EXAMEN EN COMMISSION - MARDI 29 SEPTEMBRE 2009

M. Hugues Portelli , rapporteur, a d'abord indiqué que la question de constitutionnalité s'apparentait à une question préjudicielle puisque la résolution du point litigieux est renvoyée à une juridiction autre que celle devant laquelle est porté le litige. Il a rappelé que la question de constitutionnalité serait tranchée par le Conseil constitutionnel après l'intervention de deux filtres successifs au niveau, d'une part, du premier juge saisi et, d'autre part, des cours suprêmes. Ces filtres sont indispensables pour éviter l'engorgement des juridictions. Il a relevé cependant que l'Allemagne, notamment, reconnaissait la possibilité pour le justiciable de saisir directement la Cour constitutionnelle à l'occasion d'un litige.

M. Hugues Portelli , rapporteur, a précisé que le juge du fond se bornait à apprécier la recevabilité de la question de constitutionnalité sur la base de trois critères : la disposition contestée doit être applicable au litige ou à la procédure ou constitue le fondement des poursuites ; la disposition n'a pas déjà été déclarée conforme par le Conseil constitutionnel dans les motifs et le dispositif d'une décision, sauf changement de circonstances ; la question n'est pas dépourvue de caractère sérieux. Il a noté que, lorsque ces trois conditions seraient réunies, le juge transmettrait obligatoirement la question à la cour suprême de l'ordre dont il relève. Le Conseil d'Etat ou la Cour de cassation procédait de même à un examen de la recevabilité de la question sur la base de trois critères dont les deux premiers étaient identiques à ceux retenus pour les juridictions du fond et le troisième exigeait de vérifier que la question de constitutionnalité était nouvelle ou présentait une difficulté sérieuse.

M. Hugues Portelli , rapporteur, a salué le travail accompli par l'Assemblée nationale pour améliorer le texte du projet de loi organique. Il a observé que ses modifications avaient porté sur deux points en particulier. D'une part, les députés avaient souhaité conforter sans ambiguïté la priorité de l'examen de la question de constitutionnalité sur celui de la conventionnalité. Il a noté que le contrôle de conventionnalité ne permettait d'écarter la disposition contestée que dans le cadre du litige à l'occasion de laquelle elle avait été soulevée contrairement à l'effet erga omnes des décisions rendues par le Conseil constitutionnel. Ainsi, le contrôle de conventionnalité pouvait être source d'imprévisibilité et l'inégalité pour les justiciables en contradiction avec le souci de sécurité juridique. Le rapporteur a noté en outre que, dans l'hypothèse où le Conseil constitutionnel conclurait à la conformité de la loi à la Constitution, le contrôle de conventionnalité pourrait alors s'exercer selon les voies habituelles.

M. Hugues Portelli , rapporteur, a relevé, d'autre part, que l'Assemblée nationale avait souhaité assouplir les mécanismes de filtre mis en place par le texte initial du projet de loi organique afin d'accélérer la procédure d'examen de la question de recevabilité. En premier lieu, les députés avaient instauré un délai de deux mois à l'issue duquel, si les juridictions du fond n'avaient pas statué dans cet intervalle, le justiciable pourrait saisir directement le Conseil d'Etat et la Cour de cassation. En second lieu, à défaut de décision des cours suprêmes dans le délai de trois mois qui leur était imparti, la question de constitutionnalité serait transmise systématiquement au Conseil constitutionnel. Il a estimé que cette transmission automatique se justifiait dès lors que l'on pouvait craindre en vertu de la théorie de l'acte clair, longtemps mise en application par les cours suprêmes pour éviter de renvoyer une question préjudicielle à la Cour de justice des communautés européennes, que le Conseil d'Etat et la Cour de cassation soient parfois enclins à retenir la question de constitutionnalité. Il a rappelé que l'article 61-1 de la Constitution impliquait que les cours suprêmes se prononcent dans un délai déterminé, comme tel est le cas dans la majorité des pays où est institué un contrôle de constitutionnalité. En revanche, le rapporteur a estimé que le délai de deux mois fixé aux premières juridictions saisies pouvait présenter de sérieux inconvénients, en particulier en provoquant un engorgement des cours suprêmes.

