II. LE PROJET DE LOI D'ADAPTATION : UNE FIDÉLITÉ, QU'IL CONVIENT ENCORE DE CONFORTER, À L'ESPRIT DU STATUT DE ROME

Le projet de loi vise à intégrer les acquis essentiels du statut de Rome dans notre droit pénal. Il renforce à trois titres la répression des crimes internationaux : en définissant de nouvelles infractions ou en complétant des incriminations existantes, en déterminant les conditions de mise en cause de la responsabilité pénale et en allongeant la compétence ratione temporis du juge pénal puisque les délais de prescription pour les crimes de guerre seraient portés à trente ans. En revanche, contrairement aux voeux de beaucoup des personnalités entendues par votre rapporteur, le projet de loi ne donne pas aux juridictions françaises de compétence universelle pour juger des crimes visés par la convention de Rome.

Comme l'a relevé Mme Monique Liebert-Champagne, directrice des affaires juridiques du ministère de la défense lors de son audition par votre rapporteur, ce projet de loi est un texte d' adaptation et non de transposition (que justifierait par exemple la mise en oeuvre d'une directive communautaire en droit interne). Cette souplesse au regard du texte originel est nécessaire : d'une part, il convient de reformuler dans la langue et les concepts juridiques du droit pénal français certaines terminologies de la convention marquée par de nombreux emprunts au droit anglo-saxon et par trop imprécise.

La traduction française d'accords internationaux écrits en anglais n'est pas toujours satisfaisante. M. Simon Foreman, président de la coalition française pour la Cour pénale internationale a même signalé une omission dans la version française de la convention de Rome.

Le texte intégral de l'article 17-1 est ainsi rédigé :

« 1. Eu égard au dixième alinéa du préambule et à l'article premier du présent statut, une affaire est jugée irrecevable par la Cour lorsque :

(...)

c) La personne concernée a déjà été jugée pour le comportement faisant l'objet de la plainte, et qu'elle ne peut être jugée par la Cour en vertu de l'article 20, paragraphe 3. »

Les mots « jugée pour le comportement faisant l'objet de la plainte, et qu'elle ne peut être » ont été omis dans le texte publié au journal officiel du 11 juin 2002, la phrase devenant : « La personne concernée a déjà été jugée par la Cour en vertu de l'article 20, paragraphe 3 ».

Même si cette erreur, concernant l'application de la clause « ne bis in idem » par la Cour pénale internationale, ne devrait emporter aucune conséquence fâcheuse, il serait nécessaire qu'un correctif puisse être publié au journal officiel.

Ensuite, le statut de Rome ne détermine que des infractions sans les assortir des peines correspondantes. Il incombe donc à chaque Etat partie de fixer le régime des sanctions applicables en l'inscrivant dans le système juridique qui lui est propre. Conformément à l'échelle des peines retenue en droit français, notre pays a ainsi réparti les nouvelles incriminations prévues par le statut de Rome entre les catégories criminelles (soit la très grande majorité des infractions prévues par la convention) et délictuelles (principalement les infractions aux biens).

Cette souplesse que les autorités françaises ont entendu se ménager au regard du texte international les a aussi conduites à aller, parfois, au-delà des exigences de la convention mais aussi, il est vrai, dans certains cas, à rester en-deçà.

Ainsi, tout en saluant l'adaptation du droit français aux incriminations prévues par la Cour pénale internationale comme un « pas très important dans la consolidation du droit international pénal », la Commission nationale consultative des Droits de l'Homme (CNCDH) a regretté que l'approche privilégiée par le projet de loi instaure une « forme de dualisme entre la nature et la portée juridiques des incriminations prévues par le droit international et notamment le statut de Rome dûment ratifié par la France, et les formulations retenues dans les nouvelles dispositions du code pénal » 9 ( * ) . Les organisations non gouvernementales regroupées au sein de la coalition française pour la Cour pénale internationale partagent ce sentiment.

Si votre commission estime qu'une stricte transposition du statut de Rome n'était, pour les raisons évoquées plus haut, ni possible, ni nécessairement opportune, elle considère toutefois que certains des écarts du projet de loi par rapport au texte de la convention ne sont pas pleinement justifiés et elle vous soumettra plusieurs amendements tendant à revenir à une interprétation plus fidèle du statut de Rome.

A. LA MISE EN PLACE DES INSTRUMENTS NÉCESSAIRES POUR ASSURER LA RÉPRESSION DES CRIMES INTERNATIONAUX

1. Des incriminations complétées ou créées

Le projet de loi prévoit en premier lieu de compléter certaines incriminations existantes : il ouvre ainsi explicitement la possibilité de poursuivre l'auteur d'une incitation directe et publique à commettre un génocide (article premier) ; il précise en outre la définition du crime contre l'humanité en énumérant les différents comportements susceptibles de tomber sous le coup de cette incrimination (article 2).

Surtout, il insère 42 nouveaux articles dans le code pénal sous la forme d'un livre IV bis créé après le livre IV relatif aux crimes et délits contre la Nation, l'Etat et la Paix publique afin d'intégrer en droit interne les stipulations de l'article 8 de la convention de Rome relatives aux crimes de guerre (article 7).

Mme Mireille Delmas-Marty a regretté, devant votre rapporteur, que les crimes de guerre figurent ainsi dans un livre distinct de celui consacré aux crimes contre l'humanité dans la mesure où le droit international tend à élaborer une notion unitaire intégrant les crimes internationaux en les soumettant à un régime juridique homogène, notamment au regard des règles de prescription. Votre commission estime cependant qu'il existe une différence essentielle entre un crime de masse perpétré à raison de la nationalité, de la race ou de la religion et un crime de guerre qui peut ne toucher qu'un individu.

