C. LA JUSTIFICATION DES CRÉDITS AU PREMIER EURO

La justification des crédits au premier euro de la mission « action extérieure de l'Etat » reste encore perfectible . Elle constitue à ce stade plutôt une ventilation des crédits ex post , en fonction des coûts constatés, qu'une prévision de dépense. Le taux de change retenu pour le calcul des contributions en devises (dollar américain) n'est pas explicité. Les hypothèses change-prix gagneraient à être connues. Le mode de calcul des coûts de structure, en matière immobilière, par exemple, devrait par ailleurs à être mis au regard des règles de l'art applicables aux métiers de l'immobilier.

Outre ces petits défauts liées à un démarrage progressif de la LOLF, le programme 105 présente un gros défaut, celui d'une estimation insincère d'un très gros poste de dépense, celui lié aux opérations de maintien de la paix (OMP) de l'ONU, qui sera détaillée ci-après .

En ce qui concerne les crédits de personnel du titre 2, qui représentent 39 % de l'ensemble du programme, une diminution nette de 38 ETPT est prévue en 2006, liée à la mise en place des services administratifs et financiers uniques (SAFU). La création de 10 emplois de titulaires dans le réseau, au titre du développement de la présence de la France dans les institutions européennes, est prévue en 2006 7 ( * ) .

Emplois répartis en ETPT

(en millions d'euros pour les crédits)

Catégorie d'emplois

Estimation pour 2005

Demandé pour 2006

Variation 2006/2005

Crédits demandés pour 2006 (y.c. charges sociales)

Titulaires et CDI en administration centrale

2.448

2.414

-34

114,6

Titulaires et CDI dans le réseau

1.689

1.690

+1

225,7

CDD et volontaires internationaux

736

736

0

54,8

Militaires

814

814

0

108,9

Recrutés locaux

3.163

3.158

-5

47,7

Total

8.850

8.812

-38

551,7

Source : annexe au projet de loi de finances pour 2006 « action extérieure de l'Etat »

Quatre remarques peuvent être formulées sur la justification au premier euro du programme 105.

Premièrement, les crédits inscrits au titre des contributions de la France aux opérations de maintien de la paix (OMP) de l'ONU, 136,22 millions d'euros , « fixés de manière forfaitaire, au niveau des crédits de la loi de finances initiale pour 2005 » ne correspondent pas aux crédits qui seront effectivement dépensés en 2006, et qui s'établissent à plus de 249 millions de dollars , et ce hors prise en compte des budgets complémentaires soumis à l'approbation du conseil de sécurité de l'ONU qui, selon le contrôleur financier du ministère, porteraient la contribution de la France à 360 millions de dollars . En inscrivant un montant aussi sous-évalué, le ministère a commis une erreur manifeste d'appréciation.

S'il paraît conforme à la prudence budgétaire de ne pas inscrire les budgets complémentaires en loi de finances initiale, puisqu'ils n'ont pas encore été formellement adoptés par le conseil de sécurité, et qu'un projet de loi de finances rectificative pourra ouvrir ces crédits, il paraît anormal que l'estimation prudente, fondée sur un calcul détaillé du budget de chaque opération, ne débouche sur une inscription sincère des crédits liés aux OMP.

Sur la base d'une hypothèse d'un euro pour 1,23 dollar, sur laquelle est construite le projet de loi de finances pour 2006, les crédits consacrés au OMP doivent s'établir à plus de 202 millions d'euros pour respecter le principe de sincérité posé par la LOLF et dont le Conseil constitutionnel est le garant. Il manque donc 75 millions d'euros, au minimum, affaiblissant d'autant la portée de la norme « zéro volume » du gouvernement.

Il convient de signaler que le budget 2005 en ce qui concerne les OMP était également sous-évalué : un décret d'avances à paraître va ainsi augmenter les crédits pour l'année 2005 de 93 millions d'euros...

La réalité des opérations de maintien de la paix : les estimations minimales

(montants nets en millions de dollars américains)

budget

budget approuvé

Estimation budgétaire

Quote-part française 2005

quote-part française 2006

VII 2004/
VI 2005

VII 2005/
VI 2006

VII 2006/
VI 2007

MINUK (Kosovo)

Résolution 1244 10-VI-1999

305

220

220

19,06

16,10

MANUTO (Timor oriental)

Résolution 1410 17-V-2002

79

2

0

2,94

0,15

MINUEE (Ethiopie et Erythrée)

Résolution 1312 31-VII-2000

201

172

172

13,54

12,58

MONUC (Congo)

Résolution 1258-279

des 6-VIII et 30-XI-1999

937

377

1 308

47,71

27,58

MONUG (Géorgie)

Résolution 858 24-VIII-1993

30

32

32

2,25

2,34

MINURSO (Sahara occidental)

Résolution 690 29-IV-1993

39

43

46

2,98

3,15

FINUL (Liban)

Résolution 425 et 426 19-III-1978

88

90

96

6,46

6,58

FNUOD (dégagement Israël-Syrie) Résolution 350 31-V-1974

40

40

42

2,90

2,93

FNUCHYP/UNFICYP (Chypre)

Résolution 186 4-III-1964

47

42

44

3,23

3,07

MINUSIL (Sierra Leone)

Résolution 1270 22-X-1999

285

104

30

14,12

7,61

MINUL (Libéria)

Résolution 1509 19-IX-2003

812

711

700

55,29

52,02

ONUCI (Côte-d'Ivoire)

Résolution 1528 27-II-2004

372

360

450

26,58

26,34

MINUSTAH (Haïti)

Résolution 1542 30-IV-2004

373

460

460

30,24

33,66

ONUB (Burundi)

