D. LA LUTTE CONTRE LES RIGIDITÉS QUI PÉNALISENT L'EMPLOI ET FAVORISENT LES DÉLOCALISATIONS

Votre rapporteur spécial a acquis la conviction que, pour créer des emplois et lutter contre les délocalisations, la baisse du coût du travail au travers de la politique d'exonérations -la plus coûteuse des politiques de l'emploi- ne constitue pas la « panacée » . Seul un assouplissement drastique du droit du travail permettrait de relancer les embauches et d'améliorer l'attractivité de la France, y encourageant l'investissement productif étranger, et freinant les délocalisations, qui constituent un phénomène extrêmement préoccupant.

La perspective d'une accélération des délocalisations

Le mouvement des délocalisations est une tendance lourde dont certains estiment qu'il est appelé à une accélération forte dans les années qui viennent. Ainsi, lors de leur audition, MM. Laurent Petizon, vice-président du cabinet de conseil ATKearney, et Olivier Delrieu, directeur, ont fait observer au groupe de travail que la masse salariale américaine délocalisée, qui était estimée à 4 milliards de dollars en 2000, serait de 24 milliards en 2005 et pourrait être de 65 milliards en 2010. Ils considéraient en outre que l'Europe avait environ trois ans de retard sur les Etats-Unis, évoquant notamment, à titre illustratif, le fait que 20 % des budgets informatiques américains étaient délocalisés en 2003 contre seulement 5 % en Europe.

Source : rapport d'information n° 374 (2003-2004) de notre collègue Francis Grignon, fait au nom de la commission des affaires économiques, déposé le 23 juin 2004

1. La « viabilisation » des 35 heures à défaut de leur suppression

Un décret du 15 octobre 2002 avait d'abord rehaussé le contingent d'heures supplémentaires de 130 heures à 180 heures, puis la loi « Fillon » a apporté un certain nombre d'assouplissements supplémentaires aux 35 heures concernant, notamment, le régime des heures supplémentaires, le contingent d'heures supplémentaires 24 ( * ) , le repos compensateur obligatoire et le compte épargne temps.

Dans un récent rapport d'information 25 ( * ) intitulé « La France des 35 heures : une économie fragilisée, une société divisée ? », nos collègues députés Patrick Ollier et Hervé Novelli ont notamment proposé (outre la mise en place d'un « Code du travail spécifique pour les PME »), des allègements de charges sociales sur les heure supplémentaires, et la possibilité pour les entreprises de déroger aux accords de branche existant sur la durée du travail.

Si M. Gérard Larcher, ministre délégué aux relations du travail, a pu marquer ses distances vis-à-vis de certaines des orientation de ce rapport, trois pistes sont néanmoins étudiées aujourd'hui par le gouvernement pour poursuivre l'« assouplissement » des 35 heures : la mutualisation des heures supplémentaires à l'échelle des entreprises, l'assouplissement du compte épargne temps (CET), et l' extension à toutes les entreprises du régime des heures supplémentaires applicable aux entreprises de vingt salariés et moins , qui permet de les rémunérer 10 % de plus, au lieu de 25 %.

En tout état de cause, le 31 décembre 2005, ce régime des heures supplémentaires dérogatoire prendra fin, ce qui devrait obliger le gouvernement à légiférer avant cette échéance.

Votre rapporteur spécial est hautement favorable à l'ensemble des mesures susceptibles de « viabiliser » les 35 heures pour les entreprises, à défaut d'une suppression pure et simple, dont il pourrait être raisonnablement attendu une diminution du coût des exonérations de charges de l'ordre de 10 milliards d'euros ( infra ). Il s'agit en effet de rendre aux entreprises la souplesse nécessaire concernant leur niveau d'activité. Il est certain qu'un renforcement du potentiel d'accroissement transitoire de la production de biens ou de services est de nature à favoriser, à terme, des embauches durables si le volume de travail requis est amené à se stabiliser à un niveau plus élevé.

2. La fin des errements de la loi de modernisation sociale

Dans la même optique, un certain nombre des dispositions de la loi du 17 janvier 2002 de modernisation sociale destinées à rendre plus rigide la procédure de licenciement économique, ont été « gelées » par la l'article 1 er de la loi du 3 janvier 2003 portant relance de la négociation collective en matière de licenciements économiques, aux fins de permettre aux partenaires sociaux de conclure un accord interprofessionnel concernant les procédures de licenciements économiques avant d'adapter, au vu des résultats de cet accord, la législation applicable.

Dans l'attente , cet assouplissement était des plus opportuns. En effet, il y a vraisemblablement plus à attendre, en terme d'impact sur l'emploi, du renoncement à un dispositif propre à décourager certains entrepreneurs d'embaucher, que de sa mise en oeuvre dans la perspective de retarder des licenciements économiques inéluctables. Pour faire face aux évolutions d'une société moderne, il semble en effet plus sûr d'accroître les possibilités de formation tout au long de la vie ( supra ).

La loi du 30 juin 2004 26 ( * ) , modifiant l'article 1 er de la loi du 3 janvier 2003 portant relance de la négociation collective en matière de licenciements économiques, a prolongé de six mois la suspension de certaines dispositions de la loi de modernisation sociale précitée.

Le « gel » des dispositions précitées parvenant à son terme le 3 janvier 2005, et compte tenu du désaccord persistant entre les partenaires sociaux, il revenait au gouvernement de déposer, avant cette date, un projet de loi sur la révision des procédures de licenciement.

C'est l'objet de la lettre rectificative du 20 octobre 2004, complétant le projet de loi de programmation pour la cohésion sociale.

