D. AUDITION DU PROFESSEUR ISRAËL NISAND, CHEF DE SERVICE DE GYNÉCOLOGIE-OBSTÉTRIQUE AU SIHCUS-CMCO DE STRASBOURG

M. Francis GIRAUD, rapporteur - Monsieur le président, mes chers collègues, tout le monde connaît le Professeur Israël Nisand qui a joué un rôle très important dans différents dispositifs législatifs. Il possède, lui aussi, une expérience de praticien dans le domaine de la PMA et de tous les sujets s'y attachant. Ayant assisté ce matin à nos débats, il connaît les questions qui nous intéressent. Il y répondra à la lumière de son expérience.

M. Nicolas ABOUT, président - Monsieur le professeur, je vous accueille aussi avec grand plaisir.

Pr. Israël NISAND - Monsieur le président, Monsieur le rapporteur, je vais également faire usage de modestie. En effet, j'ai dû remanier totalement mon propos au fur et à mesure de l'écoute des orateurs précédents. Je souscris en effet totalement aux discours tenus par les Professeurs Huriet, Kahn et Munnich. Je tenterai cependant d'apporter quelques réponses personnelles aux questions que vous me posez, Monsieur le rapporteur.

D'entrée de jeu, il me semble indispensable de rappeler qu'un expert n'est jamais neutre, surtout dans le domaine de la bioéthique. Je n'échappe pas à cette contamination par mes propres valeurs. Ce serait en effet prétentieux de ma part que de dire que les propos que je vais tenir émanent exclusivement d'une analyse d'expert. Personne ne peut sortir de l'ambiguïté qui provient de l'éclairage que l'on obtient à la lueur de ses propres valeurs. Mes valeurs, ma culture et mon histoire interfèrent donc avec la position que je vais exprimer devant vous.

La deuxième difficulté à laquelle toute la société française est confrontée, est le problème de la contemporanéité (ici imposée) entre l'avancement du droit et l'avancement de la science. Jamais la situation n'a été aussi critique de ce point de vue. En effet, habituellement le droit peut prendre de la distance par rapport aux événements et éviter la difficulté qu'il y a à dire le droit trop tôt. Mais ici le sujet est difficile car il touche à la définition de l'humain. Les chercheurs des biotechnologies pourraient remettre en cause la définition de l'être humain et ceci de manière assez grave. Ces recherches sensibles imposent donc un exercice de style délicat pour les juristes et les élus, celui de limiter la recherche. Ce travail est dangereux car le fait de pouvoir chercher appartient à la liberté de l'homme par nature curieux. Mais pour la première fois dans notre histoire, et pour des raisons éthiques, nous sommes tenus à tout le moins d'encadrer cette recherche.

La première solution pourrait consister à dire que, cette recherche étant dangereuse, il faut l'interdire. Cette attitude est bien sûr impossible et le serait même si nous étions isolés dans le monde. Nous avons des frontières et d'autres pays existent qui pourraient constituer à l'avenir des paradis génétiques. Nos chercheurs seraient obligés de s'expatrier pour ne pas perdre pied dans les domaines de la biologie de la reproduction ; cas de figure à éviter bien sûr.

De plus, l'homme est particulier dans la mesure où il a toujours fait le meilleur et le pire de ses découvertes. Quelles que soient les lois que la France se donnera, nous savons bien qu'ailleurs, tout ce qu'il sera possible de faire sera fait. Ceci ne dispense absolument pas de légiférer. Ce n'est pas parce qu'ailleurs le pire pourrait être commis qu'il faut l'admettre chez nous.

La révision des lois dites bioéthiques de 1994 devait intervenir en 1999. Le retard apporté à cette révision de la loi nous rassure, car la lenteur du législateur ici montre sa pondération, son angoisse et ses difficultés face à une science qui cavale tant sur le plan qualitatif que quantitatif.

