II. LA RELANCE DU DIALOGUE SOCIAL PASSE AUJOURD'HUI PAR UNE SUSPENSION DE L'APPLICATION DE CERTAINES DISPOSITIONS ISSUES DE LA LOI DU 17 JANVIER 2002

L'inadaptation croissante de notre droit du licenciement exige aujourd'hui sa refonte en profondeur. Tel est l'objet du présent projet de loi qui en définit la méthode et en organise les conditions.

La méthode, c'est celle du dialogue social qui doit retrouver toute sa place en la matière.

La condition, c'est la mise entre parenthèses des dispositions les plus critiquables de la loi du 17 janvier 2002 qui nécessitent un réexamen par les partenaires sociaux.

A. UN RÔLE ACCRU POUR LE DIALOGUE SOCIAL

Ces dernières années, malgré l'évolution de la situation de l'emploi et en dépit des mouvements de restructuration, le droit du licenciement économique n'a réservé qu'une place restreinte au dialogue social.

Au niveau national et interprofessionnel, le dernier accord majeur en la matière est celui du 20 octobre 1986.

Au niveau de l'entreprise, la réglementation actuelle n'accorde qu'un rôle très subsidiaire à la négociation collective au détriment des procédures d'information et de consultation des institutions représentatives du personnel.

Le présent projet de loi entend redynamiser le dialogue social à ces deux niveaux.

1. La relance de la négociation nationale interprofessionnelle

Le projet de loi entend renouer avec la tradition française du dialogue social interprofessionnel dans le domaine de l'emploi et des relations du travail.

a) Mettre fin à la « glaciation » du dialogue social interprofessionnel

Historiquement, le droit français du licenciement économique est en effet largement d'origine conventionnelle, le législateur se contentant bien souvent de s'inspirer ultérieurement des accords conclus.

Ainsi, les bases du droit actuel du licenciement ont très largement été posées par l'accord national interprofessionnel du 10 février 1969 sur la sécurité de l'emploi qui a fixé deux grands principes.

Le premier est celui d'un encadrement des procédures de licenciements collectifs par une information et une consultation du comité d'entreprise, elles-mêmes assorties de délais.

Le second est celui d'un accompagnement social des restructurations par l'employeur, fondé notamment sur l'exigence d'un effort de reclassement préalable des salariés menacés de licenciements.

Les accords nationaux interprofessionnels du 21 novembre 1974 et du 20 octobre 1986, qui constituent autant d'avenants à l'accord de 1969, précisent et complètent les procédures applicables, notamment en matière de délai et de concertation, et systématisent et formalisent les mesures sociales d'accompagnement des opérations de restructurations. Ces deux accords constituent d'ailleurs la base de l'évolution de la législation sur le licenciement posée par la loi du 3 janvier 1975 et celle du 30 décembre 1986.

Or, depuis cette époque, aucun accord national interprofessionnel d'importance n'a permis l'évolution et l'adaptation de notre droit du licenciement, « au point qu'on peut légitimement se demander si cette absence des partenaires sociaux et cette prise d'initiative de l'Etat dans un domaine, la gestion de l'emploi par l'entreprise, où il n'est pas le plus à l'aise, ni techniquement ni politiquement, ne sont pas à l'origine de cette période de glaciation du droit positif du licenciement économique que nous connaissons depuis dix ans 15 ( * ) ».

b) Renouer les fils du dialogue

Le projet de loi vise à renouer avec cette tradition, en invitant explicitement et solennellement les partenaires sociaux à engager une nouvelle négociation nationale interprofessionnelle en la matière, préalable indispensable à toute nouvelle intervention législative.

C'est en effet seulement « au vu des résultats de la négociation » que sera ultérieurement présenté un projet de loi « définissant les procédures relatives à la prévention des licenciements économiques, aux règles d'information et de consultation des représentants du personnel et aux règles relatives au plan de sauvegarde de l'emploi ».

Le présent texte ne préjuge donc en rien des résultats de la future négociation et se contente simplement d'organiser les conditions les plus favorables possibles à son déroulement.

