EXAMEN DES ARTICLES

Intitulé de la proposition de loi

Afin de simplifier l'intitulé de la proposition et mieux faire apparaître son apport principal, votre commission a souhaité renommer la proposition de loi « proposition de loi tendant à inscrire l'inceste dans le code pénal et à améliorer la détection et la prise en charge des victimes d'actes incestueux ».

Votre commission a adopté l'intitulé de la proposition de loi ainsi modifié.

TITRE I - IDENTIFICATION ET ADAPTATION DU CODE PÉNAL À LA SPÉCIFICITÉ DE L'INCESTE

Article premier (art. 222-22-1 [nouveau], paragraphes 3, 4 et 5 [nouveau] de la section 3 du chapitre II du titre II du livre II, art. 222-31-1 et 222-31-2 [nouveaux], art. 227-27-2 et 227-27-3 [nouveaux] et art. 227-28-2 du code pénal) - Inscription de la notion d'inceste dans le code pénal et précision de la notion de contrainte

L'article premier de la proposition de loi contient des dispositions relatives, d'une part, à la notion de contrainte, et, d'autre part, à la définition des auteurs d'actes incestueux.

1 - Définition de la notion de contrainte

Le 1° de cet article résulte d'une disposition intégrée au texte de la proposition de loi par la commission des lois de l'Assemblée nationale sur la proposition de son rapporteur. Il s'agit de la reprise d'une préconisation formulée par le rapport de la mission confiée par le Premier ministre à M. Christian Estrosi en juillet 2005.

Le code pénal distingue au sein des infractions sexuelles :

- le viol et les agressions sexuelles d'une part, qui, pour être constitués, doivent avoir été commis avec « violence, contrainte, menace ou surprise » (articles 222-22 et suivants du code pénal),

- les atteintes sexuelles d'autre part, catégorie d'infraction qui ne concerne que des faits commis sur des mineurs et qui sont constituées « sans violence, contrainte, menace ni surprise » (articles 227-25 et suivants du code pénal).

Au cours des travaux préparatoires à l'adoption du nouveau Code pénal, le Sénat avait contesté la disjonction de ces deux catégories d'infractions, faisant valoir qu'un mineur devait être considéré comme ne pouvant réellement consentir à des rapports sexuels, de sorte que les atteintes sexuelles sur mineur, mêmes commises sans violence, devaient être regardées comme étant de même nature et de même gravité que les agressions sexuelles commises sur des adultes. Toutefois, l'arbitrage en commission mixte paritaire s'était fait en faveur de la position du Gouvernement et de l'Assemblée nationale et avait abouti à insérer les dispositions relatives aux agressions sexuelles au sein du chapitre consacré aux atteintes à l'intégrité de la personne, tandis que les atteintes sexuelles étaient insérées dans le chapitre consacré aux atteintes aux mineurs et à la famille 36 ( * ) .

Néanmoins, jusqu'à 1995, la jurisprudence considérait sans ambiguïté que l'état de contrainte, élément constitutif du viol et de l'agression sexuelle, résultait de plein droit de l'âge des mineurs victimes lorsque celui-ci était suffisamment peu élevé pour que les enfants ne puissent avoir aucune idée de ce qu'est la sexualité, ce qui les rendait incapables de réaliser la nature et la gravité des actes qui leur étaient imposés. Ce raisonnement aboutissait à réserver la qualification d'atteinte sexuelle au cas des mineurs susceptibles d'être conscients de ce qu'est la sexualité 37 ( * ) .

Cette position a néanmoins été remise en cause à partir de 1995 par la Chambre criminelle de la Cour de cassation qui , se fondant sur un raisonnement juridique strict, a considéré que la contrainte ou la surprise ne pouvait résulter du seul âge de la victime 38 ( * ) . Ce raisonnement se fondait sur le principe général selon lequel un même élément ne peut être pris en compte à plusieurs reprises et à des titres divers dans le cadre de la constitution et de la répression d'une unique infraction : un même fait (en l'espèce, l'âge de la victime) ne peut être à la fois considéré comme un élément constitutif de l'infraction et comme une circonstance aggravante de celle-ci 39 ( * ) .