Il existe un réel contraste entre les vitesses d'accomplissement de ces deux modèles, le modèle légal et le modèle scientifique. Cette différence de vitesse justifie totalement de confier à une agence une antenne de surveillance de la recherche et des pratiques, en quelque sorte un pôle avancé du législateur pour évaluer, en temps réel, les activités de recherche dans ce domaine.

Cette Agence (APEGH) pourrait avoir, monsieur le rapporteur, une composition différente de celle qui se trouve dans le projet de loi voté par l'Assemblée nationale. Je suggère qu'il y ait plus de représentants de la société civile, du monde de la pensée (des philosophes par exemple mais aussi des juristes et des élus) et moins de représentants du corps médical qui sont souvent juges et parties. Les médecins doivent être invités à donner leur avis en tant qu'experts sur l'opportunité des recherches et sur leurs limitations. Cette Agence pourrait avoir la mobilité nécessaire à l'évaluation des dossiers, ce que ne peut faire le législateur qui se doit de prendre du recul. Nous ne savons pas quelles seront les avancées scientifiques de demain. Même avec la plus grande précision dans l'élaboration d'un texte, celui-ci serait dépassé dès sa publication. Même une cadence de révision de la loi de cinq ans deviendra insuffisante pour les réactions rapides que ne nécessiteront les progrès à venir.

Une telle agence relève donc d'une précaution du législateur devant un problème inédit et ne le dessaisit pas, bien au contraire, de son pouvoir régalien. La Commission nationale de biologie de la reproduction et du diagnostic prénatal avait des pouvoirs limités puisque, par exemple, elle ne pouvait se rendre dans les hôpitaux pour évaluer sur place les actions engagées. Ses moyens financiers étaient insuffisants et sa rapidité de prise en compte des dossiers en souffrait.

Augmenter les attributions de l'Agence par rapport à cette Commission nationale de biologie de la reproduction me semble légitime et de surcroît astucieux. Si la France participe au travail de recherche sur l'embryon, il est nécessaire qu'un comité de sages puisse encadrer ce travail, le limiter après l'avoir autorisé et enfin en vérifier les résultats.

Le projet d'agence me semble donc bon, à l'exception de sa composition, qui doit subir quelques modifications dans le sens d'une plus grande ouverture à des personnes étrangères aux intérêts scientifiques proprement dits.

Avant de répondre très précisément aux questions que vous me posez, monsieur le rapporteur, je voudrais faire deux autres remarques préliminaires : l'une concerne la définition de l'eugénisme et l'autre concerne les problèmes éthiques soulevés respectivement par le diagnostic préimplantatoire (DPI) et le diagnostic prénatal (DPN).

En ce qui concerne l'eugénisme, un des sénateurs de la commission faisait remarquer que le diagnostic prénatal ne constitue pas de l'eugénisme puisqu'il est librement consenti par tout le monde. Il y a là un réel problème de définition du mot eugénisme. En effet, l'eugénisme est, pour une partie du concept, la sélection des enfants à naître. L'autre partie du concept traite des moyens divers d'améliorer l'espèce humaine. Lorsqu'une femme par exemple choisit comme compagnon un bel homme dans le but de faire avec lui de beaux enfants, son choix entre parfaitement dans la définition de l'eugénisme.

On peut donc se poser la question de savoir s'il y aurait un bon et un mauvais eugénisme ou plutôt un eugénisme acceptable et un eugénisme non acceptable et quelle serait dans cette hypothèse la ligne de démarcation ? C'est un philosophe américain, Philip Kitcher, qui, par l'analyse du concept, peut nous aider dans la compréhension de ce mot complexe. Selon lui, un programme eugénique peut être envisagé et analysé selon quatre angles différents et dans chacune de ces catégories le programme peut être plus ou moins acceptable. Ces catégories sont :

- l'aspect coercitif ou non du programme ;

- l'aspect discriminatoire ou non du programme ;

- la qualité des fondements génétiques du programme ;

- le but et l'enjeu du programme.

