B. LA PROPRIÉTÉ DES DROITS AUDIOVISUELS

La propriété des droits audiovisuels portant sur les compétitions auxquelles ils participent est une revendication régulière de certains clubs sportifs professionnels.

Lors de leur audition devant la commission des affaires culturelles, respectivement le 21 janvier et le 4 février 2003, M. Frédéric Thiriez, président de la Ligue de football professionnel, et M. Gervais Martel, président de l'Union des clubs professionnels de football, ont estimé que les clubs sportifs français en général, et les clubs de football en particulier, souffraient d'un important handicap vis-à-vis de leurs concurrents étrangers, notamment du fait qu'ils n'étaient propriétaires ni de leurs marques, ni de leurs droits d'exploitation audiovisuelle.

Attachés l'un et l'autre à la centralisation de la négociation et au principe de subsidiarité qui préside à la redistribution du produit de cette commercialisation, notamment en direction du football amateur, ils ont indiqué que l'inscription de la valeur de ces droits de propriété à l'actif de leur bilan comptable faciliterait aux clubs la recherche des nouveaux partenaires dont ils ont besoin.

Comme l'a indiqué à votre rapporteur M. Henri Serandour, président du Comité national olympique et sportif français, cette demande, certes présentée par les représentants du football professionnel, a été reprise par les participants du groupe de travail national sur la place du sport professionnel en France.

On peut en effet lire, dans leurs conclusions 3 ( * )

« S'agissant des droits concédés par les fédérations aux ligues professionnelles, le respect du principe de la mutualisation des droits est fondamental. La loi devra affirmer que la commercialisation de ces droits relève de la Ligue et consacrer le principe de mutualisation. Mais il est important que l'on reconnaisse aux clubs professionnels un droit de propriété sur les droits télévisuels les concernant. Il est essentiel de faire évoluer le système actuel en vue de permettre aux clubs professionnels d'inscrire la valeur de ces droits à l'actif immobilisé de leur bilan . »

Le dispositif proposé par l'article 3 du projet de loi est conforme à ces orientations, puisque :

- il autorise la cession par les fédérations aux clubs professionnels de tout ou partie des droits d'exploitation audiovisuels des compétitions et manifestations sportives organisées par la Ligue professionnelle, et auxquelles ils participent ;

- il centralise la commercialisation des droit ainsi cédés entre les mains de la Ligue professionnelle ;

- il encadre la répartition par la Ligue du produit de cette commercialisation entre la fédération, la Ligue elle-même et les clubs propriétaires.

Votre rapporteur ne peut que soutenir le principe de cette réforme, qui répond à une démarche récurrente de nombreux clubs sportifs professionnels, et dont le rappel sans équivoque, dans les actes des Etats généraux du sport indique qu'elle correspond à une demande très largement partagée du sport professionnel.

Il note que le texte confirme le droit de propriété initial des fédérations sur l'ensemble des droits d'exploitation des manifestations ou compétitions qu'elles organisent.

Il note également que la cession des droits qu'il autorise au profit des clubs professionnels est facultative, et qu'elle ne porte (mais il est vrai que c'est une part essentielle) « que » sur les droits d'exploitation audiovisuelle, les autres droits d'exploitation restant, en tout état de cause, la propriété des fédérations.

Les représentants du monde sportif que votre rapporteur a auditionnés ont attiré son attention sur une difficulté que risquaient de susciter, dans l'application du dispositif prévu par le projet de loi, les modifications dans la composition des championnats organisés par la Ligue professionnelle du fait des promotions et des rétrogradations.

Aux termes du projet de loi, toute fédération sportive peut céder la propriété des droits d'exploitation audiovisuelle des compétitions organisées par la Ligue professionnelle aux clubs sportifs, dès lors qu'ils participent à ces compétitions.

Mais certains des clubs qui prennent part à ces compétitions au moment de la cession des droits seront, en fin de championnat, rétrogradés dans la catégorie « amateur ». Conserveront-ils la propriété des droits d'exploitation d'un championnat auxquels ils ne participeront plus ?

