas une machine de guerre contre les médecins, mais au contraire un moyen pour eux de mieux exercer leur métier. J'ai la conviction qu'ils ne peuvent pas se plaindre de patients qui n'ont pas assez de devoirs, et en même temps ne pas avoir de patients responsables, informés, majeurs et qui aient les moyens de s'exprimer. Je crois qu'il faut prendre les choses dans l'ordre et que la première étape est bien celle d'une accession à la citoyenneté pour le malade. Dans un second temps, cette accession à la citoyenneté entraîne tous les devoirs qui y sont attachés, et en particulier le devoir de respecter un certain nombre d'engagements, qui sont non seulement les engagements de toute vie en société, mais qui vont aussi bien au-delà. Elle participe à la réalisation des droits collectifs, par le biais du mouvement autour des associations de santé et de malades, pour leur permettre de prendre leurs responsabilités dans le débat sur les choix de société qui s'imposent.

Lorsque l'on parle de débat public, on pourrait craindre une multiplication des lieux de débat si l'on dupliquait des débats nationaux à l'infini, sans savoir qui est responsable. Cela reviendrait effectivement à ajouter de la confusion à un système qui souffre déjà d'un manque de clarté, notamment dans le partage des responsabilités. Si l'on considère, en revanche, que ces débats doivent être l'occasion d'un engagement de tous les acteurs, y compris des usagers et de leurs associations, on se trouve alors en présence d'un outil local qui se décline différemment des débats nationaux. J'ai présidé pendant trois ans la conférence régionale de santé d'Ile-de-France : comme dans toutes les régions, nous avons mis l'accent sur les problèmes d'abus d'alcool chez les jeunes et sur les conséquences qui pouvaient en découler. Si les conclusions ont été très proches dans la plupart des cas, on voit bien qu'il est important de mettre en oeuvre des moyens de réponse adaptés à l'échelon local. Ces moyens sont connus ; ce que l'on ne connaît pas, c'est la manière de faire accepter ces moyens par les jeunes. Quel meilleur moyen pour y parvenir et pour instituer un débat responsabilisant que de pratiquer un débat au plus proche du terrain, avec les personnes concernées ? Ce passage d'une situation de relative passivité à une situation d'acteur, qui nécessite automatiquement une prise de responsabilité et donc des devoirs, me semble fondamental. En ce sens, il est nécessaire de multiplier les débats locaux.

Sur la Conférence nationale de santé (CNS), le groupe de travail a relevé certaines critiques quant à son fonctionnement au bout de quatre années. Nous avons d'abord estimé que le lien avec la discussion du projet de loi de financement de la sécurité sociale était pour le moins ténu et assez indistinct. Nous avons également déploré le manque d'articulation avec les conférences régionales de santé, le fait que 22 représentants issus des conférences régionales de santé y siègent n'y suffit pas. Enfin, la composition de la Conférence nationale de santé, à l'exception de ces 22 représentants, reflète l'histoire de cette institution, c'est-à-dire une conférence très professionnelle qui avait pour but de débattre de la faisabilité d'une politique de santé du point de vue des professionnels. Si cette étape est probablement indispensable, en tant qu'étape de validation, les missions assignées à la Conférence sont en fait plus ambitieuses. Elles le sont plus encore maintenant, puisque l'on y ajoute notamment l'organisation de débats publics. Je crois, pour ma part, que tous les acteurs doivent être présents dès l'instant qu'il y a débat public : les élus, les usagers, les professionnels de santé, les institutions. Si tel est le cas, ce lieu peut s'avérer très utile sur un certain nombre de questions dont les réponses de confrontation ne sont pas évidentes, par exemple le degré de transparence sur la communication de l'information autour des infections nosocomiales. Dans l'absolu, il est facile de dire que la transparence doit être totale ; on voit bien en même temps qu'une information non organisée ou non maîtrisée peut être contre-productive. Si une décision de diffusion de l'information est prise de manière quelque peu autoritaire, ou du moins cachée, y compris dans l'intérêt des citoyens, elle ne sera jamais acceptée, parce que l'on aura inévitablement un sentiment de suspicion. S'il y a, en revanche, un débat préalable, dans un lieu approprié et le plus ouvert possible, y compris en abordant les difficultés qu'il peut y avoir à aller trop loin dans la transparence, les associations et la population accepteront tout à fait qu'une information soit organisée. Nous savons bien que l'accès à l'information peut se faire à différents niveaux et être organisé de façon à concourir à une information utile pour la fréquentation des établissements de santé sans engendrer une inquiétude généralisée parce que l'on aura été trop loin.

