LES TRAVAUX DE LA COMMISSION

Au cours de sa séance du 1 er juillet 2009, la commission a procédé à l'examen du rapport de M. Michel Thiollière et du texte proposé par la commission pour le projet de loi n° 498 (2008-2009) relatif à la protection pénale de la propriété littéraire et artistique sur Internet.

M. Jacques Legendre , président , a tout d'abord souhaité que le Gouvernement présente le projet de loi, dans la mesure où la commission n'a pu procéder à l'audition des ministres concernés, dans les délais très courts qui lui étaient impartis pour l'examen de ce texte.

Rappelant que la loi n° 2009-669 du 12 juin 2009 favorisant la diffusion et la protection de la création sur Internet, destinée à protéger la création littéraire et artistique contre le pillage sur Internet, avait été votée au terme d'un débat approfondi, Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'Etat, garde des Sceaux, ministre de la justice et des libertés, a souligné que ce projet de loi n'était pas l'occasion de revenir sur le vote des assemblées et sur les dispositions validées par le Conseil constitutionnel, mais bien de compléter le texte adopté, en vue de le rendre pleinement applicable suite à la censure de certaines dispositions par le Conseil dans sa décision n° 2009-580 du 10 juin 2009.

Déclarant avec force que le téléchargement illégal n'est ni un droit ni une liberté publique, elle a indiqué que ce projet de loi réaffirmait la détermination du Gouvernement à protéger la création littéraire et artistique, qui est l'une des clés du dynamisme de la France. Il apporte de nouvelles garanties en matière de sanctions et consacre le principe selon lequel seul le juge peut suspendre temporairement le droit d'un abonné d'accéder au réseau Internet en cas de téléchargements illégaux.

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'Etat, garde des Sceaux, ministre de la justice et des libertés, a ensuite décrit les modalités d'application de la peine complémentaire de suspension temporaire de l'accès à Internet prévue par le projet de loi, en distinguant deux hypothèses :

- dans un premier cas, les auteurs de téléchargement illégal peuvent se rendre coupables du délit de contrefaçon. Il s'agit d'une atteinte intentionnelle à la propriété intellectuelle ou artistique, qui doit logiquement être sanctionnée pénalement. Dans l'état actuel du droit, ces délits sont réprimés jusqu'à trois ans d'emprisonnement et 300 000 euros d'amende. La nouvelle peine complémentaire prévue permettrait la suspension de l'accès à Internet pour une durée maximale d'un an. Plus adaptée aux cas de téléchargement intensif et plus conforme au principe de proportionnalité, cette peine pourrait être prononcée à la place de l'emprisonnement ;

- dans un second cas, par négligence caractérisée, un abonné à Internet laisse sa ligne être utilisée pour commettre des téléchargements illégaux. La réponse proposée par le Gouvernement est alors celle de la responsabilisation et non celle d'une répression systématique, inutile et inefficace. Il s'agit d'une réponse graduée dont la première étape est la constatation des téléchargements illégaux par la Haute autorité pour la diffusion des oeuvres et la protection des droits sur Internet (HADOPI), la deuxième étape l'avertissement de l'abonné par courriel puis par lettre recommandée avec accusé de réception et, enfin, la troisième étape la sanction pénale sous la forme d'une contravention de cinquième classe passible d'un mois de suspension d'Internet. Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'Etat, garde des Sceaux, ministre de la justice et des libertés, a insisté sur le fait qu'il n'y a ni présomption de culpabilité ni atteinte à la présomption d'innocence. En effet, la contravention ne sera établie que s'il y a négligence caractérisée de la part de l'abonné, le juge devant le prouver, sur la base de faits objectifs et tangibles manifestant sans ambiguïté un comportement fautif. Le seul fait que des téléchargements illégaux soient commis sur la ligne d'un abonné ne suffira pas à engager sa responsabilité, s'il n'a pas été averti comme la loi le prévoit.

