EXPOSÉ GÉNÉRAL

Mesdames, Messieurs,

Dans son discours prononcé à Rouen le mercredi 10 avril 2002, le Président de la République, M. Jacques Chirac, s'exprimait en ces termes : « La Constitution doit renforcer le rôle des citoyens en prévoyant l'institution du référendum local. Il est normal et souhaitable que les citoyens, à l'initiative de leurs élus, puissent faire directement, eux-mêmes, les grands choix qui commandent l'évolution de leur cadre de vie, les infrastructures, les aménagements et les politiques locales. Je sais qu'il faudra faire en sorte que tout ceci ne risque pas de paralyser l'action des municipalités, bien entendu, mais il faut redonner un souffle également à tout ce qui vient des citoyennes et des citoyens, d'une commune ou d'une région ou d'un département . »

Tel est précisément l'objet du projet de loi organique n° 297 (2002-2003) relatif au référendum local, dont le Sénat est saisi en premier lieu en application de la révision constitutionnelle du 28 mars dernier.

La loi constitutionnelle n° 2003-276 du 28 mars 2003 relative à l'organisation décentralisée de la République a en effet donné aux collectivités territoriales la faculté de soumettre à la décision de leurs électeurs, par la voie du référendum, les projets de délibération ou d'acte relevant de leur compétence, tout en confiant à une loi organique le soin d'en déterminer les conditions de mise en oeuvre.

Elle a également complété l'article 39 de la Constitution afin de prévoir la saisine en premier lieu du Sénat sur les projets de loi ayant pour principal objet l'organisation des collectivités territoriales, dont il est le représentant.

Plus généralement, la révision constitutionnelle a posé les fondations d'une nouvelle architecture des pouvoirs en créant, selon l'expression du Premier ministre, M. Jean-Pierre Raffarin, cinq leviers de changement : les principes de subsidiarité et de proximité, le droit à la spécificité, le droit à l'expérimentation, l'autonomie financière locale et la participation populaire.

Dans le droit fil des propos tenus par le Président de la République à Rouen, votre commission des Lois a examiné le présent projet de loi organique avec la volonté de trouver un équilibre entre la légitimité des élus locaux, puisée et régulièrement renouvelée à la source de leur élection au suffrage universel direct, et le désir croissant exprimé par nombre de nos concitoyens de participer directement aux décisions qui les concernent.

Après avoir rappelé les différentes étapes ayant conduit à un approfondissement de la démocratie directe locale, votre rapporteur présentera les dispositions prévues par le projet de loi organique pour déterminer les modalités d'exercice du référendum décisionnel local ainsi que les propositions de la commission des Lois destinées à en encadrer l'utilisation.

I. L'APPROFONDISSEMENT PROGRESSIF DE LA DÉMOCRATIE DIRECTE LOCALE

En matière de démocratie locale, le droit est bien souvent en retard sur les faits.

Les mécanismes d'association des citoyens aux décisions des collectivités territoriales ont connu une reconnaissance législative tardive. Ils ne diffèrent guère de ceux mis en place dans les autres Etats membres de l'Union européenne. La loi constitutionnelle du 28 mars 2003 relative à l'organisation décentralisée de la République a institué, parallèlement au renforcement des pouvoirs des assemblées délibérantes des collectivités territoriales, de nouveaux mécanismes de démocratie directe destinés à associer les électeurs à la prise de décision.

A. UNE RECONNAISSANCE TARDIVE

La reconnaissance tardive des mécanismes de démocratie directe locale n'a pas empêché les collectivités territoriales d'associer les citoyens à leurs décisions.

1. Des procédures de consultation des électeurs réservées aux communes et aux établissements publics de coopération intercommunale

En l'absence de base légale, les consultations locales organisées par les collectivités territoriales, en particulier les communes, ont longtemps été annulées par le juge administratif. Dans un arrêt du 7 avril 1905, Commune d'Aigre, le Conseil d'Etat considérait ainsi qu'en transférant aux électeurs leur responsabilité pour régler les affaires de leur collectivité, les assemblées délibérantes prenaient des décisions illégales pour incompétence négative.