Cette prise de position a fortement ému un certain nombre d'associations de victimes qui ont fait valoir qu'une telle position semblait sous-entendre que le mineur, y compris très jeune, aurait pu consentir aux agressions sexuelles dont il a été victime, dès lors que la violence, la menace, la contrainte ou la surprise n'était pas démontrée.

Or, comme le relève le rapport établi par M. Christian Estrosi en juillet 2005, « présumer la capacité de l'enfant à consentir de manière libre et éclairée à de tels faits revient à faire fi de toute la spécificité du contexte incestueux, liée au caractère intrafamilial de ces agissements et à la qualité des protagonistes. La victime d'inceste se trouve effectivement dans une situation particulière, d'abord en raison de son âge (jeunesse, manque de repères, subordination, dépendance, confiance, amour), ensuite à cause des rapports qu'elle entretient avec son agresseur (pouvoir, autorité, manipulation) ». A l'appui de son propos, le rapport met en avant le « syndrome d'accommodation » décrit par Roland Summit 40 ( * ) .

Le syndrome d'accomodation décrit par Roland Summit dans « The child abuse accommodation syndrome, child abuse and neglect » (1983) caractérise les sentiments ambivalents successivement ressentis par un enfant victime d'agressions sexuelles au sein de la cellule familiale :

1) laisser-faire confiant (découverte, insouciance, absence d'arrière-pensées, aspect parfois ludique) ou « confusion de la langue » chez Sandor Ferenczi (confusion entre la tendresse naïve de l'enfant et la jouissance sexuelle de l'adulte) ;

2) perplexité (prise de conscience de l'anormalité de la situation, mais ne peut arrêter la relation de peur de déplaire à l'auteur) ;

3) secret (loi du silence) ;

4) impuissance (domination totale de l'enfant partagé entre le rejet de l'agresseur et l'amour de l'adulte) ;

5) « coping » (résolution à la servitude) ;

6) révélation ;

7) rétractation (peur de perdre l'affection de son entourage qui l'accuse).

Ce constat a conduit M. Christian Estrosi à préconiser un ajustement de notre législation afin de poser en principe le non-consentement du mineur aux agressions sexuelles dont il peut faire l'objet au sein de la cellule familiale , et ce sous la forme d'une loi interprétative qui viendrait préciser la notion de contrainte.

Tel est l'objet du 1° de l'article 1 er de la présente proposition de loi, qui précise, d'une part, que la contrainte peut être physique ou morale, et, d'autre part, qu'elle résulte en particulier de la différence d'âge existant entre une victime mineure et l'auteur des faits et de l'autorité de droit ou de fait que celui-ci exerce sur cette victime, notamment en cas d'inceste. Ce faisant, la disposition proposée permettrait de prendre en compte l'âge de la victime et les circonstances particulières dans lesquelles s'est déroulé l'inceste dès la qualification de l'infraction, et non plus seulement au stade de l'examen des circonstances aggravantes.

L'introduction de cette nouvelle disposition a pour but de mettre un terme à la requalification ou « correctionnalisation » de certains viols en atteintes sexuelles qui est parfois opérée par les juges du fond. Comme le relève M. Christian Estrosi, « ce procédé est [...] souvent mal vécu par les victimes, en raison du faible quantum des peines encourues et prononcées sous la qualification correctionnelle, mais également de la nécessaire occultation d'éléments du dossier que suppose cette technique ».

Votre commission relève néanmoins que, depuis quelques années, la Chambre criminelle de la Cour de cassation est peu à peu revenue sur sa position antérieure en validant des décisions rendues par des juridictions du fond qui avaient considéré que la contrainte constitutive de l'infraction de viol ou d'agression sexuelle pouvait être morale et résulter de la différence d'âge et de l'autorité de fait exercée par l'agresseur sur la victime 41 ( * ) . Il s'agit toutefois d'une évolution implicite : la Cour de Cassation n'a encore jamais reconnu explicitement la notion de contrainte morale. La disposition proposée par le 1° de l'article 1 er permettrait d'inscrire explicitement et sans ambigüité dans la loi, sans remise en cause possible, cette interprétation.

