C. AUDITION DU PROFESSEUR ARNOLD MUNNICH, CHEF DU SERVICE GÉNÉTIQUE MÉDICALE DE L'HÔPITAL NECKER-ENFANTS MALADES, DIRECTEUR DE RECHERCHE À L'INSTITUT NATIONAL DE LA SANTÉ ET DE LA RECHERCHE MÉDICALE (INSERM)

M. Nicolas ABOUT, président - Monsieur le rapporteur, je vous laisse le soin d'accueillir le Professeur Arnold Munnich et de préciser ce que vous souhaitez qu'il aborde dans son propos liminaire.

M. Francis GIRAUD, rapporteur - Mes chers collègues, nous accueillons ce matin le Professeur Arnold Munnich, pédiatre exerçant à l'hôpital Necker-Enfants malades où il dirige un service de génétique de pointe, le plus important de notre pays. J'ai souhaité que le Professeur Munnich vienne nous entretenir de bioéthique parce que, bien qu'il dispose d'un cursus scientifique de haut niveau, il est avant tout praticien. Il passe sa vie à recevoir des familles et des enfants ayant des infections génétiques et à réaliser du conseil génétique. Il se trouve donc au coeur de ce monde de la souffrance des familles et des enfants. Comment la loi a-t-elle organisé l'administration, si l'on peut dire, de la bioéthique dans notre pays par l'intermédiaire de l'APEGH ? Que pense-t-il de la brevetabilité du corps humain et du transfert d'embryons post mortem ? Ensuite, je l'interrogerai plus spécifiquement, puisqu'il en est l'un des spécialistes, sur les problèmes liés au DPI et au bébé de remplacement ou bébé médicament. Nous allons donc entendre, avec grand plaisir, un praticien de la bioéthique.

Pr. Arnold MUNNICH - Je vous remercie, tout d'abord, de me donner cette occasion de m'exprimer devant vous. Je vais le faire avec beaucoup de modestie, première qualité d'un médecin et d'un scientifique. Pardonnez-moi, dans un premier temps, de resituer ma légitimité, comme M. Giraud vient de le faire. Je ne suis ni un philosophe, ni un élu, mais un praticien et un homme de terrain. A l'aune de cette expérience auprès de nos concitoyens, je suis, d'une certaine manière aujourd'hui, comme vous l'êtes, leur porte-parole puisque je les écoute et les assiste dans leur douloureuse expérience.

Je voudrais énoncer quatre réflexions préliminaires à des niveaux très différents puisque M. Giraud m'en a donné la possibilité. La première est la question de savoir si la science est bonne ou mauvaise. A mon avis, elle n'est pas bonne ou mauvaise, elle est les deux à la fois. La deuxième réflexion porte sur le fait que la science se joue de nous quotidiennement et je vous en donnerai quelques exemples. Je finirai sur des questions plus pratiques me concernant au plus haut point, à savoir l'impact sur nos concitoyens des promesses non tenues, les déceptions des thérapies géniques, les promesses de thérapies cellulaires, l'évocation des cellules de la vie et de l'espoir. J'entrevois pour demain, encore, des paroles non tenues, et il n'y a pas pire souffrance pour un enfant malade que d'avoir cru à l'espoir de la guérison et de vivre, outre la maladie, la déception des promesses non tenues. Enfin, puisque M. Giraud m'y invite, je parlerai de la transgression au sens où j'ai la sensation qu'elle nous guette. Si vous me le permettez, j'exposerai en quelques minutes ces quatre points et, ensuite, j'essaierai de répondre à vos questions très importantes.

M. Henri Atlan écrit « la science n'est pas bonne ou mauvaise mais bonne et mauvaise à la fois ». A mon avis, la dimension nouvelle est son évolution foudroyante qui ne nous donne même pas le temps de réfléchir avec nos valeurs propres à l'impact de ces avancées sur nos conceptions essentielles. De plus, cette accélération fait l'objet, immédiatement, de la mainmise des lois de la concurrence et du marché.

A cela s'ajoute notre difficulté collective à définir le vivant. Jadis, l'âme d'un côté et le corps de l'autre fondaient notre foi. Aujourd'hui, les scientifiques nous disent que cette discontinuité entre le vivant et le non vivant n'existe pas, de sorte qu'il n'est plus possible d'opposer le matériel et le spirituel. Les barrières naturelles ne tiennent plus. Auparavant, une femme qui était inféconde le restait et elle envisageait d'autres procédures, l'adoption ou le renoncement à un projet d'enfant. Aujourd'hui, d'une femme stérile on peut faire une femme féconde. La science, là, me semble bonne. Mais quand nous faisons cela nous produisons des embryons surnuméraires.

