B. UNE PRISE DE CONSCIENCE PARTAGÉE DE LA SITUATION DE LA RECHERCHE FRANÇAISE

1. Des défis à relever

a) Les défis « hexagonaux »
(1) La confiance de la société dans la science et la recherche


Le risque d'un nouvel « obscurantisme »

Le développement des sciences et techniques prend une place croissante dans l'évolution du monde. Le domaine scientifique connaît lui-même des évolutions (interdisciplinarité renforcée, importance de la finalisation des recherches, question de l'acceptabilité sociale, médiatisation accrue) qui confortent la proximité entre science et société.

Ainsi que l'avait souligné notre collègue Pierre Laffitte dans son rapport présenté au nom de la commission des affaires culturelles sur le budget de la recherche pour 2004 : « Nos compatriotes doivent pouvoir mieux connaître et comprendre ces questions et participer à des débats. Ils doivent aussi pouvoir faire confiance aux instances qui orientent le choix des thèmes de recherche, à la communauté scientifique et, en définitive, aux résultats de la recherche ».

Il faut avouer que la façon dont certaines crises récentes ont été traitées et explicitées - du sang contaminé à la vache folle - ont, à tort, conduit à mettre en cause la science et la recherche alors qu'au contraire, c'est une insuffisance de connaissance et de progrès qui les ont provoquées. Il faut donc prendre garde au risque de retour d'une telle forme d'obscurantisme.

Les évolutions de notre société impliquent une plus grande transparence et efficacité de notre système dans l'expertise, l'évaluation et la diffusion des connaissances et des résultats de la recherche.


Pour une meilleure diffusion de la culture scientifique et technologique

Le rapport de la mission d'information de votre commission des affaires culturelles 17 ( * ) a souligné l'importance d'une mobilisation des pouvoirs publics en faveur d'une meilleure diffusion de la culture scientifique et technique. Il est essentiel de renforcer les liens entre science et société, à la fois pour des raisons éducatives et culturelles, mais aussi pour favoriser une meilleure compétitivité économique des entreprises françaises et pour enrayer la désaffection des jeunes pour les études et les carrières scientifiques. La réflexion ainsi menée avait guidé l'élaboration du plan national de diffusion de la culture scientifique et technique, annoncé par le Président de la République le 6 janvier 2004 et présenté en Conseil des ministres le 5 février 2004.

Ce plan vise à multiplier et stimuler les relais entre les sciences et le grand public, pour répondre à l'exigence des citoyens de mieux comprendre un monde de plus en plus structuré par les sciences et les techniques. Il s'appuie sur l'ensemble des relais de la culture scientifique auprès des Français : enseignants, chercheurs, institutions sur l'ensemble du territoire, associations, médias, édition... Il a pour objectif de donner très largement - et en particulier aux jeunes dès l'enseignement scolaire -, goût et intérêt pour les sciences et techniques.

Il n'en demeure pas moins que les efforts dans ce domaine doivent être poursuivis et s'inscrire dans la durée. Ce n'est qu'à cette condition que les citoyens comprendront pleinement les défis auxquels notre société est confrontée et exprimeront, en toute confiance, envers la communauté scientifique, leurs attentes légitimes.

(2) Le défi du recrutement


• Une situation démographique préoccupante

La véritable rupture démographique que connaîtront la France et l'Europe représente un défi pour le système de recherche et d'enseignement supérieur, à un double titre :

- il lui faudra assurer le remplacement de ses propres chercheurs et enseignants-chercheurs, alors même que la concurrence sur le marché de l'emploi se trouvera renforcée par l'impact du départ à la retraite des « baby-boomers » ;

- il lui faudra, parallèlement, veiller à dispenser les formations permettant d'assurer, en quelque sorte, la « relève » des générations.

Non seulement la part des chercheurs dans la population active en Europe, de 6 pour mille, est inférieure à celle des Etats-Unis (8 pour mille) ou du Japon (10 pour mille), mais de plus notre communauté scientifique connaît un phénomène de vieillissement : 51 % des chercheurs français ont plus de 50 ans (cette proportion s'élève à 64 % en Allemagne).

Dans le même temps, la désaffection pour les études scientifiques perdure. C'est ainsi qu'en France, le nombre d'inscriptions en sciences à l'université baisse et que les perspectives pour les mathématiques sont également inquiétantes.

