N° 258

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2008-2009

Annexe au procès-verbal de la séance du 11 mars 2009

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des Affaires culturelles (1) sur la proposition de résolution européenne présentée par M. Hubert HAENEL au nom de la commission des Affaires européennes (2) en application de l'article 73 bis du Règlement, sur le respect de la diversité linguistique dans le fonctionnement des institutions européennes ,

Par M. Jacques LEGENDRE,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : M. Jacques Legendre , président ; MM. Ambroise Dupont, Michel Thiollière, Serge Lagauche, David Assouline, Mme Catherine Morin-Desailly, M. Ivan Renar, Mme Colette Mélot, M. Jean-Pierre Plancade , vice-présidents ; M. Pierre Martin, Mme Marie-Christine Blandin, MM. Christian Demuynck, Yannick Bodin, Mme Béatrice Descamps , secrétaires ; MM. Jean-Paul Amoudry, Jean-Pierre Bel, Claude Bérit-Débat, Mme Maryvonne Blondin, M. Pierre Bordier, Mmes Bernadette Bourzai, Marie-Thérèse Bruguière, M. Jean-Claude Carle, Mme Françoise Cartron, MM. Jean-Pierre Chauveau, Gérard Collomb, Yves Dauge, Claude Domeizel, Alain Dufaut, Mme Catherine Dumas, MM. Jean-Léonce Dupont, Louis Duvernois, Jean-Claude Etienne, Mme Françoise Férat, MM. Jean-Luc Fichet, Bernard Fournier, Mme Brigitte Gonthier-Maurin, MM. Jean-François Humbert, Soibahadine Ibrahim Ramadani, Mlle Sophie Joissains, M. Philippe Labeyrie, Mmes Françoise Laborde, Françoise Laurent-Perrigot, M. Jean-Pierre Leleux, Mme Claudine Lepage, MM. Alain Le Vern, Jean-Jacques Lozach, Mme Lucienne Malovry, MM. Jean Louis Masson, Michel Mercier, Philippe Nachbar, Mme Monique Papon, MM. Daniel Percheron, Jack Ralite, Philippe Richert, René-Pierre Signé, Jean-François Voguet.

(2) Cette commission est composée de : M. Hubert Haenel , président ; MM.  Denis Badré, Michel Billout, Jean Bizet, Jacques Blanc, Jean François-Poncet, Aymeri de Montesquiou, Roland Ries, Simon Sutour, vice-présidents ; Mmes Bernadette Bourzai, Marie-Thérèse Hermange, secrétaires ; MM. Robert Badinter, Jean-Michel Baylet, Pierre Bernard-Reymond, Didier Boulaud, Mme Alima Boumediene-Thiery, MM. Gérard César, Christian Cointat, Pierre-Yves Collombat, Philippe Darniche, Mme Annie David, MM. Robert del Picchia, Pierre Fauchon, Bernard Frimat, Yann Gaillard, Mme Fabienne Keller, MM. Serge Lagauche, Jean-René Lecerf, Mmes Colette Mélot, Monique Papon, MM. Jean-Claude Peyronnet, Hugues Portelli, Yves Pozzo di Borgo, Josselin de Rohan, Mme Catherine Tasca et M. Richard Yung.

Voir le(s) numéro(s) :

Sénat :

204 et 259 (2008-2009)

INTRODUCTION

« Celui qui ne connaît pas les langues étrangères ne connaît rien de sa propre langue. »

Johann Wolfgang von Goethe.

Mesdames, Messieurs,

La diversité linguistique de l'Europe est un trait constitutif de son identité : pour reprendre une expression de Gérard Soulier, « ce qui l'unit sera aussi ce qui la divise » 1 ( * ) . La tendance à l'unilinguisme anglophone méconnaît ainsi clairement l'esprit même de la construction européenne. Elle ne saurait être tolérée plus longtemps, fût-ce au nom d'exigences pratiques liées à un fonctionnement plus commode des institutions communautaires, sans mettre en péril la concorde qui fonde le projet européen et qui se manifeste à travers l'aspiration de l'Union à « l'unité dans la diversité ».

Ce n'est qu'au prix du respect de sa pluralité linguistique et culturelle que l'Europe pourra légitimement s'imposer comme un ensemble politique cohérent et habilité à parler d'une seule et même voix sur la scène internationale.

Les citoyens européens ne pourront, en effet, jamais véritablement adhérer et participer activement au projet de l'Union européenne s'ils ne sont pas tous en mesure de se l'approprier dans leur propre langue. Il n'est sans doute pas inutile de le rappeler : le déficit démocratique régulièrement reproché à la Communauté tient en grande partie au sentiment des citoyens d'être trop souvent exclus d'un processus décisionnel communautaire à caractère essentiellement bureaucratique ou limité aux seules enceintes intergouvernementales .

