B. LA DÉCISION-CADRE DU 13 JUIN 2002

La décision-cadre du 13 juin 2002 a pour objet de faire disparaître entre les Etats membres de l'Union la procédure traditionnelle d'extradition au profit d'un mandat d'arrêt directement transmis d'autorité judiciaire à autorité judiciaire.

1. Les initiatives précédentes

En 1995 et 1996, le Conseil de l'Union européenne avait adopté des conventions destinées à simplifier les procédures d'extradition entre Etats membres de l'Union européenne.

La convention du 10 mars 1995 a instauré une procédure simplifiée d'extradition lorsque la personne réclamée consent à sa remise. Ce texte prévoit notamment que le consentement à l'extradition doit être donné devant les autorités judiciaires de l'Etat requis, les Etats parties devant faire en sorte que « le consentement soit recueilli dans les conditions faisant apparaître que la personne l'a exprimé volontairement et en étant pleinement consciente des conséquences qui en résultent ».

La convention du 27 septembre 1996 modifie les conditions de fond de l'extradition. Elle abaisse notamment le quantum de la peine d'emprisonnement encourue permettant l'extradition. Si dans l'Etat requérant les faits doivent être passibles d'une peine d'emprisonnement d'au moins douze mois, ce quantum est fixé à six mois dans l'Etat requis. Elle prévoit en outre qu'aucune infraction ne pourra désormais être considérée comme politique, l'Etat requis ne pouvant refuser l'extradition pour ce motif. Il est toutefois prévu que les Etats membres puissent, par une déclaration interprétative, limiter cette « dépolitisation » aux infractions de terrorisme et d'association de malfaiteurs.

Tout en prévoyant l'extradition des ressortissants nationaux, la convention donne aux Etats la possibilité d'écarter ou de restreindre l'application de ce principe. Elle supprime la règle de la double incrimination pour les associations de malfaiteurs.

Les deux conventions de 1995 et 1996 ne sont toujours pas entrées en vigueur faute d'un nombre suffisant de ratifications 4 ( * ) .

Dans la perspective de cette entrée en vigueur, le Gouvernement a déposé en mai 2002 sur le Bureau du Sénat un projet de loi modifiant la loi du 10 mars 1927. Avec l'adoption de la décision-cadre relative au mandat d'arrêt européen, un nouveau projet de loi devra être élaboré.

2. Le mandat d'arrêt européen

Le mandat d'arrêt européen constitue la première concrétisation, en matière pénale, du principe de reconnaissance mutuelle que le Conseil européen a qualifié de « pierre angulaire » de la coopération judiciaire.

Comme l'indique l'exposé des motifs de la décision-cadre, « l'objectif assigné à l'Union de devenir un espace de liberté, de sécurité et de justice conduit à supprimer l'extradition entre Etats membres et à la remplacer par un système de remise entre autorités judiciaires. Par ailleurs, l'instauration d'un nouveau système simplifié de remise des personnes condamnées ou soupçonnées, aux fins d'exécution des jugements ou de poursuites, en matière pénale permet de supprimer la complexité et les risques de retard inhérents aux procédures d'extradition actuelles. Aux relations de coopération classiques qui ont prévalu jusqu'ici entre Etats membres, il convient de substituer un système de libre circulation des décisions judiciaires en matière pénale, tant pré-sentencielles que définitives, dans l'espace de liberté, de sécurité et de justice ».

a) Définition et champ d'application

Aux termes de l'article premier de la décision-cadre, « Le mandat d'arrêt européen est une décision judiciaire émise par un Etat membre en vue de l'arrestation et de la remise par un autre Etat membre d'une personne recherchée pour l'exercice de poursuites pénales ou pour l'exécution d'une peine ou d'une mesure de sûreté privatives de liberté ».

Un mandat d'arrêt européen peut être émis pour des faits punis par la loi de l'Etat membre d'émission d'une peine ou d'une mesure de sûreté privatives de liberté d'un maximum d'au moins douze mois ou, lorsqu'une condamnation à une peine est intervenue ou qu'une mesure de sûreté a été infligée, pour des condamnations prononcées d'une durée d'au moins quatre mois .

Trente-deux infractions ou catégories d'infractions donnent lieu à remise, sur la base d'un mandat d'arrêt européen, sans contrôle de la double incrimination des faits , lorsqu'elles sont punies dans l'Etat membre d'émission d'une peine ou d'une mesure de sûreté privatives de liberté d'un maximum d'au moins trois ans.