Nous avons eu ce débat au sein de l'agence nationale d'accréditation et d'évaluation en santé, au moment de la diffusion des résultats de l'accréditation. Quel degré de transparence fallait-il donner, et à quel moment fallait-il diffuser l'information, notamment sur la procédure d'auto-évaluation ? Si l'on suit la jurisprudence de la CADA (Commission d'accès aux documents administratifs), cet acte est publiable et accessible. Il est néanmoins évident que l'accès à cette procédure d'auto-évaluation avant la fin de la procédure d'accréditation lui fait perdre une grande partie de son intérêt et risque de biaiser les résultats d'auto-évaluation. Suite à un débat au sein de l'ANAES avec les associations d'usagers, tout le monde est tombé d'accord pour dire qu'il n'était pas souhaitable de publier les résultats de l'auto-évaluation avant la fin de la procédure. Si cette décision avait été prise sans examen préalable avec les associations d'usagers, sans leur expliquer les raisons et les inconvénients de cette publication préalable, les usagers auraient légitimement pu estimer qu'on leur cachait quelque chose. Il y aurait sans doute eu une levée de bouclier devant une mesure pourtant prise dans un consensus complet et qui est de nature à améliorer le système.

M. LE PRESIDENT - La parole est à notre deuxième rapporteur, M. Gérard Dériot.

M. Gérard DERIOT, rapporteur - Les états généraux de la santé ont souligné les attentes de nos concitoyens en matière d'amélioration de la qualité du système de santé, qui constitue l'objet du titre II du présent projet de loi. Ces attentes concernent notamment l'information et la transparence du système de santé. Estimez-vous que les dispositions relatives aux professions de santé sont de nature à répondre à ces attentes ?

Je vous demanderai ensuite quels sont les sentiments que vous inspire le volet « prévention » de ce projet de loi.

M. Etienne CANIARD - Cette loi, limitée à l'affirmation des droits des usagers, aurait été incomplète. L'affirmation de ces droits, même si elle n'a pas forcément son pendant dans des devoirs, doit trouver en tout cas un écho dans une adaptation et dans des moyens donnés aux professionnels de santé dans l'organisation du système pour répondre à cette ambition. Est-on allé assez loin ? La réponse est effectivement négative dans l'absolu. Mais incontestablement, il existe des outils qui accompagnent cette volonté. Avec ce projet de loi, les compétences de l'ANAES sont largement étendues, dans un sens qui n'est contesté par personne dans l'absolu, mais qui suscite une inquiétude généralisée quant aux moyens de l'ANAES pour répondre à ses missions. Comment l'ANAES pourra-t-elle évaluer les pratiques professionnelles et l'efficacité des actions de prévention au vu des difficultés qu'elle rencontre à mettre en place l'accréditation conformément au calendrier qui avait été prévu ? Le simple fait de rattraper le retard que nous avions en matière d'accréditation, en formant des centaines d'experts visiteurs, et dans l'hypothèse où nous parviendrions à accréditer 1.500 établissements dans un délai de cinq ans, relevait de l'utopie. Aujourd'hui, on constate que l'ANAES répond bien à ces missions et que sa réponse à l'accréditation s'est faite en partie au détriment, sinon de l'évaluation, du moins de la diffusion des résultats de l'évaluation des recommandations de bonnes pratiques. Ma crainte, pour prendre l'exemple de l'ANAES, est simple : ne va-t-on pas surcharger le travail d'agences qui sont en phase de développement, et qui ont d'ores et déjà des difficultés à remplir leurs missions ?

Je serais moins critique dans d'autres domaines, comme la formation continue, où l'on se situe dans les intentions des ordonnances de 1996. Il suffirait là de corriger quelques défauts, à la lumière de l'expérience et des difficultés de mise en place de certains outils, notamment la gestion des fonds associés. Sur ces sujets, on a tiré les conséquences nécessaires et on a progressé. En matière de réseau, on a amélioré la procédure, qui était très centralisée, très lourde, puisqu'il fallait, avant tout un agrément ministériel, un avis des caisses locales de sécurité sociale, un avis de la CNAM, un avis de la commission dite Soubie. Cela a abouti à un résultat négatif, avec un faible nombre de réseaux agréés. La complexité de la procédure a conduit à privilégier les réseaux par pathologies, au détriment des réseaux locaux ou des réseaux de population, plus difficiles à mettre en oeuvre, mais nécessaires pour répondre aux défis de notre système de santé.