Le principe de la participation des citoyens à la vie locale est explicitement posé par la loi n° 82-213 du 2 mars 1982 relative aux droits et libertés des communes, des départements et des régions, dont l'article premier dispose que des lois ultérieures viendront préciser « le développement de la participation des citoyens ».

Dix ans plus tard, la loi n° 92-125 du 6 février 1992 relative à l'administration territoriale de la République autorise la consultation des électeurs sur toutes les décisions prises par les autorités municipales pour régler les affaires de la compétence de la commune . L'initiative de cette consultation relève d'une proposition du maire, d'une demande écrite de la moitié des conseillers municipaux dans les communes de moins de 3.500 habitants ou du tiers des conseillers municipaux dans les communes de 3.500 habitants et plus.

La loi n° 95-115 du 4 février 1995 d'orientation pour l'aménagement et le développement du territoire introduit deux innovations majeures :

- elle donne aux établissements publics de coopération intercommunale la faculté de consulter les électeurs de leurs communes membres sur les affaires relevant de leur compétence en matière d' aménagement ;

- elle pose le principe de l' initiative populaire , en permettant à un cinquième des électeurs inscrits sur les listes électorales de demander au conseil municipal ou à l'organe délibérant d'un établissement public de coopération intercommunale d'organiser une consultation sur une opération d'aménagement relevant de sa compétence.

Dans tous les cas, les résultats de la consultation revêtent la valeur d'un simple avis .

Le recours aux consultations locales reste cependant très encadré . Ainsi, aucune consultation ne peut avoir lieu à partir du 1 er janvier de l'année civile qui précède l'année du renouvellement général des conseils municipaux ni durant les campagnes électorales précédant les élections au suffrage universel direct ou indirect. Deux consultations portant sur un même objet ne peuvent intervenir dans un délai inférieur à deux ans. Un délai d'un an doit s'écouler entre deux consultations.

Aussi les consultations locales restent-elles encore peu nombreuses . Selon les informations, parcellaires, recueillies par les préfectures, près d'une centaine de consultations avaient été organisées entre 1995 et 1999 , dont une seule par un district.

2. Des procédures exceptionnelles de consultation, par l'Etat, des électeurs des collectivités territoriales en cas de modification de leur organisation institutionnelle

Il existe, à côté des consultations locales organisées par les communes et les établissements publics de coopération intercommunale, des procédures exceptionnelles de consultation, par l'Etat, des électeurs d'une ou de plusieurs collectivités territoriales sur la modification de leur organisation institutionnelle.

La loi n° 71-588 du 16 juillet 1971 sur les fusions et regroupements de communes, codifiée aux articles L. 2113-1 et suivants du code général des collectivités territoriales, prévoit l'organisation d'une consultation des électeurs sur l'opportunité d'une fusion de communes lorsque la demande en est faite par le représentant de l'Etat dans le département, par la moitié des conseils municipaux des communes comptant les deux tiers de la population ou par les deux tiers des conseils municipaux des communes comptant la moitié de la population.

La fusion est prononcée si le projet recueille l'accord de la majorité absolue des suffrages exprimés et un nombre de voix au moins égal au quart des électeurs inscrits dans l'ensemble des communes concernées.

Toutefois, une commune ne peut être contrainte à fusionner si la consultation fait apparaître que les deux tiers des suffrages exprimés représentant la moitié au moins des électeurs inscrits dans cette commune ont manifesté leur opposition au projet. Le référendum local revêt alors une valeur décisionnelle .

La Constitution de 1958 autorise également la consultation des électeurs des collectivités territoriales situées outre-mer .

Le dernier alinéa de l'article 53 dispose ainsi que « nulle cession, nul échange, nulle adjonction de territoire n'est valable sans le consentement des populations intéressées 1 ( * ) ».

