3. Les enjeux financiers du futur partenariat entre TF1 et France Télévisions
Dès 2002, le ministre de la culture avait
précisé les intentions du gouvernement sur le choix de
l'opérateur en laissant entendre que la voix de la France n'était
pas uniquement celle du secteur public : selon lui, la
crédibilité politique et l'efficacité économique
imposaient une alliance entre secteur public et secteur privé. Un autre
intérêt de l'association public-privé que tient à
souligner votre rapporteur spécial réside dans
l'indépendance dont pourra bénéficier la future
chaîne vis-à-vis du gouvernement, ce qui permettra de renforcer sa
crédibilité. Cette autonomie a été un des facteurs
du succès de la chaîne Al-Jazira.
Compte tenu du financement public de
France Télévisions
,
votre rapporteur présente les caractéristiques du
projet que
la holding a présenté en commun avec RFI
(cf.
encadré ci-dessous)
. Votre rapporteur relève l'intention de
France Télévisions de développer les synergies en
s'appuyant non seulement sur les réseaux existants des médias
avec lesquels France Télévisions a déjà noué
des partenariats, mais en recourant également aux services de l'AFP.
France Télévisions et RFI ont évalué le budget net
de leur projet à 41,8 millions d'euros, compte tenu d'un gain
escompté de 10,8 millions d'euros en raison des synergies
attendues. Ce budget se décomposait comme suit :
- 28,4 millions d'euros au titre de la programmation (68 % du total) ;
- 4,2 millions d'euros pour les dépenses liées à la
diffusion et à la commercialisation (10 % du total) ;
- 6,7 millions d'euros pour les autres dépenses de
fonctionnement (16 % du total) ;
- 2,5 millions d'euros de dotations aux amortissements (6 % du total).
Si votre rapporteur spécial confirme que le principe de l'association
public-privé, finalement retenue dans le projet commun entre TF1 et
France Télévisions, lui paraît bon, il souligne que sa mise
en oeuvre pourrait soulever des difficultés.
Le retrait de l'opérateur britannique ITN de la chaîne Euronews,
dont il était anciennement actionnaire à 49 %, en offre une
illustration, en dépit de l'aide de l'Etat et des soutiens locaux dont
Euronews peut bénéficier. Sauf CNN, aucune chaîne
d'information ne parvient à atteindre son équilibre
économique sans recettes publiques complémentaires à ses
ressources propres. Ces difficultés révèlent une certaine
antinomie entre logique économique et intérêts politiques,
ce dont le gouvernement semble avoir pleinement conscience compte tenu du
niveau d'engagement de l'Etat dans le financement de la future chaîne
française d'information internationale.
Si le projet d'association public-privé entre France
Télévisions et TF1 est effectivement retenu, une des principales
difficultés consistera dans le partenariat effectif de deux
opérateurs par ailleurs concurrents, ainsi que dans la
possibilité pour les autres médias, parmi lesquels RFI,
d'être parties prenantes de la prise de décision. S'il est
cohérent de privilégier les moyens télévisuels pour
toucher les leaders d'opinion, votre rapporteur spécial relève
cependant que la radio reste le principal média dans de nombreux pays
d'Afrique et d'Asie.
S'agissant du niveau du budget (70 millions d'euros), celui-ci serait proche de
celui de TV5 (82 millions d'euros), mais s'élèverait à
plus du double de celui d'Euronews (30 millions d'euros). Euronews repose
toutefois sur une priorité donnée à l'image qui permet une
structure réduite, composée d'environ 250 salariés. Il
serait en revanche très inférieur à ceux de CNN
International (1,2 milliard d'euros) et de BBC World (600 millions d'euros),
ainsi que le souligne notre collègue député Bernard
Brochand dans son rapport d'information parlementaire.
Mais cette estimation
est-elle réaliste et ne convient-il pas de refondre l'ensemble des
dispositifs en matière d'action audiovisuelle extérieure afin de
rationaliser la dépense ?
Les projets présentés avant la proposition commune de France
Télévisions et TF1 étaient de l'ordre de 40 millions
d'euros, mais on estimait généralement qu'ils devraient donner
lieu à une réévaluation à la hausse sur la base
d'estimations plus fines (notamment pour les charges de personnel). Enfin,
le risque existe que l'association de plusieurs opérateurs se
traduise partiellement par une superposition des structures et donc des
coûts.