Les crimes de guerre peuvent être considérés comme « des violations délibérées des lois et coutumes de la guerre » 10 ( * ) .

Le droit dans la guerre

On distingue traditionnellement le « jus in bello » (droit dans la guerre) du « jus ad bellum » (le droit de faire la guerre) concernant les dispositions relatives aux fondements juridiques de l'usage de la force armée dans les relations internationales.

Le jus in bello recouvre :

- le droit de la guerre dit « de la Haye » qui détermine les règles que doivent observer les belligérants dans la conduite des hostilités (conventions de la Haye du 18 octobre 1907 et du 14 mai 1954 ainsi que les traités et conventions interdisant ou limitant l'usage de certaines armes et munitions) ;

- le droit humanitaire dit « de Genève » qui fixe les règles applicables aux personnes protégées en situation de conflit armé. Ces règles sont précisées par les conventions de Genève du 12 août 1949 et par les protocoles I et II de 1977, additionnels à ces conventions.

S'il est vrai que les actes visés par l'article 8 de la convention de Rome peuvent, pour l'essentiel, être poursuivis sur la base des dispositions communes du code pénal 11 ( * ) , celles-ci ne permettent pas de prendre en compte la spécificité des infractions liées à un conflit armé et leur particulière gravité compte tenu, notamment, de la situation de plus grande vulnérabilité des populations civiles.

Sans doute l'article 212-2 du code pénal vise-t-il les crimes contre l'humanité « lorsqu'ils sont commis en temps de guerre ».

Toutefois l'incrimination de l'article 212-2 concerne les seuls crimes contre l'humanité (déportation, réduction en esclavage, pratique massive et systématique d'exécutions sommaires, enlèvement de personnes suivi de leur disparition, de la torture ou d'actes de barbarie) qui sont loin de couvrir tous les crimes de guerre visés par l'article 8 de la convention.

Par ailleurs, le recours à l'expression « temps de guerre » à l'article 212-2 ne permet pas de décider clairement si elle vise une situation de conflit international ou si elle peut aussi concerner les autres conflits armés, non internationaux, définis par l'article 8-2 (f) du statut de Rome comme ceux qui « opposent de manière prolongée sur le territoire d'un Etat les autorités du gouvernement de cet Etat et des groupes armés organisés ou des groupes organisés entre eux ».

Enfin et surtout, l'infraction n'est constituée en temps de guerre que si le crime est perpétré contre « ceux qui combattent le système idéologique au nom duquel sont perpétrés des crimes contre l'humanité » et non pas contre toutes les personnes visées par la convention de Rome (en particulier les personnes civiles protégées par les conventions internationales qui ne prennent pas part au combat contre les forces adverses).

Le code de justice militaire constitue une autre base juridique pour poursuivre les crimes de guerre. En effet, l'article L. 311-1 de ce code prévoit la « répression pénale des faits qui constituent des crimes ou délits de droit commun, et notamment de ceux qui sont contraires aux lois et coutumes de guerre et aux conventions internationales ».

En outre le code de justice militaire vise expressément les pillages (art. L. 322-4 et L. 322-5), les destructions (art. L. 322-6) et les abus d'autorité (art. L. 323-19 et suivant). Par ailleurs, le règlement de discipline générale dans les armées rappelle aux militaires le respect des « règles du droit international applicable aux conflits armés et aux conventions régulièrement ratifiées ou approuvées ».

L'interdiction de commettre des crimes de guerre apparaît comme une consigne générale donnée aux militaires susceptible à ce titre d'engager leur responsabilité pénale sur le fondement de l'article L. 324-1 du code de justice militaire, qui prévoit que toute violation d'une consigne générale donnée à la troupe en temps de guerre peut donner lieu à une condamnation à une peine d'emprisonnement d'une durée maximale de cinq ans 12 ( * ) .

La répression assurée par l'article L. 324-1 peut toutefois sembler insuffisante au regard de la gravité des infractions relevant des crimes de guerre.

Les dispositions actuelles du droit français ne sont donc pas entièrement satisfaisantes.

Le gouvernement a entendu combler ce vide juridique par l'intégration de l'ensemble des infractions visées par l'article 8 de la Convention de Rome dans le code pénal.

Votre commission vous soumettra deux amendements afin de rapprocher la définition des incriminations prévues de celle figurant dans la convention de Rome :

- la condition selon laquelle le pillage ne constituerait un crime de guerre que s'il est commis en bande serait supprimée (article 461-15 nouveau du code pénal) ;

- l'interdiction de l' enrôlement forcé serait étendue à toutes les personnes protégées et pas seulement aux personnes protégées de la partie adverse (article 461-20 nouveau du code pénal).

En outre elle vous propose d'aller au-delà des prescriptions de la convention en portant de 15 à 18 ans l'âge à partir duquel il peut être procédé à la conscription ou à l'enrôlement (article 461-7 nouveau du code pénal).

L'incrimination des crimes de guerre en droit interne aura pour conséquence, comme l'ont garanti à votre rapporteur les représentants du Gouvernement, de conduire la France à lever très prochainement sa réserve concernant la compétence de la CPI à l'égard des crimes de guerre .

* 9 Avis adopté par la CNCDH sur le projet de loi adaptant la législation française pour la Cour pénale internationale, adopté par l'Assemblée nationale plénière du 21 juin 2006.

* 10 Claire Saas, la justice militaire en France in Archives de politique criminelle, n° 29, 2007.

* 11 En effet, les incriminations actuelles de notre droit telles le meurtre, la torture, le viol, la séquestration, permettent de couvrir la plupart de ces crimes.

* 12 Claire Saas, La justice militaire en France in Archives de politique criminelle, n° 29, 2007.

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