En sens inverse, quels droits de propriété pourront être attribués aux clubs qui seront promus dans le championnat dont l'organisation relève de la Ligue professionnelle ?

Votre commission vous proposera d'indiquer, par un amendement , que le droit de propriété porte sur les compétitions organisées chaque saison sportive par la Ligue, de façon à garantir l'adéquation des propriétaires et des participants.

Votre rapporteur s'est par ailleurs interrogé sur certaines modalités de la mise en oeuvre du dispositif proposé que, du fait de la brièveté des délais qui lui étaient impartis, il n'a pas eu le loisir d'éclaircir autant qu'il l'aurait souhaité.

• L'objet de la présente réforme n'est pas, de l'aveu du Gouvernement comme des clubs qui l'ont réclamée, de remettre en cause la commercialisation centralisée des droits par la Ligue professionnelle, ni le principe d'une mutualisation du produit de cette commercialisation justifiée par des motifs de solidarité, notamment à l'égard du sport amateur et de la formation des jeunes, qui bénéficieront désormais d'une consécration législative.

Il est en revanche de permettre aux clubs, devenus propriétaires des droits d'exploitation audiovisuelle, d'inscrire ceux-ci, et leur valeur, « dans le haut de leur bilan », de façon à être plus attractifs pour d'éventuels investisseurs et sponsors.

Les délais qui lui étaient impartis n'ont pas permis à votre rapporteur d'approfondir la question, au demeurant très technique, des effets comptables de la réforme. Il souhaiterait avoir des précisions sur les méthodes qui seront utilisées pour la valorisation de cette nouvelle classe d'actifs , et sur les relations plus ou moins directes qu'elle entretiendra avec le montant du produit de la commercialisation qui sera redistribué par la Ligue à chacun des clubs. Il relève que les recettes issues de ces droits, dont les clubs bénéficient déjà, figurent dans leurs comptes de produits et charges, et s'interroge sur la valeur que présentera, aux yeux des investisseurs potentiels, leur intégration parmi les éléments incorporels de l'actif du bilan.

• Votre commission s'interroge en outre sur les limitations apportées au droit de propriété des clubs sur ces droits d'exploitation audiovisuelle. Parmi les attributs fondamentaux du droit de propriété figure notamment le droit d'en user, d'en retirer les fruits et d'en disposer. Or les clubs se voient privés de toute latitude dans la commercialisation de ces droits, confiée à la Ligue professionnelle, et ne contribuent qu'indirectement et partiellement à la définition des règles qui président à la redistribution du produit de cette commercialisation.

Il est vrai que le Conseil constitutionnel, qui a consacré le caractère constitutionnel du droit de propriété, admet que le législateur lui apporte les limitations qu'il estime nécessaires, pour des motifs d'intérêt général, certes ici présents et incontestables. Mais il pose toutefois la condition que « celles-ci n'aient pas un caractère de gravité tel que le sens et la portée de ce droit en soient dénaturés ».

• Votre rapporteur s'inquiète enfin de la compatibilité des régimes instaurés par le projet de loi, avec la défense vigilante opérée par la Commission européenne du droit de la concurrence inscrit à l'article 81 du Traité instituant la communauté européenne, et qui a trouvé son application dans deux affaires récentes relatives à la vente centralisée de droits audiovisuels respectivement par l'UEFA et la « Premier League ».

Il a noté que l'article 295 du Traité précité dispose que « le présent traité ne préjuge en rien le régime de la propriété dans les Etats membres » et se demande si la modification du régime de la propriété des droits audiovisuels envisagée par le projet de loi aura pour effet de renforcer, ou d'affaiblir, aux yeux de la Commission européenne, le régime de commercialisation centralisée des droits, et de mutualisation du produit de leur cession auquel tous les acteurs du sport en France sont légitimement très attachés.

• Votre rapporteur, qui approuve le principe d'une commercialisation des droits d'exploitation audiovisuelle centralisée entre les mains de la Ligue professionnelle, s'est fortement interrogé sur la nature des « limites » que le décret en Conseil d'Etat, prévu au troisième alinéa, est susceptible de lui apporter.