Dans la mesure où elle ne revêt qu' un caractère interprétatif , visant à expliciter et à affermir les solutions aujourd'hui retenues par la jurisprudence, cette disposition aurait vocation à s'appliquer à l'ensemble des affaires en cours sans crainte d'être écartée par les juges du fond sur le fondement des principes posés par la Cour de cassation dans son arrêt SCI Le Bas Noyer c/ Société Castorama France rendu en Chambre plénière le 23 janvier 2004 42 ( * ) .

A l'issue d'un débat au cours duquel sont intervenus nos collègues Jean-Pierre Michel, Hugues Portelli et Alain Anziani, qui ont estimé que la définition de la contrainte figurant dans la proposition de loi risquait de soulever des difficultés d'application 43 ( * ) , la commission réunie le 17 juin 2009 a souhaité conserver la définition votée par l'Assemblée nationale tout en lui apportant, à l'invitation de son rapporteur, quelques modifications de nature rédactionnelle. Cette définition permet de conserver les termes figurant dans des décisions validées par la Cour de cassation et ainsi de ne pas modifier l'état du droit tel qu'il est aujourd'hui interprété par la jurisprudence. M. Jean-Jacques Hyest, président, a néanmoins considéré que cette question pourrait être à nouveau débattue lors de l'examen du texte en séance publique.

2 - Inscription de la notion d'inceste dans le code pénal

Les 2° et 3° de l'article 1 er de la proposition de loi, qui figuraient dans le texte initial, ont pour but d'inscrire explicitement la notion d'inceste dans le code pénal. Leurs dispositions doivent être examinées conjointement avec les celles figurant à l'article 2 de la proposition de loi, en vertu desquelles l'inceste ainsi défini serait regardé comme une circonstance aggravante des infractions sexuelles commises à l'encontre des mineurs, en substitution à l'actuelle référence aux actes commis « par un ascendant légitime, naturel ou adoptif ».

Aux termes de deux nouveaux articles 222-32-1 et 227-27-2, seraient désormais qualifiés d'inceste les viols, agressions sexuelles et atteintes sexuelles commis sur un mineur par :

1° son ascendant ;

2° son oncle ou sa tante ;

3° son frère ou sa soeur ;

4° sa nièce ou son neveu ;

5° son conjoint ou le concubin d'une des personnes mentionnées aux 1° à 4° ou le partenaire lié par un pacte civil de solidarité avec l'une de ces personnes.

Le champ des auteurs d'actes incestueux ainsi retenu recoupe dans une très large mesure les dispositions du code civil relatives aux prohibitions en matière de mariage (cf. supra ).

En outre, la proposition de loi fait disparaître les qualificatifs de « légitime, naturel ou adoptif » actuellement apposés à la notion d'ascendant, puisque la distinction entre filiation légitime, filiation naturelle et filiation adoptive est désormais sans objet au terme d'une évolution consacrée par l'ordonnance n° 2005-759 du 4 juillet 2005 portant réforme de la filiation, ratifiée par la loi n° 2009-61 du 16 janvier 2009 44 ( * ) .

En choisissant de ne pas créer une infraction spécifique d'inceste mais en faisant de ce dernier une circonstance aggravante des infractions sexuelles, l'auteur de la proposition de loi a souhaité ne pas aggraver les peines encourues en cas d'infractions sexuelles commises dans un cadre incestueux, le but étant que la nouvelle qualification d'inceste figurant dans le code pénal puisse s'appliquer immédiatement aux affaires en cours.

Néanmoins, votre commission relève que la définition retenue de l'inceste dans la proposition de loi apportera un changement de périmètre par rapport à l'état du droit actuel.

