III. LES PROPOSITIONS DE LA COMMISSION

A. ENGAGER UNE RÉFORME STRUCTURELLE EN DEUX ÉTAPES

Le système des annuités, en vigueur dans le régime général et les régimes qui s'en inspirent, ne permet déjà probablement plus de réaliser la réforme des retraites que requiert le vieillissement de la population. Dans ce contexte, le principe d'un rendez-vous tous les quatre ans, en 2008, puis en 2012, 2016 et 2020, pour assurer l'équilibre des régimes, ne doit pas conduire à exclure la perspective d'une réforme structurelle :

« La réforme de 2003 a innové sur trois points clés. (...). Elle a enfin fixé une méthode et un calendrier : une évaluation quinquennale du chemin parcouru, des perspectives à moyen et long terme et un rendez-vous pour discuter des dispositions nouvelles à envisager. Cette méthode est un pari sur notre capacité à traiter ce sujet de manière adulte et sereine et non sur le mode paroxystique de la crise ou de la réforme qui va définitivement régler tous les problèmes. (...) Elle présente toutefois un risque : celui de limiter l'horizon des discussions à cinq ans, de faire l'impasse sur le long terme, impasse qui équivaut à une impasse générationnelle » 26 ( * ) .

Afin d'éviter cet écueil, votre commission préconise d'adopter une démarche en deux temps : conduire une réforme paramétrique en 2008 tout en préparant une réforme structurelle, à mettre en oeuvre en 2012, s'inspirant en particulier de la réussite de la Suède.

1. Parer d'abord à l'urgence : une dernière réforme paramétrique en 2008

a) Introduire des mesures législatives et réglementaires à effet rapide

Les mesures de redressement des comptes sont celles à privilégier dans l'immédiat. Elles pourraient consister à :

- reporter l'âge légal de départ en retraite ;

- accélérer le calendrier d'entrée en vigueur de la décote dans la fonction publique ;

- introduire un mécanisme de stabilité, comme il existe en Allemagne 27 ( * ) ou en Suède, afin d'assurer un pilotage efficace de l'assurance vieillesse ;

- éviter que le dossier de l'égalité entre les hommes et les femmes dans les régimes spéciaux ne soit forcément harmonisé sur la base du mieux-disant ;

- codifier et imposer le principe de neutralité actuarielle pour que les opérations d'adossement de régimes spéciaux et le montant des rachats de cotisation ne soient plus contestés ;

- examiner les spécificités des préretraites « amiante » 28 ( * ) .

b) Augmenter l'âge de cessation d'activité des Français

Certains affirment qu'il sera impossible d'augmenter l'âge de départ en retraite aussi longtemps que le chômage restera à un niveau élevé. Votre commission considère à l'inverse qu'il convient de créer les conditions d'une augmentation effective de l'âge de cessation d'activité en s'appuyant sur une augmentation progressive de l'âge légal de la retraite. Cette conviction s'appuie notamment sur des travaux universitaires démontrant la neutralité à long terme des mutations démographiques sur le marché du travail 29 ( * ) : « S'il n'y a pas de relation de vases communicants entre activité des seniors et activité des juniors, alors il n'y a pas a priori de raison pour que le taux de chômage soit un frein à l'ajustement à la hausse de l'âge de la retraite réclamée par l'augmentation de l'espérance de vie. »

Les dernières statistiques comparatives publiées par Eurostat soulignent, s'il en était encore besoin, que l'âge de cessation d'activité se situe en France à un niveau très bas. Il existe donc de très importantes marges de manoeuvre pour améliorer la situation financière de l'assurance vieillesse :