Enfin, beaucoup de ces diplômés abandonnent le secteur scientifique pour des carrières plus lucratives.

Ce problème se trouve renforcé par celui de l'insuffisance de la présence des femmes dans les carrières scientifiques. Elles ne représentent, en Europe, que 30 % des chercheurs dans le secteur public et 15 % dans la recherche en entreprise.


Des besoins croissants

Parallèlement, et ainsi que l'a souligné un rapport d'information sur l'organisation de la recherche publique en Europe 18 ( * ) : si l'Union veut atteindre l'objectif de 3 % du PIB consacré à la recherche d'ici 2010, « la Commission a estimé les besoins en ressources humaines à 700 000 chercheurs supplémentaires (sur une population d'1,1 million de chercheurs en 2001). »

Ce chiffre viendrait donc s'ajouter au renouvellement « naturel » lié aux départs en retraite massifs que nous connaîtrons dans la prochaine décennie. Cet effet a commencé à se faire sentir en 2000 et s'amplifie depuis 2001.

D'après les données de l'Observatoire des sciences et des techniques (OST), les seuls départs à la retraite vont conduire à un renouvellement du potentiel humain de la recherche (enseignants-chercheurs compris) de 29,6 % pour la période 2001-2010.

Dans ces conditions, il apparaît urgent d'améliorer la gestion prévisionnelle des effectifs, des emplois et des compétences -à l'heure actuelle très insuffisante- comme l'a souligné la Cour des Comptes dans son récent rapport. Il est donc indispensable qu'une politique d'emploi et de recrutement pour l'ensemble de la République française, claire et lisible, soit mise en place, prenant en compte non seulement le volume global mais aussi la dynamique des disciplines.

En outre, le renforcement de l'attractivité des carrières des chercheurs et des enseignants-chercheurs constitue une urgence absolue.

(3) L'enjeu de la croissance et de l'emploi

Il est aujourd'hui universellement reconnu que la croissance et l'emploi de demain dépendent de la recherche et de l'innovation d'aujourd'hui.

Les économistes tendent à souligner l'impact favorable des dépenses de recherche sur la croissance. Ainsi, parmi les idées avancées par les 77 économistes réunis à l'initiative de REXECODE 19 ( * ) afin de proposer des idées permettant à la France de connaître durablement une croissance de 3 %, l'augmentation des dépenses de recherche et d'innovation est celle qui est le plus souvent avancée.

Ce consensus a été d'ailleurs fort bien exposé par la délégation du Sénat pour la planification, dans le rapport présenté en son nom par notre collègue Joël Bourdin 20 ( * ) .

Selon les nouvelles théories de la croissance, l'éducation et la recherche sont facteurs de croissance dans tous les pays, quel que soit leur niveau de développement technologique.

Ils le sont, tout particulièrement aujourd'hui, dans un pays tel que le nôtre. En effet, MM. Philippe Aghion, professeur à l'université de Harvard, et Elie Cohen, directeur de recherche au CNRS, ont exposé à quel point notre système d'enseignement supérieur, bien adapté à un régime de croissance fondé principalement sur l'imitation de technologies découvertes par d'autres, se révélait beaucoup moins performant lorsque l'innovation devient le moteur principal de la croissance. Or, tel est désormais le cas de la France. Ils précisent que notre système d'enseignement supérieur (universités et grandes écoles) et de recherche fournit, sans doute, les cadres dont les entreprises ont besoin, mais pénalise la recherche.

* 17 Rapport d'information : « La culture scientifique et technique pour tous : une priorité nationale » - n° 392 (2002-2003), présenté au nom de la commission des affaires culturelles par Mme Marie-Christine Blandin et M. Ivan Renar, rapporteurs dans le cadre de la mission d'information présidée par M. Pierre Laffitte.

* 18 Rapport d'information n° 1885, au nom de la Délégation de l'Assemblée nationale pour l'Union européenne : « Les nouveaux enjeux de la recherche publique : pilotage et émergence des équipes de chercheurs » - novembre 2004.

* 19 « Des idées pour la croissance » (à l'initiative de M. Michel Didier, directeur REXECODE - Economica).

* 20 « Objectif 3 % de R&D : plus de recherche pour plus de croissance ? » - Rapport n° 391 (2003-2004).

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