Les économies liées aux synergies doivent être
chiffrées et se fonder sur des objectifs de performance. Dans leur
projet commun, France Télévisions et RFI estimaient que ces
synergies pouvaient atteindre une dizaine de millions d'euros à terme.
Notre collègue député Bernard Brochand estime ces
économies liées à des redéploiements à 15
millions d'euros par an «
dans l'hypothèse, d'une part,
d'une suppression des capacités de traitement de l'information propres
à TV5 et Arte, qui feraient largement double emploi avec celles de la
chaîne, d'autre part d'une affectation à cette chaîne des
capacités abandonnées en fin d'année [2003] par Canal
France Internationale (CFI), lorsque les émission de CFI-TV
cesseront
».
Les ressources propres ne doivent pas être négligées. A
titre d'illustration, elles représentent environ 3 % des ressources dont
disposent TV5. Concernant la chaîne française d'information
internationale, notre collègue député Bernard Brochand
estime ces ressources à 5 millions d'euros par an, soit un besoin annuel
de financement public de 65 millions d'euros.
Le contenu de la grille aura également une incidence sur le coût
de la future chaîne. La création de la chaîne
française d'information internationale est en outre prévue dans
un secteur où la concurrence s'est accrue et où elle devra se
positionner : à CNN International et BBC World, anciennes
respectivement de huit et dix-huit ans, se sont ajoutés Deutsche
Welle-TV, plusieurs chaînes arabes (Al-Jazira basée au Qatar,
Al-Arabiya en Arabie Saoudite et Abu Dhabi TV) ainsi que des chaînes
domestiques, comme Fox News aux Etats-Unis et LCI en France.
Compte tenu de ces besoins de financement public au vu des
redéploiements envisageables et des ressources propres
escomptées, la question reste entière de la nature des ressources
publiques, en particulier de l'affectation ou non d'une partie du produit de la
redevance.
La présentation par France Télévisions de son projet de chaîne française d'information internationale commun avec Radio France Internationale
Une ligne éditoriale et un positionnement
spécifiques
«
Répondant à la volonté politique forte de
doter la France d'un média d'influence dans le monde, le projet de
chaîne française d'information internationale (CII) proposé
au gouvernement, le 22 avril 2003, par France Télévisions et
Radio France Internationale s'articule sur une ambition et un positionnement
clairement définis : offrir à un public étranger un regard
français sur l'actualité internationale et renforcer la
présence de la France au niveau mondial.
«
Au travers d'une mise en perspective spécifique des
événements et d'une hiérarchisation de l'information
différente, la CII pourrait ainsi affirmer son positionnement original
en traitant de sujets souvent délaissés ou traités avec un
certain parti pris éditorial par les chaînes d'information
concurrentes anglo-saxonnes et arabes : la construction européenne, la
politique extérieure de la France, l'actualité des pays en voie
de développement (l'Afrique en premier lieu), le dialogue Nord/Sud, la
régulation de la mondialisation, l'environnement, le
développement durable, etc.
Le lancement envisagé de décrochages en langues
étrangères pour accroître l'influence de la chaîne
dans le monde
«
A l'instar des chaînes d'information existantes, le coeur
de cible de la CII est constitué des leaders d'opinion,
décideurs, universitaires et hommes d'affaires, dans un premier temps
francophones.
«
Il est prévu un élargissement de ce coeur de cible
à des publics non francophones grâce au lancement, au fil du
déploiement de la chaîne et selon un calendrier à
définir, de décrochages en langues étrangères
(arabe et anglais en priorité, puis espagnol).
Une rédaction propre s'appuyant sur les différentes forces
mobilisables au sein de l'audiovisuel extérieur français
«
Le projet prévoit que la chaîne pourrait s'appuyer
en grande partie sur les ressources éditoriales des rédactions du
groupe France Télévisions, et notamment sur les équipes
d'envoyés spéciaux et le réseau de correspondants
permanents à l'étranger (11 bureaux).
«
Il est également envisagé que les réseaux
très denses de correspondants à l'étranger de RFI (9
bureaux permanents, 3 filiales et un réseau de 300 correspondants
pigistes dans plus de 110 pays) et de l'AFP soient mis à
contribution.
«
L'utilisation optimale des réseaux de correspondants et
d'experts de ces partenaires - auxquels pourraient s'adjoindre d'autres
rédactions - permettrait donc de garantir l'indépendance
éditoriale de la CII en termes d'images et commentaires propres.