Observant que le caractère dissuasif des sanctions repose avant tout sur leur efficacité, surtout dans une période de remise en cause de l'autorité, Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'Etat, garde des Sceaux, ministre de la justice et des libertés, a expliqué que trois objectifs avaient été poursuivis pour garantir l'effectivité du dispositif :

- le premier objectif est l'amélioration du travail d'investigation préalable aux poursuites. Dans cette perspective, les agents assermentés de l'HADOPI auront la possibilité de dresser des procès-verbaux constatant les délits de contrefaçon par Internet et la contravention de négligence caractérisée. Ils pourront également recueillir par procès-verbal les déclarations de l'internaute. Les pouvoirs qui leur sont confiés sont limités aux constatations et s'exercent sous le contrôle complet de l'autorité judiciaire. Leurs procès-verbaux ne seront que des éléments de preuve parmi d'autres et le Parquet, une fois saisi, sera libre d'apprécier les éléments fournis et de poursuivre ou d'approfondir l'enquête ;

- le deuxième objectif est la simplification du traitement judiciaire de la procédure. En raison du caractère massif des atteintes aux droits d'auteur sur Internet, une procédure judiciaire adaptée et simplifiée a été choisie, celle de l'ordonnance pénale, avec compétence du juge unique. Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'Etat, garde des Sceaux, ministre de la justice et des libertés, a considéré que cette procédure est respectueuse des droits de toutes les parties pour trois raisons ; d'abord, parce qu'elle n'est pas obligatoire, les parties pouvant y faire opposition pour que l'affaire soit jugée de manière classique devant le juge, ensuite, parce qu'elle est exclue si les ayants droit veulent se constituer partie civile, et, enfin, parce que, même si une ordonnance pénale est prononcée, les parties civiles peuvent se présenter devant le juge civil pour réclamer des dommages et intérêts. En outre, le recours à cette procédure ne sera pas systématique dans les cas les plus graves d'atteinte à la propriété, où, en raison de l'importance des téléchargements, les poursuites auront lieu directement devant le tribunal correctionnel. Une instruction en ce sens sera adressée aux procureurs généraux, qui en seront au demeurant informés lors d'une réunion au ministère le 20 juillet prochain ;

- le troisième objectif est la garantie de l'effectivité de la peine de suspension. Il faut que le fournisseur d'accès à Internet soit averti par l'HADOPI de l'existence d'une décision judiciaire. Il pourra ainsi suspendre l'abonnement pendant la durée déterminée par le juge. Pendant cette période, l'abonné n'aura pas le droit de se réabonner auprès d'un autre fournisseur, la violation de cette interdiction constituant un délit.

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'Etat, garde des Sceaux, ministre de la justice et des libertés, a finalement souligné que le projet de loi était à la fois équilibré, cohérent avec les finalités de la loi dite HADOPI, pragmatique, protecteur des libertés publiques et garant de la liberté des créateurs et des artistes.

Puis M. Michel Thiollière , rapporteur , a présenté ses conclusions sur ce nouveau projet de loi.

Il a tout d'abord indiqué que le premier objectif poursuivi par ses amendements était l'amélioration de la lisibilité et de l'intelligibilité du texte et tendaient :

- à établir un lien entre l'article 1 er relatif à la constatation des infractions et au recueil des observations par les membres et agents habilités et assermentés de la Haute autorité et la suite du projet de loi, c'est-à-dire avec les articles L. 335-7 et L. 335-7-1 du code de la propriété intellectuelle (CPI) qui introduisent la peine complémentaire de suspension de l'accès à Internet ;

- à unifier le régime des règles déontologiques applicables aux membres et à l'ensemble des personnels de la Haute autorité ;

- à compléter et clarifier le dispositif prévu par le dernier alinéa de l'article 3 du projet de loi pour lutter contre le piratage de masse, alinéa qui tend à donner un fondement législatif à la création, par décret, d'une sanction contraventionnelle visant le titulaire d'un abonnement à Internet qui ne serait pas contrefacteur, mais qui aurait néanmoins fait preuve d'une négligence caractérisée dans le contrôle de son accès à Internet ;

- de procéder à une renumérotation du code de la propriété intellectuelle pour mieux intégrer ces nouvelles dispositions ainsi que celles de la loi « Création sur Internet ».

