Article 138
(art. L. 643-11 nouveau du code de commerce)
Reprise des poursuites individuelles
en cas de clôture pour insuffisance d'actif

Cet article a pour objet de reprendre à l'article L. 643-11 du code de commerce, tout en les modifiant et en les complétant, les dispositions figurant actuellement à l'article L. 622-32 du même code, relatives à la reprise des poursuites individuelles en cas de clôture pour insuffisance d'actif .

En première lecture, l'Assemblée nationale a adopté un amendement rédactionnel présenté par sa commission des Lois et ayant reçu un avis favorable du Gouvernement.

1. Le maintien du principe : l'absence de reprise des poursuites individuelles

Au I de l'article L. 643-11 du code de commerce, est repris le principe actuellement applicable selon lequel le jugement de clôture pour insuffisance d'actif ne fait pas recouvrer aux créanciers l'exercice individuel de leurs actions.

Etabli par la loi du 25 janvier 1985, ce principe inversait la solution jusqu'ici établie par la loi du 13 juillet 1967. En effet, une fois la clôture de la procédure prononcée pour insuffisance d'actif, il était auparavant établi que les créanciers pouvaient reprendre leurs poursuites, que les créances aient été ou non vérifiées et admises. Leurs actions pouvaient être exercées tant que le délai de prescription n'était pas écoulé 294 ( * ) .

Depuis 1985, les créanciers ne peuvent en principe plus agir en paiement contre le débiteur après le jugement de clôture pour insuffisance d'actif. Le débiteur n'est dont pas tenu de payer l'intégralité de ses dettes.

Toutefois, plusieurs exceptions au principe de non reprise des poursuites ont également été prévues par la loi du 25 janvier 1985 puis par la loi du 10 juin 1994.

2. Les exceptions

• Après avoir posé le principe, le premier paragraphe de l'article L. 643-11 du code de commerce reprendrait les deux exceptions actuellement prévues au premier paragraphe de l'article L. 622-32 du code de commerce et fondées sur les caractéristiques propres de certaines créances.

Ainsi, les créanciers pourraient recouvrer l'exercice individuel de leurs actions si la créance résulte d'une condamnation pénale du débiteur . Le droit actuel prévoyait que le créancier doit avoir été condamné pour des faits étrangers à son activité professionnelle ou pour fraude fiscale, seul le Trésor public recouvrant dans ce dernier cas son droit de poursuite. Le présent projet de loi propose de supprimer ces deux hypothèses afin d'étendre l'exception à l'ensemble des créances nées d'une condamnation pénale du débiteur. Il s'agit ainsi de mettre un terme à une situation paradoxale issue du fait que le débiteur condamné pour des délits liés à son activité professionnelle est protégé de toute poursuite exercée par le titulaire de la créance en résultant, à la différence de celui qui avait commis un acte délictueux étranger à son activité professionnelle.

Ensuite, les créanciers pourraient toujours reprendre leurs poursuites individuelles lorsque la créance résulte de droits attachés à la personne du créancier . Ainsi, entrent notamment dans le champ de cette exception les créances alimentaires, par coordination avec l'interprétation faite des créances « exclusivement attachés à la personne » prévues à l'article 1166 du code de civil. En revanche, la Cour de cassation en a exclu les créances sociales 295 ( * ) .

• Le II de l'article L. 643-11 du code de commerce devrait reprendre à l'identique l'actuel deuxième paragraphe de l'article L. 622-32 qui prévoit que les cautions et les coobligés ayant payé en lieu et place du débiteur peuvent exercer des poursuites contre ce dernier .

Il s'agit ainsi de protéger les cautions et coobligés qui auraient payé les dettes du débiteur. En effet, si la clôture de la procédure de liquidation pour insuffisance d'actif ne fait en principe pas recouvrer aux créanciers l'exercice individuel de leurs poursuites, elle n'éteint pas pour autant les créances. Par conséquent, les créanciers peuvent poursuivre les coobligés ou les cautions du débiteur, lesquels, sans la présente exception introduite par la loi du 10 juin 1994, ne pourraient à leur tour se retourner contre le débiteur.