Se pose alors le problème des conséquences de notre bonne action, et là, la science peut devenir mauvaise. Nous devons alors construire de nouvelles barrières non plus naturelles mais artificielles, humaines, c'est-à-dire, messieurs les sénateurs, des lois, je l'espère reflets d'une morale, d'une culture et d'une valeur fondamentale de notre société. Nous Français, nous devons les énoncer haut et fort. Je regrette, d'ailleurs, que la présence de la France dans le débat bioéthique international soit si pâle et si discrète. Nous avons, non pas le droit, mais le devoir de dire notre différence.

D'autres pays latins de forte culture judéo-chrétienne (le Portugal, l'Espagne, la Grèce, l'Italie) sont attentifs à notre discours. Nous n'avons pas de raison de nous incliner devant le diktat éthique anglo-saxon et nous avons le devoir d'énoncer notre différence. Il y a quelques jours, j'ai été envoyé par notre directeur général de l'INSERM, Christian Bréchot, en compagnie de notre président du comité d'éthique, Didier Sicard, au Bundestag. Ces députés et ministres allemands m'ont demandé de leur parler de ce qu'ils ont appelé « die französisch model », le modèle français. Je leur ai demandé pourquoi ils nous faisaient l'honneur de parler de modèle français. Ils m'ont répondu qu'ils savaient que nous disposions d'une éthique à la française. Cela les intéressait dans leur pays traumatisé par l'histoire et à la veille d'édicter des lois de bioéthique. Ils souhaitaient connaître nos pratiques, nos pensées, nos convictions, nos certitudes et nos références. Cela m'a fait très plaisir que des collègues allemands en appellent à la position de la France et je me suis dit que, plus que jamais, nous devions articuler haut et fort notre différence.

Le deuxième point concerne le point de vue du scientifique. Là encore, je ferai preuve d'une grande modestie parce que la conception d'une science triomphante me paraît particulièrement déplacée. Nous n'avons aucune raison de faire preuve de triomphalisme, à cause d'un certain nombre d'échecs, encore tout récemment dans notre espoir majeur de traitement des maladies génétiques. Des moratoires s'imposent. Il suffit de regarder en arrière pour s'apercevoir que la science brouille les cartes à chaque instant, et change à tout moment les termes du problème tel qu'il se pose à la société et au législateur.

Je vais vous donner quelques exemples pour vous dire notre difficulté et donc la vôtre. En science, nous sommes habités par des dogmes. L'histoire du prion en constitue un parmi beaucoup d'autres. Jamais nous n'avions imaginé qu'un agent pathogène pourrait n'être pas un être vivant et qu'un être vivant pourrait ne pas être doté d'une molécule d'ADN. Le prion nous est apparu comme un véritable bouleversement puisque nous sommes en présence d'une molécule infectieuse qui n'est pas de l'ADN. C'est un dogme qui s'effondre. Nous pourrions parler longtemps de tous ces dogmes ayant habité l'histoire de la pensée humaine scientifique et qui se sont écroulés les uns après les autres. Je suis personnellement associé, en tant que scientifique du diagnostic prénatal, à un autre exemple : celui des cellules foetales circulant dans le sang maternel. Dans ce cas, la science, ou plutôt la technologie, brouille les cartes. En effet, nous possédons de bonnes lois mais la technologie, en nous apprenant que circulent dans le sang de la mère des cellules foetales pouvant être prélevées par une simple prise de sang, à quelques semaines, bien avant le terme de l'IVG, tout notre édifice législatif se trouve ébranlé. Il y a également cette possibilité de faire un être vivant avec un noyau et une cellule somatique alors que personne n'aurait pu l'imaginer. Mais cet être vivant, doté d'un noyau et d'une cellule somatique, s'appelle-t-il un embryon ?

Le troisième point sur lequel je voudrais insister nous ramène sur terre. C'est la question des promesses non tenues et de l'impact des progrès de la science sur nos concitoyens. Nous ne pouvons pas promettre impunément, dans les médias, les discours scientifiques, pour demain la guérison sans en avoir un jour à en rendre compte. D'ailleurs, nous avons aujourd'hui à rendre des comptes. Nous ne disposons toujours pas de thérapie génique, médicamenteuse ou cellulaire pour la mucoviscidose ou la myopathie de Duchêne alors que nous avons identifié les gènes, il y a quinze ou vingt ans. Les promesses de thérapie cellulaire devraient être envisagées à l'aune de cette expérience. Les scientifiques doivent se souvenir des espoirs déçus suscités auprès de nos enfants malades. C'est un premier coup terrible pour des enfants ou des parents d'avoir une maladie génétique, c'en est un second d'expérimenter la déception d'une promesse non tenue.