Actuellement, est considéré comme une circonstance aggravante le fait, pour une infraction sexuelle, d'avoir été commise « par un ascendant légitime, naturel ou adoptif, ou par toute autre personne ayant autorité sur la victime ». La jurisprudence considère que cette notion de personne ayant autorité inclut à la fois les personnes détenant une autorité légale sur la victime (exemple du tuteur de la victime, ou encore du second époux qui partage l'autorité de la mère sur les enfants mineurs issus du premier mariage) et les personnes détenant une autorité de fait sur cette dernière. En ce qui concerne les violences à caractère sexuel commises au sein de la famille, la jurisprudence a été amenée à considérer comme exerçant une autorité de fait sur la victime un certain nombre de personnes appartenant à la cellule familiale (cf. supra ).

Néanmoins, à la différence de l'autorité de droit, qui découle d'une qualité qu'il suffit de constater, l'autorité de fait découle de circonstances particulières qu'il appartient aux juges du fond de démontrer 45 ( * ) . Ainsi, n'a par exemple pas été reconnu comme exerçant une autorité de fait un grand-oncle chez qui la victime s'était rendue en visite accompagnée de ses parents 46 ( * ) .

Or, lorsque l'auteur des faits n'est pas considéré comme ayant exercé une autorité de fait sur la victime, les peines encourues à l'heure actuelle ne sont pas aggravées. Les dispositions de la proposition de loi, qui définissent les auteurs d'actes incestueux indépendamment du contexte familial particulier dans lequel les violences auraient lieu, aboutiront donc à aggraver les peines encourues par les membres de la famille qui se rendraient coupables d'infractions sexuelles lorsque ceux-ci n'exercent pas, au sens où l'entend actuellement la jurisprudence, une autorité de fait sur la victime. A titre d'exemple, une agression sexuelle qui serait commise sur une mineure âgée de moins de quinze ans par un oncle que la victime ne fréquenterait qu'épisodiquement et à la garde duquel elle ne serait pas confiée serait à l'heure actuelle considérée comme une « simple » agression sexuelle sur mineur de quinze ans, punie de sept ans d'emprisonnement et de 100.000 euros d'amende. Les dispositions de la proposition de loi incluant l'oncle dans les auteurs de faits incestueux, l'agression sexuelle commise par ce dernier serait désormais considérée comme aggravée et passible, à ce titre, de dix ans d'emprisonnement et de 150.000 euros d'amende.

Votre commission observe que ce changement de périmètre par rapport à l'état du droit risque de créer des difficultés de droit transitoire pendant de nombreuses année s, compte tenu des règles dérogatoires existant en matière de prescription.

A l'inverse, dans la mesure où la proposition de loi définit l'inceste comme l'ensemble des violences sexuelles commises sur des mineurs, la nouvelle circonstance aggravante d'inceste prévue à l'article 2 de la proposition de loi aboutirait à exclure des circonstances aggravantes les violences infligées par un ascendant ou une personne ayant autorité à une victime majeure. Une telle exclusion n'apparaît pas opportune.

En outre, si votre commission comprend l'intérêt qu'il y aurait à instaurer une cohérence entre le droit civil et le droit pénal en matière d'inceste, il ne lui semble néanmoins pas opportun de définir de façon rigide, dans la loi, une liste d'auteurs d'actes incestueux. En effet, une telle liste crée le risque d'y faire figurer des personnes qui, dans certaines circonstances, ne relèverait pas nécessairement de l'inceste (ce serait par exemple le cas du concubin d'une tante) alors qu'elle ne prendrait pas en compte un certain nombre de personnes qui, compte tenu des recompositions familiales, en relèverait de façon manifeste (ce serait le cas notamment des « quasi-fratries » formées par les enfants du beau-père ou de la belle-mère de l'enfant victime).

L'ensemble de ces considérations ont convaincu votre commission de ne pas retenir les dispositions de la proposition de loi tendant à énumérer de façon restrictive les auteurs d'actes incestueux et de lui substituer une référence plus générale et volontairement imprécise à la notion de violences commises au sein de la famille, qui permettra au juge de prendre en compte le contexte particulier dans lequel a grandi l'enfant pour qualifier, ou non, d'inceste les violences subies.

