AUDITION DE M. JEAN-JACQUES AILLAGON,
ministre de la culture et de la communication

Réunie le mardi 29 avril 2003 , sous la présidence de M. Jean Arthuis, président, la commission a procédé conjointement, avec la commission des affaires culturelles, à l'audition de M. Jean-Jacques Aillagon, ministre de la culture et de la communication, sur le projet de loi n° 234 (2002-2003), adopté par l'Assemblée nationale, relatif au mécénat, aux associations et aux fondations dont elle est saisie au fond.

Présentant tout d'abord l'esprit du projet de loi, le ministre a souligné qu'il s'agissait de traduire la confiance que le Gouvernement plaçait dans l'initiative privée et dans la générosité de nos concitoyens et que ce projet avait été défini en pleine concertation avec tous les acteurs concernés, privés et publics, qu'il s'agisse des ministères de la santé, de la recherche ou des sports notamment, sans oublier les ministères de l'intérieur et du budget.

Le ministre a mis l'accent sur le retard que la France accusait en matière de mécénat et, tout particulièrement, en ce qui concernait les fondations :

- à peine 15 % des Français faisaient des dons à des oeuvres d'intérêt général pour un montant d'un peu moins d'un milliard d'euros, tandis que les entreprises étaient peu nombreuses à se lancer dans le mécénat, moins de 2.000 selon l'annuaire de l'ADMICAL, pour un montant de dons de l'ordre de 340 millions d'euros ;

- au total, la France ne comptait que 476 fondations d'utilité publique, 78 fondations d'entreprises et environ 500 fondations sous l'égide de la Fondation de France, ce qui était faible comparé aux 12.000 fondations américaines ou au 3.000 « charity-trusts » britanniques.

Considérant que les apports du mécénat représentaient moins de un pour mille du PIB de la France, contre plus de 2 % aux Etats-Unis, M. Jean-Jacques Aillagon a souligné que la générosité des Français n'était pas en cause et qu'elle ne demandait qu'à être mobilisée.

C'est dans cette perspective que le projet de loi prévoyait un certain nombre de dispositions très incitatives :

- l'augmentation, de 50 % à 60 % du don, de la réduction d'impôt dont bénéficiaient les particuliers en cas de dons à des oeuvres d'intérêt général ;

- le doublement, de 10 % à 20 %, du plafond que pouvaient représenter les dons en pourcentage du revenu imposable ;

- la possibilité, pour des héritiers, d'être exonérés totalement de droits de succession sur les dons aux organismes d'intérêt général.

Pour les entreprises, le projet de loi introduisait également des dispositions tout à fait favorables :

- le don à un organisme d'intérêt général n'était plus simplement déductible du revenu imposable mais ouvrait droit à une réduction d'impôt de 60 % ;

- le plafond du montant des dons en pourcentage du chiffre d'affaires était augmenté pour atteindre 5 %o contre 2,25 %o ou 3,25 %o auparavant.

En ce qui concernait les fondations, le ministre a insisté sur les mesures positives contenues dans le texte : l'abattement d'impôt sur les sociétés, qui passait de 15.000 euros à 40.000 euros, ainsi que le droit des salariés de faire des dons à leurs fondations d'entreprise. Il a ajouté que la possibilité offerte aux particuliers de reporter sur cinq ans l'éventuel excédent d'un don par rapport à la limite de 20 % du revenu imposable était de nature à favoriser la constitution de dotations importantes pour les fondations.

Ensuite, M. Jean-Jacques Aillagon a résumé les apports de l'Assemblée nationale lors de l'examen du texte en première lecture. Il s'agissait :

- de l'extension de certaines mesures d'incitations fiscales initialement réservées aux fondations, aux associations reconnues d'utilité publique, aux collectivités territoriales ou aux établissements publics ;

- de la possibilité, pour les organismes d'intérêt général, d'interroger préventivement l'administration fiscale afin de savoir s'ils entraient dans le champ d'application de la réduction d'impôt ;

- de l'exonération des droits de donation sur les dons manuels dont bénéficiaient les organismes d'intérêt général ;

- des mesures garantissant la transparence et les contrôles des fonds collectés par les organismes d'intérêt général, étant noté, à cet égard, que le dispositif pouvait en être amélioré ;

- enfin, une extension du dispositif d'incitations fiscales relatif aux trésors nationaux, permettant de favoriser l'entrée ou le retour en France d'oeuvres d'art exceptionnelles présentes sur les marchés internationaux.

