Rapport n° 31 (2005-2006) de M. Jean-Patrick COURTOIS , fait au nom de la commission des lois, déposé le 19 octobre 2005

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N° 31

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2005-2006

Annexe au procès-verbal de la séance du 19 octobre 2005

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des Lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) sur la proposition de résolution présentée par MM. Josselin de ROHAN, Henri de RAINCOURT, André DULAIT et les membres du groupe Union pour un Mouvement Populaire, apparentés et rattachés, tendant à la création d'une commission d'enquête sur l' immigration clandestine ,

Par M. Jean-Patrick COURTOIS,

Sénateur.

(1) Cette commission est composée de : M. Jean-Jacques Hyest, président ; MM. Patrice Gélard, Bernard Saugey, Jean-Claude Peyronnet, François Zocchetto, Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, M. Georges Othily, vice-présidents ; MM. Christian Cointat, Pierre Jarlier, Jacques Mahéas, Simon Sutour, secrétaires ; M. Nicolas Alfonsi, Mme Michèle André, M. Philippe Arnaud, Mme Eliane Assassi, MM. Robert Badinter, José Balarello, Laurent Béteille, Mme Alima Boumediene-Thiery, MM. François-Noël Buffet, Christian Cambon, Marcel-Pierre Cléach, Pierre-Yves Collombat, Raymond Courrière, Jean-Patrick Courtois, Yves Détraigne, Michel Dreyfus-Schmidt, Pierre Fauchon, Gaston Flosse, Bernard Frimat, René Garrec, Jean-Claude Gaudin, Charles Gautier, Philippe Goujon, Mme Jacqueline Gourault, MM. Charles Guené, Jean-René Lecerf, Mme Josiane Mathon, MM. Hugues Portelli, Henri de Richemont, Jean-Pierre Sueur, Mme Catherine Troendle, MM. Alex Türk, Jean-Paul Virapoullé, Richard Yung.

Voir le numéro :

Sénat : 10 (2005-2006)

Immigration.

LES CONCLUSIONS DE LA COMMISSION

Réunie le mercredi 19 octobre 2005 sous la présidence de M. Jean-Jacques Hyest, président, la commission des Lois a examiné, sur le rapport de M. Jean-Patrick Courtois, la proposition de résolution n° 10 (2005-2006) présentée par MM. Josselin de Rohan, Henri de Raincourt, André Dulait et les membres du groupe Union pour un mouvement populaire, apparentés et rattachés, tendant à la création d'une commission d'enquête sur l'immigration clandestine .

M. Jean-Patrick Courtois, rapporteur, a estimé que la proposition de résolution était juridiquement recevable, respectant pleinement les dispositions de l'article 6 de l'ordonnance de 1958 sur le fonctionnement des assemblées parlementaires ainsi que celles de l'article 11 du règlement du Sénat.

Le rapporteur a estimé que la création d'une commission d'enquête était particulièrement opportune, compte tenu de l'importance persistante de l'immigration clandestine, notamment dans les territoires ultramarins, et du caractère évolutif de ce phénomène. Il a également souligné que la commission d'enquête devrait étudier les causes de cette immigration ainsi que ses conséquences économiques et sociales. Enfin, il a constaté que, depuis la commission d'enquête sénatoriale de 1998 sur la régularisation des étrangers en situation irrégulière (M. José Balarello, rapporteur), aucun travail global d'enquête parlementaire n'avait été réalisé sur cette question et a observé que le Sénat pourrait apporter une contribution importante à la réflexion sur le sujet.

La commission a adopté une proposition de résolution prévoyant la création d'une commission d'enquête de vingt-et-un membres sur l'immigration clandestine.

EXPOSÉ GÉNÉRAL

Mesdames, Messieurs,

Le Sénat est saisi d'une proposition de résolution n° 10 (2005-2006) tendant à la création d'une commission d'enquête sur l' immigration clandestine, présentée par nos collègues MM. Josselin de Rohan, Henri de Raincourt, André Dulait et les membres du groupe Union pour un mouvement populaire, apparentés et rattachés.

Compte tenu de l'objet de cette proposition, votre commission des Lois est appelée à examiner tant la recevabilité juridique que l'opportunité de la création d'une commission d'enquête, en application de l'article 11 du règlement du Sénat.

I. UNE PROPOSITION DE RÉSOLUTION JURIDIQUEMENT RECEVABLE

Les conditions de constitution des commissions d'enquête sont fixées par l'article 6 de l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires et précisées par l'article 11 du Règlement du Sénat.

La loi n° 91-698 du 20 juillet 1991 a modifié l'article 6 de l'ordonnance de 1958 en regroupant sous la dénomination commune de commission d'enquête les commissions d'enquête et les anciennes commissions de contrôle qui avaient pour objet de contrôler le fonctionnement d'une entreprise nationale ou d'un service public.

Pour autant, cette unification d'ordre terminologique n'a pas complètement gommé cette dualité. L'article 6 de l'ordonnance de 1958 précise que « les commissions d'enquête sont formées pour recueillir des éléments d'information, soit sur des faits déterminés, soit sur la gestion des services publics ou des entreprises nationales, en vue de soumettre leurs conclusions à l'assemblée qui les a créées ».