Aussi M. Hugues Portelli , rapporteur, a-t-il suggéré de revenir sur le délai de deux mois tout en réaffirmant la nécessité pour le juge saisi de la question de constitutionnalité de statuer rapidement. Il a souhaité également que le texte puisse être complété afin d'introduire l'obligation de motivation des décisions du juge concernant la transmission ou le renvoi de la question de constitutionnalité tout en rappelant le caractère juridictionnel de ces décisions. Enfin, il s'est demandé si la juridictionnalisation des missions du Conseil constitutionnel ne devait pas conduire à compléter le régime d'incompatibilités de ses membres afin d'éviter tout conflit d'intérêts.

M. Jean-Pierre Sueur a souligné l'intérêt de ce projet de loi organique, dont il a relevé qu'il était porteur de droits nouveaux importants pour le justiciable. Il a rappelé que M. Robert Badinter avait plaidé pendant de nombreuses années en faveur d'un texte permettant aux citoyens de contester a posteriori la constitutionnalité d'une loi. Il a rappelé qu'un projet de loi constitutionnelle avait été déposé en ce sens en mars 1990 par le gouvernement de Michel Rocard mais qu'il s'était, à l'époque, heurté à l'opposition du Sénat. De ce point de vue, il s'est félicité de l'évolution de la majorité sénatoriale sur cette question. Il a néanmoins considéré que, en dépit de ces aspects positifs, les critiques concernant la composition du Conseil constitutionnel et le mode de désignation de ses membres conservaient toute leur validité. Il a approuvé l'extension du régime des incompatibilités suggérée par le rapporteur. Il a estimé essentiel que la nouvelle procédure mise en place par le projet de loi organique respecte les principes du procès équitable, et a observé que la composition actuelle du Conseil pouvait constituer un obstacle au respect de ces principes.

M. Jean-Pierre Sueur a rejoint le rapporteur quant à la nécessité d'imposer la motivation des décisions portant sur la question de constitutionnalité. Enfin, il a estimé souhaitable d'envisager que, sur le modèle de la révision constitutionnelle de 1974 ayant permis à soixante députés ou soixante sénateurs de déférer une loi non promulguée au Conseil constitutionnel, puisse être ouverte à soixante députés ou soixante sénateurs la faculté de faire valoir leur position devant le Conseil lorsque celui-ci sera saisi d'une question de constitutionnalité. En tout état de cause, il a annoncé que le groupe socialiste déposerait un certain nombre d'amendements à l'occasion de l'examen du projet de loi organique en séance publique.

M. Bernard Frimat a rejoint les observations formulées par le rapporteur et par M. Jean-Pierre Sueur concernant le nécessaire renforcement des incompatibilités imposées aux membres du Conseil constitutionnel. Il a en effet estimé que, à partir du moment où le Conseil interviendrait dans le cadre d'une procédure contentieuse, il était indispensable de bannir tout risque de conflit d'intérêts. Il a par ailleurs attiré l'attention sur une disposition du texte prévoyant que l'éventuelle inconstitutionnalité d'une loi ne pourrait pas être relevée d'office par le juge, et a souhaité interroger le rapporteur sur les motifs d'une telle disposition.

M. Hugues Portelli , rapporteur, a fait observer que le texte même de l'article 61-1 de la Constitution faisait état d'un moyen « soutenu » par les parties, rédaction qui paraissait exclure la possibilité pour le juge de soulever d'office le moyen tiré de l'éventuelle inconstitutionnalité d'une loi. Il a toutefois observé que le ministère public, qui est toujours partie à l'instance en matière pénale, aurait la possibilité de soulever ce moyen devant le juge.