Le ministre s'est déclaré ensuite ouvert à la possibilité d'améliorer le texte du projet de loi pour permettre à toutes les institutions du spectacle vivant -festivals, orchestres, ensembles musicaux, compagnies dramatiques- de bénéficier du mécénat, afin que le statut fiscal de ces organismes ne puisse faire obstacle au bénéfice du mécénat pourvu que leur gestion soit désintéressée.

Il a conclu son intervention en réaffirmant que la promotion du mécénat n'était pas le signe d'un désengagement de l'Etat en matière de culture, et que c'était à la collectivité nationale qu'il incombait d'associer tous les acteurs dans le sens de l'intérêt général pour que celui-ci devienne encore plus largement l'affaire de tous.

A l'issue de cette présentation, M. Yann Gaillard, rapporteur pour la commission des finances , saisie au fond, du projet de loi relatif au mécénat, aux associations et aux fondations, est intervenu pour exposer son analyse d'un texte qui lui était apparu caractérisé par sa portée générale et la simplicité des mécanismes fiscaux qu'il comportait.

Il a noté que cette volonté de simplification avait pour contrepartie la fin des régimes de faveur dont bénéficiaient certaines catégories d'organismes d'intérêt général, qu'il s'agisse de ceux qui se consacraient essentiellement à la fourniture de repas gratuits ou des fondations, dont il a regretté que le texte ne reconnaisse pas suffisamment la spécificité. Puis M. Yann Gaillard, rapporteur de la commission des finances, a évoqué la délicate question du contrôle des organismes d'intérêt général recevant des dons ouvrant droit à des réductions d'impôt. A cet égard, il a indiqué qu'il était difficile d'arbitrer entre le souci de suivi de la dépense fiscale et celui, non moins légitime, de ne pas créer un climat de suspicion ou des contraintes inutiles, notamment pour les petites associations.

Après avoir évoqué la question d'éventuelles réductions d'impôt en matière d'impôt de solidarité sur la fortune, M . Yann Gaillard a interrogé le ministre sur les perspectives ouvertes par le projet de loi en matière de promotion de l'art contemporain, considérant qu'un assouplissement des règles en matière d'exposition des oeuvres d'art achetées par les entreprises viendrait utilement compléter la possibilité pour les fondations d'entreprises de constituer des collections d'art contemporain.

Enfin, il a demandé au ministre des précisions sur les nouveaux statuts-types applicables aux fondations et a conclu son intervention en considérant qu'il y avait un important travail de communication à mener, dans la mesure où, il l'avait lui-même constaté en rencontrant des chefs d'entreprise, l'opinion n'était pas véritablement consciente de la révolution que constituait ce texte en matière de mécénat.

Répondant au rapporteur de la commission des finances, M. Jean-Jacques Aillagon , ministre de la culture, a d'abord rappelé que ce texte était un compromis entre « l'idéal et le possible » et qu'il avait dû tenir compte d'une conjoncture financière difficile, rendant hommage à cette occasion à la compréhension dont avait fait preuve M. Alain Lambert, ministre délégué au budget et à la réforme budgétaire.

Au sujet du contrôle des organismes d'intérêt général, il a fait savoir qu'il fallait trouver un « juste milieu » entre une absence totale de transparence de nature à favoriser des refuges fiscaux injustifiés, et un contrôle tatillon et bureaucratique. Il a également indiqué que la Cour des comptes avait nettement fait savoir qu'elle ne souhaitait pas une extension du champ de ses compétences.