En outre, il lui a semblé nécessaire de conserver les actuelles notions d'ascendant et de personne ayant autorité de telle sorte que les dispositions de la proposition de loi ainsi modifiée n'entraînent aucun changement de périmètre par rapport à l'état du droit et puissent s'appliquer immédiatement aux affaires en cours.

En conséquence, votre commission a intégré un amendement de son rapporteur tendant à apporter deux modifications aux dispositions des 2° et 3° de l'article 1 er de la proposition de loi :

§ L'énumération des auteurs d'actes incestueux a été remplacée par une disposition indiquant que les viols, agressions sexuelles et atteintes sexuelles sont qualifiés d'incestueux lorsqu'ils sont commis au sein de la famille sur la personne d'un mineur par un ascendant ou par toute autre personne ayant sur la victime une autorité de droit ou de fait.

§ L'insertion de ces dispositions dans le code pénal a par ailleurs été modifiée pour permettre la création d'un paragraphe intitulé « De l'inceste », dans lequel figureraient désormais les dispositions relatives à la définition de l'inceste et celles relatives au retrait de l'autorité parentale.

Votre commission a adopté l'article premier ainsi modifié .

Article 2 (art. 222-24, 222-28, 222-30, 227-26 et 227-27 du code pénal) - Coordination et création d'une circonstance aggravante d'inceste

L'article 2 de la proposition de loi, complété par la commission des lois de l'Assemblée nationale sur proposition de son rapporteur, constitue le prolongement direct des dispositions de l'article 1 er .

Il a en effet pour objectif de substituer à l'actuelle circonstance aggravante de commission « par un ascendant légitime, naturel ou adoptif, ou par toute autre personne ayant autorité sur la victime », deux nouvelles circonstances aggravantes de commission « par une personne ayant autorité sur la victime » d'une part, et d'inceste d'autre part.

En conséquence, seraient modifiées des dispositions figurant dans les articles suivants :

- article 222-24 : circonstances aggravantes applicables en matière de viol ;

- article 222-28 : circonstances aggravantes applicables en matière d'agressions sexuelles commises sur une personne âgée d'au moins quinze ans ;

- article 222-30 : circonstances aggravantes applicables en matière d'agressions sexuelles commises sur un enfant mineur de quinze ans ;

- article 227-26 : circonstances aggravantes applicables en matière d'atteintes sexuelles commises sur un enfant mineur de quinze ans ;

- article 227-27 : circonstances aggravantes applicables en matière d'atteintes sexuelles commises sur un mineur âgé de plus de quinze ans et non émancipé par le mariage.

Les faits commis dans un cadre incestueux seraient ainsi désormais clairement distingués de ceux commis par une personne ayant autorité sur la victime. La distinction que la proposition de loi prévoit d'insérer dans le code pénal permettrait ainsi de mieux identifier, au sein des victimes d'infractions sexuelles, celles qui ont été victimes de faits incestueux et les autres, et, le cas échéant, d'adapter la prise en charge des victimes d'inceste à la spécificité des traumatismes qu'elles ont subis.

Néanmoins, cette nouvelle circonstance aggravante d'inceste ne pourrait pas s'appliquer immédiatement aux affaires en cours compte-tenu des changements de périmètre qu'elle implique. En outre, elle aboutirait à exclure du champ des circonstances aggravés les violences commises sur des victimes majeures (cf. supra ).

Pour ces raisons, votre commission , qui souhaite comme son homologue de l'Assemblée nationale que les dispositions de cette proposition de loi puissent s'appliquer immédiatement, a souhaité ne pas retenir les dispositions de l'article 2 et, sous réserve de quelques modifications de nature rédactionnelle, en rester au droit en vigueur actuellement.

De cette façon, l'inceste défini aux nouveaux articles 222-31-1 et 227-27-2 constituerait une « surqualification pénale » , une qualification supplémentaire qui viendrait s'ajouter aux qualifications existantes et permettrait ainsi aux juges de la retenir immédiatement dans les affaires en cours. Une question spécifique serait obligatoirement posée devant la cour d'assises appelée à juger d'une affaire de viol incestueux.

