TRAVAUX DE LA COMMISSION

I. AUDITION DE M. XAVIER BERTRAND, MINISTRE DU TRAVAIL, DES RELATIONS SOCIALES, DE LA FAMILLE ET DE LA SOLIDARITÉ

Réunie le mercredi 9 juillet 2008 sous la présidence de M. Nicolas About, président, la commission a procédé à l' audition de M. Xavier Bertrand, ministre du travail, des relations sociales, de la famille et de la solidarité, sur le projet de loi n° 448 (2007-2008) adopté par l'Assemblée nationale, après déclaration d'urgence, portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail (M. Alain Gournac, rapporteur).

M. Xavier Bertrand, ministre du travail, des relations sociales, de la famille et de la solidarité, a rappelé que ce projet de loi a été élaboré en suivant la procédure définie par la loi de modernisation du dialogue social du 31 janvier 2007 et qu'il s'inscrit dans la continuité de la loi de modernisation du marché du travail du 25 juin 2008.

Le Premier ministre a adressé un document d'orientation aux partenaires sociaux dès le 18 juin 2007 pour les inviter à négocier sur la représentativité syndicale et sur les conditions de validité des accords collectifs. Puis le Président de la République a indiqué, à la fin du mois de novembre, qu'il souhaitait, à brève échéance, la fin des trente-cinq heures obligatoires pour tous, avant de réaffirmer cet objectif lors de la conférence sociale qui s'est tenue en décembre pour fixer l'agenda social pour 2008. Le Premier ministre a donc complété le document d'orientation pour demander aux partenaires sociaux de négocier aussi sur le financement du dialogue social et sur la durée du travail.

Le projet de loi est parfaitement conforme aux engagements pris pendant la campagne électorale. Le Gouvernement assume le fait d'avoir des divergences avec les organisations syndicales sur le volet du texte consacré à la réforme du droit de la durée du travail. Le ministre a estimé que l'application de l'article 17 de la position commune aurait abouti à la préservation du statu quo et qu'il convenait donc d'aller au-delà.

M. Xavier Bertrand, ministre du travail, des relations sociales, de la famille et de la solidarité, a ensuite présenté le détail de la première partie du texte consacrée à la rénovation de la démocratie sociale.

La représentativité des organisations syndicales sera, pour l'essentiel, déterminée sur la base de leurs résultats aux élections professionnelles. Le seuil de représentativité est fixé à 10 % des voix au niveau de l'entreprise et à 8 % au niveau de la branche et au niveau national interprofessionnel. Ce sont donc les salariés qui décideront si une organisation est représentative ou non. L'Assemblée nationale a apporté au texte plusieurs améliorations, notamment pour préciser les règles relatives au protocole préélectoral et celles applicables aux sous-traitants.

Les accords collectifs seront également plus légitimes puisqu'ils devront, pour être valables, avoir été signés par des syndicats ayant recueilli au moins 30 % des suffrages et ne pas avoir fait l'objet d'une opposition de syndicats ayant recueilli plus de 50 % des voix. Pour que les quatre millions de salariés employés dans une entreprise de moins de onze salariés ne soient pas les grands oubliés du dialogue social, une négociation va s'engager, avec une date butoir, afin de trouver des solutions qui leur soient adaptées.

Sur la question du financement du dialogue social, le projet de loi va permettre la mise en oeuvre de l'accord UPA du 12 décembre 2001 dans les branches où il ne s'applique pas encore. Cette disposition ne fera peser aucune contribution nouvelle sur les entreprises.

Abordant le volet du texte consacré au temps de travail, M. Xavier Bertrand, ministre du travail, des relations sociales, de la famille et de la solidarité, a d'abord indiqué que le projet de loi donne plus d'espace à la négociation d'entreprise et à la négociation de branche mais laisse inchangées les dispositions relatives à la durée maximale du travail journalière ou hebdomadaire et à la durée légale du travail. L'Assemblée nationale a apporté des garanties supplémentaires en précisant qu'une contrepartie en repos peut être accordée au salarié pour les heures supplémentaires accomplies à l'intérieur du contingent et en imposant l'information et la consultation du comité d'entreprise sur l'accomplissement des heures supplémentaires. Le projet de loi simplifie considérablement le droit de la durée du travail puisque le nombre d'articles qu'y consacre le code va être ramené de soixante-treize à trente-quatre.

