N° 210

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2003-2004

Annexe au procès-verbal de la séance du 11 février 2004

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des Affaires sociales (1):

- sur le projet de loi pour l' égalité des droits et des chances , la participation et la citoyenneté des personnes handicapées ,

et

- sur la proposition de loi de MM. Nicolas ABOUT, Paul BLANC et Mme Sylvie DESMARESCAUX rénovant la politique de compensation du handicap ,

Par M. Paul BLANC,

Sénateur

Tome I :

Rapport

(1) Cette commission est composée de : M. Nicolas About, président ; MM. Alain Gournac, Louis Souvet, Gilbert Chabroux, Jean-Louis Lorrain, Roland Muzeau, Georges Mouly, vice-présidents ; M. Paul Blanc, Mmes Annick Bocandé, Claire-Lise Campion, M. Jean-Marc Juilhard, secrétaires ; MM. Henri d'Attilio, Gilbert Barbier, Joël Billard, Mme Brigitte Bout, MM. Jean-Pierre Cantegrit, Bernard Cazeau, Jean Chérioux, Mme Michelle Demessine, M. Gérard Dériot, Mme Sylvie Desmarescaux, MM. Claude Domeizel, Michel Esneu, Jean-Claude Étienne, Guy Fischer, Jean-Pierre Fourcade, Serge Franchis, André Geoffroy, Francis Giraud, Jean-Pierre Godefroy, Mme Françoise Henneron, MM. Yves Krattinger, Philippe Labeyrie, Roger Lagorsse, André Lardeux, Dominique Larifla, Dominique Leclerc, Marcel Lesbros, Mmes Valérie Létard, Nelly Olin, Anne-Marie Payet, M. André Pourny, Mme Gisèle Printz, MM. Henri de Raincourt, Gérard Roujas, Mmes Janine Rozier, Michèle San Vicente, MM. Bernard Seillier, André Vantomme, Alain Vasselle, Paul Vergès, André Vézinhet.

Voir les numéros :

Sénat : 287 (2002-2003), 183 (2003-2004)

Personnes handicapées.

AVANT-PROPOS

Mesdames, Messieurs,

Annoncé depuis des mois et ardemment attendu par les personnes handicapées et leurs familles qui en espèrent des solutions enfin concrètes à leurs difficultés quotidiennes, le présent projet de loi constitue la traduction législative du troisième grand chantier du Président de la République : celui de l'intégration pleine et entière des personnes handicapées dans notre société.

Lors du vote de la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé nous avaient conduits à trancher cette question terrible : faut-il que la seule voie permise à des parents pour assurer une vie décente à leur enfant handicapé consiste à rechercher une faute leur ouvrant droit à une indemnisation ? La réponse du législateur avait été clairement négative.

Nous avions alors posé le principe, pour toute personne handicapée, du droit à obtenir de la solidarité nationale la compensation des conséquences de son handicap et pris l'engagement de lui donner un contenu, en réformant la loi d'orientation du 30 juin 1975 en faveur des personnes handicapées.

Les travaux entrepris depuis lors, dans le cadre du rapport d'information de votre commission sur la compensation du handicap, puis de la commission d'enquête sur la maltraitance des personnes handicapées et enfin de la préparation de la proposition de loi déposée sur ce thème par le président de votre commission et par votre rapporteur, ont donné au Sénat une expertise reconnue et le recul nécessaire pour apprécier, à leur juste valeur, les avancées incontestables - mais aussi les limites - du projet de loi qui nous est aujourd'hui présenté.

*

* *

La concertation approfondie menée, tout au long des deux ans de préparation de ce projet de loi, a permis de mieux cerner les attentes des personnes handicapées et de leurs familles et d'affiner les réponses à y apporter. Pour reprendre les mots du président du Conseil national consultatif des personnes handicapées, l'association des personnes handicapées elles-mêmes à la préparation du texte a été « tout à fait exemplaire et, sans doute sans précédent » , ce qui était la première et la seule manière de leur reconnaître la maîtrise de leur choix de vie.

