B. LA REPARTITION ENTRE LES PRELÈVEMENTS SUR RECETTES ET LE BUDGET DE L'ETAT

1. La part prépondérante des prélèvements sur recettes

Dans le projet de loi de finances pour 2003, les prélèvements sur les recettes de l'Etat au profit des collectivités locales, qui sont retracés à l'état A, représentent 36,3 milliards d'euros, soit près des deux tiers des concours financiers de l'Etat aux collectivités locales .

Le principal prélèvement est celui au titre de la dotation globale de fonctionnement (DGF), pour environ 19 milliards d'euros. Viennent ensuite la compensation de la suppression de la part « salaires » de la taxe professionnelle, pour 9 milliards d'euros, le fonds de compensation de la taxe sur la valeur ajoutée, pour 3,6 milliards d'euros, les compensations d'exonérations relatives à la fiscalité locale pour 1,9 milliard d'euros et la dotation de compensation d la taxe professionnelle, pour 1,6 milliard d'euros.

Le prélèvement sur les recettes de l'Etat dont le montant est le plus faible est celui au profit de la collectivité territoriale de Corse et des départements de Corse, pour 28 millions d'euros.

Aucun critère ne fonde l'inscription d'un concours financier de l'Etat en prélèvement sur recettes plutôt qu'en dotation budgétaire.

2. Les conséquences de la loi organique du 1er août 2001

L'article 6 de la loi organique du 1 er août 2001 relative aux lois de finances prévoit que les prélèvements sur les recettes de l'Etat au profit des collectivités locales sont destinés à « couvrir des charges incombant à ces bénéficiaires ou [à] compenser des exonérations, des réductions ou des plafonnements d'impôts établis au profit des collectivités territoriales ».

La comparaison de cette définition avec la répartition actuelle des concours financiers de l'Etat entre les prélèvements sur recettes et les dotations de l'Etat fait apparaître la longueur du chemin à parcourir avant l'entrée en vigueur de l'article 6 de la loi organique pour mettre la réalité en conformité avec la nouvelle règle.

Dans cette perspective, il apparaît surtout que les concours de l'Etat aux collectivités locales ont presque tous vocation à être inscrits en prélèvements sur recettes, à l'exception des chapitres de subventions du budget de l'intérieur et de la dotation globale d'équipement des communes, qui n'est en réalité pas une dotation globale mais une enveloppe de subventions accordées par les préfets.

Compte tenu de la définition retenue par la loi organique, il ressort que la dotation globale de décentralisation (DGD) devra être transformée en prélèvement sur recettes puisqu'elle finance des compétences que l'Etat n'exerce plus. De même, les compensations d'exonérations fiscales inscrites au budget du ministère de l'intérieur pourraient être incluses dans le prélèvement sur les recettes de l'Etat au titre de diverses exonérations relatives à la fiscalité locale.

Les dégrèvements pourraient aussi être utilement retirés du budget des charges communes, d'autant plus que les jurisprudences des commissions des finances en matière d'application de l'article 40 de la Constitution assimilent ces crédits à des prélèvements sur recettes pour l'examen de la recevabilité financière des amendements parlementaires.

La réflexion du gouvernement semble engagée sur ce sujet, si votre rapporteur en juge par la réponse fournie en réponse à une question posée dans le cadre de son questionnaire budgétaire. Cette réponse particulièrement intéressante est reproduite ci-dessous :

I- Issue de la pratique, la catégorie budgétaire des prélèvements sur recettes recouvre un ensemble hétérogène de dotations :

La catégorie budgétaire des prélèvements sur recettes, dont les particularités s'accordent bien avec les spécificités des transferts aux collectivités locales, est issue de la pratique.

En effet, il n'existe pas de texte de portée générale prévoyant l'existence ou précisant le périmètre et le régime de ces prélèvements. En particulier, l'ordonnance organique du 2 janvier 1959 relative aux lois de finances ne prévoit pas la possibilité de créer de tels prélèvements.

