II. NOTRE ENSEIGNEMENT SCOLAIRE A BESOIN D'UNE RÉPARTITION PLUS ÉQUITABLE DES MOYENS SUR L'ENSEMBLE DU TERRITOIRE

Cela étant, notre enseignement scolaire a besoin d'une répartition plus équitable des moyens sur l'ensemble du territoire . Or la faible progression d'ensemble des effectifs d'élèves masque des évolutions démographiques fortement contrastées selon les niveaux d'enseignement et les académies.

En effet, la densité et la répartition de la population sur le territoire ont évolué durant les années 90, entraînant des modifications des populations scolaires : les départements du massif central, du nord-est et du nord de la France ont ainsi connu une baisse d'effectifs supérieure à 12 % dans le premier degré, tandis que le Midi méditerranéen, la Haute-Garonne et la Haute-Savoie ont vu leur population scolaire augmenter. De même le premier degré connaît une augmentation de ses effectifs d'élèves (+ 23.800 en 2003, + 61.000 prévus en 2004, + 58.400 prévus en 2005) alors que le second degré fait face à une baisse de ses effectifs d'élèves (- 36.600 prévus en 2004, - 44.700 prévus en 2005).

En conséquence, des redéploiements de moyens s'imposent, et ce, d'autant plus que leur répartition actuelle est très inégale . On peut ainsi relever que le taux de préscolarisation à deux ans était près de 7 fois plus élevé en 2003 dans l'académie de Rennes que dans celle de Paris ou que le nombre d'élèves par classe dans le premier degré est plus élevé (jusqu'à 20 % de plus) dans les zones d'éducation prioritaire des académies de Guyane, de La Réunion, de Paris et de Versailles, qu'hors zone d'éducation prioritaire dans sept autres académies. On peut d'ailleurs aussi observer que les résultats des élèves sont également très contrastés selon les académies, le taux de sortie sans qualification variant ainsi en 2001 de 2,8 % à 15,1 % selon les académies métropolitaines (et jusqu'à 31,3 % en Guyane), comme l'illustre l'annexe documentaire au présent rapport, sans qu'il n'apparaisse aucun lien mécanique entre les résultats et les dépenses .

Votre rapporteur spécial ne peut donc que se féliciter des mesures de redéploiement entre les niveaux prévues par le projet de budget de l'enseignement scolaire, avec la création de postes supplémentaires dans le premier degré pour faire face à l'augmentation du nombre d'élèves, et la suppression de postes dans le second degré compte tenu de la baisse importante dans les effectifs.

La priorité accordée à l'école primaire se justifie d'ailleurs d'autant plus, que la part des dépenses de l'enseignement scolaire consacrée à l'école primaire est aujourd'hui proportionnellement moins importante en France que dans la moyenne des pays de l'OCDE et que l'école primaire est le moment où se noue l'échec scolaire : l'IGEN estimait ainsi en mars 2002, dans un rapport portant état des lieux de la classe de 6 ème , « qu'il est pratiquement impossible de relever en une ou deux heures de soutien par semaine... le niveau particulièrement inquiétant de certains élèves quittant l'école élémentaire (au nombre de trois à cinq par classe dans les collèges visités).... Que peut-on réellement remettre à niveau en 6 ème dans le cas d'élèves, par exemple, qui n'ont pas encore acquis le mécanisme de la multiplication ou qui savent à peine écrire... Disons-le tout net, ces élèves sont sans doute accueillis au collège, mais ils n'y sont pas scolarisés ».

Votre rapporteur spécial constate par ailleurs avec satisfaction que l'amélioration de la répartition géographique des moyens entre académies figure parmi les objectifs assignés aux programmes de l'enseignement scolaire dans l'avant-projet de rapport annuel de performances, et que le ministère a engagé des politiques de redéploiement des moyens entre académies d'une ampleur précédent, car jouant non plus seulement sur la répartition des nouveaux emplois (les « flux »), mais aussi sur leur « stock ».

Ces politiques sont courageuses , car chacun sait qu'il est infiniment plus aisé de ne pas ouvrir une classe ou une division supplémentaire dans une école ou établissement surchargé que de fermer une classe ou une division dans une école ou un établissement dont les effectifs se raréfient.