Ensuite, il a reconnu qu'il y avait un problème de promotion du texte, citant l'exemple du nouveau dispositif relatif aux trésors nationaux qui, en dépit de son caractère très avantageux, n'avait connu qu'une seule application. Il fallait donc, selon lui, mener une politique déterminée de communication de nature à diminuer une certaine inertie qui entravait le dynamisme du mécénat.

Après avoir rappelé tout l'intérêt des nouveaux statuts-types applicables aux fondations qui allaient assouplir leur mode d'organisation financière ou institutionnelle, il a souligné que l'essentiel était d'accélérer la procédure et que l'on devrait mettre en place un système d'approbation tacite, dans lequel les ministères chargés de donner leur avis seraient tenus de le faire dans un délai de deux mois, ce qui éviterait l'attente parfois interminable des personnes désireuses de créer une fondation.

Enfin, M. Jean-Jacques Aillagon a insisté sur le fait que ce texte était de portée générale. Pour cette raison, il avait voulu éviter de l'assortir de mesures sectorielles qui auraient affecté la lisibilité des intentions, très générales, du Gouvernement.

M. Jacques Valade, président de la commission des affaires culturelles , après avoir excusé M. Philippe Nachbar, rapporteur pour avis, a noté, à titre liminaire, que le projet de loi visait à diversifier les sources de financement de la politique culturelle et non à substituer les recettes du mécénat aux dépenses publiques. A ce titre, la commission des affaires culturelles ne pouvait qu'y être favorable.

Notant le caractère généraliste du dispositif proposé, il s'est interrogé sur l'opportunité de le compléter par des mesures plus ciblées destinées à encourager le mécénat culturel.

Il s'est demandé si, au-delà des mesures proposées par le projet de loi, il ne serait pas opportun d'assouplir encore le régime fiscal des fondations reconnues d'utilité publique, afin de tenir compte du statut juridique spécifique de ces organismes. Par ailleurs, il a souhaité obtenir des précisions sur les mesures réglementaires prises pour assouplir leur régime juridique.

Après avoir rappelé que le patrimoine était un sujet cher au coeur des Français, il a déploré que le mécénat en faveur des monuments historiques, et en particulier ceux appartenant à des propriétaires privés, soit encore peu développé. Il s'est interrogé sur les moyens de remédier à cette lacune en mettant en place un cadre juridique et fiscal favorable au développement d'actions de mécénat au profit de ces monuments, en usant par exemple de la possibilité de créer des fondations abritées. En outre, il a attiré l'attention du ministre sur le relatif arbitraire qui présidait à l'évaluation de ces biens par les services fiscaux.

Evoquant la question du contrôle des organismes recevant des dons ouvrant droit à un avantage fiscal, M. Jacques Valade a estimé qu'un équilibre pourrait être trouvé entre la volonté de garantir la transparence de leur action et le souci d'alléger les contraintes administratives qui pesaient sur eux, en fixant un seuil au-dessus duquel les obligations comptables devraient s'appliquer.

M. Jean-Jacques Aillagon a estimé nécessaire de mettre enfin un terme au débat largement rhétorique opposant l'action publique aux initiatives privées. Dans le domaine culturel, ces deux formes d'intervention étaient complémentaires. A l'exception du dispositif introduit par l'Assemblée nationale à l'initiative du Gouvernement destiné à encourager l'achat d'oeuvres majeures situées hors du territoire national, qui répondait à une urgence, le projet de loi avait vocation à couvrir l'ensemble des secteurs de l'action du Gouvernement et non pas spécifiquement le champ d'intervention du ministère de la culture.

Le ministre a toutefois rappelé qu'une disposition avait été introduite par le Sénat dans la loi de finances pour 2003 afin d'affecter à la Fondation du patrimoine une part du produit des successions vacantes. Par ailleurs, la loi de programme sur le patrimoine en cours de préparation devrait comporter des mesures destinées à assurer une meilleure protection des monuments historiques en donnant à leurs propriétaires, particuliers ou collectivités publiques, les moyens d'en assurer la charge.

Il a indiqué, en outre, que serait proposée, dans le cadre du projet de loi de finances pour 2004, une mesure destinée à éviter la délocalisation à l'étranger des tournages de films. Cette mesure s'inscrira dans un plan destiné à soutenir les industries techniques.