M. Michel Thiollière , rapporteur , a ensuite souligné la nécessité de renforcer le caractère pédagogique et dissuasif du dispositif de lutte contre le piratage des oeuvres culturelles sur Internet. A cet effet, il a proposé :

- que les recommandations envoyées par la Haute autorité informent les abonnés des sanctions encourues en vertu du présent projet de loi ;

- que le montant de l'amende encourue par le fournisseur d'accès à Internet (FAI) qui ne mettrait pas en oeuvre la peine de suspension qui lui aurait été notifiée soit aligné sur le montant voté par le Parlement dans le texte « Création sur Internet » - mais qui ne figure pas dans la loi promulguée compte tenu de l'invalidation partielle par le Conseil constitutionnel -, soit 5 000 euros au maximum, au lieu des 3 750 euros prévus dans le présent projet de loi ;

- que le caractère pédagogique et dissuasif du nouveau dispositif n'emporte pas de conséquences fâcheuses pour les personnes en recherche d'emploi ou souhaitant se présenter à un concours administratif, et devant communiquer leur casier judiciaire ;

- et, enfin, de compléter les informations que les fournisseurs d'accès à Internet doivent faire figurer dans les contrats. Ainsi, en toute logique, devront figurer dans ces contrats, outre les « sanctions pénales et civiles encourues en cas de violation des droits d'auteur et des droits voisins », celles encourues en application de l'article L. 335-7-1 relatif à l'infraction commise sur le fondement de la négligence caractérisée de l'abonné.

Le rapporteur a ensuite souhaité mieux garantir le respect des libertés publiques et des principes constitutionnels.

Il a ainsi suggéré que soit adopté par la commission un article additionnel visant à garantir que la Haute autorité ne gardera pas les données à caractère personnel relatives à l'abonné plus longtemps que la procédure ne l'exige.

Le rapporteur a proposé, en outre, que soit précisé le délai au cours duquel le fournisseur d'accès à Internet est tenu de mettre en oeuvre la suspension, afin d'encadrer l'appréciation du juge et de respecter ainsi pleinement le principe constitutionnel de légalité des délits et des peines. Un délai de quinze jours semble suffisant aux FAI pour procéder à la suspension de l'accès à Internet.

M. Michel Thiollière , rapporteur, a ensuite souhaité que les ayants droit puissent faire valoir leurs droits auprès des autorités judiciaires.

Les représentants des ayants droit, à savoir les organismes de défense professionnelle et les sociétés de perception et de répartition des droits, ont en effet exprimé leurs préoccupations relatives au texte. Ils craignent notamment de ne plus pouvoir se constituer partie civile et solliciter des dommages et intérêts auprès du juge, à partir du moment où les autorités judiciaires, une fois saisies par la Haute autorité, pourraient recourir à la procédure accélérée de l'ordonnance pénale.

Il a rappelé que les ayants droit peuvent toujours saisir directement le juge pénal, le recours à la Haute autorité ne leur étant bien entendu pas imposé. Tel devrait être le cas néanmoins en cas de « petit piratage de masse »

Aussi, afin de répondre à leur souhait légitime, a-t-il proposé que le texte de la commission complète les finalités du traitement mis en oeuvre par la Haute autorité en application de l'article L. 331-37 du CPI, afin que celle-ci puisse informer les représentants des ayants droit des éventuelles saisines de l'autorité judiciaire.

Ainsi, les ayants droit pourront décider s'ils souhaitent, ou non, se constituer partie civile et, dans ce cas, se signaler auprès du Procureur de la République. Il serait ainsi fait obstacle à la procédure de l'ordonnance pénale, au bénéfice d'une procédure classique.