Votre commission a adopté l'article 2 ainsi modifié .

Article 2 bis (art. 227-27 du code pénal) - Aggravation des peines encourues en cas d'atteintes sexuelles incestueuses commises sur un adolescent de quinze à dix-huit ans

L'article 2 bis est issu d'un amendement déposé par M. Christian Estrosi et plusieurs de ses collègues députés et adopté par l'Assemblée nationale après avis favorable du rapporteur de la commission des lois et du Gouvernement. Il s'agit de la reprise d'une préconisation que M. Christian Estrosi avait déjà formulée en juillet 2005 dans le rapport qu'il avait remis au Premier ministre sur l'opportunité de créer une infraction spécifique d'inceste.

Cet article prévoit d'augmenter les peines encourues en cas d'atteintes sexuelles incestueuses commises sur un mineur âgé de plus de quinze ans et non émancipé par le mariage.

Sous l'empire du droit actuel, de tels faits sont passibles de deux ans d'emprisonnement et de 30.000 euros d'amende. Désormais, ils le seraient de cinq ans d'emprisonnement et de 75.000 euros d'amende.

Comme le relevait M. Christian Estrosi dans son rapport précité, « actuellement, la sanction encourue est de deux ans d'emprisonnement et 30.000 euros d'amende. Cette peine étant jugée trop faible, l'Observatoire national de l'enfance en danger (ONED) a notamment recommandé de la porter à cinq ans et 75.000 euros d'amende, afin de mieux prendre en compte la dimension incestueuse des infractions perpétrées sur les mineurs de plus de quinze ans. Ces derniers, bien que « majeurs » sexuellement, ne sauraient en effet être assimilés, dans leurs rapports quotidiens avec les auteurs de ces actes, aux personnes majeures civilement ».

Cette disposition, qui, du fait de son caractère plus sévère, aurait vocation à ne s'appliquer qu'aux faits commis après l'entrée en vigueur de la présente proposition de loi, rapprocherait ainsi le régime répressif applicable aux atteintes sexuelles incestueuses commises sur des adolescents de celui applicable aux atteintes sexuelles incestueuses commises sur des mineurs de quinze ans. Rappelons en effet que de tels faits sont à l'heure actuelle punis de dix ans d'emprisonnement et de 150.000 euros d'amende.

Au cours de sa réunion du 17 juin 2009, votre commission a examiné un amendement présenté par M. Michel et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés tendant à supprimer l'article 2 bis . Les auteurs de l'amendement ont fait valoir que les dispositions de cet article étaient en contradiction avec l'esprit de la présente proposition de loi, dont l'objet est d'inscrire l'inceste dans le code pénal afin de mieux identifier et prendre en charge les victimes, et non d'aggraver le dispositif pénal existant à l'heure actuelle.

En outre, votre rapporteur a relevé que la définition de la contrainte qui figure à l'article 1 er du texte devrait conduire les juges à ne plus qualifier les violences incestueuses d'atteintes sexuelles que dans un nombre résiduel de cas. La plupart du temps, les violences sexuelles commises sur un mineur au sein de la famille seront qualifiées soit de viol, soit d'agression sexuelle, en raison du contexte spécifique de l'inceste qui implique pratiquement toujours une forme de contrainte morale.

Votre commission a supprimé l'article 2 bis .

Article 3 (art. 706-50 du code de procédure pénale) - Désignation systématique d'un administrateur ad hoc

Les dispositions qui figuraient initialement dans l'article 3 de la proposition de loi et qui prévoyaient que le procureur de la République ou le juge d'instruction, lorsqu'il est saisi d'infractions sexuelles à caractère incestueux, désigne systématiquement un administrateur ad hoc , ont été déplacées par la commission des lois de l'Assemblée nationale sur proposition de son rapporteur dans un nouvel article 6 bis , inséré dans le titre III consacré à l'accompagnement des victimes.