Les espoirs que les personnes handicapées placent dans le présent projet de loi sont de ce fait à la hauteur de leur implication dans son élaboration. Elles attendent une compensation enfin intégrale des conséquences de leur handicap par la solidarité nationale, la liberté de leur choix de vie, la possibilité de participer enfin à l'ensemble de la vie sociale, la fin du « parcours du combattant » qui leur est imposé pour la reconnaissance de leurs droits et l'accès aux prestations.

Sur tous ces sujets, le projet de loi apporte des réponses qui sont sous-tendues par une philosophie nouvelle : là où la loi d'orientation du 30 juin 1975 parlait de prise en charge et d'intégration, le projet de loi fait désormais référence au projet de vie de la personne et au principe de non-discrimination.

Il s'agit donc, comme le souligne l'exposé des motifs du projet de loi, d' « organise[r] de manière systématique l'accès des personnes handicapées au droit commun, [d'adapter] celui-ci ou [de] le complète[r] par des dispositifs spécifiques afin de garantir, en toutes circonstances, une réelle égalité d'accès aux soins, au logement, à l'école, à la formation, à l'emploi, à la cité et de reconnaître ainsi la pleine citoyenneté des personnes handicapées » .

Votre commission des Affaires sociales est persuadée que ce projet de loi peut avoir vocation à refonder la politique du handicap pour les prochaines décennies. Elle ne voudrait pas que, comme sa « grande soeur » de 1975, il provoque autant de regrets qu'il avait suscité d'espoirs...

C'est la raison pour laquelle sa démarche a consisté à en améliorer le dispositif lorsqu'il lui est apparu, à la lumière des nombreuses auditions préparatoires qu'elle a menées, que certaines critiques étaient justifiées. Son ambition est de conforter les principes généreux posés par le texte, en plaçant entre les mains de chaque personne handicapée les outils nécessaires à la maîtrise de son choix de vie, en consolidant l'architecture financière de la nouvelle prestation de compensation pour mettre la collectivité à même de faire face aux obligations qu'elle tire de la solidarité nationale, en fixant un horizon temporel clair pour l'accès de tous à tout, en proposant une organisation institutionnelle mieux aboutie pour mettre la personne handicapée au coeur des dispositifs qui la concernent. C'est avec la conviction forte que la politique en faveur des personnes handicapées constitue une chance pour la société tout entière qu'elle a conduit sa réflexion.

*

* *

A ceux, enfin, qui voudraient voir, derrière le calendrier imparti pour l'examen de ce projet de loi, une précipitation non exempte de visées électorales, votre commission répond que ce reproche est pour le moins paradoxal, de la part de ceux-là même qui ironisaient il y a peu de temps encore sur une réputée inaction présumée du Gouvernement en cette matière.

Le projet de loi est venu en son temps et votre commission s'en réjouit. S'il devait inciter, à l'occasion des élections régionales et surtout cantonales, à entamer enfin des débats de proximité sur la politique du handicap, faudrait-il s'en insurger ? Faudrait-il craindre de faire entendre la voix des personnes handicapées et de leurs familles dans le débat démocratique ? Votre commission vous laisse le soin d'en juger...

I. LE PROJET DE LOI DONNE ENFIN UN CONTENU CONCRET AU DROIT À COMPENSATION

A. UN DROIT À COMPENSATION DÉFINI EN CONCERTATION AVEC LES PERSONNES HANDICAPÉES ET LEURS FAMILLES

1. Un droit récemment affirmé mais resté lettre morte

La jurisprudence Perruche et les débats qu'elle a suscités ont conduit chacun à prendre conscience du drame vécu par des milliers de familles d'enfants ou d'adultes handicapés, confrontées à l'exclusion, faute de moyens d'existence décents, et acculées à demander à la Justice une indemnisation que l'État ne semblait pas en mesure d'assurer.

C'est la raison pour laquelle, lors du vote de la loi du 17 janvier 2002 de modernisation sociale, le Parlement a solennellement affirmé le droit, pour chaque personne handicapée « à la compensation des conséquences de son handicap quels que soient l'origine et la nature de sa déficience, son âge ou son mode de vie, et à la garantie d'un minimum de ressources lui permettant de couvrir la totalité des besoins essentiels de la vie courante » .

L'affirmation de ce droit ne répondait que partiellement au souci des détracteurs de la jurisprudence Perruche car elle laissait dans l'ombre la question de l'autorité responsable de sa mise en oeuvre. Les débats se sont donc poursuivis jusqu'au vote de la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé.

