SECTION 2 - Dispositions applicables devant le Conseil d'Etat et la Cour de cassation

Article 23-4 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 - Décision du Conseil d'Etat ou de la Cour de cassation sur le renvoi de la question de constitutionnalité au Conseil constitutionnel

Cet article vise, d'une part, à fixer au Conseil d'Etat ou à la Cour de cassation un délai de trois mois pour se prononcer sur le renvoi d'une question de constitutionnalité au Conseil constitutionnel, d'autre part, à déterminer les conditions auxquelles ce renvoi doit répondre.

Les deux premiers de ces critères sont identiques à ceux qui commandent, aux termes de l'article 23-2, la décision des juridictions au fond de saisir la cour suprême de l'ordre dont elle relève (la disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure ou constitue le fondement des poursuites ; elle n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances).

Le troisième critère est distinct. Alors que les juridictions au fond doivent vérifier que « la question n'est pas dépourvue de caractère sérieux », les cours suprêmes s'assureraient que « la question est nouvelle ou présente un caractère sérieux » (le projet de loi organique prévoyait une rédaction différente et jugée plus restrictive par les députés selon laquelle la disposition contestée, elle-même, soulevait une question nouvelle ou présentait une difficulté sérieuse).

Devant les juridictions du fond, il s'agit seulement de s'assurer que la question n'est pas manifestement infondée. La condition requise devant les cours suprêmes apparaît donc plus exigeante. Elle est toutefois tempérée par la condition alternative tenant à la nouveauté de la question (une question nouvelle n'est pas nécessairement sérieuse).

Comme l'a indiqué le professeur Bertrand Mathieu à votre commission, la référence au caractère nouveau de la question comme condition alternative à son caractère sérieux évite que les juges judiciaires ou administratifs tranchent eux-mêmes des questions non résolues par le Conseil constitutionnel sous prétexte que la difficulté n'est pas assez sérieuse pour qu'il ne puisse la résoudre lui-même en écartant la question.

La référence à la question nouvelle apparaît en pratique très proche de la notion de changement de circonstances mentionnée dans le critère précédent. Selon M. Marc Guillaume, secrétaire général du Conseil constitutionnel, l'adossement à la Constitution de la Charte de l'environnement peut faire naître une question nouvelle et il est souhaitable que le Conseil fixe l'interprétation de cette Charte dès l'origine, même si la difficulté n'est pas sérieuse.

Ces critères d'appréciation s'inspirent, pour partie, des dispositions retenues pour les avis contentieux introduits en 1987 pour le Conseil d'Etat (art. L. 113-1 du code de justice administrative) et par la loi du 15 mai 1991 pour la Cour de cassation -deux dispositifs très proches faisant référence aux mêmes éléments d'appréciation de la question posée : « questions de droit nouvelle, présentant une difficulté sérieuse et se posant dans de nombreux litiges » 50 ( * ) .

A l'instar de ce qui est proposé par votre commission pour les décisions des juges au fond concernant la transmission de la question de constitutionnalité aux cours suprêmes, la décision des cours suprêmes sur le renvoi de la question de constitutionnalité au Conseil constitutionnel devrait être motivée afin d'éclairer le justiciable sur les éléments d'appréciation retenus. La commission a adopté un amendement de son rapporteur en ce sens. Cette motivation n'appelle aucune autre appréciation de fond sur la constitutionnalité : elle porte sur les conditions de recevabilité qui, il est vrai, laissent une part d'appréciation au juge.

Article 23-5 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 - Question de constitutionnalité soutenue devant le Conseil d'Etat et la Cour de cassation

Cet article prévoit qu'une question de constitutionnalité peut être soulevée directement à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat ou la Cour de cassation.

Cette disposition se justifie à deux titres : d'abord, la question de constitutionnalité peut être soulevée en cassation (qu'elle ait ou non été invoquée lors des instances précédentes) ; ensuite, le Conseil d'Etat peut être juge en premier et dernier ressort ainsi que juge d'appel.

La procédure d'examen de la question de constitutionnalité devant les cours suprêmes apparaît très proche de celle retenue par l'article 23-1 devant les juridictions relevant du Conseil d'Etat et de la Cour de cassation :

- les conditions dans lesquelles la question de constitutionnalité serait soulevée sont identiques : le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution devrait, à peine d'irrecevabilité, être présenté dans un écrit distinct et motivé ; il ne pourrait être relevé d'office ; devant la Cour de cassation, lorsque le ministère public n'est pas partie à l'instance, l'affaire lui serait communiquée dès que le moyen est soulevé afin qu'il puisse faire connaître son avis ;

- néanmoins, les critères de recevabilité sont ceux prévus par l'article 23-4 afin que les cours suprêmes ne se prononcent pas sur des bases différentes selon les conditions dans lesquelles elles sont saisies (la disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure, ou constitue le fondement des poursuites ; elle n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement de circonstances ; la question doit être nouvelle ou présenter une difficulté sérieuse) ;

- lorsque le Conseil constitutionnel a été saisi, le Conseil d'Etat ou la Cour de cassation doivent surseoir à statuer jusqu'à sa décision, sous deux réserves, la première obligatoire, lorsque l'intéressé est privé de liberté à raison de l'instance et que la loi impose à la Cour de cassation de statuer dans un délai déterminé, la seconde, facultative, lorsque l'une ou l'autre des deux cours suprêmes doivent se prononcer en urgence.

