EXAMEN DES ARTICLES
DU PROJET DE LOI
TITRE PREMIER
-
MISE EN PLACE D'UN DISPOSITIF
DE VEILLE ET D'ALERTE

Article premier
(art. L. 116-3 et L. 121-6-1 du code de l'action sociale et des familles)
Mise en place d'un dispositif de veille et d'alerte
destiné à la protection des personnes âgées et handicapées

Objet : Cet article vise à améliorer la prévention des situations exceptionnelles du type de celles de la crise de la canicule, en proposant de créer un plan départemental d'alerte et d'urgence et en confiant aux communes le recensement préventif des personnes âgées ou handicapées qui l'accepteront.

I - Le dispositif proposé

Le présent article du projet de loi s'attache à tirer les leçons de la crise de la canicule de l'été dernier en insérant, dans le code de l'action sociale et des familles, deux nouveaux articles tendant à mettre en place, à titre préventif, deux dispositifs complémentaires.

Le premier consiste à créer, dans chaque département, un plan d'urgence et de prévention. Le second confie aux communes la mission d'animer et de coordonner les démarches sur le plan local à partir d'un recensement des personnes âgées et handicapées qui accepteront d'être répertoriées, permettant d'entretenir avec elles un contact périodique.

Les dispositions proposées doivent permettre de répondre à certaines des défaillances relevées par la mission commune d'information du Sénat , relative à la gestion de la canicule 2 ( * ) , et notamment les défauts d'anticipation face à ce type de crise, l'ignorance quasi totale dans notre pays du danger potentiel représenté par la chaleur, la lourdeur des cloisonnements administratifs et la coordination insuffisante des acteurs locaux et nationaux.

Le paragraphe I a pour objet de créer un nouvel article L. 116-3 au sein du code de l'action sociale et des familles, afin d'instituer un dispositif départemental d'alerte et d'urgence. Ce dispositif reprend l'une des propositions de la mission commune d'information du Sénat qui tendait précisément à voir renforcé le rôle coordonnateur du préfet sur le plan local. Si cette réponse paraît judicieuse, la formulation proposée par le Gouvernement mérite d'être explicitée sur les points suivants :

L'élaboration et la mise en oeuvre du plan d'alerte et d'urgence

Le projet de loi charge le représentant de l'État dans le département et le président du conseil général d'arrêter conjointement ce plan d'alerte qui sera mis en oeuvre sous la seule autorité du préfet.

Le plan d'alerte et d'urgence comprend un important volet canicule.


Le volet canicule du plan d'alerte et d'urgence

Le préfet de département devrait élaborer, mettre en oeuvre, évaluer et tenir à jour un plan de gestion d'une canicule départementale (PGCD) définissant la stratégie départementale de préparation au risque de canicule et de lutte contre ses conséquences sanitaires, pour chacun des quatre niveaux d'alerte progressifs fixés au niveau national et fondés sur des données météorologiques :

- le niveau 1 correspond à une veille saisonnière le 1 er juin de chaque année ;

- le niveau 2 à l'alerte et la mobilisation des services publics locaux, principalement dans le domaine sanitaire et social ;

- le niveau 3 à l'intervention en cas de canicule avérée et la mise en oeuvre des mesures visant à informer, protéger et secourir les personnes à risque ;

- le niveau 4 implique la réquisition des moyens de transports, des médias et de l'armée en cas d'épisode caniculaire se prolongeant sur une longue durée.

Ce plan doit constituer un dispositif de réponse cohérent des pouvoirs publics comprenant les mesures d'organisation interne des établissements et services médicaux et médico-sociaux, mais aussi des dispositifs de prévention visant les catégories de personnes les plus vulnérables. Quatre volets sont prévus : l'organisation des services publics, les personnes âgées et personnes handicapées, les établissements de santé et les professionnels de santé et, enfin, la population dans son ensemble.

Il est prévu que ce plan soit préparé et défini dans chaque département, par le préfet en sa qualité de représentant de l'État, avec le concours des services de l'État et notamment de la direction départementale des affaires sanitaires et sociales. Le préfet doit veiller à associer étroitement, dans le cadre de ses compétences, le président du conseil général et ses services. De même, le volet « établissements de santé et professionnels de santé » sera élaboré en lien avec le directeur de l'ARH et dans le cadre de ses compétences.

Source : Direction générale de l'action sociale

La notion de risque exceptionnel

Le périmètre retenu pour définir la notion de « risques exceptionnels » semble ne se rapporter ici qu'aux risques climatiques essentiellement : canicule, grands froids, inondation, tempête, raz de marée... Toutefois, la rédaction de cet article, telle que proposée par le Gouvernement est susceptible de s'appliquer à d'autres hypothèses que les catastrophes climatiques, dans l'optique de développer une culture commune de l'urgence, de la prévention et de la gestion de crise reposant sur un mode d'organisation somme toute comparable quel que soit le risque encouru.