Soucieux de défendre l'intégrité du principe posé par la loi, il avait envisagé, à l'origine, de supprimer la mention de ces « limites ». Il y a finalement renoncé devant les arguments présentés par le ministère et qui tiennent à la nécessité de prendre en compte les exigences que la Commission européenne a récemment eu l'occasion de préciser, en matière de respect du droit européen de la concurrence, découlant de l'article 81 du Traité instituant la communauté européenne dans deux affaires portant sur la vente centralisée de droits audiovisuels.

Sollicitée le 1er février 1999 par l'Union des associations européennes de football (UEFA) qui souhaitait faire valider les règles qu'elle se proposait d'appliquer en matière de vente centralisée de droits audiovisuels, la Commission a estimé, dans une communication de griefs publiée le 19 juillet 2001, que ces règles restreignaient la concurrence au sens de l'article 81-1 du Traité, et ne remplissaient pas les conditions d'exemptions posées par l'article 81-3.

Elle a en revanche donné son accord, « à première vue », à de nouvelles règles de commercialisation qui procèdent à une segmentation approfondie de la commercialisation de ces droits, et reconnaissent sur certains segments (notamment l'internet, les services UMTS, et les médias physiques du type DVD, cassettes VHS, ou CD-Rom) un droit de commercialisation concomitant des clubs et de la Ligue.

Dans une seconde affaire, concernant la « Premier league », la Commission a estimé que les effets anticoncurrentiels qu'elle a constatés dans les règles de vente en commun des droits audiovisuels de cette dernière, n'impliquaient pas nécessairement leur interdiction, s'ils étaient susceptibles d'avoir des effets bénéfiques, notamment pour les consommateurs, susceptibles de justifier leur exemption. Elle a accepté d'admettre que le sport ne peut être traité comme n'importe quel autre secteur, et pris en compte la déclaration du Conseil européen de Nice de décembre 2000, aux termes de laquelle la mutualisation, aux niveaux appropriés, d'une partie des recettes provenant de la vente des droits de télévision est bénéfique au principe de solidarité entre tous les niveaux de pratique sportive et toutes les disciplines.

Votre rapporteur souhaite que, dans la rédaction du décret qu'il prévoit, le Gouvernement se montre attentif aux enseignements que peuvent apporter les précédents de l'UEFA et de la « Premier League » de façon à éviter une fragilisation du dispositif français au regard des exigences européennes.

Pour autant, il souhaite que les aménagements ponctuels que pourrait prévoir le décret ne se traduisent pas par une remise en cause du principe de la commercialisation centralisée des droits audiovisuels clairement posé par la loi.

Il invite le Gouvernement à prendre également en compte les règles actuellement en vigueur sur une base conventionnelle dans les différentes disciplines sportives (le football, mais également le rugby, le basket-ball, ou le volley-ball). Car celles-ci répondent à la logique économique et à l'organisation de chacune de ces disciplines sportives et il faut être attentif à ne pas les bousculer par l'effet d'un cadre réglementaire qui remettrait en cause des compromis et des équilibres difficilement obtenus.

Il paraît en effet indispensable -et tel est d'ailleurs l'esprit général du présent projet de loi- de prendre en compte et de respecter la spécificité de chacune des disciplines sportives, qui tiennent à une histoire, une culture et un mode d'organisation qui leur sont propres.

Car il faut veiller à ne pas brusquer, par une vision trop globale, les ligues professionnelles et leurs clubs qui progressent à leur rythme sur le chemin du professionnalisme.

L'histoire et la culture du rugby n'est pas celle du football ou du basket, et nous devons envoyer un signal fort aux dirigeants de ces clubs et à toutes celles et ceux qui font marcher les fédérations, les ligues, les clubs et les associations pour leur dire que la loi est là pour les aider et les protéger, mais certainement pas pour les empêcher et les contraindre car le sport doit rester avant tout au service des sportifs.

* 3 Actes, page 47.

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