Avant la révision constitutionnelle du 28 mars dernier, le Conseil constitutionnel avait également admis, sur le fondement du deuxième alinéa du préambule de la Constitution de 1958, que les populations d'outre-mer intéressées puissent être consultées non seulement sur leur volonté de se maintenir au sein de la République française ou d'accéder à l'indépendance mais également sur l'évolution statutaire de leur collectivité territoriale à l'intérieur de la République. Il avait toutefois souligné que, dans cette éventualité, les autorités de la République « ne sauraient être liées, en vertu de l'article 72 de la Constitution, par le résultat de cette consultation 2 ( * ) . »

Les deux dernières consultations ont été organisées en Nouvelle-Calédonie , le 8 novembre 1998, sur l'accord de Nouméa signé le 5 mai 1998, et à Mayotte , le 2 juillet 2000, sur l'accord concernant l'avenir de Mayotte signé à Paris le 27 janvier 2000.

La loi n° 2000-1207 du 13 décembre 2000 d'orientation pour l'outre-mer a inséré un nouvel article L. 5916-1 dans le code général des collectivités territoriales, aux termes duquel le Gouvernement peut déposer un projet de loi organisant une consultation pour recueillir l'avis de la population sur l'évolution institutionnelle d'un département d'outre-mer, au vu « notamment » des propositions formulées par le congrès et des délibérations du conseil général et du conseil régional. La consultation de la population reste facultative et son résultat ne lie pas juridiquement le Gouvernement.

3. Des modalités diverses d'association des citoyens aux décisions locales

Les consultations locales ne constituent pas l'unique modalité d'association des citoyens aux décisions locales.

Les conseils municipaux et les organes délibérants des établissements publics de coopération intercommunale ont ainsi la faculté de créer des comités consultatifs sur tout problème d'intérêt communal ou intercommunal, conseils de jeunes ou conseils d'anciens par exemple.

La loi n° 2002-276 du 27 février 2002 relative à la démocratie de proximité a assoupli les règles de fonctionnement des comités consultatifs et rendu obligatoire la création de conseils de quartier dans les communes de 80.000 habitants et plus, tout en laissant au conseil municipal le soin d'en fixer la dénomination, la composition et les modalités de fonctionnement.

Instituées par la loi d'orientation du 6 février 1992 relative à l'administration territoriale de la République, les commissions consultatives des services publics locaux ont pour fonction de permettre l'expression des usagers des services publics, sans pour autant remettre en cause les prérogatives des autorités qui en ont la charge.

La loi relative à la démocratie de proximité a rendu obligatoire la création d'une commission consultative, compétente pour l'ensemble des services publics locaux délégués à un tiers ou gérés en régie dotée de l'autonomie financière, dans les régions, les départements, les communes de plus de 10.000 habitants, les établissements publics de coopération intercommunale de plus de 50.000 habitants et les syndicats mixtes comprenant au moins une commune de plus de 10.000 habitants. Auparavant, cette obligation valait pour les communes de plus de 3.500 habitants et les établissements publics de coopération intercommunale comprenant au moins une commune de 3.500 habitants et plus. En pratique, elle n'avait guère été respectée.

Les commissions consultatives des services publics locaux doivent être consultées avant toute délibération tendant à déléguer un service public ou à instituer une régie dotée de l'autonomie financière, l'inobservation de cette disposition pouvant entraîner l'annulation de la procédure.

Toutefois, ce cadre juridique assez formel ne permet guère de prendre la mesure de la diversité , de la vigueur et du foisonnement des initiatives locales .

Ainsi, des comités d'intérêt de quartier avaient été créés à Marseille dès la fin du XIX e siècle et plusieurs communes ont mis en place des « budgets participatifs » permettant à leurs habitants de gérer directement une partie du budget d'investissement de la ville, afin d'apporter des solutions rapides aux problèmes quotidiens.

* 1 Dans sa décision n° 75-59 DC du 30 décembre 1975, le Conseil constitutionnel a jugé que cette procédure était applicable en cas de sécession d'un territoire.

* 2 Décision n° 2000-428 DC du 4 mai 2000 sur la loi organisant une consultation de la population de Mayotte et décision n° 2000-435 DC du 7 décembre 2000 sur la loi d'orientation pour l'outre-mer.

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