L'Assemblée a complété à l'initiative de la commission des lois ce dispositif :

- d'une part, en prévoyant un délai de trois mois -comme tel est le cas, selon l'article 23-4 lorsque le Conseil d'Etat ou la Cour de cassation se prononce sur le renvoi au Conseil constitutionnel d'une question transmise par une autre juridiction ;

- d'autre part, en posant pour principe la priorité d'examen de la question de constitutionnalité à l'instar du principe retenu devant les juridictions relevant du Conseil d'Etat ou de la Cour de cassation.

Article 23-6 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 - Procédure devant la Cour de cassation

Cet article fixe la procédure applicable devant la Cour de cassation pour l'examen de la question de constitutionnalité.

En premier lieu il prévoit que le premier président de cette cour est destinataire :

- de la décision de transmission, par la juridiction devant laquelle le moyen a été invoqué, de la question de constitutionnalité accompagnée des mémoires ou conclusions des parties ;

- de la saisine directe de la part d'une partie à l'instance lorsque, la question de constitutionnalité est soulevée pour la première fois en cassation ;

- de l'écrit accompagnant la déclaration d'appel en cas d'appel d'un arrêt rendu par la cour d'assises en premier ressort.

Le premier président aviserait immédiatement le procureur général (de la même manière que lorsque la question de constitutionnalité est soulevée devant une juridiction relevant de la Cour de cassation, l'affaire est communiquée au ministère public s'il n'est pas déjà partie à l'instance afin qu'il puisse faire connaître son avis).

L'arrêt de la Cour serait rendu par une formation présidée par le premier président et composée des présidents des chambres et de deux conseillers appartenant à chaque spécialité concernée (soit 9 magistrats). Par dérogation, le président pourrait, si la solution lui paraît s'imposer, renvoyer la question devant une formation qu'il présiderait, composée du président de la chambre spécialement concernée et d'un conseiller de cette chambre. Ce dispositif pourrait se révéler utile lorsque la Cour de cassation est saisie directement, dans le cadre d'un pourvoi en cassation, d'une question de constitutionnalité présentant un caractère manifestement dilatoire. La formation plénière devrait être le plus souvent retenue lorsque la Cour de cassation est saisie par les juridictions placées sous son autorité dans la mesure où la question de constitutionnalité a passé l'épreuve d'un premier filtre.

Par ailleurs, le dernier alinéa de l'article 23-6 prévoit, d'une part, que le premier président peut se faire suppléer par un délégué qu'il désigne parmi les présidents de chambre de la Cour de cassation et, d'autre part, que les présidents des chambres peuvent être suppléés par des délégués désignés par les conseillers de la chambre. Le parquet général de la Cour de cassation devrait naturellement être en mesure de présenter ses observations devant chacune des formations ad hoc concernées.

Le projet de loi organique ne comporte pas d'indications sur les formations du Conseil d'Etat chargées d'exercer le filtre. Selon les indications données à votre rapporteur par M. Jean-Marc Sauvé, vice-président du Conseil d'Etat, le droit commun prévu par l'article L. 122-1 du code de justice administrative devrait s'appliquer : la question de constitutionnalité pourrait ainsi être soumise, en fonction de sa difficulté, soit à une sous-section jugeant seule (soit trois juges), aux sous-sections réunies (soit neuf juges) ou encore à la section ou à l'assemblée du contentieux (soit respectivement 15 ou 17 juges).

Article 23-7 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 - Procédure relative à la transmission de la décision du Conseil d'Etat ou de la Cour de cassation au Conseil constitutionnel

Cet article règle les modalités de transmission de la décision du Conseil d'Etat ou de la Cour de cassation relative à la question de constitutionnalité au Conseil constitutionnel.

Il distingue deux hypothèses :

- dans le cas où l'une ou l'autre des deux cours suprêmes décide de transmettre la question de constitutionnalité au Conseil constitutionnel, cette décision est transmise au Conseil constitutionnel avec les mémoires ou les conclusions des parties ;

- dans le cas où le Conseil d'Etat ou la Cour de cassation décide de ne pas transmettre, la décision de non transmission doit aussi être transmise au Conseil constitutionnel.

Ainsi, quelle que soit la position adoptée par la juridiction, le Conseil constitutionnel en serait informé .

Afin de donner son efficacité au dispositif, les députés, à l'initiative de leur commission des lois, ont souhaité, selon la logique déjà retenue pour les juridictions relevant du Conseil d'Etat ou de la Cour de cassation, qu'à l'issue du délai de trois mois, si les cours suprêmes ne se sont pas prononcées, la question soit transmise au Conseil constitutionnel . Ils ont estimé que les termes de l'article 61-1 de la Constitution selon lesquels ces juridictions « se prononcent dans un délai déterminé » imposaient une sanction du non respect du délai.

Par ailleurs, aux termes de l'article 23-7, la décision du Conseil d'Etat ou de la Cour de cassation -qu'elle soit une décision de transmission ou de non transmission de la question de constitutionnalité au Conseil constitutionnel- est, d'une part, communiquée à la juridiction qui a transmis la question de constitutionnalité et, d'autre part, notifiée aux parties.

Cette information n'est pas sans incidence sur une éventuelle prolongation du sursis à statuer. Aussi, l'Assemblée nationale a-t-elle utilement fixé un délai de huit jours pour l'accomplissement de ces formalités.

* 50 Dans ces deux procédures, l'avis contentieux ne lie pas, en principe, la juridiction qui a saisi la cour suprême mais il est généralement suivi par le juge du fond.

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