Les actions prévues par le plan d'alerte et d'urgence

Le dispositif départemental d'alerte et d'urgence mobilise l'ensemble des moyens des champs sanitaire et social.

Déclenché par le préfet, en fonction de seuils d'alerte fixés sur le plan national et reposant sur des indicateurs météorologiques et sanitaires, le plan définit les modalités de communication, de coopération et de coordination des différentes institutions, il active et actionne les dispositifs de vigilance instaurés préalablement, à domicile ainsi que dans les établissements d'hébergement pour personnes âgées :

- il établit et tient à jour l'annuaire des institutions, établissements, services et structures qui interviennent auprès des personnes âgées et des personnes handicapées. Il reprendra les informations du schéma départemental d'organisation sociale et médico-sociale qui répertorie les établissements et services pour personnes âgées et personnes handicapées et qui sera complété par la mention des acteurs suivants : services municipaux et centres communaux d'action sociale (CCAS) , centres locaux d'information et de coordination (CLIC), réseaux gérontologiques, sites pour la vie autonome (SVA), caisses de sécurité sociale, hôpitaux, SAMU, services départementaux d'incendie et de secours (SDIS), représentants des médecins libéraux, organismes intervenant à domicile, des pharmacies d'officine, des ambulanciers, des associations de bénévoles et caritatives et numéros d'appel d'urgence ;

- à domicile, il repose sur le recensement prospectif des personnes âgées et des personnes handicapées en situation d'isolement ;

- en établissement, il correspond à la mise en place de « plans bleus » qui fixent le mode général d'organisation de chaque institution, publique ou privée, associative ou commerciale, accueillant collectivement des personnes âgées. Le plan bleu définit le rôle et les responsabilités de l'équipe de direction (directeur/médecin coordonnateur), les procédures qui prévalent en cas de crise, les protocoles de rappel des personnels, la convention passée avec un établissement de santé, le niveau des équipements et les stocks nécessaires pour faire face à une crise de longue durée. La préparation des plans bleus doit être accompagnée de l'installation d'une pièce rafraîchie dans chaque établissement d'ici l'été 2004.

Le paragraphe II propose de créer un nouvel article L. 121-6-1 dans le code de l'action sociale et des familles prévoyant de confier aux communes la mission de procéder à un recensement, puis de constituer et d'entretenir un fichier des personnes âgées et handicapées potentiellement visées par ce plan et d'entretenir avec celles-ci des contacts périodiques. Ce travail préparatoire s'inscrit dans la mise en oeuvre du plan d'alerte et d'urgence.

Ces actions préventives ont été confiées aux communes en raison de leur proximité qu'elles entretiennent avec la population et de l'efficacité du travail effectué par les centres communaux d'action sociale.

Le recensement des personnes n'interviendra nécessairement qu'avec leur consentement de façon à garantir le respect des libertés publiques. La version initiale du projet de loi prévoyait d'ailleurs, avant d'être modifiée par amendement en première lecture à l'Assemblée nationale, que ce dispositif s'adresse aux seules personnes « en ayant fait la demande ».

Le projet de loi renvoie à un décret en Conseil d'État la définition des modalités suivant lesquelles les informations figurant dans le fichier établi par les communes seront recueillies, transmises et utilisées, conformément à la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique aux fichiers et aux libertés.

II - Les modifications adoptées à l'Assemblée nationale

L'Assemblée nationale a apporté six modifications à cet article.

Le premier, déposé par la commission des Affaires culturelles, familiales et sociales, tend, en plus des personnes âgées et des personnes handicapées, à élargir le dispositif du plan d'alerte et d'urgence aux « personnes particulièrement vulnérables du fait de leur isolement ».

Le deuxième amendement, soutenu par la commission et le groupe socialiste, a pour objet de préciser que le plan d'alerte et d'urgence « favorise le rapprochement des actions sanitaires et sociales » de façon à remédier au trop grand cloisonnement constaté entre ces deux secteurs pendant la crise de la canicule.

Le troisième, sur initiative du Gouvernement, vise à instituer un dispositif de recensement purement déclaratif, ne reposant sur aucun pouvoir d'appréciation subjective de la situation des personnes potentiellement concernées des maires, afin d'éviter le risque de recours contentieux à leur encontre.

Le quatrième amendement, déposé par la commission, consiste à ouvrir à certains tiers la possibilité de demander le recensement pour autrui, tout en préservant pour les personnes concernées la possibilité de s'y opposer.

