ARTICLE 39 - Création du compte de commerce « couverture des risques financiers de l'Etat »

Commentaire : le présent article prévoit la création d'un compte de commerce visant à retracer l'ensemble des opérations de couverture des risques financiers de l'Etat.

I. L'OPPORTUNITÉ DE COUVRIR LES RISQUES FINANCIERS DE L'ETAT DE MANIÈRE CONSOLIDÉE

A.  L'OPPORTUNITÉ DE COUVRIR LES RISQUES FINANCIERS DE L'ETAT

Comme tout acteur économique, l'Etat est confronté à des risques financiers. Certains sont évidemment moindres que ceux rencontrés par les entreprises. Le risque de liquidité est ainsi théorique en ce qui concerne l'Etat alors que les entreprises y sont confrontées par nature.

Comparaison des risques financiers d'une entreprise et d'un Etat

Entreprise

Etat

Risque de change

Sur toutes les opérations en devises

Sur certaines dépenses, en ce qui concerne des engagements hors zone euro

Risque de taux

Sur les charges financières nettes et les éléments financiers du bilan et du hors bilan.

Certains actifs essentiels ne sont pas exposés au risque de taux. L'Etat peut couvrir ce risque en levant l'impôt.

Risque de liquidité

= risque de cessation de paiement.

Egalement risque d'enchérissement/restriction d'accès au crédit

N'existe qu'en théorie

Risque de contrepartie

Avec les cocontractants

Sur les débiteurs de l'Etat.

Risque d'appel en garantie : garanties explicites votées par le Parlement ; garanties implicites à fondements juridique, économique ou politique divers.

L'Agence France Trésor gère aujourd'hui les risques liés à la gestion de la dette et de la trésorerie de l'Etat. Ce faisant, elle gère les responsabilités financières prises par l'Etat envers les correspondants du Trésor : établissements publics et collectivités territoriales. Elle est responsable des risques opérationnels correspondants. L'Agence France Trésor est également ordonnateur des avances du Trésor, sur des dossiers hautement politiques comme ceux de la banane ou des marins pêcheurs : elle porte des risques de contrepartie encourus par l'État.

La plupart des risques financiers de l'Etat restent non couverts. Ceci correspond à une vision traditionnelle selon laquelle l'Etat est son propre assureur. Cette vision a des justifications économiques certaines : l'Etat, qui n'est pas confronté au risque de liquidité, peut arbitrer entre le coût d'une couverture de certains de ses risques et le coût éventuel rencontré si certains de ses risques se réalisent.

Néanmoins, la généralisation des techniques de couverture dans les milieux économiques a incité les gestionnaires de certains ministères à réfléchir à l'utilisation d'instruments financiers à terme pour couvrir certains risques.

Ainsi, l'article 86 de la loi de finances rectificative pour 2003 248 ( * ) a autorisé le ministère de la défense à effectuer jusqu'au 31 décembre 2007 toutes opérations sur instruments financiers en vue de couvrir les risques relatifs aux variations de prix des approvisionnements en produits pétroliers nécessaires aux besoins des armées. Le risque couvert est la variation du prix en euros du carburéacteur et non celle du cours du baril de brent, en dollars.

Le compte de commerce « approvisionnement des armées en produits pétroliers » enregistre les dépenses et les recettes correspondantes.

De même, la France s'est engagée le 22 février 2005 à participer à la reconstitution triennale du fonds de l'Association internationale de développement (AID) à hauteur de 1.470,96 millions de dollars américains. Si l'engagement de la France au titre de la reconstitution de l'AID est couvert par une autorisation d'engagement portant sur le montant total de la contribution française, les crédits de paiement sont eux ouverts dans les lois de finances successives, selon les décaissements programmés. Les variations du dollar américain par rapport à l'euro constituent un risque de change pour le budget de l'Etat, qu'il a été décidé de couvrir par des contrats à terme sur devises, pour l'ensemble de la contribution triennale.

D'un point de vue budgétaire, la transformation de nombreux crédits évaluatifs en crédits limitatifs en application de la LOLF incite les missions concernées par une exposition au risque de change à se couvrir, pour « geler » le cours sur lequel est fondé la justification au premier euro des crédits. Il devrait en être ainsi en ce qui concerne, par exemple, la contribution française aux opérations de maintien de la paix décidées par l'ONU, libellées en dollars. Toute variation à la hausse du cours du dollar par rapport à l'euro fait courir un risque pour le responsable du programme 105 « action de la France en Europe et dans le monde » du ministère des affaires étrangères qui peut voir une partie de sa dotation, en vertu du principe de fongibilité asymétrique, entamée par sa facture à l'ONU.