En effet, lorsque l'on parle d'eugénisme, le grand public effectue souvent un rapprochement avec la médecine qu'exerçaient les médecins nazis (qui ont fait l'objet du procès de Nuremberg bis, un des fondements modernes de la bioéthique). On ne peut bien sûr pas comparer cette médecine là au diagnostic prénatal en les rangeant toutes deux sous la même bannière de l'eugénisme. Si l'on compare ces deux programmes (la médecine nazie et le diagnostic prénatal) sous chacun des angles d'analyse de Philip Kitcher, on peut dire que la médecine nazie était coercitive alors que le diagnostic prénatal ne l'est pas, qu'elle était discriminatoire, ce qui n'est pas le cas pour le diagnostic prénatal, qu'elle reposait sur un fondement génétique erroné alors que le diagnostic prénatal a des fondements génétiques scientifiquement élaborés et corrects et enfin que le but de la médecine nazie était d'obtenir une amélioration de la race aryenne alors que le propos du diagnostic prénatal est d'avoir des enfants en bonne santé. Les deux programmes sont eugéniques mais l'un est inacceptable, alors que l'autre (qui répond bel et bien à la définition philosophique de l'eugénisme) est parfaitement accepté par une large majorité de la société française.

On peut donc dire à mon sens qu'il y a un eugénisme acceptable et un eugénisme non acceptable et la difficulté est précisément de définir les limites que notre société accepte et de poser les valeurs qu'elle ne souhaite pas franchir ou profaner.

Le deuxième point qui me semble important concerne les pudeurs et les difficultés éprouvées par la société française au moment de l'institution dans notre pays des centres réalisant le DPI. Le DPI au bout de trois ans de fonctionnement dans notre pays a permis la naissance à ce jour d'une trentaine d'enfants et concerne tout au plus 150 à 200 couples par an, au maximum, dans notre pays. Il consiste à rechercher une anomalie génétique transmise par les parents sur un embryon et à réimplanter les embryons qui ne sont pas porteurs de l'anomalie héréditaire de la famille. Il me semble beaucoup moins porter préjudice à la dignité humaine que le DPN où l'on recherche, et ceci de manière industrielle, sur la totalité des grossesses françaises, des anomalies embryonnaires et foetales, pour le cas échéant, interrompre les grossesses.

Il est intéressant et révélateur de se préoccuper avec tant de force du DPI dont la marginalité est extrême en oubliant totalement le DPN quasiment généralisé, aux enjeux éthiques bien plus lourds. Il y a tout lieu de penser que cette préoccupation extrême sur le DPI et l'absence de préoccupation sur le diagnostic prénatal sont symptomatiques d'un état d'esprit de notre société.

Et je voulais donc rappeler que si des problèmes éthiques importants se posent c'est bien dans le DPN et pas dans le DPI où la loi française est parfaitement bien écrite et mesurée. Le poids de la société française qui souhaite être rassurée sur la qualité des enfants à naître pousse, à l'instar d'une demande de soins, les médecins à proposer des tests de DPN de plus en plus sophistiqués.

Et si demain l'on était capable de détecter chez l'enfant à naître, par un moyen ou par un autre, l'existence d'une agressivité excessive, il y aurait fort à parier que nous serions sollicités par des demandes d'avortement comme cela s'est produit récemment dans le centre où j'exerce à propos de la détection fortuite d'un caryotype comportant un double Y.

On peut donc dire que notre société a, à l'évidence, un véritable penchant eugénique qui actuellement se renforce, compte tenu de la difficulté qu'éprouvent les parents d'enfants handicapés au quotidien. La boucle d'un eugénisme institutionnel a d'ailleurs failli être bouclée totalement lorsque l'on a tenu pour responsable au plan médico-légal des médecins n'ayant pas détecté une anomalie, permettant ainsi aux parents de ces enfants d'être «indemnisés» de l'absence de diagnostic prénatal. Nous étions de ce point de vue en train de faire fausse route collectivement puisque là où la solidarité nationale doit prendre en charge l'enfant différent, c'est au contraire que l'on assistait, avec les actions récursoires des caisses de sécurité sociale.