Il résulte également de l'article 6 de l'ordonnance de 1958 qu'il ne peut être créé de commission d'enquête sur des faits ayant donné lieu à des poursuites judiciaires et aussi longtemps que ces poursuites sont en cours.

Dans la première hypothèse, lorsqu'une commission d'enquête est créée sur des faits déterminés, le président de la commission des Lois demande au président du Sénat de bien vouloir interroger le garde des sceaux sur l'existence éventuelle de poursuites judiciaires concernant les faits en cause.

Dans la seconde hypothèse envisagée par l'article 6 de l'ordonnance de 1958, c'est-à-dire lorsque la proposition de résolution a pour objet de créer une commission d'enquête pour recueillir des éléments d'information sur la gestion des services publics ou des entreprises nationales, cette procédure d'information ne s'impose pas.

En l'espèce, la proposition de résolution correspond à cette seconde hypothèse. Elle tend en effet à la création d'une commission d'enquête sur l'immigration clandestine.

La proposition a donc pour objet de contrôler le fonctionnement de services publics, et en particulier ceux de la police, de la justice et du travail. L'exposé des motifs de la proposition de résolution invite en effet à « une réflexion globale sur les sources de cette immigration illégale, ses filières, l'efficacité ou les dysfonctionnements de nos dispositifs préventifs ou répressifs ». Il estime également qu'« il ne peut être fait l'économie d'une analyse précise des conséquences de ce phénomène sur la structure économique et sociale de notre pays ».

Elle entre dans le champ défini par l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958, sans qu'il soit nécessaire d'interroger le Gouvernement sur l'existence de poursuites judiciaires.

Enfin, la proposition de résolution fixe à vingt et un le nombre des membres de la commission d'enquête, conformément à l'article 11 du Règlement du Sénat.

Votre commission estime donc que la proposition de résolution est recevable au regard des dispositions de l'ordonnance du 17 novembre 1958 et constate qu'elle répond aux conditions posées par l'article 11 du Règlement du Sénat.

II. UNE PROPOSITION DE RÉSOLUTION JUSTIFIÉE PAR LA PERSISTANCE D'UNE IMMIGRATION CLANDESTINE IMPORTANTE

La création d'une commission d'enquête sur l'immigration clandestine apparaît opportune.

L'actualité rappelle en permanence le difficile problème de l'immigration irrégulière. Les drames de Ceuta et Melilla ou les récents heurts à Mayotte à la suite d'une manifestation de clandestins dans les rues de Mamoudzou sont les illustrations paroxystiques d'un phénomène continu et massif .

Depuis 2002, la lutte contre l'immigration clandestine est au coeur de la politique du Gouvernement en matière d'immigration et est le pendant d'une action volontaire en faveur de l'intégration des étrangers en situation régulière. Comme le rappelle l'exposé des motifs de la proposition de résolution, « depuis les lois de 2003, la France s'est dotée d'instruments nouveaux pour lutter avec efficacité contre l'immigration clandestine ».

Cette législation a visé à préserver le droit de tout Etat souverain de régler l'entrée et le séjour des étrangers sur son territoire et de reconduire à la frontière ceux d'entre eux qui s'y seraient maintenus illégalement. Toutefois, elle a su ménager parallèlement la faculté régalienne de régulariser, en dehors de tout effet d'annonce, les situations individuelles complexes. Cet équilibre a permis d'écarter tout à la fois le mythe de l'immigration zéro et l'irréalisme d'une ouverture inconditionnelle de nos frontières.

Les premiers résultats ont pu être constatés, en particulier en matière d'éloignement et de traitement des demandes d'asile. Aux frontières de la métropole, la pression migratoire semble également avoir diminuée selon les chiffres du rapport annuel du Gouvernement au Parlement pour 2003 sur les orientations de la politique de l'immigration. Une inflexion de tendance est perceptible.

Toutefois, les chiffres de l'activité des services de la police aux frontières en France métropolitaine en 2004 et 2005 invitent à ne pas relâcher l'effort entrepris pour lutter contre l'immigration illégale. Ils démontrent tout à la fois l'ampleur de l'immigration clandestine et l'efficacité ainsi que le renforcement de l'action de la police aux frontières.

2004

1 er semestre 2004

1 er semestre 2005

Evolution

Non admissions

20 893

9 648

11 622

+ 20,46 %

Réadmissions France vers étranger

12 339

5 886

7 130

+ 21,13 %

Total non admissions + réadmissions

33 232

15 534

18 752

+ 20,71 %

Nombre de placements en zone d'attente

17 098

7 688

8 622

+ 12,15 %

Étrangers en situation irrégulière

44 545

22 078

32 098

+ 45,38 %

Porteurs de faux documents

11 687

5 620

6 016

+ 7,05 %

Aidants à l'entrée irrégulière

1 719

840

1 287

+ 53,21 %

Employeurs

1 025

533

706

+ 32,46 %

Salariés

1 204

547

1 347

+ 146,25 %

Éloignements effectifs

15 660

7 724

9 701

+ 25,60 %

Activité des services de la police aux frontières pour 2004 et 2005
en France métropolitaine

Par ailleurs, des efforts importants ont été entrepris pour mieux appréhender l'ampleur de l'immigration clandestine. Si par nature il est impossible de dénombrer précisément le nombre d'étrangers en situation irrégulière, le rapport annuel au Parlement précité propose néanmoins une série d'indicateurs permettant d'estimer le nombre d'étrangers se trouvant en situation irrégulière sur le territoire métropolitain et son évolution.