Liste des infractions donnant lieu à remise sur la base
d'un mandat d'arrêt européen sans contrôle de la double incrimination

- participation à une organisation criminelle ;

- terrorisme ;

- traite des êtres humains ;

- exploitation sexuelle des enfants et pédopornographie ;

- trafic illicite de stupéfiants et de substances psychotropes ;

- corruption ;

- fraude, y compris la fraude portant atteinte aux intérêts financiers des
Communautés européennes ;

- blanchiment du produit du crime ;

- faux monnayage, y compris la contrefaçon de l'euro ;

- cybercriminalité ;

- crimes contre l'environnement ;

- aide à l'entrée et au séjour irréguliers ;

- homicide volontaire, coups et blessures graves ;

- trafic illicite d'organes et de tissus humains ;

- enlèvement, séquestration et prise d'otages ;

- racisme et xénophobie ;

- vols organisés ou avec armes ;

- trafic illicite de biens culturels, y compris antiquités et oeuvres d'art ;

- escroquerie ;

- racket et extorsion de fonds ;

- contrefaçon et piratage de produits ;

- falsification de documents administratifs et trafic de faux ;

- falsification de moyens de paiement ;

- trafic illicite de substances hormonales et autres facteurs de croissance ;

- trafic illicite de matières nucléaires et radioactives ;

- trafic de véhicules volés ;

- viol ;

- incendie volontaire ;

- crimes relevant de la juridiction de la Cour pénale internationale ;

- détournement d'avion ou de navire ;

- sabotage.

Pour les autres infractions, la remise peut être subordonnée à la condition que les faits pour lesquels le mandat d'arrêt européen a été émis constituent une infraction au regard du droit de l'Etat membre d'exécution.

Dans sa résolution de décembre 2001, le Sénat avait souhaité que soit posé le principe général de la suppression du contrôle de la double incrimination avec un nombre d'exceptions le plus limité possible. La décision-cadre retient au contraire la solution d'une énumération des infractions pour lesquelles le contrôle de la double incrimination est supprimé. Si ce choix peut être regretté, il faut cependant reconnaître que la liste des infractions pour lesquelles le contrôle de la double incrimination est supprimé est substantielle et comporte les crimes et délits les plus graves.

b) Motifs de non-exécution du mandat d'arrêt

Les articles 3 et 4 de la décision-cadre énumèrent les motifs de non-exécution du mandat d'arrêt européen.

L'exécution du mandat d'arrêt doit être refusée :

- si l'infraction est couverte par l'amnistie dans l'Etat membre d'exécution lorsque celui-ci avait compétence pour poursuivre cette infraction selon sa propre loi pénale ;

- si la personne recherchée a fait l'objet d'un jugement définitif pour les mêmes faits par un Etat membre, à condition que, en cas de condamnation, celle-ci ait été exécutée ou soit actuellement en cours d'exécution ou ne puisse plus être exécutée selon les lois de l'Etat de condamnation ;

- si la personne qui fait l'objet du mandat d'arrêt européen ne peut, en raison de son âge, être tenue pénalement responsable des faits à l'origine de ce mandat selon le droit de l'Etat membre d'exécution.

L' exécution du mandat d'arrêt peut être refusée :

- lorsque les faits reprochés à la personne ne constituent pas une infraction dans l'Etat membre d'exécution (hors les cas où le contrôle de la double incrimination est supprimé) ;

- lorsque la personne est poursuivie pour les mêmes faits dans l'Etat membre d'exécution ;

- lorsque les autorités judiciaires de l'Etat membre d'exécution ont décidé, soit de ne pas engager des poursuites pour l'infraction faisant l'objet du mandat d'arrêt européen, soit d'y mettre fin , ou lorsque la personne recherchée a fait l'objet dans un Etat membre d'une décision définitive pour les mêmes faits qui fait obstacle à l'exercice ultérieur de poursuites ;

- lorsqu'il y a prescription de l'action pénale ou de la peine selon la législation de l'Etat membre d'exécution ;

- si la personne recherchée a été définitivement jugée pour les mêmes faits par un pays tiers ;

- si le mandat d'arrêt européen a été délivré aux fins d'exécution d'une peine ou d'une mesure de sûreté privatives de liberté, lorsque la personne recherchée demeure dans l'Etat membre d'exécution, en est ressortissante ou y réside, et que cet Etat s'engage à exécuter cette peine ou mesure de sûreté conformément à son droit interne ;

- lorsque le mandat d'arrêt porte sur des infractions qui ont été commises en tout ou partie sur le territoire de l'Etat membre d'exécution ;

- lorsque les infractions ont été commises hors du territoire de l'Etat membre d'émission et que le droit de l'Etat membre d'exécution n'autorise pas la poursuite pour les mêmes infractions commises hors de son territoire .

Enfin, la décision-cadre précise dans l'un de ses considérants : « La présente décision-cadre respecte les droits fondamentaux et observe les principes reconnus par l'article 6 du traité sur l'Union européenne et reflétés dans la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, notamment dans son chapitre VI. Rien dans la présente décision-cadre ne peut être interprété comme une interdiction de refuser la remise d'une personne qui fait l'objet d'un mandat d'arrêt européen s'il y a des raisons de croire, sur la base d'éléments objectifs, que ledit mandat a été émis dans le but de poursuivre ou de punir une personne en raison de son sexe, de sa race, de sa religion, de son origine ethnique, de sa nationalité, de sa langue, de ses opinions politiques ou de son orientation sexuelle, ou qu'il peut être porté atteinte à la situation de cette personne pour l'une de ces raisons ».

c) La procédure de remise

L'article 9 de la décision-cadre prévoit que l'autorité judiciaire d'émission peut communiquer le mandat d'arrêt européen directement à l'autorité judiciaire d'exécution.

