EXAMEN DES ARTICLES

Article premier (art. 23-1 à 23-11 nouveaux de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958) - Mise en oeuvre de la question prioritaire de constitutionnalité

Le présent article tend à insérer dans l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique relative au Conseil constitutionnel un chapitre II bis qui fait suite au chapitre II consacré aux modalités du contrôle a priori des lois.

L'intitulé de ce nouveau chapitre -initialement « De la question de constitutionnalité »- a été complété afin de prendre en compte la nouvelle formulation retenue par l'Assemblée nationale pour désigner la procédure de contrôle a posteriori -« Question prioritaire de constitutionnalité ».

CHAPITRE II BIS - DE LA QUESTION PRIORITAIRE DE CONSTITUTIONNALITÉ

SECTION 1 - Dispositions applicables d evant les juridictions relevant du Conseil d'Etat ou de la Cour de cassation

Article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 - Conditions dans lesquelles la question de constitutionnalité peut être soulevée devant une juridiction

Cet article précise les conditions selon lesquelles le moyen tiré de la contrariété d'une disposition législative avec les droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé devant une juridiction. Il détermine à ce titre les juridictions concernées, les personnes auxquelles revient cette prérogative, la nature des dispositions susceptibles d'être contestées, les moyens pouvant être invoqués et, enfin, les conditions procédurales de saisine de la juridiction.

1. Les juridictions concernées

Conformément à la lettre de l'article 61-1 qui prévoit que la question peut être soulevée « à l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction », le champ ouvert par l'article 23-1 est très étendu.

En premier lieu, la question préalable de constitutionnalité pourrait être soulevée devant les juridictions relevant du Conseil d'Etat ou de la Cour de cassation y compris les juridictions spécialisées, par exemple s'agissant de l'ordre administratif, les juridictions financières.

En second lieu, la question pourrait être soulevée en première instance mais aussi en appel -même dans l'hypothèse où elle n'aurait pas été posée devant le juge du premier degré.

Ainsi, si la question de constitutionnalité ne saurait être invoquée devant une autorité administrative indépendante qui, bien qu'elle puisse disposer d'un pouvoir de sanction et comprendre des magistrats dans sa formation (par exemple la commission de régulation de l'énergie), n'est pas une juridiction en droit interne 32 ( * ) , elle pourrait l'être à l'occasion d'un recours formé à l'encontre de la décision administrative devant le juge judiciaire ou devant le juge administratif 33 ( * ) .

Deux séries d'exception doivent cependant être relevées.

Les juridictions ne relevant ni du Conseil d'Etat, ni de la Cour de cassation

En premier lieu, seraient exclues trois juridictions qui ne relèvent ni du Conseil d'Etat, ni de la Cour de cassation :

- le tribunal des conflits appelé à se prononcer sur la répartition des compétences entre les deux ordres de juridiction, administratif et judiciaire, ce qui n'engage pas, en principe 34 ( * ) , des questions relevant des droits et libertés garantis par la Constitution ;

- la Haute Cour -en revanche la question de constitutionnalité pourrait être soulevée devant la Cour de justice de la République dont les arrêts sont susceptibles de recours en cassation (article 33 de la loi organique du 3 novembre 1993 relative à la Cour de justice de la République) ;

- la cour supérieure d'arbitrage instituée par la loi du 11 février 1950 relative aux conventions collectives et aux procédures de règlement des conflits collectifs du travail dont l'activité apparaît réduite.

Une interrogation subsiste quant à la possibilité de soulever la question prioritaire de constitutionnalité devant le Conseil constitutionnel statuant au titre des compétences que lui confère la Constitution comme juge des élections législatives , des incompatibilités et inéligibilités survenues au cours d'un mandat ou de certaines opérations préalables à l'organisation des référendums.

Il reviendra au Conseil constitutionnel de décider s'il transpose le contrôle par voie d'exception à ce type d'instance. Comme l'a indiqué M. Marc Guillaume, secrétaire général du Conseil constitutionnel, à votre rapporteur, il serait sans doute logique que le Conseil s'engage dans cette voie.

La cour d'assises

Aux termes du dernier alinéa de l'article 23-1, le moyen tiré de l'inconstitutionnalité de la loi ne saurait être soulevé devant la cour d'assises. Les projets de révision constitutionnelle de 1990 et 1993 excluaient déjà que la question préjudicielle puisse être invoquée devant cette juridiction. Cette exception a été justifiée par la composition particulière de cette juridiction -la présence des jurés- même si la cour d'assises est composée exclusivement des magistrats professionnels et statue sans jurés, en première instance, dans les affaires de terrorisme.