Je voudrais finir mon exposé liminaire en vous parlant de la transgression. Je ne pense pas que l'on passe du bien au mal d'une seconde à l'autre, c'est par touches successives que nous en arrivons au drame. L'histoire récente nous rappelle que ce n'est pas au lendemain de l'élection du Führer qu'il y a eu Auschwitz. Pardonnez-moi, il n'y a rien de comparable. En fait, la transgression avance petit à petit et chaque disposition peut avoir un prix qui se révélera très cher dans quelque temps.

Quelles réflexions m'inspirent les dispositions du projet de loi relatives à l'ouverture de la recherche sur l'embryon ? Que pensez-vous de la possibilité offerte par le projet de loi de créer des embryons afin d'évaluer préalablement de nouvelles techniques d'assistance médicale à la procréation ?

Je répondrai à ces deux questions en même temps. Je voudrais me référer, à titre liminaire, au projet de loi, aux articles L. 2151-2 et L. 2151-3, « la conception in vitro d'embryons humains à des fins de recherche est interdite sans préjudice des dispositions prévues par l'article » et « Est autorisée la recherche menée sur l'embryon humain et les cellules embryonnaires qui s'inscrit dans une finalité médicale . » Je crois que ces deux dispositions doivent être discutées parce qu'elles peuvent paraître opposées. En effet, je ne vois pas comment nous pouvons mener une recherche à finalité médicale sans mener, préalablement, une recherche scientifique permettant d'évaluer nos pratiques. Par conséquent, dans la perspective d'un projet médical, je souhaite que la loi nous autorise d'avancer dans nos pratiques car il s'agit de rien moins que d'évaluer ces procédures nouvelles.

Je voudrais prendre, ici, un contre-exemple, au motif que nous n'avions pas cette possibilité réglementaire, il y a quelques années. Une des techniques de procréation médicalement assistée, l'injection intracytoplasmique de sperme est passée dans la pratique sans aucune évaluation préalable. Par conséquent, nous surveillons les enfants nés de ces pratiques avec anxiété. Pour n'avoir pas mené ces études préalables sur l'enfant fécondé in vitro , nous nous exposons à connaître demain des complications non plus chez des embryons mais chez des enfants nés ainsi. Par conséquent, toujours dans la perspective d'un projet médical, un certain élargissement des dispositions réglementaires est nécessaire, y compris la possibilité de créer des embryons dans le but d'évaluer ces nouvelles pratiques de PMA. Sinon nous risquons de nous réveiller demain avec de très mauvaises surprises.

Dans le cadre d'un projet médical, qu'il s'agisse d'ICSI ou d'autres pratiques, j'éprouve le besoin d'être autorisé à un certain élargissement de nos pratiques. Je vais prendre l'exemple, car j'en suis l'un des praticiens, des maladies dites mitochondriales, maladies portées par des mères qui les transmettent à tous leurs enfants sans distinction de sexe. Des générations entières sont décimées par ces maladies très fréquentes. La seule possibilité d'aider ces couples à avoir des enfants indemnes est d'évaluer comment s'opère la ségrégation ultra précoce, dans l'ovule fécondé in vitro d'une mère à risque, de ces mitochondries portant les gènes malades.

Sans avoir mené ces études préalables, je ne me lancerais pas dans un diagnostic génétique préimplantatoire car je n'aurais pas entre les mains les éléments nécessaires me permettant d'avancer avec précaution. Donc, l'interdiction de l'étude de l'embryon fécondé in vitro même dans un projet médical, conduit des milliers de femmes à se résoudre à la douleur de ne jamais avoir d'enfant. Par conséquent, dans un certain nombre de cas médicalement parfaitement identifiés, un certain élargissement de la loi s'impose pour que nous puissions faire avancer nos pratiques sans risque pour les mères et pour leur descendance.

Quant aux chances de thérapies cellulaires à court terme, je ne peux que partager avec M. Kahn mon scepticisme. Je ne les vois pas pour demain, par contre je connais l'existence de thérapies sur des cellules souches adultes qui me posent beaucoup moins de problèmes. De nombreuses études sont menées sur ce type de cellules (cellules médullaires, cardiomyocytes, myoblastes). Ces recherches, naturellement, ne me posent aucun problème personnel éthique car le don, en l'occurrence, ne compromet pas l'existence du donneur. Ce n'est pas le cas avec les embryons surnuméraires pour lesquels se pose le problème du sacrifice d'une vie biologique d'un donneur potentiel pour un receveur. Si nous y réfléchissons bien, il s'agit du seul cas de la médecine où un donneur fait le sacrifice de son existence biologique au bénéfice d'un receveur. A ce titre, je suis très attentif et plein d'espoir quant aux thérapies cellulaires sur des cellules souches adultes. Nous pourrions peut-être attendre l'avancée des travaux dans ce domaine avant d'aborder un autre problème.