• Les III et IV de l'article L. 643-11 nouveau du code de commerce posent également des exceptions au principe de non reprise des poursuites individuelles, qui concerneraient tous les créanciers, quelle que soit leur créance, et seraient fondées sur la situation ou le comportement du débiteur .

Au troisième paragraphe, trois des exceptions actuellement prévues au troisième paragraphe de l'article L. 622-32 du code de commerce seraient reprises.

Les créanciers recouvreraient ainsi leur droit de poursuite individuelle lorsque la faillite personnelle du débiteur a été prononcée ou lorsque le débiteur a été reconnu coupable de banqueroute .

Ils pourraient également reprendre les poursuites contre un « débiteur récidiviste ». Le droit actuel prévoit en effet l'hypothèse où le débiteur ou la personne morale dont il a été le dirigeant a été déclaré en état de cessation des paiements et que la procédure a été clôturée pour insuffisance d'actif. Le présent projet de loi propose de modifier le dispositif de cette exception afin qu'elle s'applique lorsque le débiteur ou la personne morale dont il a été le dirigeant a été soumis à une procédure de liquidation judiciaire antérieure clôturée pour insuffisance d'actif moins de cinq ans avant l'ouverture de la procédure à laquelle il est pour l'heure soumis . Cette nouvelle rédaction précise, d'une part, que la clôture pour insuffisance d'actif concerne une liquidation judiciaire antérieure à l'actuelle procédure dont le débiteur fait l'objet, conformément à l'interprétation de la Cour de cassation sur le texte actuel 296 ( * ) , et, d'autre part, que serait limité à cinq ans le délai pendant lequel la « récidive » du débiteur serait prise en compte.

Le présent article introduit, en outre, une nouvelle exception liée à la situation du débiteur, en prévoyant que le droit de poursuite individuel pourrait être exercé par un créancier lorsque la procédure de liquidation judiciaire a été ouverte en tant que « procédure territoriale au sens du paragraphe 2 de l'article 3 du règlement (CE) n° 1346/2000 du Conseil du 29 mai 2000, relatif aux procédures d'insolvabilité » . 297 ( * ) En effet, le paragraphe 2 de l'article 3 de ce règlement européen dispose que les juridictions d'un Etat membre peuvent ouvrir une procédure d'insolvabilité à l'égard d'un débiteur dont le centre des intérêts principaux est situé sur le territoire d'un Etat membre mais à condition qu'il possède un établissement sur le territoire de cet autre Etat membre 298 ( * ) . Il précise que les effets de cette procédure sont limités aux seuls biens du débiteur se trouvant sur ce dernier territoire. En conséquence, une procédure de liquidation judiciaire peut être ouverte pour un débiteur ayant un établissement sur le territoire français et dont le centre des intérêts principaux est situé sur le territoire d'un autre Etat membre. En appliquant le principe de l'absence de reprise des actions individuelles des créanciers, le débiteur pourrait dès lors profiter de cette procédure pour retirer son établissement de France et l'installer ailleurs, sans avoir à garantir le paiement de ses créanciers. Afin d'éviter de telles dérives, il convient de prévoir une exception en ce sens au principe de non exercice de leur droit de poursuite individuel par les créanciers.

En revanche, le projet de loi supprime la possibilité de reprendre les poursuites dans le cas où le débiteur a subi une interdiction de diriger ou de contrôler une entreprise commerciale ou une personne morale . Cette suppression s'inscrit dans la volonté de distinguer clairement l'interdiction de gérer de la faillite personnelle. L'interdiction de gérer serait sans conséquence patrimoniale et réservée au débiteur qui, sans être malhonnête, n'apparaît pas compétent pour gérer une société.