La question pourrait cependant, en tout état de cause, être soulevée en appel. Dans ce cas, elle serait soulevée dans un écrit accompagnant la déclaration d'appel et transmis à la Cour de cassation . Ainsi la question de constitutionnalité pourrait être examinée avant l'ouverture des débats devant la cour d'assises en appel.

Afin d'éviter cependant que toute la procédure ne soit remise en cause au moment de l'examen de l'affaire par la juridiction au fond, l'article 23-1 permet également que la question prioritaire de constitutionnalité soit soulevée au cours de l'instruction, la juridiction d'instruction du second degré -à savoir la chambre de l'instruction- en étant alors saisie 35 ( * ) .

2. Le titulaire de l'initiative

Comme le prévoit l'article 23-1 (dernière phrase du premier alinéa), le moyen tiré de l'inconstitutionnalité d'une disposition législative ne pourrait pas être relevé d'office. Ce droit appartiendrait aux parties à l'instance et non au juge.

Le choix du législateur organique semble déterminé par les termes de l'article 61-1 « lorsque, à l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit ». Comme l'a souligné le professeur Michel Verpeaux 36 ( * ) , il n'existe pas d' « ordre public constitutionnel » : la question de constitutionnalité a d'abord pour vocation de protéger les droits et libertés revendiqués par l'une des parties au procès. La notion de partie est cependant plus étendue que celle de justiciable. Elle inclut en particulier le ministère public considéré comme partie principale auprès des juridictions répressives, et comme partie jointe dans certains procès civils qu'il n'a pas fait naître et où il intervient par voie de réquisition pour donner à la juridiction un simple avis sur la solution de l'affaire.

Selon le deuxième alinéa de l'article 23-1, lorsque le ministère public n'est pas partie à l'instance, l'affaire devrait lui être communiquée dès que le moyen est soulevé afin qu'il puisse faire connaître son avis.

3. Le domaine du contrôle

Reprenant les termes de l'article 61-1 de la Constitution, l'article 23-1 du projet de loi organique prévoit que toute « disposition législative » peut faire l'objet de la question de constitutionnalité. Lors de l'examen de la révision constitutionnelle, le Parlement avait supprimé la limite initialement retenue par le Gouvernement qui limitait le champ du contrôle aux lois promulguées depuis 1958. Comme le soulignait alors le président Jean-Jacques Hyest dans le rapport sur le projet de loi constitutionnelle, le contrôle peut ainsi porter sur tous les « actes de valeur législative » intervenus par le passé « y compris les décrets-lois sous la IIIe République, les ordonnances adoptées pendant la libération ou dans la période transitoire de 1958-1959 ». La question de constitutionnalité pourrait ainsi être soulevée à l'encontre des dispositions ayant force législative quelle qu'en soit la forme.

Des interrogations demeurent s'agissant de trois catégories de dispositions :

- les lois organiques : elles font, sous la V e République, l'objet d'un contrôle systématique a priori . Tel n'a pas été le cas néanmoins des dispositions prises sur le fondement de l'article 92 de la Constitution entre le 4 octobre 1958 et le 4 février 1959 qui entrent ainsi pleinement dans le champ de la question de constitutionnalité ;

- les lois référendaires : selon la jurisprudence, le contrôle de constitutionnalité a priori tel qu'il est prévu par l'article 61 de la Constitution vise « uniquement les lois votées par le Parlement et non point celles qui, adoptées par le Peuple français à la suite d'un référendum contrôlé par le Conseil constitutionnel au titre de l'article 60, constituent l'expression directe de la souveraineté nationale » 37 ( * ) .

Selon M. Bruno Genevoix, « il y aurait quelque paradoxe à ouvrir une possibilité de contrôle par la voie de l'exception [des lois adoptées par la voie de référendum]. Rien ne paraît justifier que le contrôle a posteriori puisse être plus étendu que le contrôle a priori » 38 ( * ) Les lois référendaires devraient sans doute être écartées du champ de la question de constitutionnalité 39 ( * ) ;

- les lois du pays de Nouvelle-Calédonie : elles ont force législative lorsqu'elles interviennent dans l'un des domaines énumérés par l'article 99 de la loi organique du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie.