Je suis totalement incompétent sur le point numéro deux et, si vous me permettez, je vais le sauter pour vous dire un mot sur le troisième point à propos de la non brevetabilité du corps humain.

Quelles réflexions vous inspire l'article 12 bis qui prend l'exact contre-pied de la directive européenne de 1998 ? Au risque de heurter certains, je pense qu'une certaine brevetabilité se défend. Il faut bien distinguer une découverte d'une invention et si l'on peut breveter une invention cela ne doit pas être possible pour une découverte. Je veux dire que nous pourrions envisager de breveter les applications de l'identification du gène. Cependant, il n'est pas question de breveter des gènes, le génome ou le vivant. Par contre, breveter les applications de la découverte de gènes me paraît licite.

J'aurais mauvaise grâce à vous dire le contraire, ou à signer des pétitions car mes collaborateurs et moi-même avons breveté la vingtaine de gènes responsables de maladies génétiques et de handicaps sévères dont nous avons fait la découverte. Quand l'incidence de la maladie et les perspectives thérapeutiques paraissaient légitimes à l'organisme, l'INSERM a pris des brevets sur la découverte de ces gènes. Donc, je ne peux pas, en même temps, prendre des brevets sur les gènes que je découvre et signer une pétition me déclarant contre le brevetage du vivant.

Je voudrais, si vous le voulez bien, en arriver au don d'organes et ensuite terminer en parlant de notre exercice du DPI et donc à vous dire quelques mots sur la transgression. Je pense que le don d'organes est quelque chose de merveilleux. Je vois bien les risques encourus en culpabilisant un donneur potentiel ne faisant pas le choix d'un don. Je comprends très bien et j'imagine la difficulté pour un frère ou une soeur de décliner la demande d'un don d'organe dès lors que son germain est en danger de mort. Je mesure parfaitement les difficultés résultant d'un don par un sujet en relation étroite et stable, puisque c'est le terme de la question, avec le receveur potentiel. Il n'en reste pas moins que c'est une merveille de pouvoir sauver son frère ou sa soeur et c'est une avancée fantastique que de pouvoir le faire.

Ceci me sert de transition pour vous parler de l'expérience de René Frydman et moi-même à Béclère et de mon collègue et ami Nisand à Strasbourg, en matière de diagnostic génétique préimplantatoire. Je vais vous livrer ma perception sur les demandes relatives à ce que l'on appelle, en de très mauvais termes, « l' enfant médicament », ce qui me heurte énormément. Beaucoup d'émotion a été soulevée autour du DPI et je voudrais témoigner après deux années d'activité de ces pratiques.

Après avoir vu 300 couples en consultation avec René Frydman, je n'ai pas eu la sensation, une seule fois, d'un dérapage de notre part. J'ai eu au contraire, à tout moment, la sensation d'un souci constant de bonne pratique tant de la part du corps médical que de la part des demandeurs. Les Français ne sont pas des personnes fantaisistes. Nous avons eu, dans l'immense majorité des cas, des demandes parfaitement légitimes. J'ajoute une information très importante à mon sens.

Lors de ces 300 consultations de DPI, nous avons pris le temps de délivrer aux couples des connaissances que, bien souvent, ils n'avaient jamais entendues. En effet, en amont de la consultation de DPI, il n'y avait pas eu de consultation de génétique correcte. Après avoir été informés des alternatives, des bonnes pratiques, des conditions d'exercice du diagnostic prénatal, de sexe ou de possibilités thérapeutiques, 100 des 300 couples demandeurs ont opté pour une fécondation naturelle.

C'est une information importante à relever que dès lors que nos patients sont correctement informés, ils peuvent faire un choix éclairé et, souvent, ils optent pour une grossesse naturelle sous couvert du diagnostic prénatal ou en y renonçant même parfois.

Dans un certain nombre de cas, nous avons été confrontés à des demandes concernant effectivement le DPI d'une maladie génétique, l'anémie de Fanconie, assortie d'une demande d'HLA compatibilité dans la perspective d'un don de moelle ou de cordon dans l'éventualité où le premier enfant malade développerait une rechute de sa leucémie. En face de moi, les parents ont fait preuve d'une très grande maturité, d'un très grand sens des responsabilités et ne m'ont à aucun moment donné l'impression d'être des fous furieux.