De façon complémentaire, le cinquième amendement, déposé par le groupe communiste et républicain, précise que l'absence d'opposition clairement manifestée vaut le consentement des personnes concernées.

Le dernier amendement, soutenu par la commission, fait expressément référence au respect de la loi « informatique et libertés » pour le recueil et la gestion d'informations.

III - La position de votre commission

Votre commission estime que les nouvelles dispositions introduites par cet article permettront d'améliorer la prévention des situations exceptionnelles du type de celles traversées durant l'été 2003 pendant la crise de la canicule.

Elle tient toutefois à faire observer que le risque zéro n'existe pas et qu'un recensement exhaustif des personnes fragiles est, en pratique, impossible à réaliser. En témoigne notamment l'expérience pionnière conduite à Marseille, montrant que le nombre de personnes fragiles, restées à l'écart des recensements et de tous les fichiers existants, pouvait être estimé à 25.000 personnes, ce qui, rapporté à une population totale de 890.000 habitants comprenant plus de 20 % de personnes âgées de plus de 60 ans, n'était pas négligeable 3 ( * ) .

En outre, votre commission considère que la priorité doit être accordée à la souplesse et au caractère opérationnel du dispositif envisagé, en évitant la mise en place d'un mécanisme administratif supplémentaire à la valeur ajoutée incertaine. Elle vous proposera dans cette optique d'adopter trois amendements.

Elle estime tout d'abord que l'ajout, voté à l'Assemblée nationale, des « personnes particulièrement vulnérables » , dans le champ d'application du plan d'alerte et d'urgence, n'est pas justifié. Les populations visées ici, qui comprennent principalement les personnes sans domicile fixe, obéissent à une problématique spécifique. Votre commission vous proposera donc un amendement de suppression de cette disposition nouvelle.

Votre commission constate également que la rédaction proposée pour cet article semble sur certains points allusive et souhaite que le débat en séance publique permettra de l'éclairer utilement.

Dans ce même souci, elle vous proposera, par un premier amendement, de reformuler de façon plus précise les conditions dans lesquelles une personne âgée ou handicapée est amenée à exprimer son consentement pour être recensée par les communes. Elle estime, en effet, nécessaire que ce consentement soit précisé par écrit et que soient mentionnés, à côté des tiers, les mandataires des personnes placées sous tutelle ou curatelle.

Elle s'est également interrogée sur la nature du contact périodique avec les personnes ayant demandé ou consenti à se faire recenser, et considère que ce point mérite un examen très attentif. Si l'on en croit la Direction générale de l'action sociale (DGAS), il s'agit d'un contact permanent et non pas limité aux périodes de crises : « Ce contact périodique est destiné à la mise à jour et à l'actualisation du fichier des personnes recensées, mis en place par les communes. Il permet également de s'assurer, à intervalle régulier, que les personnes isolées à leur domicile bénéficient d'une prise en charge adéquate diligentée par le biais des institutions et organismes référents ou font l'objet d'un signalement auprès des organismes ad hoc : services d'aide à domicile, services de soins infirmiers à domicile, CLIC, sites pour la vie autonome, équipes médico-sociales, CCAS... ».

Dans ces conditions, votre commission considère que cette obligation dépasse les moyens humains et matériels de nombreuses communes, notamment pour les plus petites. Elle proposera donc un amendement de suppression de cette référence à des « contacts périodiques », pour ne pas adopter un dispositif dont on pressent qu'il ne pourra être appliqué en pratique.

Enfin, votre commission a pris acte qu'il n'était pas envisagé de compensation financière de l'État aux collectivités territoriales au titre des dispositions nouvelles introduites au présent article. S'il est vrai que le plan d'alerte et d'urgence ne correspond pas à une extension de charge significative pour le département, il n'en va pas de même pour le recensement des personnes âgées et handicapées, a fortiori s'il devait s'accompagner d'une obligation de contacts périodiques. Votre commission considère que les opérations de recensement constituent bien un accroissement de compétences, au demeurant important sur les plans administratif, financier et humain, pour les communes. Cette observation justifiera la présentation ultérieure, par amendement , d'une disposition additionnelle tendant à préciser les modalités de compensation applicables, conformément à l'article 72-2 de la Constitution.

Votre commission vous propose d'adopter cet article ainsi amendé.

* 2 Rapport n° 195 (2003-2004) sur la mission commune d'information « La France et les Français face à la canicule : les leçons d'une crise ».

* 3 Audition du professeur Jean-Louis San Marco pour la mission commune d'information « La France et les Français face à la canicule : les leçons d'une crise » (14 janvier 2004).

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