Aux termes de l'article 77 de la Constitution, les conditions dans lesquelles certaines catégories d'actes de l'assemblée délibérante de Nouvelle-Calédonie peuvent être soumises avant publication au contrôle du Conseil constitutionnel doivent figurer dans la loi organique portant statut de la Nouvelle-Calédonie. Cette disposition constitutionnelle qui vise une saisine a priori du Conseil constitutionnel n'exclut nullement la mise en oeuvre d'un contrôle a posteriori sur les lois du pays.

Il est toutefois apparu souhaitable, comme l'a prévu l'Assemblée nationale à l'article 2 bis du projet de loi organique d'adapter la loi organique relative à la Nouvelle-Calédonie pour tenir compte de cette nouvelle forme de contrôle et prendre en compte les conditions d'examen de la question de constitutionnalité devant le Conseil constitutionnel lorsqu'elle sera invoquée à l'encontre des lois du pays de la Nouvelle-Calédonie.

4. Les normes constitutionnelles susceptibles d'être invoquées

Le moyen doit se fonder sur une atteinte aux « droits et libertés garantis par la Constitution ».

Les droits et libertés garantis par la Constitution sont ceux qui figurent dans la Constitution -par exemple la parité (article premier), l'expression pluraliste des opinions politiques en matière politique (article 4), l'autorité judiciaire, gardienne de la liberté individuelle (article 66)- et les textes cités dans son préambule : la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, le Préambule de la Constitution de 1946 -qui renvoie aux principes fondamentaux reconnus par les lois de la République 40 ( * ) -ainsi que la Charte de l'environnement.

Le champ des dispositions invocables doit être précisé sur trois points :

- les objectifs de valeur constitutionnelle . Dégagés par la jurisprudence du Conseil constitutionnel pour éclairer le Parlement -par exemple, la sauvegarde de l'ordre public, la préservation du pluralisme des courants d'expression socio-culturels, l'accessibilité et l'intelligibilité de la loi, la bonne administration de la justice- ces objectifs ne constituent pas à proprement parler des droits subjectifs d'application directe et sont en tant que tels dépourvus de portée normative. Ils s'adressent au législateur pour lequel ils constituent des obligations de moyens et non de résultat. Néanmoins, ces notions présentent un caractère évolutif : un objectif peut se transformer en un droit 41 ( * ) , un principe de valeur constitutionnelle. Il reviendra au Conseil constitutionnel lui-même de décider de cette transformation ;

- les règles constitutionnelles de compétence normative ou à caractère procédural ; elles ne relèvent pas des droits et libertés. Leur exclusion du champ des normes invocables devrait cependant être nuancée. Ainsi, les règles de compétence, telles qu'elles sont fixées en particulier par l'article 34 de la Constitution, peuvent, viser certains droits : principe de « libre administration » des collectivités territoriales, reconnaissance depuis la révision du 22 juillet 2008, de la liberté, du pluralisme et de l'indépendance des médias au deuxième alinéa de l'article 34 42 ( * ) . Parmi les règles procédurales, seules pourraient être invoquées des garanties qui conditionnent directement l'exercice du droit ou de la liberté ;

- la carence du législateur à mettre en oeuvre une exigence constitutionnelle . Devrait pouvoir être invoqué le manquement à l'obligation faite à la loi d'assurer les garanties légales des exigences constitutionnelles dès lors que sont en cause les libertés et droits fondamentaux 43 ( * ) .

Il appartiendra au juge constitutionnel de préciser le champ de normes de référence, en harmonie avec les principes mis en oeuvre dans le cadre du contrôle a priori.

5. Les conditions de forme

Le moyen soulevé par la partie à l'instance devrait, « à peine d'irrecevabilité », être présenté dans un écrit distinct et motivé.

La question prioritaire de constitutionnalité ferait ainsi l'objet d'une argumentation spécifique. Il s'agit d'abord d'éviter la multiplication de recours non motivés et purement dilatoires mais aussi d'inviter le justiciable à avancer ce moyen en toute connaissance de cause, en particulier au regard des retards qu'il est susceptible de provoquer dans la procédure contentieuse.

Sur le plan matériel, l'exigence d'un écrit « distinct » permettra de faciliter son examen par les juridictions au fond et, en cas de transmission, par les cours suprêmes.