Ma réponse est donc mitigée. Oui, la plupart des dispositions contenues dans le projet de loi vont dans le bon sens. Mais serons-nous capables, à travers un certain nombre d'outils, dont l'ANAES, d'y répondre ? J'ai quelques inquiétudes à ce sujet.

J'ai volontairement omis de parler de l'Institut national de prévention dans les outils mis en oeuvre, pour en faire effectivement un sujet à part entière. Sur ce point, et au titre de responsable de la Mutualité française, j'observe que nous restons dans une logique qui, culturellement, n'intègre pas la prévention dans la pratique curative. Le fait que l'on traite la prévention de manière séparée revient en quelque sorte à l'étatiser par le biais de la création d'un Institut national de prévention. Pourrant, même en tant que président du Fonds national de prévention de la CNAMTS, je ne dirai pas, néanmoins, qu'il est scandaleux de transférer des fonds de la CNAMTS à l'Etat. Je pense que ces affaires institutionnelles sont, somme toute, assez secondaires par rapport à la question fondamentale qui est celle de l'organisation du système. De mon point de vue, le problème essentiel est moins celui d'une dotation de la CNAMTS par rapport à un financement par programme, que celui de la coupure des actions de prévention de l'action de gestion du risque, qui devrait être celle de l'assurance maladie. A la tête de la commission santé-prévention de la CNAMTS, j'ai toujours estimé que ce fonds ne devait pas financer de façon pérenne, mais qu'il devait financer des expérimentations de prévention, de dépistage, pour les intégrer ensuite dans l'activité des professionnels de santé. Avec des budgets insuffisants et des structures dédiées, on fait de la prévention un ghetto ; ce faisant, on ne lui donne pas le même statut, y compris aux yeux des malades. Par là même, on dévalorise l'action de prévention. Je crois que c'est la critique principale qui peut être faite à cette action de prévention. Je pense qu'il faut changer de logique en matière de prévention et inscrire les priorités dans la politique de santé de manière claire et entière. Au-delà, toutes les difficultés que vous connaissez subsistent. Un comité national de prévention, mis en place il y a trois ans, avait pour but d'harmoniser les pratiques de prévention entre les caisses d'assurance maladie et les ministères concernés ; il a mal fonctionné, non pas par manque de volonté, mais parce que les logiques institutionnelles ont pris le pas sur les logiques de santé publique en matière de développement des politiques de prévention. On peut craindre que ceci ne se renouvelle dans un cadre comme celui là. Il faudra également surveiller de près la coordination entre les niveaux nationaux et régionaux ; on voit bien que le choix qui est fait en matière de prévention, avec une déconcentration d'un service d'Etat au niveau régional, ne trouve pas forcément une articulation harmonieuse avec les Conseils régionaux de santé.

M. Alain VASSELLE - Ne pensez-vous pas ce texte puisse avoir des effets pervers, en donnant le sentiment à l'ensemble de nos concitoyens qu'en définitive, au regard de la loi en ce qui concerne les services de santé, ils n'ont que des droits, mais n'ont aucun devoir ou responsabilité ? Je pense en particulier à cette responsabilité qui devrait être la leur au regard des dépenses de santé qu'ils engendrent de par la consommation des services et des soins. Je pense à ces malades qui vont voir dix médecins différents parce qu'ils ne sont pas satisfaits de tel ou tel. A mon sens, il faut placer les patients à un certain niveau de responsabilité au regard des services de santé.

Avez-vous conduit une réflexion à ce niveau ? Avez-vous cherché à mesurer les conséquences d'un texte qui pourrait avoir des conséquences désastreuses pour les comptes de la sécurité sociale ? Certes, on ne peut raisonner qu'avec une approche comptable, mais cette dimension n'en est pas moins importante. Il ne faut pas faire croire aux Français qu'ils vont pouvoir user à volonté et sans aucune responsabilité de l'ensemble des services. Un jour ou l'autre, ils devront payer une telle logique.

M. Etienne CANIARD - Cette question est importante et il ne faut pas nier l'approche comptable, que l'on en fasse un préalable ou que l'on en fasse la mesure du résultat. Il faut cesser l'hypocrisie : l'instrument comptable est l'instrument de mesure de l'effort que la Nation consacrera à la santé.