Age moyen de sortie du marché du travail en Europe en 2005

Age moyen

Age médian

Femmes

Hommes

Femmes

Hommes

Suède

63,0

64,3

63,3

63,9

Irlande

64,6

63,6

61,5

64,4

Portugal

63,8

62,4

61,4

64,2

Royaume-Uni

61,9

63,4

60,3

63,8

Espagne

62,8

62,0

59,5

62,6

Finlande

61,7

61,8

60,7

61,5

Pays-Bas

61,4

61,6

59,3

60,5

Allemagne

61,1

61,4

59,9

61,6

Danemark

60,7

61,2

60,1

62,2

Belgique

59,6

61,6

56,8

57,9

Autriche

59,4

60,3

56,4

59,6

Italie

58,8

60,7

57,2

58,4

France

59,1

58,5

58,3

58,8

Source : Eurostat, juillet 2007

Sans doute serait-il possible de sortir du dogme de la retraite à soixante ans en introduisant une plus grande flexibilité. Ainsi, le nouveau régime de retraite suédois ne prévoit plus d'âge légal de départ à la retraite, mais un choix laissé à l'initiative de l'assuré social, à l'intérieur d'une fourchette comprise entre soixante et un et soixante-sept ans. Les salariés peuvent continuer à travailler et donc à cotiser jusqu'à soixante-sept ans, sans que leurs employeurs ne s'y opposent. La France pourrait faire de même et opter, compte tenu de sa situation démographique plus favorable, pour une fourchette comprise entre soixante et un et soixante-cinq ans.

c) Reprendre la réforme des pensions civiles et militaires

En dépit de la réforme de 2003, les dépenses de pension continuent à croître à un rythme très rapide dans le budget de l'Etat (5 % à 6 % par an) et dans ceux des collectivités locales (5 % à 7,5 % par an). Ce paradoxe apparent s'explique par la conjonction de deux facteurs :

- une plus grande générosité du régime de retraite des trois fonctions publiques par rapport à ceux du secteur privé ;

- le caractère limité et l'entrée en vigueur progressive des mesures d'économies décidées par la loi du 21 août 2003.

Evolution des dépenses de pension des personnels de l'Etat

(en milliards d'euros)

2000

2001

2002

2003

2004

2005

LFI 2006

PLF

2007

Montant des pensions civiles

21,22

22,15

23,33

24,60

26,10

27,65

29,61

31,07

Progression en %

+ 5,5

+ 4,4

+ 5,3

+ 5,4

+ 6,1

+ 6,0

+ 6,8

+ 4,9

Montant des pensions militaires

7,32

7,47

7,68

7,83

8,06

8,21

8,32

8,51

Progression en %

+ 2,3

+ 2,0

+ 2,8

+ 2,0

+ 2,9

+ 2,0

+ 1,3

+ 2,3

Montant des pensions

28,50

29,60

30,93

32,35

34,16

35,88

38,07

39,72

Progression en %

+ 4,7

+ 3,8

+ 4,7

+ 4,6

+ 5,3

+ 5,0

+ 6,1

+ 4,3

Poids dans le budget général des dépenses totales de pension

11,2 %

11,4 %

11,6 %

11,8 %

11,8 %

12,2 %

ND

ND

Evolution du montant des pensions versées par la CNRACL

2000

2001

2002

2003

2004

2005

LFI

2006

PLF

2007

Montant en milliards d'euros

7,12

7,59

8,11

8,61

9,28

9,88

10,62

11,50

Progression en %

+ 5,9

+ 6,6

+ 6,8

+ 6,2

+ 7,7

+ 6,5

+ 7,5%

+ 4,9%

Compte tenu du déficit croissant de la branche Vieillesse d'une part, des contraintes pesant sur les finances de l'Etat, d'autre part, il faut rouvrir dès 2008 le dossier des pensions de la fonction publique.


• Modifier les principales règles de calcul des pensions :

- calculer progressivement d'ici à 2012 les pensions sur la base de la référence des cinq dernières années au lieu des six derniers mois ;

- réduire le taux de l'annuité à hauteur de 1,80 % par an en 2012 (au lieu de 1,875 % par an en 2008 et 2 % en 2003), soit l'équivalent d'un taux maximum de remplacement de 75 % pour une carrière de quarante et une années et neuf mois ;

- accélérer de trois ans, dès 2012 au lieu de 2015, le calendrier de mise en oeuvre du taux de la décote (- 1,25 % par trimestre manquant) ;

- avancer à 2012 ou 2015, au lieu de 2020, la fin de la période transitoire à l'issue de laquelle l'âge d'annulation de la décote sera fixé à soixante-cinq ans pour les personnels sédentaires et à soixante ans pour ceux appartenant aux services actifs.