Article 23-2 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 - Conditions de transmission de la question de constitutionnalité au Conseil et à la Cour de cassation

Cet article détermine les conditions dans lesquelles la juridiction -de première instance ou d'appel- transmet à la cour suprême dont elle relève la question de constitutionnalité. Il fixe ainsi les critères justifiant le renvoi au Conseil d'Etat ou à la Cour de cassation ; il pose aussi pour principe la priorité de la transmission de la question de constitutionnalité en cas de contestation fondée d'une part sur les droits et libertés garantis par la Constitution, d'autre part, sur les engagements internationaux de la France ; il détermine aussi un délai pour la transmission de la question et précise les modalités de ce renvoi.

1. Les critères justifiant la transmission de la question de constitutionnalité au Conseil d'Etat ou à la Cour de cassation (cf article 23-1)

L'article 23-2 subordonne le renvoi à la cour suprême de chaque ordre juridictionnel à trois critères cumulatifs . Lorsque ces trois conditions sont réunies, la juridiction est tenue de transmettre la question. Cependant, la formulation retenue pour chacun des critères laisse au juge son pouvoir d'appréciation.

Premier critère : la disposition contestée doit être applicable au litige ou à la procédure, ou constituer le fondement des poursuites . Cette rédaction résulte d'un amendement adopté par les députés à l'initiative de leur commission des lois. Plus restrictif, le texte du gouvernement exigeait que la disposition contestée « commande l'issue du litige ou la validité de la procédure, ou constitue le fondement des poursuites ». Or les termes de l'article 61-1 qui permettent que la question de constitutionnalité soit soulevée « à l'occasion d'un litige » appelle en effet plus de souplesse. La modification introduite par l'Assemblée nationale apparaît plus favorable au développement de la question de constitutionnalité. Elle prend un relief particulier en matière pénale puisque tout élément de procédure (même s'il ne détermine pas la validité de cette procédure) peut être contesté dès lors qu'il est entâché d'un vice d'inconstitutionnalité.

Deuxième critère : la disposition contestée ne doit pas avoir été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement de circonstances . Cette condition implique que le juge ne prenne en compte, d'une part, le dispositif que s'il est bien la résultante des motifs développés dans la décision 44 ( * ) et, d'autre part, les motifs à la condition qu'ils soient le soutien de ce dispositif. Sous réserve que ces motifs expliquent le sens de la décision, le juge sera ainsi tenu par l'interprétation donnée par le Conseil constitutionnel. Le dispositif vise ainsi à rappeler l'autorité de la chose jugée attachée aux décisions du Conseil constitutionnel.

La condition, justifiée par le souci d'éviter la répétition d'un contrôle concernant des questions sur lesquelles le Conseil constitutionnel s'est déjà prononcé souffre cependant d'une exception en cas de « changement de circonstances ».

La référence au changement de circonstances figure d'ores et déjà dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Ainsi, dans sa décision n° 2008-573 DC du 8 janvier 2009 -portant sur la loi relative à la commission prévue à l'article 25 de la Constitution et à l'élection des députés, le Conseil constitutionnel a estimé que le minimum de deux députés par département, précédemment jugé conforme à la Constitution n'était « eu égard à l'importante modification de ces circonstances de droit et de fait (...) plus justifié par un impératif d'intérêt général susceptible d'atténuer la portée de la règle selon laquelle l'Assemblée nationale doit être élue sur des bases essentiellement démographiques » 45 ( * ) .

L'interprétation qu'il convient de donner au changement de circonstances de droit ne soulève pas de difficultés en soi. Un tel changement se produit en cas de modification de l'ordre constitutionnel. L'adoption de nouveaux droits ou principes (par exemple la charte de l'environnement, l'extension du principe de parité aux responsabilités professionnelles et sociales depuis la révision du 23 juillet 2008) peut conduire à discuter de nouveau de la constitutionnalité de certaines dispositions législatives précédemment déclarées conformes.

La prise en compte de circonstances de fait est, à l'évidence, plus délicate. Deux risques doivent être conjurés : l'instabilité juridique, l'appréciation au fond de la question de constitutionnalité par le juge alors que cette compétence appartient au Conseil constitutionnel.

Le recours au changement de circonstances ne devrait, en conséquence, intervenir que de manière tout à fait exceptionnelle. En particulier, un changement de circonstances de fait ne semble admissible que plusieurs décennies après l'adoption de la disposition législative litigieuse.

En dehors du changement de circonstances, la disposition déclarée conforme ne devrait plus pouvoir être contestée quels que soient les moyens invoqués.

La question ne devrait pas être dépourvue de caractère sérieux

Cette condition vise à écarter les questions fantaisistes dont l'objet n'a souvent qu'un caractère dilatoire.