Il s'agit donc avant tout d'un texte de méthode, qui répond en cela à l'appel du Président de la République dans son message lu au Parlement le 2 juillet dernier : « Nous devons également inscrire dans notre pratique et notre droit la priorité donnée au dialogue social. Les partenaires sociaux seront systématiquement invités à négocier sur les grandes réformes qui intéressent les relations du travail, avant toute initiative législative du Gouvernement. »

Votre commission ne méconnaît certes pas les difficultés que ne manqueront pas de rencontrer les partenaires sociaux pour aboutir à un accord. Elle considère toutefois que les possibilités de réussite sont réelles.

Votre rapporteur a auditionné les représentants des partenaires sociaux qui seront parties à cette négociation. Il ressort nettement de ces entretiens que tous les partenaires sont ouverts à la discussion. Votre rapporteur observe d'ailleurs que le MEDEF a d'ores et déjà invité les organisations syndicales de salariés, par lettre du 18 novembre dernier, à ouvrir un programme de négociation et de discussion portant notamment sur « les adaptations des modalités du droit du licenciement » .

Pour autant, il semble clair que, pour aboutir à un compromis constructif, cette négociation ne pourra se limiter à aborder la seule question des procédures de licenciement, mais devra embrasser plus largement l'ensemble de la question de l'emploi.

2. L'expérimentation d'accords de méthode dans l'entreprise

Le droit du licenciement économique se caractérise, on l'a vu, avant tout par son caractère procédural qui privilégie largement le respect d'un formalisme juridique au détriment de la négociation collective. Cette orientation apparaît contre-productive  car, dans cette logique, un bon plan social serait finalement moins celui qui permet au mieux le reclassement des salariés que celui qui n'offrirait aucune prise à une annulation par le juge.

Ainsi, le projet de loi cherche-t-il à redynamiser la négociation d'entreprise en favorisant la conclusion d'accords en matière de licenciement économique collectif.

a) S'inspirer des « bonnes pratiques »

La France se singularise par la faiblesse de la culture de la négociation d'entreprise en matière de licenciement économique.

Pourtant, le droit européen insiste sur la nécessité de recherche d'un accord. Ainsi, la directive 98/59/CE du conseil du 20 juillet 1998 concernant le rapprochement des législations des Etats membres relatives aux licenciements collectifs, prévoit, à son article 2 , que « lorsqu'un employeur envisage d'effectuer des licenciements collectifs, il est tenu de procéder, en temps utile, à des consultations des représentants des travailleurs en vue d'aboutir à un accord ».

Déjà, de nombreux pays européens subordonnent la mise en oeuvre des plans sociaux à la recherche d'un accord. C'est le cas notamment de l'Allemagne, de l'Espagne et de l'Italie.

La négociation d'entreprise reste toutefois délicate, comme le soulignait un ancien délégué à l'emploi : « Cette solution présente, malheureusement de très grosses difficultés, sans même évoquer celle de la combinaison de la consultation et de la négociation. Quand négocier et pendant combien de temps pour que la tentative soit jugée sérieuse et valide ? Avec qui signer, quelle sera la pertinence sociale d'un accord conclu avec des syndicats minoritaires, faut-il prévoir la mise en jeu du droit d'opposition ? Bref ne risque-t-on pas d'alimenter les tensions et de rendre les opérations nécessaires plus lentes et plus conflictuelles ? Que faire des PME où est souvent absente la représentation syndicale et n'y aurait-il pas là une nouvelle inégalité, pour les employeurs comme pour les salariés ? Enfin que signer, le principe de l'opération et/ou le plan social ? 16 ( * ) »

Ainsi, le projet de loi vise-t-il à favoriser la négociation d'entreprise, en instituant des accords expérimentaux pouvant mettre en place des procédures mieux adaptées aux réalités et aux spécificités de chaque entreprise.

Cette démarche expérimentale s'inspire largement des « accords de méthode » qui ont pu être conclus avec succès dans certaines entreprises ces dernières années.


Les « accords de méthode » déjà conclus

Des accords de méthode ont déjà été conclus, ces dernières années, sur une base non dérogatoire, dans plusieurs entreprises dans lesquelles une restructuration était envisagée. On peut notamment citer Carrefour, Philips, Valéo, Aventis, Hewlett Packard...