Je souhaite que les dispositions réglementaires nous autorisent à faire, non seulement le diagnostic génétique préimplantatoire de l'anémie de Fanconie, mais également à identifier parmi les embryons ceux susceptibles de devenir des enfants potentiellement donneurs de sang, de cordon ou de moelle pour aider un aîné leucémique. Cette disposition va dans le bon sens. Que l'on ne me dise pas que l'enfant va être asservi à un quelconque projet d'instrumentalisation. Pensez une seconde à ce qui attend l'enfant à naître s'il n'est pas un donneur compatible et s'il survit à son germain décédé alors qu'il aurait pu être son sauveur ! Nous sommes plus ou moins les thérapeutes de nos frères et soeurs, comme disent les psychanalystes. Au fond, je suis persuadé que l'on ne peut pas être mieux accueilli dans une famille que lorsque l'on a sauvé, en arrivant à la vie, son frère ou sa soeur. Je crois que cet enfant, loin d'être mal reçu, ne sera pas instrumentalisé. Il serait réductionniste de le considérer comme un enfant médicament, c'est plutôt un enfant sauveur, un petit « Messie ». Nous devons surtout garder les pieds sur terre puisque ces demandes sont rares. Ne nous agitons pas pour des problèmes devant s'arbitrer dans l'intimité du dialogue singulier.

Mon problème, et je finirai par là, est bien plus délicat et douloureux lorsque des couples, dont un premier enfant présente une hémopathie maligne avec une deuxième ou troisième rechute, viennent réclamer l'assistance de la PMA pour identifier l'embryon potentiellement sauveur de son frère ou de sa soeur.

Dans ce contexte particulier, nous sommes hors la loi. Or, il n'y a pas de risques pour l'embryon à naître lorsqu'il s'agit d'utiliser la PMA ou la HLA compatibilité. Pourtant, c'est un premier accrochage à l'esprit de la loi. C'est très difficile de dire non, croyez moi. Nous ne pouvons pas dire oui, c'est très douloureux de dire non. Dans le dialogue singulier, je vous le confesse, j'ai eu la faiblesse, monsieur le sénateur, collègue et praticien, de donner des adresses à l'étranger aux couples me demandant de recourir à la PMA. Nous ne pouvons pas rester indifférents à la souffrance de couples en larmes. Alors, je ne me suis pas cru autorisé à me substituer au Créateur et à leur dire non. Je n'ai dit ni oui, ni non, j'ai donné une adresse.

Le problème va être de plus en plus délicat à mesure que les techniques de PMA se répandent. En effet, vous savez que 10 % des couples sont inféconds en France, donc les demandes de PMA sont très nombreuses. Nous avons de plus en plus de situations où nous sommes à l'intersection entre une demande de PMA pour une infécondité et pour un petit problème génétique, qui, dans d'autres circonstances, n'aurait pas fait l'objet d'un DPN. Je veux parler d'infections qui ne sont pas incurables au moment du diagnostic (maladie de Charcot Marie, facioscapulomirale, etc). Des couples nous disent : « Nous sommes un couple infécond et nous allons procéder à une fécondation in vitro. Lorsque vous aurez les embryons devant vous, vous pourrez en profiter pour identifier celui atteint de l'infection puisque vous savez le faire. » C'est là, précisément, que commence la glissade.

M. Nicolas ABOUT, président - Merci beaucoup, monsieur le professeur, en particulier pour la profondeur et la sincérité de vos propos. En effet, nous concevons de telles auditions uniquement de cette manière. Vous devez nous apporter ce que nous ne percevons pas véritablement et ce que vous avez évoqué tout à la fin est, bien évidemment, un problème de frontière. Je vais donner la parole à Jean-Louis Lorrain.

M. Jean-Louis LORRAIN - Dans le cadre d'une interrogation comme la nôtre, souvent faite de simplicité et de sérénité, je dois vous dire que la vie se présente autrement, en particulier sur le plan médiatique. Hier soir au vingt heures de France 2, quelques fractions de minutes ont été consacrées au DPI, présenté comme accepté et faisant l'objet d'une pratique par le comité national d'éthique. J'ai été très surpris. On a présenté une famille en détresse demandant une sélection pour une maladie de Duchêne, qui appartient à une grande liste de maladies pouvant être dépistées. En même temps, on nous présente en amalgame, l'enfant médicament, ce qui vous fait horreur.

Bien sûr, nous ne devons pas nous arrêter à cette présentation médiatique. Quel est le devenir des demandes qui vont apparaître ? L'intérêt du DPI consiste, c'est vrai, à éviter des avortements thérapeutiques en cours de grossesse. Nous sommes tout à fait d'accord là-dessus mais les perspectives sont tout à fait inquiétantes. Que va-t-on faire des embryons sains mais non compatibles avec l'enfant nécessitant une thérapeutique ? Le DPI n'est-il pas une arme très dangereuse qui, au quotidien, nous met dans des situations d'interrogation excessivement douloureuses ?