Vous m'avez demandé, monsieur le rapporteur, de donner mon opinion sur la recherche sur l'embryon.

Je pense que la France ne pourra pas éviter de mettre en oeuvre des programmes de recherche sur l'embryon, même si, pour l'instant les possibilités thérapeutiques qui peuvent résulter d'une telle recherche sont plus que douteuses. On pourrait même avancer l'hypothèse qu'une telle recherche n'aboutira peut-être jamais à rien. Mais a-t-on pour autant le droit de l'interdire ou de ne pas y participer ? Le chercheur qui a découvert la pénicilline ne faisait pas de la recherche sur les antibiotiques. Toutes les découvertes sont le fruit du hasard et d'une rencontre épistémologique entre deux types de discours et de langage. Si, demain, la loi de la France interdisait de mener des recherches sur l'embryon, ce serait, de manière certaine, une grosse erreur pour l'avenir que nous serions sûrement amenés à regretter.

Comment donc concilier la dignité de l'embryon humain (fut-il microscopique) et cette obligation d'autoriser la recherche sur l'embryon. Comment concilier le conflit d'intérêt entre le respect de la dignité de l'être humain et la quasi obligation de continuer à avancer dans les domaines de la connaissance pour ne pas risquer qu'un jour des recherches auxquelles nous n'aurions pas participé s'avèrent profitables et que notre pays profite des résultats de ces recherches sans avoir consenti d'y participer. En effet, si demain nous avons les moyens de soigner une pathologie grave grâce à des techniques issues de la recherche sur l'embryon, il sera impossible d'expliquer aux français que ces thérapeutiques ne seront pas disponibles sous prétexte qu'elles ont été obtenues grâce à la recherche sur l'embryon. Même si nous ne savons pas à quoi vont aboutir ces recherches (ce qui est une règle quasi constante dans le domaine de la recherche) je crois qu'il faut y participer.

Mais notre participation peut s'accompagner d'une immense prudence dont la première et sûrement la plus efficace est l'établissement d'un comité des sages qui, selon la loi, pourrait comporter des scientifiques extérieurs à la communauté nationale (le monde des chercheurs en biologie de la reproduction dans notre pays est petit et il serait nécessaire de se protéger d'un éventuel copinage entre des équipes très liées entre elles).

En s'assurant d'une analyse méticuleuse de la qualité des projets de recherche, en vérifiant la qualité des chercheurs qui les soutiennent, en analysant correctement les résultats de la recherche animale sur les mêmes sujets, on pourrait faire en sorte que le travail de recherche français sur l'embryon humain soit réduit à sa plus simple expression mais également à sa plus nécessaire légitimation.

Si une recherche est encore possible sur l'animal, elle ne devrait pas pouvoir prendre en compte des embryons humains. Une telle recherche devrait pouvoir être limitée dans le temps et dans le nombre d'embryons nécessaires et être suivie en temps réel par un contrôle spécifique.

J'irai même plus loin sur ce point de la recherche sur l'embryon. Si la France signe le texte de la convention d'Oviedo, il ne sera plus possible de créer des embryons spécifiquement pour la recherche. Or il y a au moins un exemple où il semble légitime de créer des embryons pour la recherche. C'est celui des jeunes filles traitées par chimiothérapie pour une maladie de Hodgkin ou une leucémie. Nous serons probablement capables d'ici quelques années de cultiver in vitro le tissu ovarien de ces jeunes femmes prélevé et congelé avant leur traitement et maturer in vitro leurs ovocytes. Ceci pourrait nous permettre, après guérison, d'obtenir des grossesses par procréation médicalement assistée chez des femmes qui actuellement sont condamnées à n'avoir pas d'enfant alors que nous sommes capables de les guérir de leur maladie.