M. David Assouline a estimé que l'objet principal du débat consistait à apporter des solutions aux problèmes de financement de la création artistique dans un environnement bouleversé par la révolution numérique et que les divergences observées concernaient le meilleur moyen d'y parvenir. Il s'est déclaré convaincu, comme la ministre d'État, garde des Sceaux, ministre de la justice et des libertés, que l'efficacité d'une loi était conditionnée à son applicabilité, car, dans le cas contraire, son effet dissuasif s'en trouverait affaibli et conduirait à un sentiment d'impunité potentiellement destructeur. Or, il a jugé que le dispositif proposé par le Gouvernement était, en l'espèce, inapplicable. Il a fait valoir que les solutions les plus pertinentes ne relevaient pas nécessairement du domaine législatif et de la sanction pénale.

Il a ensuite soulevé trois difficultés principales susceptibles de « miner » l'efficacité du dispositif prévu par le projet de loi :

- s'agissant de la peine de suspension de l'accès à Internet, le contournement peut être absolu. En effet, au sein d'une même famille, chaque individu dispose d'une identité et d'une responsabilité propres qui le rendent susceptible de contracter un abonnement en son nom personnel et d'en faire bénéficier les autres membres de la famille, quand bien même certains d'entre eux feraient l'objet d'une restriction de leur accès à Internet. De plus, l'état de la technologie permet désormais de créer des adresses IP instantanées, voire de les masquer ;

- des problèmes de nature pratique font douter de la capacité du système judiciaire à instruire l'ensemble des affaires. Il a donc souhaité une évaluation des moyens nécessaires pour garantir la mise en oeuvre effective de la loi ;

- les agents assermentés de la Haute autorité ne disposeront pas de pouvoir d'enquête de police judiciaire et devront s'attacher à établir les faits dans le cadre d'un système dérogatoire. Or, l'autorité judiciaire ne peut instruire une affaire qu'à partir de faits étayés par une enquête préalable menée par la police judiciaire. Il a donc souligné l'éventualité que le dispositif prévu par le Gouvernement soit de nouveau censuré par le Conseil constitutionnel sur ce point.

M. Frédéric Mitterrand, ministre de la culture et de la communication, a reconnu la difficulté de réguler l'accès à un service auquel chaque membre d'une famille peut potentiellement souscrire un abonnement en son nom personnel. Toutefois, il a estimé que la sanction supportée par l'un des membres de la famille avait vocation à exercer un effet dissuasif sur les autres.

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État, garde des Sceaux, ministre de la justice et des libertés, a souligné la nécessité de garantir la pleine applicabilité de la loi. En ce sens, le dispositif prévu par le Gouvernement s'appuie sur des moyens juridiques, notamment des procédures simplifiées telles que l'ordonnance pénale et le recours au juge unique, ainsi que sur des moyens humains et budgétaires renforcés qui ont fait l'objet d'une évaluation préalable. Pour être en mesure d'instruire près de 50 000 affaires par an, la justice sera dotée de douze emplois à temps plein supplémentaires de magistrats du siège, de quatorze emplois à temps plein supplémentaires de magistrats du parquet et de quatre-vingt-trois fonctionnaires supplémentaires. Elle a fait observer en outre que les premières sanctions prononcées devraient conduire, à terme, à une diminution des infractions : il est donc possible que les moyens supplémentaires nécessaires au début de la mise en oeuvre de la loi ne le soient plus une fois que les premières sanctions infligées auront produit leur effet dissuasif.

Elle a fait valoir ensuite que les agents assermentés de la Haute autorité avaient vocation à constater les infractions par la voie de procès-verbaux qui ne constituent qu'un élément de preuve de l'infraction : ces procès-verbaux ne feront foi que jusqu'à preuve du contraire. Dans ces conditions, il n'y a pas lieu de reconnaître à ces agents une habilitation aux pouvoirs d'enquête de police judiciaire dans la mesure où ils n'ont pas vocation à prononcer de mesure répressive. Elle a rappelé, à cet égard, qu'un certain nombre d'autorités publiques indépendantes, comme la commission nationale de l'informatique et des libertés, disposaient déjà d'agents assermentés les assistant dans la prévention d'infractions.