La promotion du multilinguisme institutionnel doit clairement s'imposer comme une priorité au sein de chaque institution communautaire : la démocratie européenne ne sera jamais une réalité tant que les administrés ne pourront, de manière effective et systématique, prendre connaissance dans leur propre langue d' une législation qui leur est, bien souvent, applicable directement . Lorsque les citoyens n'ont accès aux informations relatives à l'Union européenne que dans quelques langues, voire dans une seule, il n'y a finalement pas lieu de s'étonner que le processus décisionnel européen continue d'être perçu par bon nombre de personnes comme le fruit et l'instrument des volontés hégémoniques de certains États membres.

Le respect de la diversité linguistique dans le fonctionnement des institutions de l'Union européenne constitue ainsi un enjeu pour la démocratie européenne à un double titre :

- d'une part, parce que nul n'est censé ignorer le droit communautaire : le principe du multilinguisme assure, en effet, l'égalité des droits des citoyens et des États membres de l'Union européenne dans l'accès à la législation communautaire et dans leurs relations avec les institutions communautaires. Dans un souci de sécurité de l'ordre juridique communautaire , le respect du multilinguisme institutionnel garantit également à tous les sujets du droit communautaire la possibilité de prendre connaissance, dans des conditions d'égalité et suffisamment à temps, des règles qui leur sont imposables, notamment celles qui sont d'application directe ;

- d'autre part, parce que le principe de transparence démocratique , corollaire d'une bonne gouvernance européenne, suppose que les actes des institutions communautaires fassent l'objet d'une publication systématique dans toutes les langues des administrés. Les parlements nationaux , gardiens du respect de la subsidiarité dans l'action de la Communauté, sont au premier chef concernés par cet impératif de transparence démocratique : ils doivent être en mesure de débattre de l'ensemble des documents susceptibles de les renseigner sur l'articulation de l'action communautaire avec celle des États membres.

Devant la nécessité soulevée par la commission des affaires européennes du Sénat d'alerter le Gouvernement sur la situation du multilinguisme institutionnel dans l'Union européenne, le présent rapport se veut autant à charge qu'à décharge . Si votre rapporteur reconnaît le recul particulièrement préoccupant du multilinguisme au sein des institutions communautaires, il tient à saluer, en revanche, les efforts déployés jusqu'ici aussi bien par les autorités nationales que par les autorités communautaires, pour défendre la diversité linguistique dans le fonctionnement institutionnel de l'Union européenne.

La présente proposition de résolution est l'occasion pour le Sénat d'inaugurer l'extension du champ des résolutions européennes prises sur le fondement de l'article 88-4 de la Constitution dans sa rédaction issue de la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008. En effet, dès lors que les assemblées parlementaires peuvent désormais adopter une résolution européenne « sur tout document émanant d'une institution de l'Union européenne », la présente proposition de résolution se fonde sur des documents à caractère non législatif, en l'occurrence les rapports de progrès de la Commission européenne sur les pays officiellement ou potentiellement candidats à l'entrée dans l'Union et certains documents budgétaires préparatoires, exclusivement disponibles en langue anglaise.

Un équilibre doit à l'évidence être trouvé entre un multilinguisme suffisamment étendu pour garantir un accès universel à la réglementation communautaire et permettre le contrôle démocratique de l'Union européenne et un multilinguisme maîtrisé qui s'inscrive dans des limites budgétaires acceptables. Il s'agit là d'un défi majeur mais il n'y pas lieu de se décourager car il en va de la légitimité même du projet européen.

I. L'UNION EUROPÉENNE : MOSAÏQUE LINGUISTIQUE OU TOUR DE BABEL ?

L'objectif d'un approfondissement institutionnel de l'Union européenne, dans le respect d'une diversité culturelle et linguistique croissant au fil de ses élargissements successifs, traduit l'une des tensions inhérentes à l'identité européenne, que résume subtilement la devise de l'Union : « l'unité dans la diversité ».

À ses débuts, la Communauté reposait sur un noyau dur de six États membres fondateurs qui avaient érigé le respect de la pluralité linguistique en principe cardinal de son fonctionnement institutionnel. Dans cette configuration, la Communauté européenne pouvait être envisagée comme un projet réaliste de mosaïque culturelle et linguistique au sein de laquelle l'apport de chaque culture nationale à l'identité européenne, valorisé et préservé de façon égale, serait une pièce indispensable à la composition d'un « tableau » européen uni et cohérent.

Or, aujourd'hui, face au risque de voir l'Union européenne se transformer en une tour de Babel dont la voix serait rendue incompréhensible par la reconnaissance de 23 langues officielles et de travail, le principe du multilinguisme dans le fonctionnement des institutions communautaires semble de plus en plus sacrifié au profit d'une tendance hégémonique de l'anglais.