Exposé des motifs de la lettre rectificative au projet de loi de programmation pour la cohésion sociale

La loi n° 2003-6 du 3 janvier 2003 portant relance de la négociation collective en matière de licenciement économique a suspendu pour une durée de dix-huit mois, durée qui a été prolongée de six mois par la loi n° 2004-627 du 30 juin 2004, les principales dispositions introduites dans le code du travail par la loi n° 2002-73 du 17 janvier 2002 de modernisation sociale. Elle a renvoyé à un accord national interprofessionnel le soin de définir les règles applicables en la matière.

Dans l'intervalle, les entreprises avaient été incitées à négocier des accords de méthode définissant la procédure applicable en cas de licenciement collectif pour motif économique, au besoin en adaptant le socle de règles de droit commun défini par le code du travail.

Si les négociations interprofessionnelles n'ont pu aboutir, plus de cent quatre-vingt accords de méthode ont été signés et mis en oeuvre, démontrant ainsi qu'il était possible de parvenir à une gestion négociée, à froid, des restructurations auxquelles peuvent être conduites les entreprises en cas de difficultés économiques.

Prenant acte de l'échec des négociations et compte tenu des délais impératifs impartis par la loi du 3 janvier 2003 modifiée, le gouvernement a décidé d'introduire dans le projet de loi de programmation pour la cohésion sociale huit articles visant :

- à encourager, au sein des entreprises et des branches, le développement d'une gestion prévisionnelle de l'évolution des emplois et des compétences ainsi que l'anticipation des mutations ;

- à clarifier et à sécuriser les règles relatives au licenciement économique en privilégiant la voie de l'accord collectif ;

- à renforcer les garanties de reclassement offertes à l'ensemble des salariés, en particulier dans les petites et moyennes entreprises, en cas de licenciement économique ;

- à remédier aux effets déstabilisateurs que peuvent avoir certaines opérations de restructuration à l'échelle d'un bassin d'emploi.

Les partenaires sociaux croient, à tort, que l'emploi est mieux protégé en empêchant les licenciements et, sur ce point, il semble donc difficile de parvenir à un accord permettant leur libéralisation. Ainsi, votre rapporteur spécial constate qu'il revient au gouvernement et au Parlement de prendre une telle initiative.

3. La simplification et l'assouplissement nécessaires du droit du travail

Parmi les cinquante préconisations du rapport 27 ( * ) rendu par la commission présidée par M. Michel de Virville , intitulé « Pour un droit du travail plus efficace », figuraient notamment, outre le renforcement de la négociation collective, la rupture négociée de la relation de travail, ainsi que la création d'un « contrat de projet » qui pourrait excéder 18 mois 28 ( * ) .

Dans un récent rapport intitulé « Le sursaut, vers une nouvelle croissance pour la France » 29 ( * ) , M. Michel Camdessus , soulignant qu' « alors même que les transferts sociaux atteignent les niveaux des pays nordiques, le taux de pauvreté français se rapproche plus de celui du Royaume-Uni » inventorie les moyens de parvenir à ce « sursaut » :

- la création d'un contrat à durée indéterminée unique (remplaçant CDD et CDI) au sein duquel « les droits à la protection sociale et à l'indemnisation se renforceraient progressivement »,

- une assurance chômage plus généreuse « mais plus incitative » ,

- la création d'un « bonus-malus sur les cotisations sociales tenant compte du nombre d'embauches et de licenciements » inspirée du modèle américain,

- la possibilité de cumuler emploi et retraite sans restriction,

- la création d'une nouvelle catégorie d'heures supplémentaires, individuelles et non obligatoires, afin que ceux qui veulent travailler plus puissent gagner plus.

Par ailleurs, le rapport préconise, avec le renforcement de la prime pour l'emploi, eune modération de l'évolution du SMIC en supprimant les « coups de pouce ».

A l'exception de cette dernière proposition, M. Jean-Louis Borloo, ministre de l'emploi, du travail et de la cohésion sociale, s'est estimé « très frappé » par ce soutien au plan de cohésion sociale .

Il est exact qu'une pleine acclimatation de la « flex-sécurité » ( supra ) , dont le plan de cohésion sociale entend s'inspirer, impose de porter la plus grande attention à l'ensemble de ces propositions, avec laquelle elles se situent en cohérence.

Le rapport Camdessus montre bien qu'il faut accélérer notre mutation, ce qui signifie d'abord et surtout travailler plus à un coût maîtrisé, et revenir sur les 35 heures. Tout ce qui favorisera la flexibilité du travail est bon pour l'emploi.

Quoiqu'en disent ses détracteurs, cette politique appliquée par exemple aux Etats-Unis, en Grande-Bretagne et au Danemark fonctionne. C'est un fait : de même qu'on ne peut s'opposer aux lois de la pesanteur, on ne peut s'opposer à une politique qui marche, qu'il convient ainsi d'appliquer au plus vite.

* 24 Le contingent réglementaire de 180 heures demeure applicable à titre subsidiaire en l'absence d'accord de branche étendu.

* 25 Rapport n° 1544, XII ème législature, enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 14 avril 2004.

* 26 Loi n° 2004-627 modifiant les articles 1 er et 2 de la loi n° 2003-6 du 3 janvier 2003 portant relance de la négociation collective en matière de licenciements économiques et relative au recouvrement, par les institutions gestionnaires du régime d'assurance chômage, des prestations de solidarité versées entre le 1 er janvier et le 1 er juin 2004 aux travailleurs privés d'emploi dont les droits à l'allocation de retour à l'emploi ont été rétablis.

* 27 Rapport remis à M. François Fillon, ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité le jeudi 15 janvier 2004.

* 28 La durée d'un contrat à durée déterminée (CDD) ne peut excéder, dans le cas général, 18 mois.

* 29 Rapport remis le 9 octobre 2004 à M. Nicolas Sarkozy, ministre d'Etat, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

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