• Revoir les règles autorisant des départs anticipés

- fermer aux nouveaux entrants les dispositifs actuels prévoyant un âge d'ouverture des droits fixés à cinquante ou cinquante-cinq ans ;

Evolution du fondement des retraites chez les fonctionnaires civils de l'Etat entre 2001 et 2006

Flux 2001

Flux 2006

Motif

Nombre

%

Nombre

%

Services actifs

20 056

34,9

20 846

27,1

Invalidité

4 228

7,4

4 859

6,3

Départ anticipé des mères de famille de trois enfants

5 096

8,9

6 613

8,6

Congés de fin d'activité (CFA)

7 652

13,3

8 475

11,0

Congés de fin de carrière (CFC)

1 415

2,5

3 093

4,8

Cessation progressive d'activité (CPA)

3 610

6,2

7 415

9,7

Fonctionnaires sédentaires (départ à 60 ans)

15 336

26,7

24 931

32,4

TOTAL

57 393

100,0

76 832

100,0

Source : Cour des comptes

- fermer, pour l'avenir, l'accès au bénéfice de l'article L. 24 du code des pensions autorisant le départ des pères et mères de trois enfants après seulement quinze ans de service. Ouvrir une négociation avec les partenaires sociaux pour le remplacer par un véritable avantage familial ;

- fermer progressivement l'accès à la cessation progressive d'activité, ou en réformer les conditions d'accès pour rendre moins coûteux ce dispositif à partir de cinquante-huit ans. Il concernait encore 29 148 personnes en 2007, pour un coût de 301 millions d'euros ;

- autoriser plus largement la prolongation volontaire de l'activité professionnelle des fonctionnaires et ce jusqu'à soixante-cinq ans ;


• Réduire fortement les bonifications de pension

- passer progressivement d'une bonification du 1/5 e à une bonification du 1/10 e pour les catégories actives ;

- placer en extinction, sur un rythme rapide, les « petites » bonifications de l'article 12 du code des pensions à l'exception des bonifications familiales ;

- placer en extinction, dès 2008, la majoration de pension dont bénéficient les retraités titulaires d'une pension civile ou militaire résidant à la Réunion, à Saint-Pierre-et-Miquelon, à Mayotte, en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie française et à Wallis-et-Futuna. En effet, cette indemnité temporaire de retraite (ITR) ou surpension, représente un coût de plus en plus élevé pour le budget de l'Etat (266 millions d'euros en 2006) 30 ( * ) .


• Réformer la réversion 31 ( * )

d) Restaurer la mesure originaire des carrières longues

Depuis la création de la mesure des carrières longues, plus de 400 000 départs anticipés sont intervenus dans le régime général. Ce succès s'explique non seulement par le souhait de beaucoup de personnes d'accéder à la retraite le plus tôt possible, mais aussi par l'extension du champ d'application du dispositif à des situations non prévues à l'origine. Il en est résulté l'octroi du bénéfice de la mesure à des catégories d'assurés sociaux auxquelles le législateur de 2003 n'avait pas songé, tout en présentant un coût pour les finances sociales car ces départs ne sont pas facturés au juste prix.

Les services de la Cnav estiment que le coût annuel des carrières longues devrait se stabiliser à 2,3 milliards d'euros en 2008, 2009 et 2010, avant de diminuer très lentement en 2011 (2,1 milliards) et en 2012 (2 milliards d'euros). Ce niveau n'est malheureusement pas compatible avec l'ampleur du déficit actuel de l'assurance vieillesse. Il conviendrait donc par prudence de redimensionner le champ d'application de la mesure sur les bases qui furent un temps envisagées en 2003. Cela supposerait :

- d'en limiter le bénéfice aux personnes de cinquante-huit et de cinquante neuf ans ;

- de supprimer les modalités actuelles de validation rétroactives de droits à la retraite ;

- de mettre un terme aux rachats d'années d'étude et d'années incomplètes pour accéder aux carrières longues, tout en imposant que les barèmes de calcul soient actuariellement neutres ;

- d'abroger le dispositif prévoyant le rachat des années d'aide familial dans l'agriculture.

• L'impact des départs à cinquante-six et cinquante-sept ans

Le mécanisme des carrières longues avait été initialement préparé et conçu sur la base des seuls départs à cinquante huit et cinquante-neuf ans. L'impact d'une mesure analogue était d'ailleurs évalué à 5,2 milliards d'euros sur la période 2001-2010, soit environ 500 millions d'euros par an 32 ( * ) .

Ces chiffres apparaissent rétrospectivement bien faibles. Par ailleurs, l'extension des carrières longues aux personnes âgées de cinquante-six et cinquante-sept ans a accru d'un tiers le coût global de la mesure.