M. Serge Lagauche a estimé que, si la commission devait se faire un point d'honneur à défendre les droits d'auteur et la création artistique, elle devait également tenir compte des attentes des internautes, auprès desquels un important travail d'explication doit être entrepris, et de la nécessité de développer l'accès à une offre culturelle légale sur la toile. Il a exprimé des doutes sur la capacité du Gouvernement, malgré l'implication personnelle du chef de l'État, à faire avancer un dossier qui présente des difficultés pratiques et juridiques multiples. Il a jugé que l'élaboration d'un dispositif équilibré et efficace était conditionnée par la poursuite d'une réflexion approfondie impliquant les représentants de la création artistique tout autant que les représentants des internautes afin de garantir son effet pédagogique. Il a souligné en outre la nécessité de rechercher des solutions au niveau international.

M. Frédéric Mitterrand, ministre de la culture et de la communication, a indiqué qu'il partageait l'analyse de M. Serge Lagauche sur la nécessité d'aboutir à un dispositif équilibré. Il a insisté sur le fait que le débat concernait un problème de société général qui requiert des solutions transversales et un effort d'adaptation de l'ensemble de la population et des professionnels de la création artistique.

Tout en reconnaissant que le dispositif dissuasif envisagé, assorti de sanctions, ne pouvait garantir à terme la disparition totale de toute infraction, il s'est déclaré persuadé qu'il déboucherait sur une réduction significative de la délinquance dans ce domaine. Il a souligné que le débat engagé depuis plus d'un an avait déjà permis de susciter une prise de conscience, au sein d'une partie de la société, de l'urgence de mettre un terme à des pratiques qui constituent un vol caractérisé.

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État, garde des Sceaux, ministre de la justice et des libertés, a souhaité connaître les propositions du groupe socialiste sur l'amélioration du dispositif proposé par le Gouvernement.

M. Serge Lagauche a fait valoir qu'une partie de la réponse résidait dans le renforcement nécessaire des moyens budgétaires et humains, considérablement menacés par les réductions massives d'embauches envisagées dans le cadre de la révision générale des politiques publiques.

M. David Assouline a indiqué que le recours à la loi ne constituait pas nécessairement la panacée et que, en parallèle à la mise en place d'Etats généraux de la création artistique à l'ère d'Internet, il convenait d'encourager l'émergence de plates-formes de téléchargement légal à un prix raisonnable. Il a également évoqué la possibilité d'obtenir des fournisseurs d'accès à Internet qu'ils versent une contribution à la création artistique.

M. Frédéric Mitterrand, ministre de la culture et de la communication, a indiqué qu'il avait engagé un processus de consultation des acteurs de la création artistique et des représentants des usagers d'Internet, afin de garantir une meilleure compréhension et donc une meilleure application de la loi. Il a également souligné la nécessité de poursuivre la réflexion sur les moyens de revaloriser la rémunération de la création culturelle.

Mme Marie-Christine Blandin a rappelé que le relatif consensus manifesté par le Sénat en première lecture de la loi « Création sur Internet » avait volé en éclat en nouvelle lecture du fait de l'introduction, par l'Assemblée nationale, d'une disposition relative à l'automaticité de la collaboration pluri-médias des journalistes dans un titre de presse et mettant en cause les fondements mêmes de leurs droits d'auteur et fragilisant l'intégrité et la diversité des contenus qu'ils produisent. Elle a estimé que cette disposition constituait un cavalier législatif qui l'avait personnellement menée à rejeter le texte en nouvelle lecture.

M. Jacques Legendre , président, a fait observer que le Conseil constitutionnel n'avait pas jugé que cette disposition constituait un cavalier législatif.