A cette occasion, le Parlement a en effet interdit qu'un enfant handicapé puisse désormais demander réparation d'un préjudice subi du fait de sa naissance, même si celle-ci était consécutive à une erreur médicale ayant empêché sa mère d'exercer son droit à l'interruption médicale de grossesse.

Il ne s'agissait pas, pour autant, d'exclure le droit pour toute personne handicapée d'obtenir la compensation des conséquences de son handicap. Mais plutôt que de laisser la mise en oeuvre de ce droit au hasard d'une procédure judiciaire, députés et sénateurs ont choisi d'en confier la responsabilité à la solidarité nationale.

Il reste que le principe affirmé le 4 mars 2002 demeurait lettre morte puisqu'aucune définition ni mesure d'application n'étaient venues, jusqu'à aujourd'hui, concrétiser ce droit.

2. Un droit enfin défini dans ses différentes composantes

Le présent projet de loi vise donc à établir le contenu du droit à compensation, en précisant sa définition et en énumérant ses différents aspects.

Il s'attache tout d'abord à définir le handicap lui-même , en s'appuyant sur les concepts de déficience, d'incapacité et de désavantage développés par l'Organisation mondiale de la santé dans sa classification internationale du fonctionnement, du handicap et de la santé. Conformément aux souhaits exprimés par le mode associatif, le handicap psychique et le polyhandicap y sont reconnus à part entière.

Il convient de souligner que l'adoption d'une définition enfin consensuelle du handicap devrait permettre d'améliorer la connaissance de la population handicapée et d'accroître la fiabilité du dispositif statistique la concernant.

En effet, l'information statistique sur le handicap reste insuffisante et perfectible. Elle est partielle et provient d'organismes qui utilisent des critères différents de dénombrement, au point qu'il est actuellement impossible de connaître le nombre de personnes handicapées vivant en France, puisque les estimations varient de un à vingt.

Combien de personnes handicapées ?

Les évaluations actuellement disponibles sont à la fois anciennes et contradictoires

Les évaluations existantes jusqu'en 1997 ont emprunté deux méthodes :

- La méthode des enquêtes statistiques : l'enquête INSEE « Conditions de vie » de 1987 fait ressortir un chiffre de 3,2 millions de personnes se déclarant handicapées, soit environ 6 % de la population française . Cette estimation semble confirmée par l'étude du CTNERHI menée en 1994 qui aboutit au chiffre voisin de 3,4 millions de personnes. L'enquête décennale Santé de l'INSEE de 1991 donne quant à elle une estimation beaucoup plus large du handicap, puisque, selon elle, 5,5 millions de personnes déclarent un handicap ou une gêne dans la vie quotidienne.

- Le dénombrement par les « seuils administratifs » : cette méthode donne une estimation plus faible du nombre de personnes handicapées car elle s'attache aux personnes touchées par un handicap suffisamment sévère pour bénéficier de mesures de reconnaissance et de protection.

On dénombre ainsi 2.387.000 personnes de plus de vingt ans atteintes d'un handicap entraînant un taux d'incapacité supérieur à 80 % (enquête CTNERHI-DASES Paris 1995, auprès d'un échantillon de demandeurs de la carte d'invalidité).

Une méthode plus restrictive consiste à dénombrer les personnes dont le handicap restreint significativement l'autonomie et affecte l'intégration scolaire, sociale ou professionnelle, à travers :

- les bénéficiaires de l'abattement spécial pour le calcul de l'impôt sur le revenu ou ouvrant droit à une majoration du nombre de parts fiscales (1,58 million de personnes) ;

- les bénéficiaires de l'AAH souffrant d'une incapacité comprise entre 50 et 80 % qui les met dans l'impossibilité, reconnue par la COTOREP, de trouver un emploi (139.000 personnes) ;

- les enfants et adolescents accueillis en établissements ou services d'éducation spéciale dont le taux d'incapacité est compris entre 50 et 80 % (et qui n'entrent pas de ce fait dans la première catégorie) : leur nombre est évalué au tiers environ de la population accueillie dans ces services, soit 44.000 enfants ;

- une partie des personnes touchant une pension d'invalidité de la sécurité sociale, à savoir celles qui ont une réduction des 2/3 de leur capacité professionnelle et une incapacité de travailler reconnue par le médecin-conseil mais qui n'ont pas pu prétendre à une carte d'invalidité (55.000 personnes).