Pr. Arnold MUNNICH - Ma réponse sera technique, monsieur. Lors d'une fécondation in vitro pour un diagnostic génétique préimplantatoire, nous rompons la coque de l'embryon et prélevons une ou deux cellules. Une fois cette coque rompue, les possibilités de conservation et de décongélation à d'autres fins sont très réduites. Donc, nous compromettons bien plus gravement l'utilisation d'embryons surnuméraires par le DPI que par la PMA. Nous sommes, pratiquement, incapables de faire repartir le développement d'un embryon sur lequel nous avons prélevé quelques cellules. Le risque, à mon avis, avec ces embryons est quasi nul et bien inférieur au danger de dérive avec les embryons surnuméraires dans les projets de PMA. Le DPI est moins compliqué au regard de l'embryon surnuméraire que la PMA traditionnelle. En effet, pour des raisons techniques, nous ne pouvons pas congeler un embryon à qui on a pris deux cellules. C'est un faux problème scientifique.

M. Jean CHERIOUX - Cette réponse m'inquiète. Tout à l'heure, vous avez fait part de votre impossibilité, sur le plan juridique, à procéder à certaines études sur des embryons que vous demandaient les parents, avant de faire un DPI. Vous avez cité un certain nombre d'exemples de parents venant vous voir pour une étude que vous ne pouvez pas réaliser.

Pr. Arnold MUNNICH - Je ne peux pas les réaliser au motif que je ne suis pas autorisé à faire des recherches de faisabilité sur l'embryon fécondé in vitro . Nous ne pouvons pas mener de recherche pour évaluer la pratique médicale.

M. Jean CHERIOUX - Dans le texte de 1994, il est précisé qu'à titre exceptionnel l'homme et la femme formant le couple peuvent accepter que soient menées des études sur leur embryon. Celles-ci ne peuvent-elles pas aboutir, justement, à l'implantation, après, de cet embryon ?

Pr. Arnold MUNNICH - Vous voulez dire que nous pourrions déjà pratiquer ces études ?

M. Jean CHERIOUX - J'étais rapporteur du texte et c'est pour cela que je vous pose la question. L'article L. 152-8 parle de l'interdiction de la recherche et de l'implantation, et précise qu'à titre exceptionnel l'homme et la femme formant le couple, peuvent accepter que soient menées des études sur leur embryon. Ces dernières, telles que prévues dans les textes actuels, répondraient-elles aux souhaits que vous avez formulés ?

Pr. Arnold MUNNICH - Tout à fait.

M. Jean CHERIOUX - Ce texte n'était donc pas totalement inutile.

Pr. Arnold MUNNICH - Vous voulez dire que c'est réglementairement possible dès à présent. Lorsque nous en avions discuté entre nous, nous avions la sensation que c'était hors du cadre de la loi.

M. Nicolas ABOUT, président - Il faut l'autorisation du couple.

M. Jean CHERIOUX - Exactement, mais cela répond à un souci important dans la démarche de M. le Professeur.

M. Nicolas ABOUT, président - Oui, mais cela ne répond peut-être pas au cas, cité par le Professeur, d'un couple ayant un enfant présentant une hémopathie maligne et qui voulait opérer un tri sur le second.

M. André LARDEUX - Merci, monsieur le professeur, de votre témoignage qui était très intéressant. Je vous poserai une question sémantique. Vous avez évoqué l'article L. 2151-3 qui a provoqué des discussions en commission à l'Assemblée nationale. Quelle différence faites-vous entre « finalité médicale » et « finalité thérapeutique » ? Les termes « finalité médicale » sont extrêmement larges, ceux de « finalité thérapeutique » sont par contre très restreints.

Pr. Arnold MUNNICH - Dans le sens où je l'entends, il s'agit de mener des recherches pour répondre à la demande d'un couple pour un projet d'enfant et non pas d'asservir l'embryon à un projet de thérapie. Est-ce le sens de votre question ? Dans le sens où je lis cet article, il s'agit d'optimiser les pratiques médicales, pour répondre à la demande d'un couple à risque pour une maladie génétique d'une particulière gravité. C'est un problème de diagnostic, et non thérapeutique.

M. André LARDEUX - Cela suppose que le législateur soit vigilant sur les termes et leurs positions dans le texte du projet de loi.

M. Nicolas ABOUT, président - Nous aurons certainement à réécrire le texte en essayant de soutenir la position du législateur de 1994 et d'adapter le texte de l'Assemblée nationale à ce qui a été dit.