2. Le délai dans lequel le juge doit transmettre la question de constitutionnalité

Dans sa version initiale, le projet de loi organique ne fixait aucun délai au juge pour transmettre à la juridiction suprême de son ordre la question de constitutionnalité.

Les députés ont exprimé la crainte que le juge attende la mise en état de l'affaire pour se prononcer sur le moyen tiré de l'inconstitutionnalité d'une disposition législative le privant de son principal intérêt. Ils ont ainsi prévu que le juge transmette « sans délai et dans la limite de deux mois la question de constitutionnalité au Conseil d'Etat ou à la Cour de cassation » dès lors que les conditions de recevabilité se trouvent réunies.

Afin de donner tout son effet à ce délai, ils ont complété ce dispositif en donnant à toute partie à l'instance, si la juridiction ne s'est pas prononcée à l'issue du délai de deux mois, la faculté de saisir directement les juridictions suprêmes.

Afin d'éviter que cette possibilité ne soit détournée à des fins dilatoires, cette faculté serait ouverte dans la limite d'un délai d'un mois à compter de l'échéance du délai de deux mois imparti à la juridiction pour se prononcer sur la transmission.

Votre commission partage le souhait exprimé par l'Assemblée nationale de mettre en place au bénéfice du justiciable une procédure simple et rapide de transmission de la question de constitutionnalité, lorsque celle-ci est fondée, et d'éviter que ce contentieux ne soit retenu, pour une raison ou une autre par le juge du fond.

La détermination d'un délai peut cependant présenter certains inconvénients alors que ses avantages doivent être tempérés.

En premier lieu, le délai de deux mois imparti aux juridictions pour statuer pourrait induire certains effets pervers. Le juge du fond ne sera-t-il pas tenté de laisser courir le délai afin de laisser à la cour suprême le soin de statuer ? Dans une telle hypothèse, le premier filtre ne jouerait pas ; le Conseil d'Etat et la Cour de cassation pourraient se trouver engorgés et les procédures s'allongeraient à rebours de l'objectif poursuivi.

Ensuite, l'intérêt du délai pour le justiciable doit être tempéré. En tout état de cause, les parties par la voie de l'appel ou de la cassation pourraient de nouveau soulever la question de constitutionnalité.

Ainsi, tout en maintenant l'exigence pour les juridictions de se prononcer « sans délai », votre commission a adopté un amendement de son rapporteur supprimant le délai de deux mois et, en conséquence, la sanction de ce délai consistant dans la faculté donnée aux parties à l'instance de saisir directement les cours suprêmes lorsque le juge ne s'est pas prononcé dans le délai.

Cet amendement prévoit aussi l'obligation de motivation de transmission ou non transmission de la question de constitutionnalité aux cours suprêmes afin que le justiciable soit éclairé sur les éléments d'appréciation retenus.

Cette motivation n'emporte aucune décision de fond sur la constitutionnalité : elle porte sur les seules conditions de recevabilité de la question soulevée.

3. Formes de la transmission et recours

Selon l'avant-dernier alinéa de l'article 23-2, la décision de transmission de la question doit être adressée au Conseil d'Etat ou à la Cour de cassation dans les huit jours de son prononcé assortie des mémoires ou des conclusions des parties.

Par ailleurs, le refus de transmission ne peut faire l'objet d'aucun recours -dans le cas contraire, l'exception d'inconstitutionnalité risquerait de se transformer en procédure dilatoire.

Le projet de loi organique prévoit cependant qu'elle peut être contestée à l'occasion d'un recours contre la décision réglant tout ou partie du litige. La question de constitutionnalité pourrait ainsi être posée de nouveau en appel et en cassation.

4. Priorité de la question de constitutionnalité sur la question de la conventionnalité

Le projet de loi organique déposé par le Gouvernement prévoyait en cas de contestation, sur la base de moyens « analogues », de dispositions contraires à la Constitution et aux engagements internationaux, l'obligation pour la juridiction de se prononcer en priorité sur la question de constitutionnalité « sous réserve, le cas échéant, des exigences résultant de l'article 88-1 de la Constitution ».

La priorité de l'examen de constitutionnalité

Le principe de priorité découle de trois séries de considérations :

- la reconnaissance de la primauté de la Constitution dans l'ordre juridique interne ;

- la nécessité, conformément à la logique de la réforme constitutionnelle, de donner au justiciable les moyens de faire valoir les droits qu'il tient de la Constitution ;

- l'avantage donné à un moyen dont l'effet erga omnes conduira à l'abrogation de la disposition législative.

