III. LE LONG PARCOURS DE LA RATIFICATION FRANÇAISE

A. L'AVIS NÉGATIF DU CONSEIL D'ETAT EN 1991

Saisi du projet de loi d'approbation de la Charte, le Conseil d'Etat a rendu un avis négatif, le 15 décembre 1991, pour deux motifs principaux : l'ambiguïté de certaines stipulations ou leur incompatibilité avec le droit français.

La portée de certains paragraphes des articles 4 (portée de l'autonomie locale), 7 (compensation des frais entraînés par l'exercice des mandats), 9 (ressources financières propres des collectivités locales) et 10 (droit d'association des collectivités locales) est ainsi considérée comme étant de nature à susciter des contentieux. « L'examen attentif des stipulations de la charte fait, en effet, apparaître que celle-ci comporte en réalité soit des ambiguïtés qui seront source de revendications inutiles, voire de contentieux avec tous les aléas que celui-ci suscite en longue période, soit des règles différentes de celles qui régissent actuellement les collectivités locales, ce qui implique des modifications aux textes en vigueur, alors qu'aucune nécessité ne justifie ces modifications ».

Le paragraphe 2 de l'article 3, relatif aux conseils locaux, à leur mode d'élection et à la possibilité de la responsabilité des exécutifs locaux, interprété au sens strict, est en contradiction avec la pratique française où la responsabilité des exécutifs devant les assemblées locales est l'exception, concernant des collectivités à statut spécifique.

Plus généralement, le Conseil d'Etat a considéré que les différentes réformes menées en France en matière de décentralisation avaient permis de parvenir à un équilibre et à un consensus qu'il convenait de préserver.

Le souci de ne pas porter atteinte à la marge de manoeuvre de notre pays dans ses choix d'organisation interne suscitait enfin, la réticence de la juridiction administrative : « s'agissant d'un domaine qui touche, de manière essentielle et durable aux institutions de la République, il n'y a lieu de limiter les pouvoirs du Parlement, par la voie d'engagements internationaux qu'avec une très grande prudence et pour des motifs impérieux ».

Cette volonté d'indépendance s'appuie, selon les termes du Conseil d'Etat, sur une « longue tradition » en matière d'autonomie locale. Ainsi que le soulignent les documents préparatoires du conseil de l'Europe précédemment évoqués : « il reste que la voie française vers la décentralisation est marquée par des facteurs politiques et sociaux essentiellement nationaux, sans que les influences extérieures aient joué un grand rôle » .

Les évolutions françaises en matière de décentralisation répondent à des logiques propres et ont notamment conduit à une formulation différente de certaines notions. On peut ainsi considérer que le droit français était conforme, sinon à la lettre, du moins à l'esprit de la Charte.

B. LES RÉFORMES LÉGISLATIVES ET CONSTITUTIONNELLE

Les réserves suscitées par la Charte ont été progressivement levées par les nombreux textes relatifs aux collectivités locales adoptés depuis 1991, par l'évolution des pratiques et de la jurisprudence.

Il en va ainsi du principe de consultation des collectivités territoriales pour toutes les questions les concernant, des garanties apportées dans le domaine du statut de l'élu, du développement de la coopération intercommunale et de la coopération décentralisée.

Dans son rapport de 2000, le Congrès des pouvoirs locaux notait : « Le droit français répond à la plupart des exigences de la Charte et sa ratification ne supposerait aucun bouleversement du régime actuel des collectivités territoriales. Certaines de ses dispositions sont même parfois plus protectrices que les dispositions de la Charte ou s'harmonisent parfaitement avec elles depuis les lois de décentralisation ».

La révision constitutionnelle du 28 mars 2003 consacre le caractère décentralisé de l'organisation de la République française et apporte des garanties en matière financière.

En conformité avec les principes de la charte, la réforme a développé et précisé les dispositions constitutionnelles relatives aux collectivités territoriales en inscrivant dans la constitution, le principe de subsidiarité, le droit à l'expérimentation, le principe de l'interdiction de la tutelle d'une collectivité territoriale sur une autre et celui de l'autonomie financière.

C'est en matière financière que le risque d'atteinte à l'autonomie locale se manifeste le plus concrètement sous la forme de modifications de la fiscalité locale qui peuvent conduire à la diminution de la part des ressources fiscales dans les ressources des collectivités territoriales ou à des transferts de compétences insuffisamment compensés par des transferts financiers. En matière financière, les notions de ressources propres, et de compensation des charges sont présentes dans la Constitution de façon suffisamment précise pour offrir de véritables garanties. La loi organique n° 2004-758 du 29 juillet 2004 prise en application de l'article 72-2 de la Constitution relative à l'autonomie financière des collectivités territoriales complète et détaille les dispositions constitutionnelles.

La décentralisation française se situe désormais bien au delà des prescriptions de la charte, comme en témoigne le caractère succinct de l'étude d'impact transmise par le Gouvernement, qui souligne que « l'entrée en vigueur en France de la Charte européenne ne nécessitera aucune modification du droit existant » et qui précise que le recours au droit d'option entre différentes obligations prévues par la Charte est inutile.

C. LES DÉCLARATIONS INTERPRÉTATIVES

Notre pays a cependant assorti sa ratification de déclarations interprétatives qui visent à préciser le sens que la France entend donner à des formulations de la Charte qui laissent place à l'ambiguïté.

Pour ce qui concerne le champ d'application de la Charte, qui concerne au premier chef les communes mais peut être étendue à d'autres collectivités, la France a choisi d'appliquer le texte à toutes ses collectivités et vise les articles de la Constitution qui y font précisément référence : « Conformément à l'article 13, les collectivités locales et régionales auxquelles s'appliquent la Charte sont les collectivités territoriales qui figurent aux articles 72,73,74 et au titre XIII de la Constitution ou qui sont créées sur leur fondement.
La République française considère en conséquence que les établissements publics de coopération intercommunale, qui ne constituent pas des collectivités territoriales, sont exclus de son champ d'application
».

Cette formulation permet de ménager de possibles évolutions du statut des collectivités d'outre mer ou des établissements publics de coopération intercommunale dont l'évolution vers le statut de collectivités territoriales a été envisagé à plusieurs reprises.

La deuxième déclaration interprétative a trait à une des stipulations de la Charte jugée problématique dès l'origine, la responsabilité des exécutifs devant les conseils locaux. Elle précise que le mot « pouvant » doit être entendu comme une faculté et non comme une obligation.

La troisième déclaration interprétative a pour objet de préciser la conception française de la notion de péréquation évoquée à l'article 9 de la Charte. La Charte précise, au dernier alinéa de l'article 9 : « de telles procédures ou mesures ne doivent pas réduire la liberté d'option des collectivités locales dans leur domaine de responsabilité ». L'article 72 - 2 de la Constitution dispose que « la loi prévoit des dispositifs de péréquation destinés à favoriser l'égalité entre les collectivités territoriales ». La déclaration interprétative précise : « en ce qui concerne la deuxième phrase du paragraphe 5 de l'article 9, la République française considère que les mesures de péréquation des ressources fiscales inégalement réparties entre les collectivités locales peuvent être mises en place, dès lors que lesdites mesures sont définies avec précision quant à leur objet et à leur portée et n'ont pas pour effet de restreindre les ressources fiscales des collectivités territoriales au point d'entraver leur libre administration ».

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