La jurisprudence relative aux prélèvements sur recettes ne donne également que peu d'indications sur le régime qui leur est applicable. Néanmoins, le conseil constitutionnel a admis la constitutionnalité de ces prélèvements opérés au profit des collectivités locales et des Communautés européennes. Il a ainsi estimé que les prélèvements sur recettes ne méconnaissent pas le principe d'universalité budgétaire (CC 29 décembre 1982, loi de finances pour 1983). En effet, ils ne sont pas contraire au principe de non-contraction des dépenses et des recettes, dans la mesure où ils sont précisément énumérés et évalués à l'état A. Ils sont également conformes au principe de non-affectation des recettes, car ils s'analysent comme « une rétrocession directe d'un montant déterminé de recettes de l'Etat au profit des collectivités locales ou des communautés européennes en vue de couvrir des charges qui incombent à ces bénéficiaires et non à l'Etat et qu'ils ne sauraient, dans ces conditions, donner lieu à une ouverture de crédits dans les comptes des dépenses du budget de l'Etat ». Dans sa décision du 29 décembre 1998 relative à la loi de finances pour 1999, le conseil constitutionnel a rappelé la conformité du mécanisme des prélèvements sur recettes au principe d'universalité budgétaire, et précisé par ailleurs qu'il était aussi compatible avec le principe de sincérité budgétaire, dès lors qu'il est, « dans son montant et sa destination, défini de façon distincte et précise dans la loi de finances, et qu'il est assorti, tout comme les chapitres budgétaires, de justifications appropriées ».

Compte tenu de la faiblesse de l'encadrement juridique des prélèvements sur recettes, la répartition actuelle entre dotations financées par prélèvements sur recettes et dotations budgétaires est davantage le fruit de l'histoire que celui d'une réelle volonté de distinguer entre ces dotations. A cet égard, on peut souligner que les compensations fiscales sont tantôt inscrites en crédits budgétaires - telle la compensation de la suppression de la part régionale de la taxe d'habitation-, et tantôt en prélèvements sur recettes, comme c'est le cas de la compensation de la suppression de la part salaire dans l'assiette de la taxe professionnelle.

Les prélèvements sur recettes représentent une part prépondérante des dotations de l'Etat aux collectivités locales. En 2002, ils atteignaient en effet 34 490 M€, dont 18 566 M€ au titre de la DGF, 7 837 M€ au titre de la compensation de la suppression progressive de la part salaires, 3 613 M€ pour le FCTVA, 1 831 M€ de compensation d'exonérations diverses et 1 548 M€ de dotation de compensation de la taxe professionnelle. Les crédits budgétaires disponibles s'élevaient pour leur part à 8 983 M€ en crédits de fonctionnement, dont 6 357 M€ au titre des dotations générales de décentralisation (départements, régions, communes, collectivité territoriale de Corse) et 1 819 M€ compensant des allègements de la fiscalité régionale (suppression de la part régionale de la taxe d'habitation et baisse des droits de mutation à titre onéreux). En outre les collectivités locales ont bénéficié de 2 914 M€ en crédits d'équipement (en autorisation de programmes), dont 850 M€ au titre de la dotation globale d'équipement, et 841 M€ au titre de la dotation régionale d'équipement scolaire (DRES) et de la dotation départementale d'équipement des collèges (DDEC).

II- Disposant désormais d'une assise légale, le mécanisme des prélèvements sur recettes pourrait éventuellement voir son périmètre modifié :

La loi organique relative aux lois de finances (LOLF) du 1 er août 2001 donne une assise légale aux prélèvements sur recettes. Son article 6 dispose en effet qu'un « montant déterminé de recettes de l'Etat peut être rétrocédé directement au profit des collectivités territoriales ou des Communautés européennes en vue de couvrir des charges incombant à ces bénéficiaires ou de compenser des exonérations, des réductions ou des plafonnements d'impôts établis au profit des collectivités territoriales ».

Conformément à ses jurisprudences antérieures, le Conseil constitutionnel a admis, dans sa décision du 25 juillet 2001, la constitutionnalité de ces dispositions, dès lors que l'article 6 précise que « ces prélèvements sur les recettes de l'Etat sont, dans leur destination et leur montant, définis et évalués de façon précise et distincte ». Il a cependant indiqué que les documents joints au projet de loi de finances de l'année devront comporter des justifications aussi précises qu'en matière de recettes et de dépenses, et que l'analyse des prévisions de chaque prélèvement sur les recettes de l'Etat devra figurer dans une annexe explicative.

Ainsi, l'article 6 prévoit pour la première fois non seulement l'existences des prélèvements sur recettes, mais en fixe également le périmètre. Dès lors, il convient de se poser deux types de questions : les prélèvements sur recettes existants sont-ils conformes aux dispositions de l'article 6 de la LOLF, d'une part, et certains crédits budgétaires ne devraient-ils pas être basculés en prélèvements sur recettes, d'autre part ?