M. Michel Thiollière , rapporteur, a indiqué que, au fil de ses nombreuses auditions depuis un an, il avait observé une évolution dans les mentalités. Par ailleurs, il a rappelé que le débat concernait une filière industrielle qui employait près de 2,4 % de la population active et que, parmi cette tranche de la population, la situation d'un certain nombre de « petits » créateurs s'était trouvée considérablement précarisée par les excès du téléchargement illégal. Il a considéré qu'il était indispensable de rechercher une alternative crédible au piratage à travers le développement de l'offre légale et qu'il appartenait aux professionnels de la création et de la distribution de faire des propositions en ce sens.

M. Jacques Legendre , président, a rappelé que la commission avait pris soin d'insister tout autant sur la nécessité de payer un juste prix pour ce que l'on consomme dans le domaine culturel que sur l'obligation pour l'industrie culturelle d'améliorer l'offre légale disponible en ligne. Or, il a déploré que les efforts auxquels s'étaient engagés les distributeurs se fassent encore attendre. Il a rappelé que les auteurs et les distributeurs d'oeuvres culturelles devaient respecter la parole donnée en s'efforçant de faire émerger une offre légale à un niveau économiquement raisonnable.

M. Frédéric Mitterrand, ministre de la culture et de la communication, a fait observer que le développement de l'offre légale constituait, après le volet pédagogique et le volet dissuasif, le troisième chantier de la loi dite « HADOPI ». Il a relevé certaines avancées dans les négociations sur le renforcement de l'offre vidéo et l'adaptation des délais entre l'exploitation dans les salles de cinéma et la mise en ligne, même s'il a pu constater qu'un certain nombre d'auteurs avaient manifesté leur hostilité. Il s'est déclaré convaincu que les nombreux problèmes techniques seraient résolus à force de concertation et de conviction.

M. Jack Ralite a relevé que les auteurs eux-mêmes étaient divisés sur la meilleure manière d'enrayer le téléchargement illégal. Il a fait observer qu'un certain nombre d'entre eux prônaient une nouvelle approche de la création artistique qui prenne mieux en compte la production et l'exploitation sur Internet.

En outre, il a regretté qu'aucun des six amendements qu'il avait déposés sur le projet de loi dit « HADOPI » en première lecture, n'ait été retenu sur les sujets suivants :

- la reconnaissance des droits d'auteur comme des droits fondamentaux dans leur dimension morale. Si les droits d'auteur constituaient autrefois le pivot des relations entre le créateur, le public et l'exploitant, ce n'est plus le cas désormais dès lors qu'ils s'apparentent de plus en plus à des droits voisins rongés par les intérêts industriels. Les agressions contre les droits d'auteur sont, dès lors, d'une ampleur phénoménale ;

- l'accès égalitaire à Internet sur l'ensemble du territoire ;

- l'implication des artistes et des représentants de leurs publics dans les concertations menées dans le débat, marqué par une expertise « techniciste » qui néglige la partie vivante de la création culturelle ;

- la contribution des opérateurs de télécommunications à l'abondement d'un fonds de la création artistique, qui aurait permis de constituer une source supplémentaire de financement ;

- la garantie des droits d'auteur des journalistes qui continuent d'être une fiction.

En outre, le rapport de la commission sur la répartition des contentieux, présidée par M. Serge Guinchard, préconisait précisément de ne pas intensifier le recours aux procédures simplifiées telles que l'ordonnance pénale ; la commission des lois du Sénat s'est d'ailleurs prononcée contre l'ordonnance pénale à l'occasion de la discussion du projet de loi de simplification du droit. Le Conseil constitutionnel a, lui-même, jugé que les prérogatives de la justice dans la protection des libertés ne sauraient être déléguées à une autorité indépendante.

M. Frédéric Mitterrand, ministre de la culture et de la communication, a souligné le caractère brillant de l'exposé de M. Jack Ralite, tout en s'inscrivant en faux contre ses propos.

Craignant une éventuelle remise en cause de certaines dispositions du projet de loi par le Conseil constitutionnel, M. David Assouline s'est interrogé sur le recours à la procédure du juge unique en matière de procédure pénale, arguant que seul un officier de police judiciaire peut être habilité à procéder à la constatation de l'infraction et non un agent assermenté de la commission de protection des droits de la Haute autorité.

