B. UNE RÉFLEXION PRÉPARATOIRE : L'ÉTUDE DU CONSEIL D'ÉTAT SUR LES LOIS BIOÉTHIQUES

A peine les résultats de cette évaluation connus, par une lettre en date du 22 avril 1999, M. Lionel Jospin, alors Premier ministre, a confié au Conseil d'Etat le soin de réaliser une étude dans le domaine de la bioéthique, prolongeant les travaux de l'OPECST.

La démarche du Premier ministre d'alors s'inscrivait dans un choix clair : élargir les questions de bioéthique et se placer, pour l'élaboration d'un projet de loi, sous l'autorité du Conseil d'Etat, comme cela fut le cas lors de la préparation des projets de loi adoptés en 1994.

Rappelant que le Conseil avait déjà abordé les questions de bioéthique dans son rapport public de 1998, il a laissé à ce dernier une grande latitude pour se pencher sur « tout autre sujet en lien avec la bioéthique » . Néanmoins il lui fut confié la tâche expresse d'examiner cinq questions :

- l'usage des tests génétiques et leurs applications ;

- le don d'organes et les greffes en général ;

- les divers problèmes liés au consentement des personnes, tant pour les dons d'organes que pour les dons de tissus et cellules ;

- les questions touchant à l'assistance médicale à la procréation, du double point de vue de l'évolution des techniques de l'accueil et de la conservation des embryons ;

- les problèmes posés par le clonage et sa pratique, en distinguant selon qu'il a ou non un objet reproductif .

Ces cinq thèmes, sur lesquels le Conseil d'Etat a construit son étude, constituent en conséquence la trame du projet de loi aujourd'hui examiné par le Parlement. Une grande partie des propositions formulées par le Conseil y figurent.

Sans détailler de manière exhaustive les différentes analyses du Conseil d'Etat, qui seront exposées, le cas échéant, lors de l'examen des articles auxquels elles se rapportent, votre rapporteur proposera ici un bref rappel des principaux enseignements et propositions de l'étude remise par le Conseil.

1. L'interdiction formelle du clonage reproductif

Rappelant l'émoi international causé par la révélation du clonage de la brebis Dolly en 1997, le Conseil d'Etat constate le caractère finalement nouveau de la question du clonage et la célérité avec laquelle les institutions internationales se sont saisies de cette question : adoption, le 12 mars 1997, d'une résolution le condamnant par le Parlement européen, adoption, le 12 janvier 1998, d'un protocole additionnel à la Convention d'Oviedo interdisant « toute intervention ayant pour but de créer un être humain génétiquement identique à un autre être humain vivant ou mort » par le Conseil de l'Europe, condamnation ferme de cette pratique par l'Organisation mondiale de la santé, le 14 mai 1997 ainsi que par l'UNESCO, dont l'article 11 de la Déclaration universelle sur le génome humain et les droits de l'Homme déclare solennellement que « des pratiques qui sont contraires à la dignité humaine, telles que le clonage à des fins de reproduction d'êtres humains, ne doivent pas être permises » .

Fort du constat que les dispositions du code civil ne permettent vraisemblablement pas de s'adonner à une telle pratique, - « il ne fait guère de doute que l'article 16-4 du code civil contient déjà, dans sa rédaction actuelle une interdiction de jure du clonage reproductif, car celui-ci porte évidemment atteinte à l'intégrité de l'espèce humaine et constitue une transformation des gènes dans le but de modifier la descendance de la personne, toutes choses formellement prohibées 18 ( * ) » , le Conseil s'interroge sur l'opportunité de prévoir une interdiction expresse dans la révision des lois bioéthiques.

Toutefois, observant 19 ( * ) que « les lois du 29 juillet 1994 ont fait le choix d'interdire explicitement les pratiques qu'elles estiment contraires au principe du respect de la personne humaine ; c'est le cas par exemple du recours à une mère porteuse. Dans le cadre d'une telle architecture, il semble donc plus cohérent de prévoir l'introduction, par exemple, dans l'article 16-4 du code civil, d'une interdiction de « toute intervention ayant pour but de faire naître un enfant ou de faire se développer un embryon humain dont le génome serait identique à celui d'un autre être humain vivant ou décédé » .

2. L'autorisation d'une recherche strictement encadrée sur l'embryon

Les difficultés posées par le statut de l'embryon sont antérieures à l'adoption des lois de 1994 ; il s'agit d'une question éthique, philosophique, culturelle et scientifique qui reste sous l'empire des convictions de chacun.

Ainsi que le rappelle le Conseil 20 ( * ) , « la loi du 17 janvier 1975 relative à l'interruption volontaire de grossesse a largement fixé la position française dans ce débat. Elle a d'abord affirmé le principe de l'assimilation du foetus à un être humain. Son article premier dispose ainsi que « la loi garantit le respect de tout être humain dès le commencement de la vie ». Toutefois, elle s'est placée dans une logique de mise en balance de ce droit avec la prise en compte de la situation de détresse de la mère et des dangers que celle-ci peut courir. La loi a aussi veillé à ce que la mère fasse son choix en étant éclairée sur les conséquences de cet acte et a posé une limite au recours à l'avortement non thérapeutique en fixant à dix semaines de grossesse le seuil au-delà duquel est demeurée l'interruption volontaire de grossesse » .

Mais, les évolutions scientifiques et de la médecine procréative posent cette difficulté sous un jour nouveau, celui de l'embryon in vitro . A défaut de définir un statut juridique, le législateur de 1994 a fixé son sort en prévoyant expressément qu'aucune recherche ne pourrait être menée sur celui-ci à son détriment.