1. Les prélèvements sur recettes existants répondent aux critères posés par l'article 6 de la loi organique relative aux lois de finances :

Le législateur a entendu faire montre de souplesse en matière de prélèvements sur recettes, et n'a pas entendu exclure de leur champ certains des prélèvements existants. En effet, le périmètre potentiel des prélèvements sur recettes apparaît relativement large, puisqu'il couvre non seulement les exonérations, réductions ou plafonnements d'impôts établis au profit des collectivités locales, mais aussi les dotations destinées à couvrir les charges de leurs bénéficiaires. Les dispositions de l'article 6 assurent donc la légalité des prélèvements sur recettes poursuivant l'une ou l'autre de ces deux finalités, voire les deux à la fois. Dans ce cadre, tous les prélèvements sur recettes existants paraissent relever du champ prévu par l'article 6.

2- Une modification du périmètre des prélèvements sur recettes ne s'impose pas sur le plan juridique, mais pourrait s'envisager pour des raisons d'opportunité :

La séparation actuelle entre prélèvements sur recettes et dotations budgétaires est en tout état de cause davantage le fruit de l'histoire que celui d'un partage conceptuel. A titre d'exemple, rien ne justifie au plan conceptuel que la dotation de compensation aux régions de la suppression de la part régionale de la taxe d'habitation relève des dotations budgétaires (chapitre 41-55 du budget du ministère de l'Intérieur) alors que la plupart des compensations fiscales figurent en prélèvements sur recettes et que la principale dotation aux collectivités locales, à savoir la DGF, elle-même issue de la suppression d'un impôt local, figure également en prélèvement sur recettes.

La loi organique relative aux lois de finances (LOLF) du 1 er août 2001, qui donne une assise légale aux prélèvements sur recettes, pourrait ainsi être l'occasion de revoir la ligne de partage entre crédits budgétaires et prélèvements sur recettes. Son article 6 est suffisamment souple pour permettre de réorganiser la répartition des dotations entre les prélèvements sur recettes et les crédits budgétaires.

A cet égard, deux raisons paraissent plaider pour un élargissement des prélèvements sur recettes aux dotations actuellement versées sur crédits budgétaires dont les montants individuels résultent de l'application mécanique de critères législatifs, sans marges de manoeuvre pour l'administration gestionnaire.

Tout d'abord, il faut souligner que les prélèvements sur recettes présentent des avantages de gestion incontestables, les caractéristiques des procédures budgétaires (contrôle du contrôleur financier, mécanismes de délégation des crédits...) n'étant pas adaptés à des enveloppes dont la répartition est entièrement fixée par des critères législatifs ou réglementaires.

Plus fondamentalement, les dotations budgétaires attribuées sans marge de choix s'inscrivent mal dans la logique de la LOLF, qui pousse à un arbitrage entre les moyens et vise à la responsabilisation sur des objectifs. En effet, leur gestionnaire opérationnel ne dispose d'aucune marge de manoeuvre dans leur mise en oeuvre. Dès lors, il pourrait être opportun d'exclure ces dotations du périmètre des missions et programmes, ce qui ne serait cependant pas possible si elles demeuraient inscrites sur crédits budgétaires. Il s'agit en particulier de dotations compensant des transferts de compétence - telles que la DGD, automatiquement indexée sur la DGF- ou les compensations aux régions des allègements de fiscalité locale.

A contrario, les dotations actuellement versées sur prélèvements sur recettes et pour lesquelles l'administration dispose de marges de manoeuvre dans leur mise en oeuvre pourraient être basculées en crédits budgétaires. A titre d'exemple, cela pourrait être le cas des subventions d'équipement sur projet, comme la dotation de développement rural. Pour ce type de dotations, l'administration gestionnaire dispose de véritables marges de manoeuvre dans le choix des projets à financer et le montant de la subvention à allouer, et peut dès lors être évaluée quant à ses résultats et ses objectifs. L'ensemble des dotations pour lesquelles l'administration dispose de marges de choix - c'est-à-dire les subventions attribuées sur projet ou sur dossier - pourrait ainsi trouver sa place dans un programme.

En tout état de cause, l'ampleur des enjeux que recouvre un éventuel basculement en prélèvements sur recettes de certaines dotations actuellement imputées sur crédits budgétaire est telle que la réflexion en la matière nécessite d'être approfondie. Ce mouvement aurait en effet des conséquences sur questions aussi importantes que le volume financier global du budget de l'Etat (qui serait réduit), les modalités de vote des « crédits » relatifs aux dotations aux collectivités locales, le suivi comptable des dotations, ou encore la pertinence des fascicules budgétaires dans leurs aspects relatifs aux collectivités locales. L'importance de ces sujets nécessite d'en examiner plus avant les différentes implications.

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