Trouver la voix d'une Europe unie, en particulier sur la scène internationale, est certes un exercice délicat. Mais prétendre que le processus décisionnel communautaire gagnera en force à la condition qu'il se déroule dans une seule et même lingua franca qui serait l'anglais est tout simplement dangereux et contraire à l'esprit même de la construction européenne. Comment espérer une seule seconde que l'action de l'Union européenne soit considérée comme légitime par les peuples si ceux-ci n'ont pas eu la possibilité de la comprendre dans leur langue pour s'y reconnaître ? Mme Lydie Polfer, ministre des affaires étrangères du Grand-duché du Luxembourg, résumait ainsi, en 2003, le défi linguistique européen dans les termes suivants : « nous voulons certes d'une Europe qui parle d'une même et seule voix, mais dans toutes ses langues et avec toute sa conviction » 2 ( * ) .

A. UN CADRE JURIDIQUE PROTECTEUR DE LA PLURALITÉ LINGUISTIQUE EUROPÉENNE, FONDÉ SUR LE PRINCIPE DE L'ÉGALITÉ DES LANGUES

Parce que l'Union européenne est productrice de règles de droit qui leur sont directement opposables , les États membres et les citoyens européens doivent être en mesure d'en prendre connaissance dans leur langue. C'est pourquoi, à la différence d'autres organisations internationales qui ont fait le choix d'un bilinguisme français-anglais ou d'un plurilinguisme limité, l'Union européenne a privilégié un cadre juridique garant de l'égalité des langues à partir duquel les institutions communautaires ont développé des régimes linguistiques propres adaptés à leur fonctionnement.

1. Le multilinguisme dans les traités

Le multilinguisme dans l'Union européenne est, à l'évidence, autant une nécessité juridique qu'une question politique sensible . Si le traité de Paris du 18 avril 1951 instituant la Communauté européenne du charbon et de l'acier (CECA) fut initialement rédigé dans la seule langue française, les cinq autres États membres fondateurs ont rapidement exigé que toutes les langues nationales soient reconnues comme langues des traités 3 ( * ) .

C'est dans cet esprit que l' article 314 du Traité instituant la Communauté européenne (TCE) pose désormais clairement le principe du multilinguisme intégral en ce qui concerne le texte des traités. Néanmoins, les traités constitutifs européens demeurent peu explicites quant à la mise en oeuvre du multilinguisme dans le fonctionnement de chaque institution communautaire. En effet, le statut de langue des traités ne garantit pas nécessairement celui de langue officielle et de travail dans l'élaboration du droit dérivé communautaire par les institutions européennes 4 ( * ) .

L' article 290 TCE se contente de stipuler que « le régime linguistique des institutions de la Communauté est fixé, sans préjudice des dispositions prévues par le statut de la Cour de justice, par le Conseil, statuant à l'unanimité ». On notera que l' exclusivité de la compétence attribuée en la matière au Conseil ainsi que la règle de l'unanimité témoignent de la très forte sensibilité politique de la question des langues dans l'Union européenne, en rendant très difficile une réforme de sa réglementation linguistique.

Par ailleurs, le traité sur l'Union européenne (TUE) a étendu le régime linguistique de la Communauté aux piliers de la politique étrangère et de sécurité commune (article 28 TUE, par renvoi à l'article 290 TCE) et de la coopération policière et judiciaire en matière pénale (article 41, par renvoi à l'article 290 TCE).

Enfin, l' article 21 TCE , issu du traité d'Amsterdam du 2 octobre 1997, précise, quant à lui, le principe selon lequel « tout citoyen de l'Union peut écrire à une institution ou organe [...] dans l'une des langues [...] et recevoir une réponse rédigée dans la même langue » : il s'agit là d'un droit fondamental indispensable à l' exercice effectif de la citoyenneté européenne .

* 1 Soulier, Gérard, in L'Europe - Histoire, Civilisation, Institutions , Armand Colin, Paris, 1994.

* 2 POLFER, Lydie, « La diversité des langues et l'élargissement de l'Union : chances ou handicap ? », in « La diversité linguistique dans l'Union européenne : chance ou handicap à l'heure des élargissements ? », actes du colloque international, Grenoble, 4 juillet 2003, Les Cahiers du CUREI , n° 17, mai 2004.

* 3 Décision de la Conférence des ministres des affaires étrangères des 23-25 juillet 1952.

* 4 Jusqu'en 2005, l'irlandais (gaélique) s'est vu accorder le statut de langue des traités sans pour autant bénéficier de celui de langue officielle et de travail de l'Union. Depuis le règlement n° 920/2005 du Conseil du 13 juin 2005, l'irlandais compte désormais parmi les langues officielles de l'Union.

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