B. QUELLES PERSPECTIVES POUR L'ESPACE JUDICIAIRE EUROPÉEN ?

Jusqu'à présent, la construction de l'espace judiciaire européen reste entravée par de nombreuses réticences de la part des gouvernements malgré l'urgence d'une réponse véritablement efficace au développement de la criminalité internationale. Le principe de reconnaissance mutuelle des décisions de justice peut permettre de faciliter la coopération judiciaire mais trouve rapidement ses limites face à la diversité des systèmes juridiques des Etats membres.

La prochaine réforme des traités européens, en cours de préparation, pourrait être l'occasion de renforcer l'espace judiciaire européen, conformément aux propositions formulées depuis longtemps par notre assemblée.

1. Le Sénat et l'espace judiciaire européen

Depuis plusieurs années déjà, le Sénat souhaite une accélération de la réalisation de l'espace judiciaire européen. Dès 1997, la délégation pour l'Union européenne de notre assemblée s'est prononcée en faveur d'une unification des règles de droit et de l'organisation judiciaire en matière de criminalité transfrontalière 1 ( * ) .

Depuis lors, le Sénat suit attentivement les progrès de la coopération dans les domaines de la justice et des affaires intérieures, utilisant la possibilité qui lui est offerte par l'article 88-4 de la Constitution d'adopter des résolutions sur les projets ou propositions d'actes des Communautés ou de l'Union européenne :

- en avril 2001, dans une résolution relative à la création d' Eurojust , organe destiné à améliorer et faciliter la coopération des organes d'enquête et de poursuite compétents des Etats membres pour les formes graves de criminalité, le Sénat a demandé qu'Eurojust se voie reconnaître un rôle opérationnel pour les investigations transfrontalières entrant dans son champ de compétences. Il a également demandé au Gouvernement de prendre des initiatives « en vue de parvenir, pour les formes graves de criminalité transfrontalière, à la constitution d'une autorité responsable des poursuites et à la définition commune des règles et procédures pénales nécessaires à la mise en oeuvre efficace des poursuites et des enquêtes » ;

- en décembre 2001, dans une résolution consacrée aux propositions de décisions-cadres relatives, d'une part au mandat d'arrêt européen et aux procédures de remise entre Etats membres, d'autre part à la lutte contre le terrorisme , le Sénat a souhaité la plus large application possible du mandat d'arrêt européen, dont la création était alors débattue par le Conseil de l'Union européenne. Il a de nouveau souligné « que seule l'unification au niveau européen des incriminations et des procédures constituerait une réponse adaptée à l'ampleur des défis soulevés par les formes graves de criminalité transnationale » ;

- enfin, en juillet 2002, dans une résolution portant sur le livre vert sur la protection pénale des intérêts financiers communautaires et la création d'un procureur européen , le Sénat a approuvé « le principe de la création d'un « ministère public européen » compétent en matière de protection des intérêts financiers de la Communauté, telle qu'elle a été suggérée par la Commission européenne (...) ».

Avec persévérance, notre assemblée tente donc de jouer un rôle d'aiguillon dans la réalisation de l'espace judiciaire européen.

2. La Convention européenne

Depuis quelques mois, une Convention, composée de représentants des gouvernements des Etats membres, des parlements nationaux, de la Commission européenne et du Parlement européen, est chargée de préparer la réforme des traités européens qui devrait intervenir en 2004. Les questions de justice et d'affaires intérieures font naturellement partie des questions évoquées au sein de cette Convention.

Un groupe de travail a été constitué au sein de la Convention, présidé par M. John Bruton, représentant du Parlement irlandais. Ce groupe de travail a présenté un rapport à la Convention le 6 décembre dernier, dont le contenu s'avère plutôt décevant, au moins en ce qui concerne les aspects opérationnels. Les gouvernements français et allemands ont pourtant formulé des propositions communes, qui pourraient permettre de véritables progrès dans la réalisation d'un espace de liberté, de sécurité et de justice.

a) Les propositions franco-allemandes

Le 28 novembre 2002, les ministres des affaires étrangères allemand et français ont présenté à la Convention européenne des « propositions conjointes franco-allemandes pour la Convention européenne dans le domaine de la justice et des affaires intérieures ».