M. Gilbert BARBIER - Monsieur le professeur, vos propos liminaires nous interpellent. Lorsque vous évoquez le problème de l'éthique à la française, cela signifie qu'elle serait définie par le législateur français. Votre propos veut-il dire que le législateur français doit ou peut précéder le scientifique ? C'est la question de base qu'il faut se poser. Cette loi à la française que vous développez doit-elle émaner de notre morale ? La morale française doit-elle être unique ? Si nous nous engageons dans cette discussion, nous allons très rapidement tomber dans l'ordre moral ou la pensée unique. Je trouve vos propos très en retrait par rapport au scientifique que vous êtes. La question est simple, devons-nous vous précéder ou vous suivre ? C'est peut-être de la philosophie plus que de la science.

M. Nicolas ABOUT, président - Monsieur le professeur, l'éthique se rapporte-t-elle aux limites que la société donne à sa propre liberté ou à celles que les scientifiques donnent à la leur ?

Pr. Arnold MUNNICH - Je ne voulais pas heurter. Il ne s'agit pas de faire preuve de sentiment nationaliste mais une loi est le reflet d'une culture nationale et régionale. Autour de toutes ces pratiques, une forte inspiration judéo-chrétienne et un courant de pensée latin, je ne vous apprends rien, se distinguent du monde anglo-saxon inspiré par d'autres valeurs. Donc, en parlant sous votre contrôle, une loi est l'expression de la culture d'un peuple et de la sensibilité d'un pays. Par conséquent, elle ne précède ni ne suit. Il n'est pas question de courir derrière ou de précéder mais de cheminer de concert.

Votre question me surprend puisque vous n'êtes pas sans savoir que les positionnements diffèrent sur ces pratiques selon les pays qui n'ont, pour certains, pas même de loi. La France a souhaité voter une loi, c'est une très bonne chose, c'est l'expression de la sensibilité, de la culture et des valeurs d'un peuple. Et Dieu sait que la France a apporté des valeurs fondamentales à l'Humanité toute entière depuis 1789 et peut-être même avant. Ne sommes-nous pas, là encore, à un moment névralgique, où nous devons affirmer notre différence et l'articuler courageusement, quitte à prendre des coups ?

M. Nicolas ABOUT, président - Merci beaucoup, monsieur le professeur. Toutefois notre culture judéo-chrétienne et notre histoire gréco-latine nous laissent en matière d'éthique, quelquefois plus de questions que de réponses. Prenons l'Antiquité, par exemple, pendant laquelle, les êtres étaient traités d'une drôle de façon lorsqu'ils n'étaient pas tout à fait conformes aux souhaits. Nous ne rappellerons pas Sparte.

Mme Michelle DEMESSINE - Monsieur le professeur, je voudrais d'abord vous remercier d'avoir pris le temps de nous faire un préambule philosophique. Je pense que, revenir au fond d'une pensée pour pouvoir aborder des problèmes extrêmement complexes, nous aide vraiment.

J'ai été très intéressée par votre expérience sur le DPI et sur les 300 couples. J'avais participé en 1994 au débat sur la loi de la bioéthique. Nous avions alors pris notre décision en notre âme et conscience. En l'absence d'expérience nous nous basons sur notre opinion propre et notre sensibilité, même si nous sommes des citoyens responsables parce que nous sommes des élus. Cette expérience de vécu est extrêmement importante puisqu'elle relativise aussi notre propre pensée.

Vous avez développé ce qui arrive dans la réalité à propos de l'enfant sauveur. Ce problème nous interpelle beaucoup d'abord pour l'enfant sauveur lui-même, même si c'est une question moins grave que celle de celui qu'il va sauver. Nous lui conférons une tâche culturellement nouvelle qu'il lui faudra assumer. On ne peut pas concevoir un enfant dans un but différent du but habituel. Je voudrais également avoir une indication de la réussite médicale dans ce domaine. L'enfant sauveur sauve-t-il toujours son frère ou sa soeur ? J'écoutais, tout à l'heure, l'interrogation de mon collègue Lorrain au sujet du DPI. Dans ce cas, nous ne sommes pas dans le cadre de l'eugénisme, il y a un consensus dans notre pays là-dessus. De plus, vous avez bien montré notre obligation de nous donner un degré dans la souffrance. Cependant, il est extrêmement difficile à évaluer. La souffrance est, j'imagine, immense, pour chaque famille, même celles avec un antécédent génétique que vous estimez faible. Pouvons-nous instituer, par rapport à l'utilisation du DPI, un degré pour une souffrance acceptable ?

Pr. Arnold MUNNICH - Le taux de succès du DPI est faible. Les chances de développer une grossesse après ces pratiques sont de 20 à 25 %. Nous avons eu 30 couples sur 150 qui ont donné naissance à un enfant dans les deux dernières années à Béclère. Les chances qu'un enfant, un peu identique à son germain atteint de faconie, puisse lui sauver l'existence sont énormes dès lors que l'HLA compatibilité est parfaite ;c'est le donneur parfaitement compatible, l'équivalent d'un jumeau au plan de l'immunité.