En réponse à M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances , qui appelait l'attention du ministre de la culture sur l'intérêt qu'il y aurait à encourager la remise de monuments historiques restaurés à une fondation chargée de les animer et de les ouvrir au public, M. Jean-Jacques Aillagon a indiqué que, s'il partageait, à titre personnel, le souci ainsi exprimé, d'ailleurs non seulement pour les monuments historiques mais également pour les oeuvres d'art, il fallait tenir compte des contraintes budgétaires et donc se rapprocher du ministre délégué au budget.

M. Yann Gaillard , rapporteur de la commission des finances, a signalé, à ce sujet, qu'il comptait soumettre à la commission des finances un amendement élargissant aux dons en nature et donc aux biens immobiliers et aux oeuvres d'art, l'exonération de droits de mutation prévue à l'article 4 du projet.

Puis M. Michel Charasse est intervenu pour signaler d'abord que, si l'on voulait abréger le « parcours du combattant » que constituait la création d'une fondation, l'on ne pouvait s'en remettre au seul droit prétorien du Conseil d'Etat et qu'il fallait que le législateur retrouve toute sa compétence en la matière. Ensuite, il a évoqué la question de la publicité des comptes et des modalités de contrôle des associations délivrant des certificats fiscaux, que ce soit par la Cour des comptes ou par les inspections générales des ministères. Enfin, il s'est inquiété de la situation des organismes d'assistance aux personnes démunies dans la mesure où la perte de leur traitement fiscal privilégié pouvait leur faire subir une chute de leurs ressources de mécénat.

M. Ivan Renar a regretté que les mesures d'encouragement au mécénat n'aient pas été présentées à l'occasion d'un projet de loi cadre sur la culture, qui aurait permis d'éviter la polémique sur le risque d'un désengagement de l'Etat. Il a souligné la nécessité de passer d'un mécénat de contributions à un mécénat d'initiatives. Les acteurs culturels et les entreprises devaient établir un partenariat dans la perspective de la promotion du développement durable. Les entreprises étaient susceptibles à travers leurs salariés de concourir à la démocratisation de l'accès à la culture.

S'appuyant notamment sur l'exemple du dispositif introduit par la loi relative aux musées de France, afin d'inciter les entreprises à acquérir des trésors nationaux, M. Philippe Richert a souligné les difficultés rencontrées dans la mise en oeuvre de ces mesures. Il a insisté sur la nécessité de promouvoir des mécanismes à la fois incitatifs et lisibles. A cet égard, il s'est félicité des mesures de simplification proposées par le projet de loi qui permettait également un renforcement significatif des avantages fiscaux bénéficiant aux entreprises et aux particuliers. Il a fait observer que, loin de marquer un désengagement de l'Etat, le projet de loi traduisait à travers une augmentation de la dépense fiscale un effort financier important de la part du Gouvernement.

Au sujet des organismes d'aides aux personnes démunies dont la situation avait inquiété M. Michel Charasse, le ministre de la culture a fait savoir qu'il serait toujours possible de réagir au cas où ils auraient effectivement des difficultés à maintenir leurs ressources. Il a également précisé en réponse aux questions de M. Michel Charasse qu'il fallait trouver le bon niveau du seuil au-dessus duquel on pouvait raisonnablement imposer des obligations de publicité ou de certification des comptes des associations.

Répondant à M. Ivan Renar, M. Jean-Jacques Aillagon a souligné l'intérêt d'une approche progressive et pragmatique des réformes législatives dans le domaine culturel. Il a relevé que le mécénat s'orientait de plus en plus vers le soutien à des projets publics, à l'image de la manifestation Lille 2004. Il a souligné toutefois la nécessité de promouvoir des dispositifs souples permettant aux actions de mécénat de s'orienter dans le sens souhaité par ceux qui en prenaient l'initiative.

Prenant acte du souci exprimé par M. Philippe Richert , il a indiqué qu'il conviendrait d'assurer une large promotion des modifications introduites par le projet de loi afin d'en garantir l'efficacité.

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