Ces propositions prévoient notamment :

- la création d'un parquet européen : « Le parquet européen devrait être élaboré par étapes à partir d'Eurojust, pour passer peu à peu de simples pouvoirs de coordination à des pouvoirs de déclenchement de procédures d'enquête, de direction de celles-ci et d'évocation d'affaires. Il pourra, notamment, être chargé de la protection des intérêts de la Communauté et de la poursuite de certaines formes graves de criminalité transfrontalière. Le Conseil pourrait décider des priorités de l'action publique au plan européen ». Cette idée est défendue depuis longtemps par le Sénat. Il conviendrait toutefois que les « étapes » évoquées pour la constitution du parquet européen ne soient ni trop nombreuses ni trop longues ;

- le renforcement de l'autorité policière européenne Europol : « Nous avons pour objectif d'attribuer à Europol le droit de mener des enquêtes (...) Europol deviendra ainsi une autorité coercitive européenne » ;

- l'harmonisation du droit pénal matériel pour un nombre considérable de crimes et délits : terrorisme, trafic de drogue, trafic d'objets pouvant être utilisés à des fins militaires, racisme et xénophobie, traite des êtres humains à des fins d'exploitation sexuelle, exploitation sexuelle d'enfants, y compris pornographie infantile, filières d'immigration clandestine, blanchiment d'argent, corruption, usage de faux dans les opérations de paiement, criminalité écologique, cybercriminalité, association de malfaiteurs et délits portant préjudice aux intérêts de la Communauté ;

- une modification importante des règles institutionnelles : suppression de la structure en piliers de l'Union européenne, disparition de certains instruments tels que la convention, remplacement de l'instrument de la décision-cadre par la directive ; généralisation, en matière de coopération policière, du vote à la majorité qualifiée, après une période transitoire ; dans le domaine de la coopération judiciaire en matière pénale, passage au vote à la majorité qualifiée sauf pour certains domaines essentiels.

Notre excellent collègue M. Hubert Haenel, membre de la Convention, a également déposé une contribution préconisant en particulier :

- le renforcement des organes existants, en particulier Europol et Eurojust, et la création d'un parquet européen de nature collégiale ;

- le passage, au sein du Conseil, de la simple coopération à une véritable coordination grâce à l'institution d'un responsable politique chargé de la coordination des aspects opérationnels, sorte de « Haut représentant pour la Justice et les Affaires intérieures ».

b) Le rapport du groupe de travail

Le rapport du groupe de travail sur la Justice et les Affaires intérieures constitué au sein de la Convention européenne repose sur deux principes :

- le transfert des matières relevant de l'actuel « troisième pilier » dans le cadre juridique commun , tout en conservant certaines particularités pour tenir compte de la spécificité de ce domaine ;

- une distinction entre les aspects normatifs, qui seraient largement alignés sur les procédures générales du droit communautaire, et les aspects opérationnels qui resteraient régis par la méthode intergouvernementale, mais avec un renforcement de la collaboration entre les Etats.

En ce qui concerne les aspects normatifs, le rapport prévoit des procédures diversifiées, allant des politiques communes, dans des domaines tels que l'asile et l'immigration aux mesures d'incitation et de soutien, par exemple en matière de prévention de la criminalité.

Pour préciser ce qui devrait relever de l'harmonisation et ce qui pourrait relever de la reconnaissance mutuelle, le groupe propose de combiner deux méthodes : le recours à des critères et l'énumération d'une liste d'infractions. L'harmonisation devrait être privilégiée lorsque l'infraction est d'une particulière gravité et qu'elle revêt une dimension transfrontalière ou lorsque l'infraction est dirigée contre un intérêt commun européen qui fait lui-même l'objet d'une politique commune de l'Union.

Le groupe de travail s'est prononcé pour un passage au vote à la majorité qualifiée pour la plupart des mesures normatives.

En ce qui concerne les aspects opérationnels, il semble que les débats au sein du groupe de travail aient été plus difficiles 2 ( * ) . Le groupe n'est ainsi pas parvenu à se mettre d'accord sur la création d'un parquet européen et a renvoyé cette question à la Convention.

*

Il faut espérer que les derniers mois de travail de la Convention européenne permettront la formulation de propositions ambitieuses et novatrices en matière de justice et d'affaires intérieures. La prochaine réforme des institutions européennes est en effet une occasion unique de doter l'Europe des moyens de lutter enfin efficacement contre la grande criminalité.

* 1 « Vers la construction d'un espace judiciaire européen ? », Rapport n° 352 (1996-1997).

* 2 Voir la communication de M. Hubert Haenel devant la délégation du Sénat pour l'Union européenne le 4 décembre 2002, Actualités de la délégation pour l'Union européenne, n°71.

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