(en milliards d'euros)

2004

2005

2006

2007(p)

Coût total de la mesure

0,6

1,3

1,8

2,1

dont au titre des 56-57 ans

0,2

0,5

0,6

0,7

Source : CNAV

• Les rachats dans les régimes complémentaires

Les rachats de trimestres auprès du régime général au titre des périodes d'études supérieures ou des années incomplètes n'ont pas d'effet direct sur le niveau de la pension servie par l'Agirc et l'Arrco. Toutefois, puisque ces opérations permettent à l'assuré de remplir la condition de durée d'assurance requise dans le régime général pour disposer d'une pension au taux plein, la pension servie par les régimes complémentaires s'en trouve finalement améliorée. La réglementation de l'Agirc et de l'Arrco repose toujours sur le principe d'un départ en retraite à l'âge de soixante-cinq ans. Mais aucun abattement n'est appliqué avant cet âge si la pension de retraite de base est liquidée au taux plein, quel que soit le motif pour lequel celui-ci est accordé.

Les régimes complémentaires Agirc et Arrco n'ont pas procédé à des évaluations globales de l'impact financier de ce cas de figure imprévu, ni d'ailleurs des effectifs concernés. Toutefois, le nombre d'années rachetées ne cesse de croître pour l'Agirc : 18 en 2004, 422 en 2005, 1 164 en 2006.

Il appartiendra aux gestionnaires de ces régimes, c'est-à-dire aux partenaires sociaux, d'apprécier l'opportunité de modifier ce dispositif.

• Les validations rétroactives des droits à la retraite

En règle générale, la validation des droits à la retraite intervient dans le cadre d'activités professionnelles donnant lieu au versement en temps réel de cotisations obligatoires. Il existe toutefois deux dispositifs dérogatoires :

- les régularisations de cotisations des périodes salariées non cotisées, le plus souvent faute de déclaration et de versement de cotisations par l'employeur (l'article R. 351-11, alinéa 2, du code de la sécurité sociale) ;

- la régularisation des périodes d'apprentissage accomplies avant le 1 er juillet 1972, dont les règles ont été fixées dans la lettre ministérielle du 23 septembre 1999, l'arrêté du 24 mai 2000 et la lettre ministérielle du 19 janvier 2004.

L'assuré qui remplit les conditions requises, en apportant notamment la preuve de l'activité salariée ou de l'apprentissage accompli à l'époque, peut effectuer un versement de cotisations a posteriori , qui sera pris en compte pour ses droits à retraite. Le recours à ces dispositifs spécifiques de validation s'est fortement accru depuis 2003 : entre janvier 2004 et avril 2007, pas moins de 90 000 régularisations de cotisations arriérées ont été réalisées dans le régime général. On constate le même phénomène pour les salariés agricoles (604 en 2003, 4 720 en 2004, 12 783 en 2005 et 17 566 en 2006).

La grande majorité des régularisations servent à permettre aux assurés d'augmenter leur durée d'assurance et de remplir ainsi les conditions requises pour bénéficier d'un départ en retraite anticipée pour longue carrière. Une retraite anticipée sur quatre a donné lieu à une régularisation de cotisations en 2006. Ces opérations ont lieu sur la base d'un prix d'achat souvent dérisoire : la Cnav estime qu'en moyenne, pour un euro perçu, le régime général verse en retour un supplément de masse de prestations de 27,3 euros.... Or le supplément de prestations vieillesse occasionné porte sur des montants considérables : 363 millions d'euros en 2006 et 456 millions d'euros en 2007.

• Les rachats des périodes d'aide familiale dans l'agriculture

Les assurés des régimes agricoles disposent aussi, depuis l'entrée en vigueur de l'article 101 de la loi du 21 août 2003 complété par le décret n° 2004-862 du 24 août 2004, de la faculté de racheter les périodes d'aide familiale accomplies entre l'âge de quatorze et de vingt et un ans. Trois conditions sont requises : être un parent direct du chef d'exploitation ou de son conjoint, avoir exercé son activité de manière habituelle et régulière sans avoir été scolarisé et ne pas avoir eu d'activité relevant d'un autre régime obligatoire de base.

Le nombre de ces rachats est passé de 1 618 en 2004 à 9 077 en 2005.

Ce dispositif, d'un accès facile puisqu'il repose souvent, faute de document, sur des attestations fournies par des personnes privées, est majoritairement utilisé pour bénéficier des carrières longues. En 2006, plus de 40 % des départs anticipés avant soixante ans dans le régime des non-salariés agricoles ont donné lieu à un rachat pour les périodes d'aide familiale agricole.