Pour les gestionnaires, une couverture des risques financiers permet une meilleure visibilité des dépenses qu'ils auront à supporter, tout en perdant l'opportunité d'un gain budgétaire en cas, par exemple pour le programme 105, de baisse du dollar. Encore ce gain est-il tout théorique pour les gestionnaires de programme : la direction du budget veille et peut être tentée de préempter ces gains pour le budget général.

B. LA NÉCESSITÉ D'UNE GESTION CONSOLIDÉE DES RISQUES FINANCIERS DE L'ETAT

Dans son rapport d'information 249 ( * ) sur la gestion des dettes de l'Etat, notre collègue Paul Girod, rapporteur spécial des crédits de la mission « engagements financiers de l'Etat », appelle à une gestion consolidée des risques financiers de l'Etat sous l'autorité de l'Agence France Trésor, dont le professionnalisme est établi sur les marchés financiers et la qualité de la gestion reconnue par le Parlement.

Le danger est grand de laisser les gestionnaires de certains ministères peu aguerris utiliser des instruments de couverture à terme, sans appréhension réelle des risques encourus et de sous-traiter ces instruments aux banques, avec une possibilité de surcoût. L'Etat, lorsqu'il intervient sur les marchés financiers, a vocation à être « un et indivisible », pour être certain que, face au risque de change par exemple, la technique de couverture utilisée par les ministères soit identique. Il convient de veiller à la crédibilité de l'Etat sur les marchés et d'éviter ainsi, le cas échéant, des actions contradictoires.

Ceci implique la définition d'une stratégie cohérente de couverture des risques financiers de l'Etat, par un opérateur unique : l'Agence France Trésor.

II. LE DISPOSITIF PROPOSÉ

A. LES RÈGLES RELATIVES AU COMPTE DE COMMERCE

Le I du présent article crée un compte de commerce intitulé « couverture des risques financiers de l'Etat » dont le ministre chargé de l'économie est l'ordonnateur principal. L'Agence France Trésor devient donc le gestionnaire du compte de commerce.

Le compte de commerce retrace les opérations de couverture des risques financiers de l'Etat effectuées au moyen d'instruments financiers à terme dans le cadre de l'autorisation prévue chaque année en loi de finances, à l'exception de celles liées à la gestion de la dette négociable et non négociable et de la trésorerie de l'Etat, qui font l'objet d'un autre compte de commerce. Le 2° du II de l'article d'équilibre (article 51) autorise pour 2006 des échanges de devises ou de taux d'intérêt, l'achat ou la vente d'options, des contrats à terme sur titre d'Etat ou d'autres instruments financiers à terme. Il autorise donc la réalisation des opérations de couverture financière des variations de change ou de coût des matières premières.

Le I du présent article laisse toutefois subsister, sans que la cohérence de ce maintien apparaisse clairement, l'autorisation spécifique donnée au ministre de la défense d'effectuer jusqu'au 31 décembre 2007 toutes opérations sur instruments financiers en vue de couvrir les risques relatifs aux variations de prix des approvisionnements en produits pétroliers nécessaires aux besoins des armées. Le compte de commerce « approvisionnement des armées en produits pétroliers » continuerait donc à enregistrer les flux financiers liés à ces opérations de couverture.

Le II du présent article prévoit la transmission chaque année au Parlement d'un compte rendu d'audit réalisé par un organisme extérieur sur les états financiers du compte de commerce, sur les procédures prudentielles mises en oeuvre et sur l'ensemble des opérations effectuées. De tels audits réalisés par des cabinets d'experts comptables ont déjà été mis en place par l'Agence France Trésor, à la satisfaction du Parlement, en ce qui concerne la gestion de la dette, notamment en ce qui concerne le compte de commerce relatif à la gestion active de la dette (« swaps » de taux d'intérêt).