A défaut du rappel de cette priorité, le contrôle de conventionnalité pourrait continuer de prévaloir, comme le montre l'exemple de la Belgique rappelé par M. Jean-Luc Warsmann dans son rapport au nom de la commission des lois de l'Assemblée nationale. En effet, la Cour de cassation belge avait choisi d'examiner en premier lieu les moyens de conventionnalité en refusant de poser une question de constitutionnalité dès lors que la Constitution ne pose pas d'exigence différente de celle de la disposition conventionnelle d'effet direct. Une loi adoptée le 12 juillet 2009 prévoit désormais dans ce pays la priorité de l'examen des moyens de constitutionnalité sur l'examen des moyens de conventionnalité.

Sans doute le contrôle de conventionnalité pourrait-il, dans certaines hypothèses, se révéler plus efficace dans la mesure où le litige peut être immédiatement tranché par le juge sans qu'il soit besoin de surseoir à statuer, cependant il importe de laisser au justiciable le soin de choisir les moyens qu'il entend privilégier.

La référence faite par le texte initial aux moyens contestant de manière analogue la conformité à la Constitution et aux engagements internationaux n'était pas satisfaisante car, comme l'a observé le professeur Bertrand Mathieu, « c'est au regard de la disposition invoquée qu'il convient de se placer et non au regard des moyens invoqués ». En supprimant la référence à la similitude des moyens, l'Assemblée nationale a levé cette ambiguïté.

La suppression de la réserve résultant des exigences de l'article 88-1 de la Constitution

Aux termes de l'article 88-1 de la Constitution 46 ( * ) , « la République participe à l'Union européenne constituée d'Etats qui ont choisi librement d'exercer en commun certaines de leurs compétences en vertu du traité sur l'Union européenne et du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, tels qu'ils résultent du traité signé à Lisbonne le 13 décembre 2007 ».

Comme l'a indiqué le professeur Bertrand Mathieu devant votre commission, la réserve tenant aux exigences de l'article 88-1 apparaissait contestable à trois titres :

- elle pouvait apparaître ambigüe, en effet la seule exigence déduite par le Conseil constitutionnel de l'article 88-1 consiste dans la transposition en droit interne d'une directive communautaire sauf lorsque celle-ci serait contraire à une règle ou un principe « inhérent à l'identité constitutionnelle de la France » (par exemple le principe de laïcité) 47 ( * ) ; les exigences tirées de l'article 80 pourraient faire l'objet d'interprétations différentes de la part des différentes juridictions ;

- en second lieu, la réserve ne répondait pas à des exigences claires et impérieuses du droit communautaire dès lors qu'il s'agit uniquement de régler une question de validation de la loi sur le plan purement interne dans des conditions qui ne font pas obstacle au contrôle du respect du droit communautaire (le juge pouvant simultanément poser la question de constitutionnalité ainsi que la question préjudicielle prévue par l'article 234 du traité instituant la communauté européenne 48 ( * ) ;

- en troisième lieu, la réserve visant l'article 88-1 était inopportune dans la mesure où l'intégration du droit de la convention européenne des droits de l'homme dans le droit communautaire aurait pu réduire à néant le principe du caractère premier de la question de constitutionnalité sur la question de conventionnalité.

Article 23-3 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 - Sursis à statuer

Aux termes de cet article, la juridiction serait, lorsqu'elle décide de transmettre la question de constitutionnalité, tenue de surseoir à statuer jusqu'à la réception de la décision du Conseil d'Etat ou de la Cour de cassation ou, s'il a été saisi, du Conseil constitutionnel. Compte tenu des délais fixés à ces cours par le projet de loi organique, le sursis à statuer ne devrait pas excéder six mois .

Cependant, cet article prévoit un tempérament ainsi que plusieurs exceptions à l'obligation de surseoir à statuer.

Le tempérament

Le cours de l'instruction ne serait pas suspendu et la juridiction pourrait prendre les mesures provisoires ou conservatoires nécessaires. Il importe en effet de ne pas ajouter un nouvel obstacle au déroulement du procès pénal, soumis à l'exigence du respect d'un délai raisonnable.

Les exceptions

Le projet de loi organique prévoit par ailleurs trois exceptions à l'obligation pour le juge de surseoir à statuer. Seule la première de ces exceptions présente un caractère obligatoire.