Mais ne peut-on décemment réimplanter les premiers embryons obtenus par de telles techniques sans avoir vérifié préalablement la qualité de ces embryons ? Ce ne serait à l'évidence pas raisonnable ou ressemblerait à une expérimentation sur du « matériel humain » bien plus critiquable que de tester préalablement la qualité des embryons. Ma réponse est donc double. Non seulement je pense qu'il faut que notre pays se ménage une possibilité étroite et très encadrée de recherche sur l'embryon, mais il faut également avoir la possibilité de créer des embryons pour la recherche dans des situations très strictes et très encadrées. C'est de la qualité de cet encadrement que dépend la dignité que l'on accorde à ces embryons humains, c'est-à-dire la différence par rapport à un simple matériel biologique.

Je voudrais simplement rappeler qu'il y a quatre ans lorsqu'il s'est agi de créer des centres de DPI en France, seuls les centres qui avaient envoyé un chercheur à l'étranger pour se former au travail sur l'embryon humain ont pu avoir un agrément. Il y a là quelque chose d'un peu malsain d'envoyer des chercheurs se former à l'étranger sur les embryons des autres pour ensuite récupérer leurs compétences dans notre pays. Plutôt que de conserver ce type d'hypocrisie, ayons le courage de mettre en place chez nous les contrôles nécessaires pour éviter une dérive qui dans ce domaine serait inacceptable.

En ce qui concerne la brevetabilité du corps humain. Il nous faut faire face actuellement à une pression utilitariste car aucun industriel n'acceptera de consacrer d'importantes sommes d'argent à une recherche dans le domaine des biotechnologies s'il n'a pas une certaine assurance d'obtenir un retour sur son investissement. Par conséquent, il ne faut pas tarir les possibilités qu'offre la recherche en supprimant l'investissement émanant des structures privées.

Il y a bien sûr une différence entre une invention et une découverte et une solution pourrait être de limiter la durée de la propriété industrielle dans le domaine des biotechnologies. Le délai au-delà duquel les découvertes tomberaient dans le domaine public pourrait être plus court. Une position médiane en tous les cas pourrait éviter le tarissement du financement privé dans la recherche en génétique qui serait à mon sens catastrophique car l'argent serait alors investi, mais dans d'autres pays.

En ce qui concerne le transfert d'embryon post mortem . J'ai été confronté, à titre personnel et de manière très vive, par deux fois, à des demandes de femme qui disaient en substance : «dans l'état actuel de la loi, vous me dites que je peux donner mes embryons à une autre femme ou les jeter mais que je ne suis pas autorisée à les réimplanter dans mon propre utérus. Si c'est ce que dit la loi de la France, ceci n'est pas entendable».

Dans cette question du transfert d'embryon post mortem , l'analyse pourrait se faire en terme de cas particuliers. En effet, la meilleure manière inventée par l'espèce humaine pour résoudre un conflit d'intérêt, c'est la négociation, un chemin mené avec la patiente pour essayer de lui faire comprendre où est son réel intérêt et quels sont exactement les enjeux de sa demande.

Qui peut dire à une patiente confrontée à la perte d'un compagnon ce qu'elle a à faire dans ce domaine ? Qui peut savoir ce qui s'était dit à l'intérieur du couple avant la mort du compagnon ? Il est rigoureusement impossible de jeter la pierre à une femme qui accomplit une démarche d'aboutissement d'un projet débuté initialement avec un homme depuis décédé. Il ne s'agit pas là d'encourager la constitution de familles monoparentales mais tout simplement de traiter de manière humaine de situations exceptionnelles et toutes différentes les unes des autres.