«
La grille de programmes serait élaborée
spécifiquement pour satisfaire les attentes d'un public international.
Pour matérialiser à l'antenne cette ambition éditoriale,
la CII serait dotée d'une rédaction autonome qui pourrait
s'appuyer en grande partie - pour la fabrication de ses journaux et magazines -
sur les images, reportages et magazines de France 2, France 3 et d'autres
rédactions partenaires.
Une politique de distribution ambitieuse : une chaîne gratuite
accessible au plus grand nombre
«
Il est prévu que la CII soit diffusée par tout
moyen technologique disponible sur les zones géographiques
ciblées, et notamment par satellite numérique et Internet haut
débit.
«
La politique de distribution, de commercialisation et de
promotion de la CII devrait pouvoir bénéficier de
l'expérience et des capacités de plusieurs entreprises publiques
et privées avec lesquels des partenariats pourraient être conclus
(TV5/CFI, Euronews, etc).
«
Comme envisagé dans le guide de consultation
élaboré par le gouvernement, les zones de diffusion prioritaires
de la CII seraient l'Europe, l'Afrique, le Proche et Moyen-Orient. La
montée en puissance de la chaîne s'accompagnerait d'une extension
géographique de sa diffusion vers l'Asie et l'Amérique du Nord et
du Sud.
Une organisation et un fonctionnement s'appuyant sur les savoir-faire de
nombreux partenaires, publics et privés
«
Le projet envisage de s'appuyer sur une série de
partenariats, partenariats éditoriaux ou de distribution
élaborés en fonction du coeur de métier des
opérateurs concernés.
«
Les axes de partenariat proposés seraient les suivants :
• Avec l'AFP :
- mise à disposition de son important réseau d'alerte dans le
monde avec 116 bureaux et plus de 50 correspondants dans 165 pays ;
- soutien rédactionnel et logistique aux envoyés spéciaux
de la CII ;
- production de modules ;
- intervention audio ou vidéo des journalistes à l'antenne de la
CII.
• Avec CFI :
- accès aux rédactions des chaînes partenaires de CFI dans
le monde ;
- utilisation de la capacité satellitaire disponible.
• Avec Euronews :
- production de modules ;
- échanges de sujets et d'images ;
- mise en commun d'une partie des moyens de distribution ;
- possibilité d'une commercialisation groupée sur certaines zones
géographiques.
• Avec RFO :
- mobilisation des équipes de reportages et de la rédaction de
l'AITV ;
- accès aux rédactions des chaînes partenaires de RFO dans
le monde.
• Avec TV5 :
- Les positionnements complémentaires de TV5 et de la CII permettraient
d'envisager une distribution groupée bénéfique aux deux
chaînes. Les zones francophones, où TV5 est parfaitement
implantée, s'inscrivent tout à fait dans cet objectif et les
équipes de TV5 auraient naturellement vocation à y
représenter la CII (selon des modalités qui resteraient à
définir) ;
- Un partenariat rédactionnel étroit pourrait également
être envisagé concernant des échanges mutuels de programmes
et de sujets d'actualité. Certains modules de la CII, comme des
magazines ou des débats, pourraient ainsi être repris sur les
différentes grilles de TV5.
• Avec des partenaires privés :
«
Le groupe France Télévisions est ouvert à
des partenariats avec des groupes privés, dès lors que ces
derniers partagent l'ambition éditoriale visant à offrir à
un public étranger un regard français sur l'actualité
internationale et que les conditions financières sont identiques pour
l'ensemble des partenaires.
«
Dans cette optique, les axes de partenariat avec des groupes
privés pourraient être les suivants :
- accès de la CII, aux images d'actualité et aux magazines et
débats des rédactions partenaires ;
- prestations en matière de distribution, commercialisation et promotion.
Un budget raisonnable prévoyant une montée en puissance
modulaire de la chaîne
«
Le budget de fonctionnement annuel du projet - estimé au
alentour de 45 millions d'euros pour la version initiale de la chaîne -
repose sur l'adossement de la CII aux rédactions du groupe France
Télévisions et à la réalisation de synergies
significatives au niveau de l'ensemble des partenaires.
«
Il est prévu une montée en charge modulaire de la
chaîne, qui pourrait se faire de la manière suivante :
- augmentation du nombre de correspondants à l'étranger ;
- hausse du volume d'images propres ;
- décrochages en langues étrangères ;
- extension de la zone de diffusion en Asie et en Amérique.
Source : France Télévisions