Lors de l'arrestation de la personne recherchée, l'autorité judiciaire d'exécution informe cette personne de l'existence et du contenu du mandat d'arrêt européen, ainsi que de la possibilité qui lui est offerte de consentir à sa remise à l'autorité judiciaire d'émission (article 11).

L'article 12 de la décision-cadre prévoit que lorsqu'une personne est arrêtée sur la base d'un mandat d'arrêt européen, l'autorité judiciaire d'exécution décide s'il convient de la maintenir en détention conformément au droit de l'Etat membre d'exécution. La mise en liberté provisoire est possible à tout moment conformément au droit interne de l'Etat membre d'exécution, à condition que l'autorité compétente dudit Etat membre prenne toute mesure qu'elle estimera nécessaire en vue d'éviter la fuite de la personne recherchée.

Dans sa résolution de décembre 2001, le Sénat avait souhaité que l'autorité judiciaire à l'origine du mandat d'arrêt ait la connaissance du contentieux de la détention ou qu'elle puisse, à tout le moins, faire valoir son point de vue. Cette préoccupation n'a manifestement pas été prise en considération.

Dans l'attente d'une décision, l'autorité d'exécution procède à l'audition de la personne concernée (article 14). Au plus tard dans les soixante jours suivant l'arrestation, l'autorité judiciaire d'exécution doit prendre une décision définitive sur l'exécution du mandat d'arrêt européen. Toutefois, lorsque les informations communiquées sont insuffisantes, l'autorité d'exécution peut demander à l'autorité d'émission des informations complémentaires.

L'article 17 de la décision-cadre précise que lorsque le mandat d'arrêt européen ne peut être exécuté dans les délais prévus, l'autorité judiciaire d'exécution en informe immédiatement l'autorité judiciaire d'émission, en indiquant pour quelles raisons. Il dispose en outre que tout refus d'exécuter un mandat d'arrêt européen doit être motivé.

En principe, la personne recherchée doit être remise au plus tard dix jours après la décision finale sur l'exécution du mandat d'arrêt européen (article 23). Il peut toutefois être sursis temporairement à la remise, pour des raisons humanitaires sérieuses.

Dans certaines circonstances, notamment lorsque la personne recherchée doit être poursuivie dans l'Etat membre d'exécution, l'autorité judiciaire d'exécution peut différer la remise ou remettre temporairement à l'Etat membre d'émission la personne recherchée (article 24).

d) La mise en oeuvre de la décision-cadre

L'article 34 de la décision-cadre prévoit que les Etats membres prennent les mesures nécessaires pour se conformer à ses dispositions avant le 31 décembre 2003.

Les Etats membres ont cependant la possibilité de déclarer qu'ils continueront à appliquer les dispositions en vigueur avant le 1 er janvier 2004 aux demandes portant sur des faits commis avant une date déterminée. La France a décidé d'utiliser cette disposition et d'appliquer la procédure classique d'extradition aux faits commis avant le 1 er novembre 1993, date d'entrée en vigueur du traité de Maastricht.

La Commission européenne devra soumettre le 31 décembre 2004 au plus tard, un rapport au Parlement européen et au Conseil sur l'application de la décision-cadre, accompagné, si nécessaire, de propositions législatives.

*

Incontestablement, le mandat d'arrêt européen marquera un progrès par rapport aux règles actuelles de l'extradition. Néanmoins, il est regrettable que de nombreuses possibilités de refuser l'exécution du mandat d'arrêt subsistent. Le refus d'exécuter un mandat d'arrêt n'est assorti d'aucune sanction, de sorte que le risque est grand que la décision-cadre ne soit pas mise en oeuvre dans toute sa plénitude. Rappelons que les décisions-cadres ne peuvent donner lieu à recours en manquement devant la Cour de justice des Communautés européennes.

Il convient cependant de garder à l'esprit que le mandat d'arrêt européen, tel qu'il résulte de la décision-cadre du 13 juin 2002, ne reflète finalement que l'état d'avancement de l'espace judiciaire européen et la portée limitée du principe de la reconnaissance mutuelle. Les droits pénaux, les procédures pénales des Etats membres demeurent trop éloignés pour qu'il soit possible de mettre en place un véritable mandat d'arrêt, dont l'exécution ne serait soumise qu'à une vérification de la régularité formelle de la demande. C'est pourquoi il paraît essentiel que la prochaine modification des traités européens conduise à une accélération de la réalisation de l'espace judiciaire européen.

* 4 En France, des projets de loi autorisant la ratification des deux conventions ont été déposés par le Gouvernement et adoptés par le Sénat le 10 octobre 2002. Ils sont en instance d'examen à l'Assemblée nationale.

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