Il a dénoncé l'entreprise de désinformation menée sur le sujet des conventions de forfait en jours. Actuellement, les salariés en forfait jours peuvent travailler jusqu'à deux cent quatre-vingt-deux jours dans l'année, avec très peu de garanties. Le projet de loi introduit un nouveau plafond de deux cent trente-cinq jours et prévoit un entretien annuel avec le salarié pour faire le point sur sa charge de travail. En outre, le projet de loi ne modifie en rien les stipulations conventionnelles et les usages en vigueur dans les entreprises : si les salariés d'une entreprise ne travaillent pas le jour de Noël, le projet de loi ne remettra pas en cause cette situation. Au total, le projet de loi apporte des garanties supplémentaires, ce qui explique que l'opposition, lors des débats à l'Assemblée nationale, n'ait pas réussi à susciter de la peur sur ce texte.

M. Alain Gournac, rapporteur, a souhaité obtenir des précisions sur les conséquences juridiques de l'amendement voté par l'Assemblée nationale qui repousse au 30 juin 2009 l'entrée en vigueur de la disposition relative à l'accord UPA.

M. Xavier Bertrand, ministre du travail, des relations sociales, de la famille et de la solidarité, a précisé que deux branches, celles du bâtiment et des services, ne sont pas encore couvertes par cet accord. Le Gouvernement s'est abstenu, jusqu'ici, d'étendre l'accord UPA parce qu'il souhaitait attendre que les recours intentés devant les tribunaux pour contester sa validité aboutissent. L'Assemblée nationale a adopté un amendement qui repousse à l'année prochaine l'entrée en vigueur de cet accord, afin qu'elle coïncide avec l'achèvement de la négociation prévue sur le dialogue social dans les petites entreprises.

M. Alain Gournac, rapporteur, a ensuite demandé s'il est possible de réformer les règles de représentativité syndicale sans toucher à celles applicables aux organisations patronales.

M. Xavier Bertrand, ministre du travail, des relations sociales, de la famille et de la solidarité, a souligné que la position commune aborde seulement la question de la représentativité des organisations syndicales, ce qui explique qu'un amendement déposé à l'Assemblée nationale qui tendait à imposer une négociation sur les règles de représentativité des organisations patronales ait été repoussé. Certains syndicats demandent que des discussions s'engagent sur ce sujet et Laurence Parisot, présidente du mouvement des entreprises de France (Medef), s'est dite favorable à cette idée sur le principe.

M. Alain Gournac, rapporteur, a fait observer que le projet de loi pose le problème de la représentativité de certaines organisations syndicales organisées sur une base professionnelle, par exemple le syndicat national des journalistes (SNJ).

M. Xavier Bertrand, ministre du travail, des relations sociales, de la famille et de la solidarité, a répondu que cette question n'est pas abordée dans la position commune et qu'il s'agit, en tout état de cause, d'une question difficile à régler.

M. Alain Gournac, rapporteur, a fait savoir que les représentants des commissaires aux comptes jugent imprécise la notion de « ressources » des organisations syndicales figurant à l'article 8 du projet de loi.

M. Xavier Bertrand, ministre du travail, des relations sociales, de la famille et de la solidarité, a précisé que les ressources recouvrent les cotisations, les dons, les subventions ou encore les recettes tirées de la vente de publications ou d'accessoires divers ainsi que des formations dispensées par les syndicats. Un groupe de travail présidé par un commissaire aux comptes va préciser les normes comptables qui leur seront applicables.

M. Alain Gournac, rapporteur, a demandé si l'assouplissement de la réglementation sur la durée du travail pourrait avoir, à terme, une contrepartie sous la forme d'une diminution des allègements de charges consentis au moment du passage aux trente cinq heures.

M. Xavier Bertrand, ministre du travail, des relations sociales, de la famille et de la solidarité, a indiqué que l'enjeu de la réforme consiste à libérer le travail et à répondre aux besoins des entreprises, non à revenir sur les allègements généraux de cotisations sociales, dont le montant s'élève actuellement à 21 milliards d'euros. Les entreprises françaises ont des marges plus faibles que leurs concurrentes étrangères et il serait donc peu opportun d'augmenter le coût du travail.

M. Alain Gournac, rapporteur, a souhaité savoir comment le ministre réagit à la critique, souvent entendue, selon laquelle la réforme du droit de la durée du travail pourrait avoir un impact négatif sur la santé et la sécurité au travail.

M. Xavier Bertrand, ministre du travail, des relations sociales, de la famille et de la solidarité, a jugé cette critique infondée dans la mesure où le texte ne modifie ni les règles relatives aux temps de repos, ni celles relatives aux durées maximales du travail. Le Gouvernement n'a pas l'intention d'aller à l'encontre des objectifs fixés lors des deux conférences organisées sur les conditions de travail.

M. Alain Gournac, rapporteur, a demandé si le projet de loi tient compte des critiques émises par le Conseil de l'Europe sur les conventions de forfait en jours.