• Le IV de l'article L. 643-11 propose de reprendre l'exception permettant aux créanciers d'exercer leur droit de poursuite individuelle en cas de fraude du débiteur , actuellement prévue au troisième paragraphe de l'article L. 622-32 du code de commerce. La fraude est entendue au sens large, dès lors que le débiteur a eu « conscience de causer un préjudice » 299 ( * ) . En pratique, la fraude tient souvent à la dissimulation par le débiteur de l'existence de certains créanciers ou de certains actifs.

Le projet de loi propose de préciser que le tribunal statuerait dans ce cas lors de la clôture de la procédure, après avoir entendu ou dûment appelé le débiteur, le liquidateur et les contrôleurs. A défaut, il peut également intervenir postérieurement dans les mêmes conditions, à la demande de tout intéressé.

• Enfin, le V de cette disposition reprend, tout en leur apportant quelques précisions rédactionnelles, les dispositions du quatrième paragraphe de l'actuel article L. 622-32 du code de commerce. Il détermine les modalités de procédure applicables en matière de reprise des poursuites individuelles par les créanciers à l'encontre du débiteur . Il dispose que tout créancier dont les créances ont été admises et recouvrant son droit de poursuite individuelle du fait du présent article obtient un titre exécutoire par une ordonnance du président du tribunal . En vertu du troisième alinéa de l'article 154 du décret du 27 décembre 1985, « l'ordonnance vise l'admission définitive de ce créancier et le jugement de clôture pour insuffisance d'actif ; elle contient l'injonction de payer et est revêtue par le greffier de la forme exécutoire . »

Votre commission constate, conformément au droit actuel, que le présent article ne confère qu'aux seuls créanciers ayant eu leurs créances précédemment admises la faculté de recouvrer l'exercice individuel de leurs actions. Dans la mesure où, dans un souci d'efficacité et d'accélération de la procédure, un nombre plus important de créances ne devrait désormais plus être vérifiées, en particulier dans le cadre d'une procédure de liquidation judiciaire simplifiée, votre commission considère qu'il convient de permettre à ces créanciers de recouvrer leur droit de poursuites individuelles dans les conditions de droit commun et vous propose un amendement en ce sens.

Votre commission vous propose d'adopter l'article 138 ainsi modifié .

* 294 Voir le rapport précité n° 332 (Sénat, 1983-1984) de M. Jacques Thyraud au nom de la commission des Lois.

* 295 Cour de cassation, chambre commerciale, 31 mars 1992.

Cour de cassation, chambre sociale, 11 mars 1993.

* 296 Cour de cassation, chambre commerciale, 9 juin 1998 : « les créanciers ne recouvrent pas leur droit de poursuite individuelle à l'égard du dirigeant d'une personne morale dont la liquidation judiciaire a été clôturée pour insuffisance d'actif lorsque ce dirigeant n'avait pas lui-même antérieurement fait l'objet d'une procédure de liquidation judiciaire avec clôture pour insuffisance d'actif ou été le dirigeant d'une personne morale dont la liquidation judiciaire avait connu la même issue ».

* 297 Sur le droit communautaire des procédures d'insolvabilité, voir le 1 du C du I de l'exposé général.

* 298 Paragraphe 2 de l'article 3 du règlement (CE) n° 1346/2000 du Conseil du 29 mai 2000 : « Lorsque le centre des intérêts principaux du débiteur est situé sur le territoire d'un État membre, les juridictions d'un autre État membre ne sont compétentes pour ouvrir une procédure d'insolvabilité à l'égard de ce débiteur que si celui-ci possède un établissement sur le territoire de cet autre État membre. Les effets de cette procédure sont limités aux biens du débiteur se trouvant sur ce dernier territoire. »

* 299 Pierre-Michel Le Corre, « Droit et pratique des procédures collectives 2003-2004 », Dalloz Action, Paris, 2003, 981 p.

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