• Les barèmes des rachats dans le régime général

Enfin, les services de la Cnav 33 ( * ) ont constaté que les rachats des années incomplètes et des années d'études pour entrer dans le champ d'application de la mesure carrières longues offrent des rendements dépassant parfois 65 % par an.

A l'initiative de notre commission, l'article 114 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2007 prévoit que ces opérations doivent désormais faire l'objet de tarifs spécifiques, fondés sur le principe de neutralité actuarielle. Dix mois après son entrée en vigueur, la Cnav n'a toujours pas modifié son barème.

2. Préparer ensuite l'avenir : un nouveau mode de gestion et de gouvernance des régimes de base du secteur privé en 2012

La proximité temporelle et l'absence de travaux préparatoires laissent supposer que le rendez-vous de l'année prochaine sur les retraites débouchera sur l'adoption d'ajustements conjoncturels. Le Premier ministre a ainsi annoncé que le Gouvernement s'inscrira dans la continuité de la réforme de 2003 34 ( * ) . Cette démarche est assurément pragmatique et judicieuse. Mais au-delà des mesures indispensables à court terme, votre commission affirme la nécessité d'engager dès maintenant le processus d'une réforme systémique en 2012 qui, seule, permettrait de résoudre la crise de confiance grandissante des assurés sociaux.

La solution pour laquelle elle plaide est le passage à un système de cotisations définies.

a) Abandonner dans le régime général et les régimes alignés les systèmes par annuités devenus ingouvernables

Les systèmes par annuités ont en quelque sorte une obligation de résultats vis-à-vis de leurs assurés sociaux. Cela les conduit le plus souvent à vouloir ajuster leurs recettes en fonction de leurs engagements plutôt que l'inverse.

Par ailleurs, la régulation de notre système de retraite aurait aussi besoin de dispositions permettant de faire ce que les Américains appellent du « fine tuning », c'est-à-dire d'en modifier les paramètres d'une façon habituelle et simple, sans susciter de vastes mouvements sociaux 35 ( * ) . Or, le système des annuités oblige à procéder par révolutions, alors que l'on pourrait faire, chaque année, de simples réglages techniques.

b) Passer à un système par points, sur le modèle des retraites complémentaires

Comme l'a fait l'Allemagne en 1992, la France aurait tout intérêt à faire adopter par la Cnav le système des points, sans pour autant engager une fusion avec l'Agirc-Arrco ou une unification des régimes.

A l'inverse du système des annuités qui met inévitablement les politiques en première ligne, dans des régimes complémentaires par points, la question des équilibres financiers est avant tout du ressort des gestionnaires, c'est-à-dire de leurs conseils d'administration. Au cours des dernières décennies, la régulation y a pris diverses formes : modération de la revalorisation annuelle de la valeur du point, augmentation des cotisations, voire changement de certaines dispositions jugées trop favorables comme la réduction des bonifications pour familles nombreuses réalisée en 1994 à l'Agirc.

Les régimes de retraite par points reposent aussi sur des mécanismes relativement simples, favorisant, autant que faire ce peut, la réalisation automatique des ajustements financiers. Dans cet objectif, les décisions individuelles des assurés sociaux semblent plus efficaces que les règles de fonctionnement actuelles des grands régimes de base, qui reposent sur un ensemble de normes vaste et complexe, souvent contradictoires entre elles.


La dynamique des régimes par points

La technique de la gestion des retraites par points, inventée par les fondateurs de l'Agirc en 1947, est largement utilisée en France. De nombreux régimes ont été créés suivant ce modèle, et aujourd'hui la quasi-totalité de la population active est couverte par une protection complémentaire obligatoire contre le risque vieillesse.

Les régimes complémentaires français sont issus de l'ordonnance du 4 octobre 1945 qui a posé le principe de l'immatriculation obligatoire de tous les salariés à la sécurité sociale. A cette date, près de 200 000 salariés du secteur privé étaient couverts par des conventions collectives de branche datant de 1937 et 1938, qui n'ont pas été supprimées. Elles ont été transformées en avantages complémentaires, qui se sont ajoutés à ceux de la sécurité sociale. En 1951, l'Etat a créé un régime complémentaire pour ses agents contractuels cadres (l'Ipacte) qui fut étendu en 1955 aux cadres contractuels des collectivités locales. Un mécanisme similaire (l'Igrante) fut ensuite institué en 1959, pour les non-cadres contractuels de l'Etat. Ces deux institutions fusionnèrent en 1970 pour former l'institution de retraites complémentaires des agents non titulaires de l'Etat et des collectivités publiques (Ircantec).