Je suis très sensible à ce que vous avez dit à propos du degré de la souffrance. Personne n'a qualité pour dire qui souffre beaucoup ou pas. D'ailleurs, le législateur s'est montré extrêmement prudent en ne dressant pas la liste des affections éligibles du DPN ou du DPI. Vous avez décidé, en conscience, et vous nous avez fait confiance. Je pense qu'aujourd'hui la représentation nationale peut légitimement en être fière. Il n'est donc pas question de lister des indications du DPN ou du DPI. Nous ne pouvons pas décider qui souffre et évaluer cette souffrance. Je connais des couples qui ont gardé des enfants avec des maladies très graves et d'autres qui n'ont pas pu supporter un risque me paraissant faible. Je me souviens d'avoir reçu, un jour, un monsieur pour une paraplégie spastique. Je lui faisais la morale de manière maladroite, en lui disant qu'il avait 45 ans, deux enfants splendides, une position professionnelle remarquable, une femme charmante. Je lui demandais alors la raison de sa demande de DPN pour un handicap qui me paraissait compatible avec une existence d'une très bonne qualité. Il m'a tout de suite interrompu en me faisant remarquer que ce n'était pas moi qui vivais le handicap, mais lui. Par conséquent, je suis très sensible à vos propos. L'appréciation de la souffrance d'un couple relève de la mission médicale et de la décision intervenant dans le dialogue singulier.

C'est pourquoi je voudrais disposer de deux minutes, à la fin, pour passer quelques messages hors de l'ordre du jour de cette réunion, notamment pour souligner l'importance du dialogue singulier. Il faut redonner à toutes ces pratiques leur dimension médicale. Nous ne sommes pas des apprentis sorciers mais dans un projet médical d'assistance à un couple ou à des enfants en souffrance.

M. Nicolas ABOUT, président - Vous avez, monsieur le professeur, les deux minutes que vous souhaitiez pour conclure.

Pr. Arnold MUNNICH - Je voulais attirer votre attention sur deux problèmes au-delà des sujets de la plus grande importance sur le plan des principes dont nous avons parlé.

Je voudrais évoquer un enjeu majeur pour un grand nombre de citoyens, qui est l'exercice de la pratique des tests génétiques selon la loi du 4 février 1995 dont, vous vous souvenez qu'elle est bonne. Des décrets encadrent effectivement les tests génétiques, mais cinq ans après leur promulgation, ils n'ont pas été accompagnés des circulaires devant mettre en application les règles de bonne pratique. Ce problème concerne, non la poignée de couples concernés par les maladies dont nous avons discuté, mais des centaines de milliers de Français. Les conditions réglementaires des tests génétiques restent d'un flou total et nous sommes à la veille d'une dérive retentissante. Nous ne savons pas qui prescrit le test, comment il est pratiqué, rendu, et si une consultation génétique intervient préalablement à la prescription. Des catastrophes arrivent dans la mesure où, en France, des résultats d'examens prescrits à la légère, parfois par téléphone, sont rendus par courrier sans être accompagnés de la moindre explication. Ils sont transmis par le médecin généraliste, qui n'y connaît rien, à des patients qui comprennent encore moins. S'agissant d'un grand nombre des Français, j'appelle votre attention sur la nécessité de publier des circulaires d'application de ces dispositions réglementaires.

Le deuxième problème relève du secret médical au regard du statut génétique des sujets. Nous avons, encore tout récemment, été confrontés à des difficultés liées à ce secret. Ces maladies ne sont pas seulement celle d'un individu, elles éclaboussent toute la famille. Au regard du droit, le respect de la vie privée des gens l'emporte sur l'assistance à personne en danger. Il n'est malheureusement pas exceptionnel, j'en ai fait la douloureuse expérience samedi dernier, qu'une mésentente intrafamiliale aboutisse à la maladie et à la mort de plusieurs enfants apparentés éloignés. Lorsque nous nous retournons vers les personnes qui auraient pu, ou dû, prévenir leurs apparentés, elles se retranchent derrière le respect de la vie privée et du secret médical. J'attire donc votre attention sur le fait -nous y avons été confrontés avec la contamination intraconjugale dans le SIDA- que ce problème réglementaire est extraordinairement douloureux. Le législateur pourrait envisager une disposition selon laquelle, lorsque la vie des apparentés est en danger, une obligation est formulée d'aller au-devant des personnes à risque.

M. Nicolas ABOUT, président - Monsieur le professeur, merci beaucoup. Vous avez certainement contribué à faire avancer la réflexion sur tous ces sujets délicats.

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