Cette méthode aboutit à un chiffre d'environ 1.814.000 personnes (à partir d'estimations base 91, dernière série statistique complète disponible).

Les résultats définitifs d'une évaluation plus récente ne sont toujours pas disponibles

Les faiblesses des deux méthodes précédentes ont conduit l'INSEE à lancer, en 1998, l'enquête « Handicap-Incapacité-Dépendance », dont l'objectif est à la fois de compter et de décrire la population concernée. Elle vise toutefois une cible très large puisqu'elle tend à établir une estimation du nombre de personnes touchées par divers types de handicaps, y compris ceux liés à l'âge .

Cette enquête est effectuée auprès de deux échantillons (le premier issu de la population vivant en institution, le second constitué de personnes vivant à domicile).

A l'heure actuelle, les seuls résultats définitifs disponibles concernent la population vivant en institution . Les établissements pris en compte regroupent à la fois les établissements pour personnes handicapées, les établissements psychiatriques de long séjour et les établissements pour personnes âgées. Cette population est estimée à 660.000 personnes . Parmi elles, 629.000 déclarent au moins une déficience et 573.000 considèrent que celle-ci n'a pas pour origine le vieillissement.

Les premiers résultats de l'enquête à domicile font ressortir un chiffre de 2,3 millions de personnes percevant une allocation ou un autre revenu au titre d'un handicap ou d'un problème de santé. Ils permettent enfin d'estimer à plus de 5 millions les personnes bénéficiant d'une aide régulière pour accomplir certaines tâches de la vie quotidienne.

Les lacunes de cette information statistique, notamment au niveau de l'enquête HID, avaient déjà été mises en exergue par votre commission dans son rapport d'information de juillet 2002 1 ( * ) :

« Il est inconcevable qu'on doive encore attendre dix ans avant d'obtenir des données utiles à la planification de l'effort en faveur des personnes handicapées. Il paraît en particulier nécessaire de connaître, dans chaque département, le nombre de personnes handicapées, leur âge et la nature de leur handicap afin que les acteurs locaux puissent ainsi disposer d'un instrument pertinent d'aide à la décision. »

Le présent projet de loi remédie partiellement à ces insuffisances en prévoyant la mise en oeuvre d'un traitement statistique des décisions prises par les nouvelles commissions départementales des droits et de l'autonomie des personnes handicapées, transmises au ministre chargé des affaires sociales. Ces relevés de décisions comportent des informations sur les caractéristiques des bénéficiaires, de façon à disposer de données fiables et complètes sur l'ensemble de la population handicapée. Il appartiendra ensuite au ministère de transmettre cette information statistique à l'échelon départemental.

Le projet de loi réaffirme ensuite le principe de l' accès des personnes handicapées aux droits fondamentaux reconnus à tous les citoyens.

Face à l'exclusion à laquelle sont confrontées les personnes handicapées et leurs familles, le législateur avait souhaité, lors du vote de la loi du 17 janvier 2002 de modernisation sociale, rappeler que la garantie d'accès à ces droits constituait une obligation pour la collectivité. Le projet de loi en fait également un droit spécifique des personnes handicapées, au titre de la solidarité nationale.

Il reste que la compensation du handicap suppose parfois que les personnes handicapées disposent aussi de droits spécifiques . Ce sont ces droits spécifiques que l'article 2 du projet de loi énumère.

Cette définition est particulièrement innovante, dans la mesure où elle ne se limite pas aux composantes individuelles du droit à compensation que sont les aides techniques et humaines ou encore l'aménagement du cadre de vie de la personne elle-même. Conformément à la volonté des personnes handicapées et de leurs familles, la définition retenue est volontairement large et met également l'accent sur les composantes collectives de ce droit : l'accessibilité du cadre bâti, l'accès à l'école et à l'emploi ou encore le développement de l'offre de places en établissements spécialisés.

* 1 « Compensation du handicap, le temps de la solidarité ». M. Paul Blanc - Commission des Affaires sociales - Rapport d'information n° 369 (2001-2002).

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