II. LES PRINCIPES PRESCRITS PAR LA CHARTE

A. DES PRINCIPES RESPECTUEUX DE LA DIVERSITÉ DES ETATS

Il revient au législateur de chaque Etat signataire de mettre en oeuvre les principes de la Charte, ce qui assure sa compatibilité avec la diversité des organisations administratives décentralisées en Europe.

La première partie décline une série de principes.

1. Les garanties législatives et constitutionnelles de l'autonomie locale (article 2)

Dans son article 2, la Charte prévoit la reconnaissance du principe de l'autonomie locale par la loi et « autant que possible » au niveau constitutionnel.

Evoquée en termes laconiques par la Constitution française avant la révision de mars 2003, la décentralisation est désormais consacrée par l'article 1 er et fait l'objet d'un titre XII, « des collectivités territoriales » particulièrement développé.

D'une façon plus générale, la Charte prévoit que les restrictions apportées à la libre administration des collectivités locales doivent être prévues par la loi.

C'est le cas de la définition des compétences de base des collectivités locales (article 4), de la limitation par une autre autorité des compétences confiées aux collectivités locales (article 4), des conditions d'incompatibilité avec les mandats locaux (article 7), du contrôle administratif des actes des collectivités locales (article 8), de l'encadrement du pouvoir le fixer le taux des impôts locaux (article 9) ou encore des conditions de la coopération entre collectivités (article 10).

2. L'élection des conseils locaux (article 3)

L'élection des conseils locaux au suffrage universel direct pour la gestion des affaires publiques au niveau local est l'une des stipulations les plus précises de la Charte.

La responsabilité des exécutifs devant les assemblées locales est évoquée par le texte mais son caractère obligatoire peut faire débat. La formulation « pouvant disposer d'organes exécutifs responsables devant eux » invite à considérer le principe de la responsabilité comme une faculté. Notre pays a souhaité préciser, par une déclaration interprétative, que c'est bien ainsi qu'il entendait cette stipulation. La responsabilité de l'exécutif devant l'assemblée locale est en effet l'exception au sein des collectivités territoriales françaises et ne concerne, en métropole, que la collectivité territoriale de Corse, dont le conseil exécutif est responsable devant l'Assemblée, selon le dispositif de la motion de défiance constructive.

3. Des compétences préservées et adaptables (articles 4, 8 et 11)

L'article 4 de la Charte définit les principes applicables aux compétences des collectivités locales.

Il prévoit que ces dernières, si elles jouissent de compétences d'attribution, doivent pouvoir développer des initiatives dans les domaines qui ne sont pas explicitement exclus de leur compétence ou attribués à une autre collectivité.

Il établit un principe de subsidiarité (« l'exercice des responsabilités publiques doit, de façon générale, incomber, de préférence, aux autorités les plus proches des citoyens » ) dans l'attribution des compétences qui doivent être « pleines et entières », en écho à l'article 3, alinéa 1, qui prévoit que les collectivités locales doivent régler et gérer une « part importante » des affaires publiques. Il prévoit que toute limitation de compétence doit être prévue par la loi.

De même, sont évoqués les cas de délégation de pouvoir par une autorité centrale ou régionale, en précisant que les collectivités territoriales doivent, dans ce cas, pouvoir adapter l'exercice des délégations aux conditions locales.

L`article 8 de la Charte relatif au contrôle administratif des actes des collectivités locales, prévoit qu'il doit se borner au strict contrôle de légalité, réservant le contrôle éventuel de l'opportunité aux seuls actes pris pour l'exécution de tâches déléguées par d'autres autorités.

Pour apporter une garantie juridictionnelle au libre exercice des compétences des collectivités locales, l'article 11 de la Charte prévoit un droit de recours pour assurer le respect des principes d'autonomie locale.

4. Des moyens en adéquation avec les compétences (articles 6, 7 et 9)

La Charte aborde la question des moyens des collectivités locales sous trois angles : l'organisation et les ressources humaines, le statut des élus locaux et les ressources financières.

Elle prévoit dans son article 6 la possibilité pour les collectivités locales de décider de l'organisation de leurs structures administratives internes et de bénéficier de ressources humaines de qualité.

L'article 7 est relatif aux conditions d'exercice des mandats locaux ; il stipule que « le statut des élus locaux doit assurer le libre exercice de leur mandat » et prévoit l'indemnisation des frais liés à l'exercice du mandat ainsi qu'une couverture sociale correspondante.

La Charte consacre des développements importants, dans son article 9, au sujet crucial des ressources financières des collectivités locales.

Elle prévoit que les collectivités locales doivent pouvoir disposer librement de leurs ressources et que les subventions ne doivent pas être attribuées à des projets précis.

L'article 9 pose le principe de ressources propres, proportionnées aux compétences et provenant pour partie de redevances ou d'impôts dont les collectivités locales ont le pouvoir de fixer le taux, dans les limites prévues par la loi.

Sur ce dernier point, la Constitution française va au delà des prescriptions de la Charte en précisant, dans son article 72-2, que « les recettes fiscales et les autres ressources propres des collectivités territoriales représentent pour chaque catégorie de collectivités, une part déterminante de l'ensemble de leurs ressources ».

La Charte recommande également le caractère diversifié et évolutif de la provenance des ressources financières afin de garantir l'adaptation des ressources à l'évolution réelle des coûts liés à l'exercice des compétences. Le transfert de ressources fiscales relativement rigides ou peu dynamiques peut constituer un handicap pour le financement des collectivités territoriales, l'évolution des ressources propres ne suivant pas toujours celle des coûts.