M. Xavier Bertrand, ministre du travail, des relations sociales, de la famille et de la solidarité, a indiqué que le comité des ministres du conseil de l'Europe s'est prononcé à deux reprises, en 2002 et en 2005, sur la compatibilité de ces conventions de forfait avec la charte sociale européenne. Le projet de loi répond aux critiques émises, d'abord en garantissant que tous les jours travaillés au-delà de deux cent dix-huit seront rémunérés à un taux majoré, ensuite en fixant un plafond de deux cent trente-cinq jours de travail dans l'année, enfin en prévoyant un entretien annuel et une consultation du comité d'entreprise.

Mme Annie David a estimé que le projet de loi porte une atteinte sans précédent aux droits des salariés, et notamment des cadres, ce qui peut paraître singulier sur le plan politique. Ces salariés sont prêts à accepter de grandes amplitudes horaires de travail mais sont attachés à leurs « jours de RTT ».

Elle a ensuite demandé si les accords comportant des clauses relatives au contingent d'heures supplémentaires, qui deviendront caducs au 31 décembre 2009, devront être renégociés en totalité ou si seules les clauses relatives au contingent seront concernées par cette obligation de renégociation. Elle enfin souhaité savoir pourquoi le temps de présence requis pour qu'un salarié d'une entreprise sous-traitante devienne électeur et éligible chez le donneur d'ordres a été accru.

M. Alain Vasselle a déclaré avoir été interpellé, dans une émission télévisée, par un inspecteur du travail membre du parti socialiste qui affirmait que le projet de loi permettra de ne rémunérer les heures supplémentaires qu'à un taux majoré de 10 %, alors que le Président de la République s'était engagé à ce que ce taux soit au moins de 25 %. Il a donc souhaité obtenir des précisions sur ce sujet, ainsi que sur le niveau de rémunération applicable aux jours de travail effectués au-delà du seuil prévu pour ces salariés couverts par une convention de forfait en jours.

M. Jean-Pierre Godefroy a regretté que la représentativité patronale ne soit pas abordée dans le texte. Puis il s'est interrogé sur les conséquences de la primauté nouvelle accordée à l'accord d'entreprise sur l'accord de branche ; même si les conséquences d'une telle réforme sont difficiles à évaluer, on peut craindre qu'elle n'affaiblisse le rôle régulateur de la négociation de branche. Il est ensuite revenu sur le problème posé par le SNJ, qui risque de ne plus être considéré comme représentatif alors qu'il recueille 50 % des voix des journalistes lors des élections professionnelles. Un problème analogue se pose d'ailleurs pour les syndicats des agents de conduite, des pilotes de ligne ou des intermittents du spectacle. Peut-être faudrait-il prévoir dans le code du travail une disposition particulière applicable aux journalistes ?

Mme Annie Jarraud-Vergnolle s'est enquise des conditions dans lesquelles les salariés des petites entreprises pourront être représentés. Elle a ensuite indiqué que le plafond de deux cent trente-cinq jours retenu pour les conventions de forfait en jours préserve le congé hebdomadaire du salarié et les cinq semaines de congés payés mais ne semble pas tenir compte des deux semaines de repos correspondant aux jours fériés. Elle a également souhaité obtenir des précisions sur le coût, pour les finances sociales, d'un recours accru aux heures supplémentaires, compte tenu de l'exonération de cotisations prévue par la loi en faveur du travail, de l'emploi et du pouvoir d'achat du 21 août 2007.

Mme Gisèle Printz s'est indignée du retour en arrière rendu possible par le projet de loi et a ironisé sur l'affirmation du ministre selon laquelle le texte ne serait porteur d'aucun recul en matière de durée du travail.

Mme Catherine Procaccia a demandé pourquoi le projet de loi revient sur la question du champ d'application des conventions de forfait jours alors que la loi en faveur des petites et moyennes entreprises du 2 août 2005 avait déjà procédé à son extension. Elle a également souhaité savoir ce que la charte du dialogue social, annoncée par le Premier ministre, apporterait par rapport à la loi de modernisation du dialogue social.

M. Xavier Bertrand, ministre du travail, des relations sociales, de la famille et de la solidarité, a répondu à Mme Annie David qu'il convient d'éviter que les salariés des entreprises sous-traitantes disposent d'un double vote. La jurisprudence de la Cour de cassation a rendu la situation particulièrement complexe sur le plan juridique et le Conseil constitutionnel a demandé une clarification. Se pose également un problème pratique lorsque le sous-traitant ne communique pas au donneur d'ordres la liste des salariés mis à disposition. En ce qui concerne les accords relatifs au contingent d'heures supplémentaires, il est prévu que ces accords deviennent caducs à la fin de l'année 2009, afin d'inciter les partenaires sociaux à les renégocier. Si la question du contingent est abordée dans un accord qui traite également d'autres sujets, seules les clauses relatives au contingent seront frappées de caducité.