Ici aussi un comité des sages pourrait intervenir au cas par cas (il doit y avoir 5 à 10 cas par an en totalité pour toute la France). Il me semble que cette option serait meilleure que de régler cette question par la loi, avec toute la rigidité que cela sous-entend, et qui, ici, ne me semble pas justifiée.

Le dernier point que je souhaite aborder concerne les maladies à révélation tardive dont l'exemple le plus connu est celui de la maladie de Huntington. Cette maladie dont le diagnostic prénatal est possible se transmet à 50 % des enfants d'un sujet malade. La maladie commence entre 40 et 50 ans et se termine dans une déchéance psychiatrique difficilement tolérable.

80 % des enfants ayant un de ses parents atteint de la maladie de Huntington ne veulent pas connaître leur propre statut génétique. Cette attitude est légitime car il n'y a aucun traitement préventif disponible. La situation se complique bien sûr lorsque ces personnes, en pleine santé, décident de concevoir un enfant. Le diagnostic prénatal, pour un couple dont le mari ou la femme ne veut pas connaître sa situation génétique personnelle, pourrait aboutir, en cas d'atteinte de l'enfant, à ce que la révélation du statut génétique se passe contre la volonté de l'individu de manière indirecte : si l'enfant est atteint, c'est qu'à coup sûr son parent transmet la maladie. Il est donc aussi un futur malade lui-même. Le diagnostic prénatal ne peut donc pas servir à protéger ces couples de la naissance d'un enfant malade lorsque l'un des membres du couple ne souhaite pas connaître son statut génétique personnel par rapport à cette maladie.

Le DPI permet de repérer chez les embryons les chromosomes issus des grands-parents porteurs de la maladie et permet d'éviter de réaliser l'analyse au niveau parental.

Cette situation se retrouve dans beaucoup de maladies à révélation tardive. La loi votée par l'Assemblée nationale, dans son article L. 2131-4, comporte dans son troisième alinéa les mots «chez l'un des parents» à la suite desquels est insérée la mention «ou l'un de ses ascendants immédiats dans le cas de la maladie de Huntington». Je vous propose de supprimer la restriction à la maladie de Huntington car d'autres maladies à révélation tardive nous placeront dans le besoin d'analyser les chromosomes des grands-parents pour savoir ceux que l'embryon a hérité. La situation de la maladie de Huntington devrait se produire pour d'autres maladies à révélation tardive et ne pas alors nécessiter une modification du texte de loi.

Je rappelle à ce propos que toutes les demandes de DPI sont analysées préalablement par les centres pluridisciplinaires de diagnostic prénatal qui doivent donner leur accord après analyse du dossier. Si la maladie de Huntington est pour l'instant la seule maladie à révélation tardive, elle ne restera pas la seule et il n'y a pas de risque à laisser simplement la mention de « l'un des ascendants immédiats » sans préciser le type de maladie que l'on recherche.

A la question posée au départ de cette intervention du «faut-il légiférer ?», ma réponse est désormais tout à fait claire et positive. Bien que le sujet soit difficile, du fait de son évolutivité exponentielle, il faut légiférer de manière très générale, en déléguant à une agence le soin d'une analyse de détail en temps réel.

Je ne vois pas d'autre dispositif qui permette d'allier la nécessité de légiférer et la rapidité des évolutions dans ce domaine.

Voici, monsieur le président, monsieur le rapporteur les quelques éléments de réflexion que m'inspire le texte de loi que nous analysons.

M. Francis GIRAUD, rapporteur - Je crois que le Professeur Nisand a parfaitement répondu à notre attente. En effet, il a complété très heureusement cette matinée en nous apportant, élément capital, le poids de son expérience et de sa réflexion sur tous ces problèmes. Sur beaucoup de points, la commission des Affaires sociales devra réfléchir et se prononcer en tenant compte de ce qu'il nous a livré ce matin. Nous le remercions beaucoup.