Parmi les professions indépendantes, les notaires, les médecins et les pharmaciens se sont dotés dès 1949 d'un régime complémentaire. La plupart des sections des professions libérales firent de même. Le dernier régime complémentaire créé fut celui des professions médicales en 1984, si bien qu'aujourd'hui, seules les sages-femmes demeurent dépourvues d'une telle protection sociale.

Les artisans et les commerçants instituèrent, en 1978, leurs propres régimes complémentaires sur une base obligatoire pour les premiers et facultative pour les seconds. Depuis avril 2004, les chefs d'exploitation ou d'entreprise agricole bénéficient également d'un régime complémentaire géré par points. Le régime complémentaire des artisans est devenu obligatoire la même année.

Conformément à la réforme des retraites de 2003, le régime additionnel de la fonction publique, constituant le second étage du système de retraite des fonctionnaires, est entré en vigueur le 1 er janvier 2005 .

La technique de gestion par points apparaît à l'usage particulièrement souple 36 ( * ) . Elle peut être utilisée aussi bien par les régimes de répartition pure (Arrco, Agirc, Ircantec), que par les régimes de répartition provisionnée, comme le nouveau régime additionnel des fonctionnaires, voire par les régimes financés en capitalisation (Préfon). En outre, les systèmes par points sont par nature contributifs, dans la mesure où le montant de la retraite servie est proportionnel au nombre total de points. Ces mécanismes reflètent donc, pour chaque cotisant, le détail de son activité passée, ainsi que la chronique des taux de cotisation et des salaires d'activité antérieurs. Mais le principe de contributivité peut néanmoins être modulé par l'introduction de mécanismes de solidarité. Cela passe ou bien par l'attribution de points « gratuits » sans contrepartie de cotisations salariales, afin de compenser certaines périodes non travaillées (chômage, maladie...), ou bien encore par la mise en place de majorations de pension en fonction du nombre d'enfants élevés.

c) Introduire la technique des comptes notionnels et le mécanisme d'ajustement structurel suédois

Les autorités suédoises ont choisi de modifier radicalement leur système d'assurance vieillesse. Le bilan positif de cette réforme a conduit la Mecss 37 ( * ) à recommander la transposition de ses principaux éléments en France : le système des comptes notionnels, d'une part, le mécanisme d'ajustement automatique des comptes, d'autre part.

Partant d'un régime de retraite à prestations définies, ressemblant beaucoup au régime général français, les Suédois ont fait le choix de passer à un mécanisme original à cotisations définies, préservant le principe de la répartition, tout en y introduisant une faible part de capitalisation. L'objectif des pouvoirs publics suédois était d'anticiper le choc démographique lié au vieillissement de la population au cours des prochaines décennies. Ils ont donc choisi comme variable d'ajustement l'âge du départ à la retraite et, dans une moindre mesure, le taux de progression des pensions. En contrepartie, le niveau de cotisation pesant sur les actifs a été définitivement stabilisé à 18,5 % des salaires (16 % pour la retraite par répartition et 2,5 % pour la part affectée à la capitalisation).

Tous les assurés sociaux suédois bénéficient d'un compte individuel virtuel, d'où le qualificatif de « notionnel », sur lequel sont enregistrés les flux de cotisations. Ceux-ci ne donnent toutefois pas lieu à constitution d'un capital financier au sens propre du terme car le régime continue de fonctionner suivant les règles de la répartition : les cotisations encaissées sont utilisées chaque mois pour financer les pensions des retraités. Il s'agit donc simplement d'une version plus élaborée de la technique des points utilisée depuis soixante ans en France par les régimes complémentaires Agirc et Arrco.

Le mécanisme des comptes notionnels a été adopté par le législateur suédois en 1998 avec une période de transition de quinze ans pour les générations nées entre 1938 et 1953. Il a été complété en 2001 par le mécanisme suivant : si les ressources du régime s'avèrent insuffisantes pour honorer le montant des retraites à servir aux assurés sociaux, un processus d'ajustement fondé sur le ratio actif-passif s'enclencherait automatiquement en agissant sur le taux de revalorisation du capital notionnel accumulé par l'ensemble des assurés sociaux, ainsi que sur l'indice d'évolution des pensions déjà liquidées.