Lorsqu'une personne est privée de liberté ou lorsque l'instance a pour objet de mettre fin à une mesure privative de liberté . Tel est le cas notamment lorsque le juge judiciaire est appelé à se prononcer sur le maintien d'un prévenu en détention provisoire.

Le juge pourrait statuer lorsque la loi ou le règlement prévoit qu'il doit statuer dans un délai déterminé ou en urgence 49 ( * ) .

Dans ce cas, si la juridiction du premier degré a statué sans attendre et s'il est formé appel de sa décision, la juridiction d'appel serait tenue de surseoir à statuer sauf lorsqu'elle est elle-même tenue de statuer dans un délai déterminé ou en urgence.

Le juge pourrait également statuer sur les points qui doivent être immédiatement tranchés lorsque le sursis à statuer serait susceptible d'entraîner des conséquences irrémédiables ou manifestement excessives pour les droits d'une partie.

Aussi justifiées soient-elles, les dérogations au sursis à statuer ne manquent pas de soulever certaines difficultés.

Une décision de justice pourrait ainsi être rendue alors même que la question de constitutionnalité resterait pendante devant les cours suprêmes et, le cas échéant, devant le Conseil constitutionnel. Les difficultés introduites par cette situation doivent cependant être tempérées à la lumière de trois observations :

- il appartiendra au justiciable d'utiliser les voies de recours qui lui sont offertes pour faire obstacle, s'il le souhaite, à l'intervention d'une décision définitive. En effet, comme le prévoit le dernier alinéa de l'article 23-3, si un pourvoi en cassation a été introduit alors que les juges du fond se sont prononcés sans attendre la décision du Conseil d'Etat ou de la Cour de cassation, ou le cas échéant, du Conseil constitutionnel, il doit être sursis à toute décision sur le pourvoi tant qu'il n'a pas été statué sur la question de constitutionnalité. Le projet de loi organique prévoit cependant une exception à cette obligation lorsque l'intéressé est privé de liberté à raison de l'instance et que la loi prévoit que la Cour de cassation statue dans un délai déterminé (par exemple, en vertu de l'article 567-2 du code de procédure pénale, l'obligation pour la Cour de cassation de statuer dans un délai de trois mois lorsqu'un pourvoi est formé contre un arrêt de la chambre de l'instruction rendu en matière de détention provisoire) ;

- la question de constitutionnalité ne conditionne pas nécessairement la solution du litige : en effet, les députés ont modifié les conditions de recevabilité des moyens invoqués ; dès lors qu'il suffit que la disposition contestée soit « applicable » au litige, la question de constitutionnalité ne modifierait pas nécessairement le sens de la décision ;

- enfin, sous réserve du cas où elle est renvoyée au Conseil constitutionnel, la question de constitutionnalité devrait s'éteindre devant le Conseil d'Etat ou la Cour de cassation lorsqu'une décision prise par le juge du fond est devenue définitive. Cette solution devrait également s'imposer en cas de désistement d'instance ou de désistement d'action. En effet, selon la logique de la réforme, la question de constitutionnalité ne peut se poser indépendamment du litige qui l'a fait naître, sauf si la question a déjà été portée devant le Conseil constitutionnel (voir le nouvel article 23-8-1, infra ).

Dans l'hypothèse où le juge est tenu de statuer, il pourra procéder à un examen de la conventionnalité .

Comme l'a souligné M. Marc Guillaume, secrétaire général du Conseil constitutionnel devant votre rapporteur, quelle que soit la réponse donnée à cette question, la question de constitutionnalité gardera sa pertinence. En effet, d'une part, la déclaration d'inconstitutionnalité de la loi entraînera son abrogation. D'autre part, la déclaration de conformité à la Constitution ne remettra pas en cause les conséquences tirées par le juge du prononcé de l'inconventionnalité.

Par ailleurs, le cours de l'instruction n'étant pas suspendu, les délais de prescription de l'action publique et de préemption de l'instance pourraient être aménagés afin de ne pas porter préjudice aux intérêts des parties. Compte tenu de la complexité des situations, il paraît sage de s'en remettre, en la matière, aux pratiques jurisprudentielles.

* 32 Elles sont cependant soumises aux dispositions de l'article 6, paragraphe 1, de la convention européenne des droits de l'homme.

* 33 Il en serait de même pour les sentences arbitrales -un tribunal arbitral ne constituant pas une juridiction- susceptibles de recours devant la cour d'appel ou la Cour de cassation.

* 34 Néanmoins, les problèmes de bonne administration de la justice peuvent révéler des questions de fond sensibles, comme en témoigne le contentieux de la concurrence ou celui des étrangers.