Rappelant 21 ( * ) que « le pouvoir réglementaire a fait une stricte interprétation de ces dispositions (...) en prévoyant «  qu'aucune étude ne peut être entreprise si elle a pour objet ou risque d'avoir pour effet de modifier le patrimoine génétique de l'embryon, ou est susceptible d'altérer ses capacités de développement » , le Conseil d'Etat appelle de ses voeux un réexamen de la question de l'interdiction des recherches sur l'embryon au regard des perspectives thérapeutiques nouvelles.

Et de rappeler 22 ( * ) que « pour beaucoup d'équipes et de scientifiques, il est nécessaire d'autoriser les recherches sur l'embryon en vue de mieux connaître le processus de développement embryonnaire et d'améliorer l'AMP au même titre que les recherches portant sur les cellules embryonnaires » .

A ces perspectives, le Conseil d'Etat ajoute le constat d'une évolution de la société qui, au travers de ses différentes instances, a, au cours des années précédentes, fait connaître son souhait de voir évoluer la position prise par le législateur de 1994. Le Conseil cite notamment les avis d'organismes aussi divers que le Comité consultatif national d'éthique pour les sciences de la vie et la santé, l'Académie de médecine, la Commission nationale de médecine et de biologie de la reproduction et du diagnostic prénatal (CNMBRDP), la Commission nationale consultative des droits de l'homme ou l'Union nationale des associations familiales.

Pour autant, fort du constat que « ni le maintien de l'interdiction des recherches sur l'embryon, ni le basculement dans un système très ouvert d'autorisation ne paraissent aujourd'hui souhaitables » 23 ( * ) , le Conseil d'Etat propose d'encadrer très strictement la possibilité de mener des recherches sur l'embryon autour de cinq principes essentiels :

- interdiction de création d'embryons à des fins de recherche : une telle pratique « marquerait, en effet, un changement radical par rapport aux fondements de la loi française qui l'interdit explicitement et serait contraire à l'article 18 de la Convention d'Oviedo » 24 ( * ) ;

- recherches menées uniquement sur des embryons qui ne font plus l'objet d'un projet parental et dont le couple a consenti qu'ils fassent l'objet de telles recherches ainsi que les embryons jugés d'emblée non viables ;

- impossibilité d'implantation des embryons sur lesquels la recherche a été réalisée ;

- caractère transitoire de cette ouverture, le Conseil d'Etat proposant que 25 ( * ) « ce régime pourrait avoir une durée limitée de cinq ans, afin de bien témoigner de son caractère expérimental. Au terme de cette période, soit ce régime deviendrait caduc, soit le législateur devrait le reconduire pour une période limitée, soit encore le pérenniser en fonction des résultats obtenus par ces recherches » ;

- le strict environnement scientifique de ces recherches par le recours à un régime d'autorisation préalable.

Le Conseil d'Etat rappelle enfin que, par ricochets, l'interdiction de création d'embryons à des fins de recherche rend impossibles certaines évaluations de techniques d'AMP car « les recherches qui portent sur la fécondation de l'ovocyte par le spermatozoïde et qui sont nécessaires à l'amélioration de l'AMP peuvent conduire à la constitution d'embryons. Actuellement, de telles recherches doivent être regardées comme interdites, en application de l'article L. 152-2 du code de la santé publique car la fécondation in vitro n'est autorisée que dans le cadre d'une AMP et la création d'embryons pour la recherche est également interdite. » 26 ( * )

3. L'élargissement du recours à l'assistance médicale à la procréation

A l'égard des conditions de recours et d'exercice de l'AMP, le Conseil d'Etat formule plusieurs propositions, soit pour renforcer les garanties sanitaires des dispositifs existants, soit pour inscrire dans la loi des pratiques ayant cours, soit pour inscrire certaines dispositions visant des publics particuliers. Il propose ainsi de prévoir dans la loi :

- le recueil des gamètes à des fins conservatoires avant un traitement médical stérilisant ;

- l'élargissement des cas de recours à l'AMP aux couples au sein desquels le risque de transmission d'une maladie particulièrement grave existe ;

- l'autorisation du transfert post mortem d'embryons sous deux conditions : accord préalable et exprès du père, et inscription d'un délai de réflexion minimal pour la mère.

Le Conseil d'Etat propose en outre de « renforcer l'organisation administrative et les conditions de fonctionnement du secteur de l'AMP » 27 ( * ) , en harmonisant la formation des acteurs de l'AMP, en durcissant les contrôles des établissements où l'AMP est pratiquée et en proposant un suivi pédiatrique facultatif des enfants issus d'une fécondation in vitro . Le Conseil d'Etat rappelle la proposition formulée par l'Office parlementaire de faire évoluer la CNMBRDP vers une agence conçue sur le modèle de la Human Fertilisation and Embryology Authority (HFEA), en adossant la Commission à l'Etablissement français des greffes.

Tirant les conclusions du corpus juridique international de plus en plus précis et contraignant, le Conseil formule en outre un nombre important de propositions relatives au don et à l'utilisation des produits du corps humain ou sur la brevetabilité du vivant. Votre rapporteur les rappellera, le cas échéant, dans le commentaire des articles du présent projet de loi.

* 18 Etude précitée p.11, qui cite le rapport public de 1998.

* 19 Idem

* 20 Etude précitée, p. 13.

* 21 Rapport précité, p. 16.

* 22 Rapport précité, p. 23.

* 23 Rapport précité, p. 20.

* 24 Rapport précité, p. 21.

* 25 Rapport précité, p. 23.

* 26 Rapport précité, p. 23.

* 27 Rapport précité, p. 44.

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