En réponse à l'intervention de M. Jack Ralite, M. Jacques Legendre , président , a indiqué qu'il apparaissait légitime que la commission de la culture, de l'éducation et de la communication soit saisie du projet de loi relatif à la protection pénale de la propriété littéraire et artistique sur Internet, qui s'inscrit à la suite de la non-validation par le Conseil constitutionnel de certaines dispositions de la loi favorisant la diffusion et le protection de la création sur Internet. Il a précisé, par ailleurs, qu'il appartenait à la commission des lois, si elle le jugeait utile, de demander à être saisie pour avis de ce projet de loi.

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'Etat, garde des Sceaux, ministre de la justice et des libertés , a observé que le projet de loi tentait de répondre à une exigence résultant d'une décision du Conseil constitutionnel.

S'agissant des modalités de mise en oeuvre de la sanction définie par le législateur, elle a approuvé les propos contestant un recours systématique aux ordonnances pénales en matière de délits de contrefaçon. Elle a fait remarquer que les dispositions figurant dans le projet de loi ne s'inscrivaient pas dans une réflexion plus large sur la simplification pénale, compte tenu du caractère très particulier du délit incriminé, l'objectif étant de répondre à un besoin.

Elle a précisé, également, que le procès-verbal ne constituait qu'un élément de preuve parmi d'autres. Il reviendra aux parquets de se prononcer au regard de l'ensemble du dossier transmis par la commission de protection des droits de la HADOPI sur la matérialité de l'infraction.

Enfin, Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'Etat, garde des Sceaux, ministre de la justice et des libertés, a souligné la nécessité de disposer d'un texte législatif à la fois efficace et protecteur des libertés.

La commission a ensuite procédé à l'examen des amendements sur le projet de loi.

A l'article premier (Constatation des infractions et recueil des observations par les membres et agents habilités et assermentés de la HADOPI), elle a adopté, après l'intervention de M. Jack Ralite , les amendements n° C1 et C2, de coordination, présentés par M. Michel Thiollière, rapporteur. Le groupe socialiste, le groupe CRC et le groupe RDSE ont indiqué qu'ils ne prendraient pas part au vote.

La commission a ensuite adopté les amendements n° C3 et C11, C4 et C15, C5 rect. et C6 rect., présentés par M. Michel Thiollière, rapporteur, portant articles additionnels après l'article premier et visant respectivement à :

- supprimer, par coordination, des dispositions du code de la propriété intellectuelle issues de la loi n° 2009-669 du 12 juin 2009 favorisant la diffusion et la protection de la création sur Internet ;

- garantir l'information des abonnés à Internet sur les sanctions encourues en application du projet de loi, dans le cadre des avertissements adressés par la HADOPI et des contrats passés avec les fournisseurs d'accès ;

- permettre à la HADOPI de conserver les données nécessaires pour informer les ayants droit des éventuelles saisines de l'autorité judiciaire et pour notifier aux fournisseurs d'accès à Internet les décisions de suspension prises par le juge ;

- préciser que le fournisseur d'accès à Internet devra informer la commission de protection des droits de la HADOPI du début de la suspension, afin que celle-ci puisse procéder à l'effacement des données à caractère personnel à la fin de la suspension.

La commission a adopté l'article 2 sans modification.

A l'article 3 (Création d'une nouvelle sanction : la suspension de l'accès au service Internet et l'interdiction de souscrire un nouvel abonnement), la commission a adopté les amendements n° C14, C7 rect. et C8, présentés par M. Michel Thiollière, rapporteur, tendant respectivement à :

- préciser dans quel délai le FAI doit mettre en oeuvre la suspension, afin d'encadrer l'appréciation du juge et de respecter ainsi pleinement le principe constitutionnel de légalité des délits et des peines. Ce délai a été fixé à quinze jours au plus à compter de la notification ;

- prévoir que le fournisseur d'accès à Internet qui ne mettrait pas en oeuvre la peine de suspension qui lui aurait été notifiée serait puni d'une amende maximale de 5 000 euros, au lieu des 3 750 euros prévus ;

- faire en sorte que la sanction de suspension de l'accès à Internet, lorsqu'elle est prononcée dans le cadre de l'infraction contraventionnelle de négligence caractérisée, ne figure pas au bulletin n° 3 du casier judiciaire.