En conséquence, l'article 3 de la proposition de loi a été supprimé.

Votre commission a maintenu cette suppression.

* 36 Voir jurisclasseur, code pénal, fascicule 20 : atteintes sexuelles sans violence sur mineur, Michèle-Laure Rassat, § 2.

* 37 Cass. Crim., 11 juin 1992, n° 91-85.847 : « Attendu que ces faits, commis par un père qui, pour parvenir à ses fins contre la volonté de son fils, a profité du manque de discernement de ce dernier pour abuser de son autorité, caractérisent le crime de viol par contrainte ou par surprise commis par un ascendant sur un mineur de quinze ans ». En l'espèce, les faits avaient été commis sur un mineur de douze ans.

* 38 Cass. Crim., 1 er mars 1995, n° 94-85.393 : « Attendu qu'en l'état de ces motifs, qui déduisent la surprise, malgré la répétition des faits, du seul âge des victimes, la chambre d'accusation n'a pas donné de base légale à sa décision ».

* 39 Cass. Crim., 21 octobre 1998, n° 98-83.843 : « Mais attendu qu'en se prononçant ainsi, en se fondant, pour caractériser la violence, la contrainte ou la surprise, sur l'âge de la victime et la qualité d'ascendant ou de personne ayant autorité des auteurs présumés, alors que ces éléments, s'ils permettent de retenir, contre ces derniers, le délit d'atteinte sexuelle aggravée sur mineur [...], ne constituent que des circonstances aggravantes du crime de viol ou du délit d'agression sexuelle, la chambre d'accusation [qui avait renvoyé le père et la belle-mère de la victime devant la cour d'assises] n'a pas donné de base légale à sa décision ».

* 40 Rapport de la mission confiée par le Premier ministre à M. Christian Estrosi, député des Alpes-Maritimes, juillet 2005, pages 26-27.

* 41 Cass. Crim., 28 novembre 2001, n° 01-82.606 ; Cass. Crim., 7 décembre 2005, n° 05-81.316 : justifie sa décision la cour d'appel qui, pour déclarer le prévenu coupable d'agressions sexuelles sur trois mineurs de quinze ans, âgés de un an et demi à cinq ans, énonce que l'état de contrainte ou de surprise résulte du très jeune âge des enfants qui les rendait incapables de réaliser la nature et la gravité des actes qui leur étaient imposés ; dans un arrêt daté du 3 septembre 2008, la chambre criminelle a validé une ordonnance de renvoi devant la cour d'assises sous l'accusation de viols aggravés et agressions sexuelles sur mineurs de quinze ans par personne ayant autorité concernant un oncle qui, en l'absence momentanée des parents et grands-parents des victimes, exerçait de fait une autorité sur ses jeunes neveu et nièce et leur avait infligé des gestes sexuels « à la faveur [...] de la contrainte morale au regard de la différence d'âge avec le mis en cause ».

* 42 Alors que les lois dites interprétatives étaient traditionnellement considérées comme d'application immédiate, cet arrêt de la Cour de cassation a considéré qu'il convenait de faire application aux lois interprétatives de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme relative aux lois de validation. La Cour de cassation a ainsi considéré que « le principe de prééminence du droit et la notion de procès équitable consacrés par l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales s'opposent, sauf pour d'impérieux motifs d'intérêt général, à l'ingérence du pouvoir législatif dans l'administration de la justice afin d'influer sur le dénouement judiciaire des litiges. [...] Cette règle générale s'applique quelle que soit la qualification formelle donnée à la loi et même lorsque l'Etat n'est pas partie au procès ».

* 43 Voir le compte-rendu de la réunion de la commission figurant en annexe.

* 44 Voir à ce sujet le rapport n° 145 (2007-2008) fait par notre ancien collègue Henri de Richemont au nom de la commission des lois sur la loi et déposé le 19 décembre 2007. http://senat.fr/rap/l07-145/l07-145.html

* 45 Cass. Crim., 4 février 2004, n° 03-82.845.

* 46 CA Douai, 11 mai 2000.

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