Les contraintes auxquelles se heurte l'évolution d'une carte scolaire qui est le fruit d'une longue histoire peuvent être illustrées à travers les exemples des « réseaux pédagogiques intercommunaux » et des établissements professionnels.

La mise en réseau des écoles repose a priori sur des arguments aussi bien pédagogiques (rompre l'isolement des enseignants et offrir davantage de moyens aux élèves) que budgétaires (le « surcoût » en emplois d'enseignants des écoles rurales peut être estimé à 6.000 si l'on alignait leur taux d'encadrement sur celui des écoles urbaines). En conséquence, le ministère encourage cette politique et 271 « réseaux pédagogiques intercommunaux » (RPI) ont été dénombrés en 2003.

Cependant, alors que la mise en réseau constitue a priori un outil de rationalisation de la carte scolaire, le rapport conjoint de l'IGEN et de l'IGAENR réalisé en 2003 sur l'évolution du réseau des écoles primaires porte un regard très critique sur la mise en oeuvre de ce dispositif, en observant : « les réseaux, quel que soit le mode d'organisation choisi, n'ont jamais été conçus dans une logique de gestionnaire d'économie de moyens » et « l'organisation de l'école en réseau a un coût...Les réseaux coûtent en termes de transport scolaire. Ils coûtent en termes d'équipement informatique, en crédits pédagogiques de soutien divers, en crédits liés à des actions de formation continue spécifique. Ils coûtent également en moyens humains », du fait de recrutement de coordonnateurs de réseau. En outre, la constitution des réseaux « a généralement eu pour contrepartie le renoncement par l'inspecteur d'académie aux suppressions d'emplois et aux fermetures de classe. Les écoles en réseau bénéficient donc de conditions particulièrement favorables d'encadrement (...) parfois ...plus favorables que les écoles de zone prioritaire ». En conclusion, l'IGAENR et l'IGEN mettent en garde contre le risque de rigidifier la carte scolaire « si l'extension éventuelle des réseaux d'écoles devait se faire avec le seul souci de maintenir l'existant ».

Cela étant, il convient de remettre en perspective les conclusions des inspections générales. En effet, les surcoûts des réseaux d'école en termes de transports scolaires et d'équipement informatique sont financés par les collectivités territoriales concernées (communes et départements) et non pas par le budget de l'Etat. En outre, comme le reconnaît d'ailleurs le ministère en réponse aux questions de votre commission des finances, ces surcoûts sont sans doute le prix à payer pour obtenir l'adhésion des communes et des parents d'élèves à des évolutions qui peuvent sembler en rupture par rapport à notre tradition séculaire d'école communale républicaine.

La difficulté de faire évoluer la carte scolaire dans un contexte de partenariats renforcés se retrouve au niveau de l'enseignement professionnel.

Le rapport de l'IGEN de janvier 2002 relatif à l'orientation vers le lycée professionnel estimait ainsi que : « dans les zones rurales et dans les zones industrielles sinistrées, l'existence de certains lycées professionnels est due prioritairement à une volonté de maintien d'activité, malgré des effectifs de plus en plus faibles, des équipes pédagogiques « sur la défensive », des équipements anciens ou incomplets, une absence d'environnement économique pertinent par rapport aux spécialités enseignées dans l'établissement. De telles conditions sont difficilement compatibles avec les exigences qualitatives d'une formation professionnelle durable qualifiante. En deçà d'un seuil minimum, la qualité de la formation devient mauvaise ». Il peut donc exister selon l'IGEN une contradiction entre la demande sociale en faveur du maintien d'établissements à proximité des usagers (et donc un tissu scolaire dense) et la masse critique nécessaire pour assurer une formation de qualité.

Là encore, ces observations ne sont pas sans pertinence, mais elles font largement abstraction de ce que la carte des lycées professionnels est également le fruit d'une histoire (l'éducation nationale ayant souvent progressivement pris à sa charge des centres de formations créés par les entreprises pour répondre aux besoins spécifiques d'un bassin d'emploi), comme de la nécessité pour les régions de conduire des politiques volontaristes de promotion de qualifications et de maintien du service public de l'éducation nationale dans des zones en difficulté, sous peine d'accroître les inégalités territoriales.

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