Puis la commission a adopté un amendement n° C9 rect. portant article additionnel après l'article 3 , présenté par M. Michel Thiollière, rapporteur, afin de compléter le dispositif proposé au dernier alinéa de l'article 3 en vue de permettre la création, par décret, d'une infraction contraventionnelle punie d'une contravention de 5 e catégorie, pouvant être assortie de la suspension de l'accès à Internet pour une durée maximale d'un mois.

L'article ainsi adopté permet de distinguer clairement le délit de contrefaçon du droit d'auteur ou des droits voisins (article L. 335-7 du CPI) de l'infraction de négligence caractérisée visant le titulaire de l'abonnement à Internet (nouvel article L. 335-7-1 du même code). Il tend à :

- compléter la disposition concernée afin de la rendre plus intelligible, en précisant que le fondement juridique permettant de sanctionner l'infraction reposera sur la négligence caractérisée du titulaire de l'accès à un service de communication au public en ligne ou de communications électroniques préalablement averti par la commission de protection des droits de la Haute autorité, par voie de lettre remise contre signature ou de tout autre moyen propre à établir la preuve de la date d'envoi de la recommandation ;

- prévoir que la sanction encourue en cas de réabonnement par la personne condamnée dans le cadre contraventionnel sera moins sévère que lorsque le non-respect de cette interdiction sera réalisé dans le cadre d'une sanction pour délit de contrefaçon. Ainsi, dans ce premier cas, la sanction serait une peine d'amende de 3 750 euros, et non de peine de prison ou de 30 000 euros d'amende comme cela résulte de l'article 4 du projet de loi.

La commission a ensuite adopté un amendement n° C13 portant article additionnel après l'article 3 , présenté par M. Michel Thiollière, rapporteur, tendant à compléter le dernier alinéa de l'article L. 336-3 du code de la propriété intellectuelle afin qu'une disposition, devenue inutile à la suite de la décision du Conseil constitutionnel ne puisse pas être interprétée comme de nature à faire obstacle à la mise en oeuvre des dispositions du présent projet de loi.

A l'article 4 (Sanction de la violation de l'interdiction de souscrire un nouvel abonnement pendant la durée de suspension de celui-ci), la commission a adopté un amendement n° C10 tendant à limiter l'application de l'article 434-41 du code pénal, qui punit, de façon générale de deux ans d'emprisonnement et 30 000 euros d'amende, la violation par un condamné des interdictions et obligations résultant de sa condamnation, au seul cas d'une violation de l'interdiction de réabonnement résultant d'une suspension d'abonnement prononcée pour le délit de contrefaçon, et de l'exclure en cas de condamnation de suspension d'un mois prévue pour la contravention de négligence caractérisée. Dans ce cas, en effet, comme prévu par l'article L. 335-7-1 du CPI résultant de l'amendement n° 9 rect., une simple amende de 3 750 euros s'avère suffisante et davantage proportionnée.

Enfin, à l'initiative de M. Michel Thiollière, rapporteur, la commission a adopté un amendement n° C12 afin de procéder à une renumérotation du code de la propriété intellectuelle, rendue nécessaire par la promulgation de la loi n° 2009-609 du 12 juin 2009 favorisant la diffusion et la protection de la création sur Internet, à la suite de l'invalidation par le Conseil constitutionnel d'une partie du texte voté par le Parlement.

La commission a adopté l'article 5 sans modification.

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'Etat, garde des Sceaux, ministre de la justice et des libertés , a approuvé les amendements adoptés par la commission en partageant son souhait d'une meilleure lisibilité des lois, enjeu qu'elle a qualifié de majeur.

La commission a adopté l'ensemble du projet de loi ainsi rédigé.

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