Résolution 1545 21-V-2004

324

284

284

22,07

20,78

MINUS ou MINUSOUD (Soudan)

Résolution 1590 du 24-III-2005

278

313

1 300

21,46

22,90

UNLB (base de soutien logistique à Brindisi, IT)

27

29

30

2,03

2,12

Compte d'appui

105

128

132

8,46

9,36

TOTAL

4 342

3 407

281,34

249,27

Source : ministère des affaires étrangères

Votre rapporteur spécial appelle également le Quai d'Orsay à procéder dès 2006, en recourant à l'agence France Trésor, à des opérations de couverture du risque de change , compte tenu du volume des contributions obligatoires ou volontaires libellées en devises : plus de 330 millions de dollars, sans prendre en compte la sous-estimation des crédits consacrés aux OMP. Pour mémoire, en début d'année, l'euro valait 1,3 dollar, il n'en vaut plus aujourd'hui que 1,2, soit une appréciation du dollar par rapport à l'euro de près de 10 % en mois d'un an. Une telle appréciation est de nature à « absorber » de l'ordre de 2 à 3 % des crédits du présent programme. La création, par l'article 39 du projet de loi de finances pour 2006, d'un compte de commerce « couverture des risques financiers de l'Etat », dont l'opérateur sera l'Agence France Trésor, est de nature à éliminer, en cours d'année, les incertitudes liées à l'évolution du taux de change euro/dollar.

La justification au premier euro fournit aussi des éléments d'intéressants sur la nature et le nombre des personnalités étrangères invitées par le Quai d'Orsay en France afin d'être, du moins l'espère-t-on, des vecteurs d'influence française de retour dans leur pays. A cet égard, il note le faible nombre de personnalités invitées dans le cadre du programme « personnalités d'avenir » , 73, et le montant relativement limité qui leur est consacré en moyenne : 8.980 euros, correspondant à un séjour d'une durée d'environ deux semaines. A titre de comparaison, 150 journalistes étrangers sont invités en France chaque année, pour un coût moyen de 5.300 euros. Au titre de la coopération militaire sont formés 1.575 stagiaires par an, pour un coût moyen de 14.000 euros, correspondant vraisemblablement à une période plus longue que la durée d'invitation des personnalités d'avenir.

Votre rapporteur spécial croit nécessaire de porter le programme « personnalités d'avenir », qui augmente le nombre de décideurs étrangers susceptibles de promouvoir une image positive de la France, à un niveau plus ambitieux, en doublant le nombre de personnes étrangères susceptibles d'en bénéficier, soit 150 par an , et donc le montant des crédits.

Il paraît enfin utile de souligner les progrès que le Quai d'Orsay, du moins son administration centrale, entend désormais réaliser en ce qui concerne la gestion du patrimoine immobilier . Les priorités en termes d'investissement immobilier pour 2006 figurent dans le bleu. Sur trois ans (2006-2008), le total des opérations recensées (au stade des travaux, au stade des études ou simplement envisagées) représente un besoin total de 240 millions d'euros en crédits de paiements, et de 190 millions d'euros en autorisations d'engagement, dont respectivement 78 millions d'euros en crédits de paiement et 79 millions d'euros en autorisations d'engagements pour l'année 2006.

Afin de limiter le volume des investissements immobiliers inscrits sur crédits budgétaires tout en procédant à de nécessaires opérations, le Quai d'Orsay a souhaité se lancer d'une part dans des partenariats public-privé , d'autre part dans des opérations « neutres » sur un plan budgétaire, malgré des décalages de trésorerie.

La construction du centre des archives diplomatiques à La Courneuve s'inscrit dans le cadre d'une procédure d'autorisation temporaire d'occupation du domaine public puis de location avec option d'achat. Elle se traduira par un loyer, pendant une période de 20 à 30 ans, de l'ordre de 6 millions d'euros, démarrant en année pleine en 2009. En ce qui concerne la reconstruction de l'ambassade de France à Tokyo, une reconstruction à coût nul est prévue (hors frais d'études préalables) de l'ambassade par la valorisation du terrain actuel de l'ambassade. Une partie de ce terrain serait louée sur une longue durée à un partenaire privé qui y pourrait construire des locaux destinés à être commercialisés, en contrepartie de la reconstruction de l'ambassade. L'opération de regroupement des services à Londres pourrait prendre la forme d'un achat accompagné de travaux d'aménagement, suivi de la vente de l'actuelle chancellerie. La vente de la chancellerie permettrait de financer l'opération de regroupement.

Nombre et montant des cessions immobilières réalisées par le Quai d'Orsay

(montant en euros)

Source : ministère des affaires étrangères

Enfin, le ministère des affaires étrangères a souhaité s'engager dans l'expérimentation de loyers domaniaux préfigurant une gestion plus active du patrimoine immobilier de l'Etat.

Ces loyers représentent le coût financier d'immobilisation du capital occupé ou coût d'opportunité : ils sont déterminés par l'application d'un taux (le coût moyen ou le coût marginal d'endettement de l'Etat : 5,12 % en 2006) à la valeur vénale établie par le service des domaines pour chaque bien. Il s'agit donc d'un loyer financier s'accompagnant de mouvements réels de crédits. Ils permettent des arbitrages des responsables de programmes entre locations et acquisition. Sont concernés par l'expérimentation en 2006, que votre rapporteur spécial entend suivre avec attention, les immeubles situés en Grèce et à Bruxelles.

* 7 On ne peut que regretter que la France soit en passe de perdre les deux postes de porte-parole qu'elle détenait dans les institutions européennes : celui auprès du président de la Commission européenne et celui auprès du président du Parlement européen.

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