L'article 9 introduit dans la Charte le principe de la péréquation financière au bénéfice des collectivités défavorisées par l'inégale répartition des financements.

Il prévoit enfin l'accès des collectivités locales au marché national des capitaux, pour le financement de leurs dépenses d'investissement.

5. La coopération entre collectivités (article 10)

L'article 10 traite de la coopération entre collectivités territoriales sous ses trois aspects :

- la coopération entre collectivités pour « la réalisation de tâches d'intérêt commun » qui se traduit notamment en France par la coopération intercommunale ;

- l'association avec d'autres collectivités, au niveau national ou international, pour la promotion d'intérêts communs ;

- la coopération avec les collectivités d'autres Etats qui se traduit, dans notre pays par la coopération transfrontalière avec des collectivités voisines et par la coopération dite « décentralisée » dans les Etats en développement.

B. UNE POSSIBILITÉ D'ACCEPTATION PROGRESSIVE

La première partie de la Charte comporte onze articles et trente paragraphes.

Aux termes de l'article 12, faculté est laissée aux Parties de ne se considérer comme liées par un minimum de vingt paragraphes dont la moitié doit être choisie parmi une sélection de quatorze paragraphes.

Les articles de la Charte peuvent ainsi faire l'objet d'une acceptation progressive.

La France n'assortit pas sa ratification de telles options dans la mesure où aucune des stipulations de la Charte n'a été jugée incompatible avec son droit positif.

C. UN SYSTÈME DE CONTRÔLE NON JURIDICTIONNEL

A la différence de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme, la Charte européenne de l'autonomie locale n'est pas assortie d'un dispositif de contrôle juridictionnel.

Le mécanisme de suivi de la Charte repose sur un contrôle politique, réalisé par des élus locaux, et sur un dialogue avec les Etats membres pour améliorer la mise en oeuvre du texte.

Le dispositif de suivi s'appuie sur l'article 14 qui prévoit que chaque partie doit transmettre au secrétariat général du Conseil « toute information appropriée relative aux dispositions législatives et autres mesures qu'elle a prise dans le but de se conformer aux termes de la Charte »

Sur le fondement de l'article 14, l'application de la Charte est suivie par le Congrès des pouvoirs locaux et régionaux, organe composé d'élus locaux et régionaux nommés par les gouvernements des Etats membres, et en particulier par un groupe de travail, assisté dans cette tâche par un groupe d`experts indépendants.

Ce suivi donne lieu à la publication de plusieurs types de rapports.

Des rapports généraux, issus de travaux décidés par le Congrès, traitent de questions transversales : les premiers ont ainsi été consacrés à l'applicabilité de la Charte, aux relations entre les autorités centrales et les collectivités locales ou régionales, ou encore à la question des ressources financières.

Des rapports particuliers portant sur des « réclamations » spécifiques peuvent également être réalisés.

L'examen de la situation locale d'Etats signataires fait également l'objet de rapports particuliers, l'objectif étant que la situation de chaque Etat puisse faire l'objet d'un tel rapport.

Ces rapports peuvent déboucher sur des recommandations adoptées par le Congrès et donnant lieu à un échange avec le conseil des ministres

Dans le cadre de la préparation du premier rapport transversal, un document de travail analysait la situation française. Tout en relevant les points de divergence entre le droit français et les stipulations de la Charte et en reconnaissant que certaines de ses dispositions comportaient des ambiguïtés ou des incertitudes sur leur portée effective, les analyses relatives à la France notaient : « ce ne sont pas ces divergences, qui relèvent pour la plupart du détail et qui ne sont au demeurant pas insurmontables qui peuvent justifier une position défavorable à la ratification de la Charte ».

Un rapport particulier sur la situation locale en France, réalisé en 2000 1 ( * ) dresse un bilan du processus de décentralisation français avant d'évoquer, en deuxième partie, « une décentralisation inachevée dans un climat d'incertitudes perçu comme recentralisateur ». Il souligne ainsi un certain enchevêtrement des compétences, s'interroge sur les conséquences du développement des structures de coopération intercommunale et, surtout, sur l'érosion de la fiscalité locale. Sur ce dernier point, citant le quatrième rapport de contrôle de l'application de la Charte sur les ressources financières des autorités locales par rapport à leurs compétences 2 ( * ) , le rapport souligne que la France se situe largement au dessus de la moyenne des Etats du Conseil de l'Europe pour ce qui concerne la fiscalité propre (42 % des ressources contre 25,7 %) mais que la tendance est à « l'étatisation de la fiscalité locale » par le biais de la multiplication de mesures, « réduction de l'assiette fiscale, dégrèvement d'impôt, exonération de certains contribuables, plafonnement des taux », dont la compensation représente plus de 25 % de la fiscalité locale directe et font de l'Etat « le premier contribuable local ». Le rapport évoque en conclusion les débats en cours sur l'approfondissement de la décentralisation, qui ont donné lieu, depuis, à des réformes de nature à répondre aux observations formulées.

* 1 La démocratie locale et régionale en France - Moreno Bucci (Italie) et Jean-Claude Cauwenberghe (Belgique) - Conseil de l'Europe, Strasbourg, 10 mai 2000.

* 2 Dont le rapporteur était notre collègue Jean-Claude Frécon, président de la délégation française.

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