Selon la Mecss, ce système « présente quatre avantages principaux :

- il garantit un équilibre financier pérenne, sur la base de taux de cotisations élevés, mais stables à l'avenir ;

- il préserve l'équité entre les générations ;

- il assure une meilleure transparence de l'effort contributif ainsi que des niveaux de prestations perçues par les assurés sociaux suédois ;

- il garantit une pension minimum aux personnes âgées les plus modestes.

Il a été conçu pour préserver un haut niveau de retraite au cours des prochaines décennies. En contrepartie, les assurés sociaux sont incités à prolonger leur activité professionnelle pour conserver un même taux de remplacement que les générations bénéficiant de l'ancien système. »

Il s'agit de la plus ambitieuse et de la plus originale des réformes de retraite menées en Europe depuis les années quatre-vingt. Plusieurs pays européens de tailles diverses (Italie, Lettonie, Pologne) en ont repris l'orientation générale. La France pourrait elle aussi utilement s'en inspirer.

d) Ne modifier qu'avec prudence l'architecture institutionnelle de l'assurance vieillesse

Le système de retraite français se singularise en Europe par la coexistence de plusieurs dizaines de régimes différents, notamment spéciaux, et par la diversité des règles applicables aux assurés sociaux des secteurs privé et public. Une telle architecture institutionnelle ne favorise évidemment pas la bonne gestion de l'assurance vieillesse, d'autant qu'elle tend à multiplier les occasions d'oppositions entre assurés sociaux.

Sans doute conviendrait-il de progresser vers une plus grande harmonisation, au moins pour certains paramètres clefs de l'assurance vieillesse, à commencer par celui de la durée de cotisation . La définition d'un socle minimum de solidarité entre les assurés sociaux constituerait déjà un premier pas. Le réalisme incline à préciser qu'il est probablement impossible d'y joindre la fusion de certaines caisses de retraite : l'exemple du régime social des indépendants (RSI) a montré les difficultés et les exigences de cet exercice.

L'autonomie de l'Agirc et de l'Arrco doit par ailleurs être respectée. En prônant la transposition de l'exemple suédois à la Cnav pour 2012, votre commission n'envisage nullement la fusion du régime général et des régimes complémentaires. L'unification des régimes, projet initial des fondateurs de la sécurité sociale en 1945, reste une perspective de très long terme.

* 26 Entretien avec Raoul Briet, président du FRR - p. 287 de l'ouvrage collectif « Les retraites » déjà cité.

* 27 Questions retraite n° 2003-62 - Octobre 2003 - Laurent Vernière - Le pilotage des régimes de retraite face à l'augmentation de la longévité - Les exemples de la France, de l'Allemagne, la Finlande, la Suède et l'Italie.

* 28 Rapport de la Cour des comptes relatif à l'indemnisation des conséquences de l'utilisation de l'amiante - mars 2005.

* 29 Les retraites - Florence Legros - p. 10.

* 30 Une proposition de loi n° 366 (session extraordinaire de 2006-2007), destinée à placer cette disposition en extinction, a été déposée par André Lardeux et Catherine Procaccia, cosignée à ce jour par soixante-dix sénateurs.

* 31 Rapport d'information de la Mecss n° 314 (2006-2007) - Transparence, équité, solidarité : les trois objectifs d'une réforme de la réversion - Claude Domeizel et Dominique Leclerc.

* 32 Cf. étude de la direction de la sécurité sociale, publiée par le Cor en 2002 à l'occasion de la réunion plénière du 6 mars 2002 - Evaluation du coût global d'un départ au taux plein à 58 ou 59 ans, sous condition de 160 trimestres validés.

* 33 Revue Retraite et société- juin 2006 (numéro 48) - p. 125 à 135.

* 34 Discours pour le soixantième anniversaire de l'Agirc - 25 septembre 2007.

* 35 Quelle régulation pour les régimes de retraite par répartition ? Jacques Bichot - Revue Droit social - septembre-octobre 2006.

* 36 La lettre de l'Observatoire des retraites n° 14 - mars 2005 - p. 9 à 13 - La technique de retraite par points.

* 37 Rapport d'information de la Mecss n° 377 (2006-2007) - Réformer la protection sociale : les leçons du modèle suédois - Alain Vasselle et Bernard Cazeau - p. 30 à 56.

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