Ainsi, le nombre de personnes mises en cause pour un délit à la police des étrangers s'est élevé à 66 062 pour l'année 2003 et le nombre annuel de bénéficiaires de l'aide médicale d'Etat (AME), qui concerne pour une immense majorité des étrangers en situation irrégulière, est passé de 139 000 à 170 000 entre 2001 et 2003. Pour autant, ces indicateurs doivent être utilisés avec prudence, chacun ne permettant de cerner qu'une partie du phénomène.

Comprendre l'immigration clandestine est encore plus délicat dès qu'il s'agit d'en saisir les conséquences et le coût. L'exposé des motifs de la proposition de résolution souligne ainsi « des difficultés en matière de sécurité dans la mesure où cette immigration est principalement coordonnée par des organisations mafieuses ; des difficultés économiques en raison du travail au noir qui est la conséquence de cette immigration ; des difficultés sociales en raison de la précarité consubstantielle des conditions de vie de ces migrants ».

Surtout, l'immigration clandestine est un phénomène en évolution permanente .

Les pouvoirs publics, Etat et collectivités territoriales, ont ainsi dû faire face à un nombre croissant de mineurs étrangers isolés requérant des réponses différentes. L'ensemble du territoire français a été concerné, y compris des départements qui n'étaient pas confrontés jusque là au problème de l'immigration.

La question de l'outre-mer a également ressurgi avec une acuité nouvelle. Comme le relève l'exposé des motifs de la proposition de résolution, aux difficultés habituelles posées par l'immigration clandestine s'ajoutent « des difficultés démographiques [...] puisque ces collectivités au territoire limité subissent d'intenses flux migratoires en dépit d'un contexte économique et social souvent déjà délicat ». Outre la Guyane et Mayotte où près de 35 % de la population seraient des étrangers en situation irrégulière, la Guadeloupe, la Martinique et, dans une moindre mesure, la Réunion sont aussi touchées par une immigration clandestine en recrudescence. L'avis de votre commission sur les crédits du projet de loi de finances pour 2005 consacrés aux départements et régions d'outre-mer 1 ( * ) relevait ainsi qu'en Guyane, « les infractions à la législation sur les étrangers constituaient 43 % du nombre total des infractions » et qu'en Guadeloupe, le nombre des reconduites à la frontière ou expulsions avait augmenté de 53,50 % en 2003 par rapport à 2002.

Par ailleurs, les filières d'immigration clandestine dévoient parfois à leur profit les possibilités offertes par les droits de la nationalité et de la filiation ou les règles applicables en matière de regroupement familial.

Enfin, le cadre européen ajoute à la complexité, l'ensemble des Etats membres de l'espace Schengen étant solidaire pour garantir la régularité de l'entrée et du séjour des ressortissants des Etats tiers. L'action communautaire contre l'immigration irrégulière est en plein essor mais commence seulement à être opérationnelle et efficace. Un des axes de cette action consiste à associer les pays source ou de transit à la lutte contre l'immigration clandestine vers l'Europe.

Dans un tel contexte, il paraît souhaitable aujourd'hui qu'un travail approfondi permette d'améliorer notre connaissance de l'immigration clandestine et de ses effets afin d'y faire face dans le respect des libertés et de la tradition républicaine d'accueil. A défaut, les réflexions actuelles sur une immigration choisie seraient vaines.

Or, depuis 1998 et le rapport de notre excellent collègue José Balarello au nom de la commission d'enquête chargée de recueillir des informations sur les régularisations d'étrangers en situation irrégulière opérées depuis le 1 er juillet 1997, aucun travail global d'enquête n'a été accompli dans le cadre des assemblées parlementaires sur cette question au coeur des préoccupations de nos concitoyens.

Le Sénat pourrait donc apporter, à travers la création d'une telle commission d'enquête, une contribution importante à la réflexion sur l'immigration clandestine comme il l'a fait récemment à propos de la délinquance des mineurs.

*

* *

Compte tenu de l'ensemble de ces observations, votre commission des Lois vous propose d'adopter la proposition de résolution dont le texte est reproduit ci-après.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION ADOPTÉE PAR LA COMMISSION DES LOIS

Proposition de résolution
tendant à créer une commission d'enquête
sur l'immigration clandestine

Article unique

En application de l'article 11 du règlement du Sénat et de l'article 6 de l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, il est créé une commission d'enquête de vingt-et-un membres sur l'immigration clandestine.

* 1 Avis n° 79 (2004-2005).

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