Pour autant, l'affirmation du droit des malades comporte-t-elle forcément un risque de dérive des comptes ? Je suis plus optimiste que vous ne l'êtes. Je pense tout d'abord que ce projet de loi intègre un volet de responsabilisation important, à travers notamment les corps intermédiaires que sont les associations de santé. Prenons l'exemple des maladies rares : on pourrait être dans la situation la pire en termes de demande de la part des malades, le sentiment d'isolement, d'exclusion des malades pouvant conduire les associations à développer une logique de type « toujours plus ». La réalité est tout autre et le mouvement associatif, très structuré, exerce incontestablement un effet régulateur et d'éducation très fort sur la façon de fréquenter le système de soins. Ce type d'éléments peut donc concourir à une plus grande responsabilisation par l'intermédiaire des corps associatifs et structures diverses.

Si l'on s'intéresse au phénomène du « nomadisme médical », qui existe, sans pour autant être si important que l'on peut le croire, on ne peut que regretter qu'il induise quelques examens redondants. Quand bien même son importance doit être relativisée, ce problème mérite d'être examiné. Je suis persuadé que l'accès facilité au dossier médical aura une influence sur la qualité de la tenue des dossiers médicaux. Souvent, son accès était jusque-là rendu difficile par des problèmes d'organisation, et pas seulement pour des questions culturelles. Avec un accès facilité, un dossier mieux normalisé, au sujet duquel des débats auront été organisés, pour déterminer notamment ce qui doit y figurer, voilà des éléments qui feront progresser le comportement des Français. La question des notes personnelles du médecin ne doit sans doute pas figurer dans le dossier médical. Mais il est important de poser cette question et d'essayer d'y répondre collectivement. Il est par ailleurs assez simple d'imaginer qu'il sera plus facile d'obtenir un double avis -ce qui peut être légitime dans un certain nombre de cas- sans avoir à faire à nouveau l'ensemble des examens. L'affirmation de nouveaux droits permettra aux patients d'assumer plus facilement cette demande de double avis vis-à-vis de leur médecin. Dès l'instant où cette pratique sera banalisée et ne sera plus vécue comme une situation culpabilisante, tout ira mieux.

Globalement, je pense que le projet de loi qui est proposé est un texte très important qui change profondément la logique des rapports entre patients et médecins, en affirmant des droits, mais avec un certain nombre d'éléments qui créeront les conditions d'une plus grande responsabilité de chacun. Pour terminer, la responsabilité est financière dès l'instant où l'on se place dans des choix collectifs. Dans un contexte d'allongement de la durée de vie, de progrès médical, et alors que le fait que de plus en plus d'interventions thérapeutiques ont une utilité avérée, la responsabilité financière est avant tout collective. Mais je ne crois pas tellement à une responsabilité financière individuelle. L'expérience du ticket modérateur a tourné à l'échec ; il y a une unanimité pour dire qu'il s'agit d'un ticket d'exclusion qui a conduit à mettre en place un dispositif permettant à chacun d'accéder aux soins. Nous sommes aujourd'hui dans une logique inversée, puisque, même en maintenant le ticket modérateur, on généralise le tiers payant coordonné dans tous les cas pour qu'il n'y ait plus la moindre difficulté financière d'accès aux soins. Cela montre bien que les mesures individuelles de responsabilisation n'ont pas produit d'effet positif et qu'il faut donc essayer de responsabiliser sur d'autres critères. Le développement des réseaux peut en être un, pour permettre d'imposer des contraintes du type obligation de suivre un certain nombre de recommandations pouvant toucher à la prévention, avec, en contrepartie, une meilleure prise en charge. Ces contraintes sont probablement plus efficaces qu'une contrainte financière aveugle, applicable à toute la population.

M. LE PRESIDENT - Je voudrais vous remercier au nom de tous mes collègues. Je voudrais aussi indiquer qu'il ne nous a pas été possible d'auditionner publiquement d'autres personnalités, en particulier des associations. Je le regrette, mais ceci est dû au Gouvernement, qui a prononcé l'urgence sur ce texte. Quelle que soit la « très large concertation » dont le projet de loi aurait fait l'objet en amont, je constate que la phase parlementaire a été réduite à sa plus simple expression. Nous avons essayé de compenser cette difficulté et je tiens à remercier nos trois rapporteurs, qui se sont livrés à des auditions les plus larges possibles. Je crois qu'ils ont reçu toutes les associations et personnes qui l'ont souhaité. Le Sénat, malgré l'urgence prononcée, compte tenu de l'importance de ce texte, a fait ce qu'il avait à faire. Nous allons tenter d'aboutir à un accord, et j'espère que les jours à venir nous permettront de régler, tant avec nos collègues de l'Assemblée qu'avec le Gouvernement, les dernières difficultés.

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