Ces accords visent à privilégier, de préférence à l'application d'une procédure générale prescrite par la loi, la mise en oeuvre d'une méthode paritairement élaborée.

Ils cherchent à donner plus de sécurité et plus de visibilité aux employeurs et aux salariés sur le déroulement de la procédure de licenciement économique et à améliorer les conditions de mise en oeuvre des mesures de reclassement. En cela, ils témoignent du souci des partenaires sociaux de l'entreprise de rechercher, « à froid » et par la négociation, un compromis sur le déroulement de la négociation afin que celle-ci puisse intervenir dans un climat apaisé.

Ces accords sont fréquemment conclus avec l'ensemble des organisations syndicales présentes dans l'entreprise.

Malgré la diversité des cas, on retrouve dans ces accords de méthode deux types de dispositions :

- l'aménagement des délais de procédure en contrepartie d'un engagement sur la précocité de l'information, sur la qualité de la concertation et sur des moyens supplémentaires pour les représentants du personnel ;

- la création de structures paritaires ad hoc soit pour traiter d'une opération de restructuration après fusion, soit pour définir une méthode en amont de la procédure ou pour accompagner la procédure, soit pour gérer de façon paritaire l'exécution du plan de sauvegarde de l'emploi.

b) Approfondir les expérimentations au plus près du terrain

L'article 2 du projet de loi autorise la conclusion d'accords d'entreprise expérimentaux et vise en cela « à conforter les accords de méthode déjà signés dans certaines entreprises, et à encourager ailleurs leur négociation » 17 ( * ) .

Il permet en effet la conclusion d'accords d'entreprise, à titre expérimental et pour une durée de dix-huit mois à compter de la promulgation de la loi, définissant la procédure applicable dans le cadre d'une restructuration impliquant la mise en oeuvre d'un plan de sauvegarde de l'emploi. Ces accords ne peuvent toutefois être conclus que pour une durée n'excédant pas deux ans.

L'objectif est alors, au-delà de la seule définition des procédures applicables, d'encourager les partenaires sociaux à élaborer un compromis et de favoriser ainsi le reclassement des salariés.

Ces accords expérimentaux revêtent une double particularité.

En premier lieu, ils peuvent être, le cas échéant, dérogatoires aux dispositions des livres III et IV du code du travail, à l'exception des dispositions relatives au contenu de l'information transmise au comité d'entreprise et à la procédure applicable aux entreprises en redressement ou en liquidation judiciaire.

L'introduction d'une telle possibilité de dérogation était à l'évidence incontournable. Les livres III et IV du code du travail déterminent en effet notamment les délais de la procédure applicable. Dès lors, si l'on veut que ces accords puissent adapter la procédure, il devenait indispensable d'introduire une possibilité de dérogation. A défaut, les accords auraient été constitutifs du délit d'entrave.

En second lieu, la validité de l'accord est subordonnée au respect d'un nouveau principe majoritaire.

On comprend volontiers que, dans le souci de renforcer la légitimité de tels accords, le Gouvernement ait souhaité les assortir de l'obligation d'avoir été conclus par les organisations syndicales majoritaires dans l'entreprise. Il reste qu'une telle disposition s'écarte quelque peu des propositions formulées par les partenaires sociaux dans la position commune du 16 juillet 2001 sur les voies et moyens de l'approfondissement de la négociation collective et risque d'anticiper sur le projet de loi annoncé par le Gouvernement portant réforme de la négociation collective. Pour autant, le dispositif reste expérimental et doit donc être considéré en tant que tel.

Votre commission considère que ces accords expérimentaux constituent autant d'opportunités dans l'attente de la conclusion d'un accord national interprofessionnel et pourront contribuer, après évaluation approfondie, à nourrir cette négociation et, le cas échéant, à préparer le futur projet de loi 18 ( * ) .

* 15 Selon l'expression de M. Dominique Balmary, ancien délégué à l'emploi, dans la revue Droit social de février 1998.

* 16 M. Dominique Balmary dans l'article précité.

* 17 Selon les propos tenus par M. François Fillon à l'Assemblée nationale le 3 décembre dernier.

* 18 Cf. 1,b ci-dessus.

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