S'adressant ensuite à M. Alain Vasselle, il a précisé que le projet de loi ne prévoit pas de modifier les dispositions relatives au taux de majoration des heures supplémentaires, qui continuera de s'appliquer dès la trente-sixième heure. La majoration applicable aux jours de repos auxquels renoncent les salariés en forfait jours est au minimum de 10 % mais il est possible de négocier une majoration supérieure. Ces salariés peuvent déjà travailler plus de deux cent dix huit jours dans l'année et le projet de loi va leur apporter des garanties supplémentaires.

Mme Isabelle Debré a alors souligné que les Français ont du mal à comprendre les dispositions complexes de ce projet de loi, qui les concerne pourtant directement, et qu'un effort de pédagogie auprès de l'opinion publique est indispensable.

M. Xavier Bertrand, ministre du travail, des relations sociales, de la famille et de la solidarité, a souhaité attendre le vote du texte définitif avant de l'expliquer à nos concitoyens, aux chefs d'entreprise et aux salariés en premier lieu. Il a déclaré faire confiance au bon sens des Français et a souhaité que l'on s'abstienne de toute polémique sur ce sujet compliqué. Le texte procède d'ailleurs à une importante simplification des règles applicables et préserve un verrou qui sera celui de la négociation dans l'entreprise.

Répondant ensuite à M. Jean-Pierre Godefroy, il a souligné que le projet de loi donne certes la priorité à la négociation d'entreprise mais qu'il ne va pas faire disparaître pour autant la négociation de branche. En ce qui concerne le problème posé par le SNJ, il faut rappeler que tous les journalistes ne travaillent pas nécessairement pour des entreprises de presse. Comment, dans ces conditions, concilier la logique professionnelle et la logique de branche ? On peut craindre, en outre, que d'autres professions ne demandent des règles dérogatoires si l'on accède à la demande du SNJ.

Puis M. Xavier Bertrand, ministre du travail, des relations sociales, de la famille et de la solidarité, a indiqué à Mme Annie Jarraud-Vergnolle que le projet de loi prévoit que les salariés en forfait jours ne pourront pas travailler plus de deux cent trente-cinq jours dans l'année, à moins qu'un accord collectif ne fixe une durée différente. Les partenaires sociaux vont discuter du problème posé par les quatre millions de salariés employés dans une entreprise dépourvue d'institution représentative du personnel (IRP). Evoquant le coût du projet de loi pour les finances sociales, il a fait observer que poser cette question revient à admettre que le texte aura bien pour effet d'augmenter le nombre d'heures supplémentaires accomplies dans les entreprises, ce qui est déjà une forme de satisfecit.

Mme Annie Jarraud-Vergnolle a estimé que la loi Tepa n'a pas eu les résultats espérés par le Gouvernement et a demandé si le manque à gagner pour la sécurité sociale sera compensé.

M. Xavier Bertrand, ministre du travail, des relations sociales, de la famille et de la solidarité, a affirmé que tel sera bien le cas et a précisé que les mesures de compensation nécessaires seront prévues dans le prochain projet de loi de financement de la sécurité sociale.

Puis il a expliqué à Mme Gisèle Printz que la loi donne plus d'espace à la négociation collective dans l'entreprise, ce qui permettra de résoudre le problème posé par la faiblesse du contingent d'heures supplémentaires prévu dans certains accords de branche. Le contingent est par exemple fixé à cent quatre-vingts heures par an dans le secteur du BTP, cent heures dans la parfumerie et l'esthétique, cent trente heures dans la chimie et la plasturgie.

Il a enfin répondu à Mme Catherine Procaccia que le projet de loi n'entend pas modifier le champ des salariés susceptibles d'être couverts par une convention de forfait en jours, qui concerne actuellement quatre cadres sur dix. Sur la question de l'articulation entre dialogue social et responsabilité politique, il a rappelé que le Président de la République a fixé la ligne à suivre : si les partenaires sociaux concluent un bon accord, il convient de le transposer dans la loi ; s'ils ne parviennent pas à un accord, il appartient au Gouvernement d'assumer ses responsabilités et de prendre une initiative ; enfin, si l'accord ne donne pas entièrement satisfaction, il faut le compléter. Sur les trente-cinq heures, le Gouvernement se contente de tenir les engagements pris par le Président de la République pendant sa campagne.

Le ministre a enfin estimé que cet épisode ne devrait pas altérer durablement la dynamique du dialogue social dans notre pays : certains avaient prédit que le dialogue social serait gravement affecté par la réforme des régimes spéciaux de retraite, qui n'a pourtant pas empêché la conclusion, quelques mois plus tard, de l'accord historique sur la modernisation du marché du travail.

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