* 35 Le projet de révision constitutionnelle de 1990, contrairement au projet de 1993, proposait également d'ouvrir le champ de la question préjudicielle à « toute juridiction d'instruction relevant de la Cour de cassation ».

* 36 Michel Verpeaux, la question préjudicielle de constitutionnalité et le projet de loi organique, AJDA, 2009, p. 1474.

* 37 Conseil constitutionnel, décision n° 62-20 DC du 6 novembre 1962 dont les termes ont été confirmés par la décision n° 92-313 DC du 23 septembre 1992 relative au recours en inconstitutionnalité dirigé contre la loi autorisant la ratification du traité de Maastricht.

* 38 Bruno Genevoix, L'exception d'inconstitutionnalité. Expériences étrangères, situation française, Edition STH, 1990.

* 39 Un contrôle de constitutionnalité n'est toutefois plus désormais entièrement exclu dans la mesure où à la suite de la révision du 23 juillet 2008, à l'initiative du Sénat, les propositions de loi mentionnées à l'article 11 avant qu'elles ne soient soumises au référendum, doivent être soumises au Conseil constitutionnel.

* 40 Ces principes doivent avoir une source législative précise selon la jurisprudence du Conseil constitutionnel (décision n° 88-244 DC du 20 juillet 1988 concernant la loi portant amnistie).

* 41 Tel a été le cas avec la loi n° 2007-290 instituant le droit au logement opposable et portant diverses mesures en faveur de la cohésion sociale même si, en l'espèce, ce droit n'a pas acquis valeur constitutionnelle.

* 42 Disposition devenue la source de l'objectif de valeur constitutionnelle du pluralisme et de l'indépendance du media avec la décision du Conseil constitutionnel concernant la loi relative à la communication audiovisuelle et au nouveau service public de la télévision, Conseil constitutionnel, 3 mars 2009, n° 2009-577 DC).

* 43 De même que l'incompétence négative du législateur peut aujourd'hui conduire à la censure d'une disposition législative.

* 44 S'il conclut aujourd'hui sa décision par un considérant libellé de la manière suivante : « Considérant qu'il n'y a lieu pour le Conseil constitutionnel, de soulever d'office aucune [autre] question de conformité » après avoir indiqué la conformité ou non à la Constitution des seuls articles examinés par lui, il n'en a pas toujours été ainsi par le passé, le Conseil constitutionnel accordant une sorte de brevet de constitutionnalité à la loi en estimant, dans le dispositif, que la loi, examinée dans son ensemble, n'était pas contraire à la Constitution -par exemple, dans la décision n° 82-143 DC du 30 juillet 1982 (blocage des prix et des revenus).

* 45 Conseil constitutionnel, décision n° 86-208 DC du 2 juillet 1986 concernant la loi relative à l'élection des députés et autorisant le gouvernement à délimiter par ordonnance les circonscriptions électorales. Le changement de circonstances de droit visait le maximum constitutionnel de 577 députés et le changement de circonstances de fait l'augmentation de la population. La jurisprudence administrative reconnaît également la notion de changement de circonstances (Conseil d'Etat, 3 février 1989, Cie Alitalia : « l'autorité compétence, saisie d'une demande tendant à l'abrogation d'un règlement illégal, est tenue d'y déférer, soit que ce règlement ait été illégal dès la date de sa signature, soit que l'illégalité résulte de circonstances de droit ou de fait postérieures à cette date »).

* 46 Tel qu'il devrait entrer en vigueur à compter du premier jour du mois suivant le dépôt de l'instrument de ratification de l'Etat signataire qui précède le dernier à cette formalité.

* 47 Conseil constitutionnel, décision n° 2008-564 DC du 19 juin 2008 (loi relative aux organismes génétiquement modifiés).

* 48 En vertu de la jurisprudence Simmenthal de la CJCE, une législation nationale ne saurait imposer la saisine d'une cour constitutionnelle pour faire respecter le droit communautaire.

* 49 Par exemple, délai de trois mois imparti au juge administratif pour se prononcer sur les recours contre les décisions relatives au séjour assorties d'une obligation de quitter le territoire français -délai ramené à 72 heures en cas de placement en rétention de l'étranger (art. L. 512-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile) ; délai de 48 heures lorsque le juge administratif se prononce comme juge des référés dans une affaire qui met en jeu les libertés fondamentales (art. L. 521-2 du code de justice administrative.

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