M. Jean Louis LORRAIN - Si vous le permettez, monsieur le professeur, je voudrais vous poser une question brève. Lors de votre approche, nous nous sommes bien rendu compte que nous vivions une période de profonde tension. Il semble que nous nous écartons de plus en plus de la morale kantienne qui nous aidait jusqu'ici et dont la finalité était l'intérêt de l'être et, nous avons l'impression que toutes ces idées sont en train de se diluer.

En ce qui concerne la pression que nous ressentons, croyez-vous vraiment que les lois éthiques et non pas celles du législateur freinent la science ? Par ailleurs, j'ai vu tout l'intérêt que vous portez à la création d'une agence particulière. Nous sommes un petit peu mesurés parce que nous avons l'expérience des conseils d'éthique qui nous semblent remplir leur tâche, en particulier sur le plan national et notamment pour les maladies de Huntington ou de Franconi. Vous savez bien que des avis très récents sont parus sur le sujet. Nous partageons avec vous l'idée d'une Agence plus spécialisée.

Ma question, à laquelle, je sais, vous ne répondrez pas, se rapporte au statut de l'embryon. Faut-il, dans le cadre du prolongement de cette loi, s'atteler à la tâche de définir le statut de l'embryon ? Loin de nous l'idée de vouloir sacraliser des cellules débutantes mais cette question est liée à la notion de développement. Devons-nous aborder le problème de la personne lorsque nous parlons de l'embryon ?

En précisant et en menant une réflexion de fond sur le statut de l'embryon, nous pourrions apporter un éclairage, des comportements voire des choix scientifiques différents, même si nous craignons ce qui peut se passer ailleurs.

Pr. Israël NISAND - Je pense tout à fait, monsieur le président, monsieur le sénateur, que les parlementaires ne pourront pas faire l'économie d'une discussion difficile et très contradictoire (car les valeurs sont très différentes) sur le statut de l'embryon et du foetus. Un événement récent où une femme a perdu son foetus à la suite d'un accident de la voie publique à la veille de son accouchement a laissé l'opinion publique sans voix lorsqu'il a été dit que le foetus n'était pas une personne.

Le débat sera en effet difficile car l'opinion publique est favorable à 90 % au maintien du droit à I'IVG. Il faut donc trouver une solution pour créer un statut de l'embryon tout en maintenant le droit des femmes à accéder, lorsqu'elles le souhaitent, à une interruption volontaire de la grossesse.

Je ne partage pas par exemple l'opinion qui consiste à dire qu'il vaut mieux jeter un embryon plutôt que de mener une recherche très encadrée sur lui avant de le jeter. Je n'arrive pas à comprendre où est la différence de dignité entre ces deux démarches. La démarche du don qui concerne les embryons aussi bien que les organes ne porte pas non plus atteinte à la dignité humaine. En effectuant une analyse génétique sur un embryon avant de la détruire, nous n'attentons pas à la dignité humaine. En revanche, je nourris une opposition personnelle au clonage reproductif. Les forces du marché sont telles que des équipes de recherche peuvent être amenées à le réussir et à le proposer. Or il porte atteinte à la liberté individuelle et ceci de manière grave et n'a aucun intérêt médical ni même aucun intérêt scientifique.

L'interdire en France ne suffit pas et il me semble qu'à cette occasion la France devrait demander, même si elle est isolée dans cette démarche, de faire du clonage reproductif un crime contre l'humanité. Celui-ci pourrait dès lors être poursuivi, sans prescription, par un tribunal pénal international.

C'est le seul moyen d'éviter une issue inéluctable et caractéristique de l'espèce humaine «l'homme a toujours fait le meilleur et le pire de ses découvertes». Être comptable devant nos enfants du monde que nous leur laisserons, c'est s'être opposé avec la plus grande véhémence au clonage reproductif, même si d'autres nations, subverties par les forces du marché, n'ont pas la même analyse que nous. Ce ne serait pas la première fois que la France fait entendre seule sa voix. C'est alors qu'elle a le plus de poids.

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