Comme le signale la présentation générale du compte de commerce dans l'annexe relative aux comptes spéciaux jointe au projet de loi de finances pour 2006 : « selon les règles de fonctionnement prévues par les marchés réglementés ou les conventions de place existantes pour les marchés de gré à gré sur lesquels se négocient ces instruments, les produits et charges comportent toujours une partie inhérente à la couverture du risque de contrepartie sous-jacent aux opérations de couverture du risque financier. En effet, la couverture d'un risque par un instrument financier à terme suppose une transaction avec un prestataire d'investissement et entraîne donc prise d'un risque de défaillance de celui-ci. Les produits et charges des opérations de couverture s'entendent comme comprenant ceux liés à ces mécanismes de gestion du risque de contrepartie qui sont partie prenante des transactions sur instruments financiers à terme. De ce point de vue, le fonctionnement de ce compte est comparable à celui du compte de commerce « gestion active de la dette et de la trésorerie de l'État ».

En recettes, le compte de commerce enregistrerait les versements en provenance des programmes ou comptes dont les responsables souhaitent mettre en oeuvre des instruments de couverture des risques, les flux financiers reçus des contreparties financières (les banques) et, le cas échéant, les dotations complémentaires reçues au titre de l'équilibre final des opérations de couverture (cas par exemple d'une couverture réalisée sur un risque de taux lié à un projet d'infrastructure qui ne se réalise pas et qui provoque « le débouclage » de l'opération de couverture).

En dépenses, le compte de commerce enregistrerait les versements aux contreparties financières au moment de la mise en place de l'opération de couverture, les versements éventuels au budget général, en cas de gain sur une opération de couverture.

Les versements aux organisations internationales par exemple, lorsque le compte prend à sa charge une opération de couverture du risque de change, figureraient également en dépenses.

En outre, sont pris en compte les versements d'intérêts résultant de la rémunération des appels de marge liés aux opérations de couverture.

Lorsque la variation du risque se réalise « au détriment » de l'Etat (en terme de coût d'opportunité), celui-ci, parce qu'il ne présente pas de risque de contrepartie, ne fait pas l'objet d'un appel de marge (versement obligatoire de fonds supplémentaires pour couvrir le risque de contrepartie).

En revanche, la banque fait l'objet d'un appel de marge de la part de l'Etat, que celui-ci est obligé de rémunérer au taux EONIA (Euro OverNight Index Average), taux de référence quotidien des dépôts interbancaires sur le compte de commerce dont la création est demandée par le présent article.

L'autorisation de découvert du compte de commerce pour 2006 s'élève à 433 millions d'euros. Elle correspond à la tranche annuelle de la contribution à l'Association internationale de développement, au paiement des intérêts résultant des appels de marge liés aux opérations de couverture (400 millions d'euros) et au versement des primes et paiement des intérêts résultant des appels de marge liés aux opérations de couverture des achats de produits pétroliers (33 millions d'euros, le principal ne passe pas par ce compte, mais par le compte de commerce « approvisionnement des armées en produits pétroliers »).

L'autorisation de découvert permet principalement de protéger le crédit de la France, en payant la « facture » présentée par l'Association internationale de développement, même si le programme n'a pas encore versé au compte les crédits correspondants.

Selon votre rapporteur général, la prise en charge par le compte et par l'Agence France Trésor de nouveaux risques financiers de l'Etat pourrait impliquer une augmentation de l'autorisation de découvert, qui exige une autorisation du Parlement.

B. LE FONCTIONNEMENT DU COMPTE DE COMMERCE

Pour illustrer le fonctionnement du compte de commerce et les opérations de couverture des risques financiers de l'Etat dont il est le support, il est possible de prendre l'exemple chiffré suivant. Il correspond au cas d'une couverture symétrique du risque de change pour la contribution à l'Association internationale de développement.

Si l'Etat sait au 1 er janvier de l'année n qu'il devra consacrer 100 dollars à sa contribution à l'Association internationale de développement, qu'il souhaite couvrir au taux de 1,20 dollar pour un euro, pour paiement au 31 décembre de l'année n :

- il émet un contrat à terme avec un établissement bancaire sur cette hypothèse. Il recevra 100 dollars au 31 décembre de l'année n, et la banque 83,3 euros (100/1,2) ;

- au terme, au 31 décembre de l'année n, si le taux de change réel est de 1,40 dollar pour un euro, l'Etat dispose des 100 dollars nécessaires pour verser sa contribution, qui ne valent plus que 71,4 euros (100/1,4). La banque reçoit 83,3 euros. Le coût d'opportunité pour l'Etat est de 11,9 euros (83,3-71,4 euros) ;

- si le dollar s'apprécie en revanche, l'Etat enregistre un gain d'opportunité ;

- au cours de l'opération de couverture, si dans cet exemple, le dollar s'apprécie et que l'euro vaut par exemple au 31 octobre de l'année n 1,10 dollar, l'Etat réalise un appel de marge auprès de la banque de la différence : 7,6 euros (valeur en euros de 100 dollars : 90,9 euros - 83,3 euros) afin de couvrir le risque de contrepartie. Il rémunère cet appel de marge au taux EONIA, soit 0,00025 euro.

En ce qui concerne la couverture du risque « pétrole » du ministère de la défense, la stratégie de couverture est différente puisqu'il s'agit d'une couverture asymétrique : le ministère souhaite couvrir la perte éventuelle liée à une appréciation des cours, mais préserver des gains éventuels. Il est donc obligé de verser une prime à la banque, qui fonctionne exactement, dans ce cas, comme une prime d'assurance.

Les deux logiques de couverture sont donc assez différentes : dans le premier cas, le gestionnaire vise, ce qui est conforme à la logique annuelle de la loi de finances et au caractère limitatif des crédits, une prévisibilité de sa dépense, dans le second cas, le gestionnaire souhaite prendre une assurance pour se prémunir seulement contre une hausse de sa facture, ce qui a un coût significatif pour l'Etat. Celui-ci n'est plus son propre assureur.

III. LA POSITION DE VOTRE COMMISSION DES FINANCES

Votre rapporteur général considère que la couverture des risques financiers par l'Etat constitue une avancée à saluer, dès lors que les techniques mises en place sont cohérentes les unes avec les autres. A ce titre, il s'interroge sur les raisons qui conduisent un gestionnaire à opter pour une couverture symétrique ou pour une couverture asymétrique des risques financiers de l'Etat. Il considère qu'une stratégie unique, définie risque par risque, élaborée par l'Agence France Trésor est préférable à des stratégies multiples définies par chaque responsable de programme . Il s'interroge ainsi sur le coût significatif de la prime que le ministère de la défense doit verser pour sa couverture asymétrique des risques de variation du coût du carburéacteur, lié au fait que le marché est étroit et que la plupart des acteurs sont aujourd'hui « haussiers » sur les prix de l'énergie. Un calcul d'opportunité mériterait d'être réalisé à ce sujet par l'Agence France Trésor.

Il lui paraît souhaitable, et urgent, comme notre collègue Adrien Gouteyron, rapporteur spécial de la mission « action extérieure de l'Etat », l'a recommandé, que le Quai d'Orsay procède dès 2006 à des opérations de couverture du risque de change , compte tenu du volume des contributions obligatoires ou volontaires aux organismes internationaux libellées en devises : plus de 330 millions de dollars, sans prendre en compte la sous-estimation des crédits consacrés aux opérations de maintien de la paix. Pour mémoire, en début d'année, l'euro valait 1,3 dollars, il n'en vaut plus aujourd'hui que 1,2, soit une appréciation du dollar par rapport à l'euro de près de 10 % en mois d'un an. Une telle appréciation est de nature à « absorber » de l'ordre de 2 à 3 % des crédits du programme 105 « action de la France en Europe et dans le monde ».

Dans cette perspective, lorsque de nouvelles opérations de couverture de risques financiers de l'Etat sont prises en charge par le compte de commerce, une information des commissions des finances par courrier du ministre de l'économie, des finances et de l'industrie paraît indispensable.

Votre rapporteur général vous propose enfin, par coordination, un amendement de suppression de l'article 86 de la loi de finances rectificative pour 2003 250 ( * ) , conformément aux préconisations du rapport d'information précité de notre collègue Paul Girod relatives à la nécessaire gestion consolidée des risques financiers de l'Etat. Une autorisation de couverture des risques spécifique au ministère de la défense n'est plus nécessaire car l'article 51 du présent projet de loi de finances prévoit une autorisation globale, donnée au gouvernement pour couvrir les risques financiers de l'Etat. La création d'un compte de commerce « couverture des risques financiers de l'Etat » rend inutile le passage par le compte de commerce « approvisionnement des armées en produits pétroliers » pour la couverture des risques liées à la variation des prix du carburéacteur.

Décision de la commission : votre commission vous propose d'adopter cet article ainsi modifié.

* 248 Loi n° 2003-1312 du 30 décembre 2003.

* 249 Pour une gestion consolidée des dettes de l'Etat. Rapport d'information n° 476 (2004-2005).

* 250 Loi n° 2003-1312 du 30 décembre 2003.

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