M. Patrice Gélard a rappelé qu'il avait lui-même déposé en mars 2000 une proposition de loi tendant à permettre dans certaines conditions un contrôle de constitutionnalité a posteriori des lois antérieures à 1958 ou n'ayant pas été déférées au Conseil avant leur promulgation. Par ailleurs, il a regretté qu'un certain nombre des amendements qu'il avait déposés avec M. Jean-René Lecerf et M. Hugues Portelli à l'occasion de l'examen de la réforme constitutionnelle de 2008 n'aient pas été adoptés, observant que le dispositif retenu conduirait inévitablement à un certain nombre de dysfonctionnements. Il a considéré que les cours suprêmes subiraient sans aucun doute un engorgement, au moins dans les premières années de fonctionnement du nouveau dispositif. Il a par ailleurs souligné que la réforme examinée entraînerait un profond changement des méthodes de travail du Conseil constitutionnel, et qu'il était indispensable que le Parlement soit associé à ce nouveau mode de contrôle de constitutionnalité des lois. Il a enfin attiré l'attention sur les risques de divergences de jurisprudences entre, d'une part, la Cour de cassation et le Conseil d'Etat appelés à se prononcer sur la conventionnalité des lois, et, d'autre part, le Conseil constitutionnel invité à se prononcer sur leur constitutionnalité.

M. Jean-Jacques Hyest , président, a souligné le fait que le projet de loi organique organisait la primauté de la question de constitutionnalité sur le contrôle de conventionnalité des lois. Il a indiqué que la Cour de cassation et le Conseil d'Etat craignaient que la mise en oeuvre de cette question de constitutionnalité ne conduise à les placer sous la sujétion du Conseil constitutionnel. Enfin, il a affirmé qu'il était lui-même favorable depuis de nombreuses années à l'ouverture du contrôle de constitutionnalité des lois aux justiciables, rappelant notamment que, en 1990, alors qu'il était député, il avait voté le projet de loi constitutionnelle déposé par le Gouvernement.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat a fait savoir que le groupe communiste républicain et citoyen et des sénateurs du parti de gauche ne voterait pas ce projet de loi organique, rappelant que, s'il n'était pas par principe opposé à la saisine du Conseil constitutionnel par les citoyens, son groupe demeurait néanmoins hostile au mode actuel de désignation des membres du Conseil constitutionnel, dont elle a estimé qu'il ne s'apparentait en rien à celui de membres d'une cour constitutionnelle. Elle a par ailleurs estimé que, en matière de contrôle de constitutionnalité des lois, le Parlement devait en tout état de cause conserver le dernier mot.

M. François Pillet a fait observer que l'impossibilité pour le juge de soulever d'office le moyen tiré de l'inconstitutionnalité d'une loi pouvait être aisément contournée au moyen de la réouverture des débats, qui permet au magistrat d'inviter les parties à s'expliquer sur un moyen qu'elles auraient oublié de soulever.

A la remarque de M. François Zocchetto , qui a regretté que ce projet de loi organique ne permette pas de remettre en cause l'appartenance de droit au Conseil constitutionnel des anciens Présidents de la République, M. Jean-Jacques Hyest , président, a fait observer que la composition du Conseil était déterminée par la Constitution, et non par des dispositions organiques.

M. François Zocchetto a par ailleurs fait observer que, en matière d'incompatibilités, le dispositif proposé par le rapporteur ne répondait qu'en partie à l'objectif consistant à prévenir tout conflit d'intérêt. Il a notamment relevé qu'un certain nombre de personnes n'exerçant par la profession d'avocat étaient fréquemment amenées à intervenir dans des procédures contentieuses, citant l'exemple de la procédure applicable devant les tribunaux de prud'hommes. A ses yeux, l'exercice d'une profession importe moins que l'acte accompli par la personne qui intervient dans l'instance.

M. Jean-Jacques Hyest , président, a estimé qu'il pourrait être envisagé de prévoir que la fonction de membre du Conseil constitutionnel est incompatible avec l'exercice de toute autre activité professionnelle.

M. Pierre Fauchon a tenu à faire part de deux inquiétudes concernant cette réforme, qu'il a approuvée : tout d'abord, il a souligné les conséquences très importantes que pourrait emporter l'abrogation de lois anciennes, jamais soumises au contrôle du Conseil constitutionnel et pourtant appliquées depuis des décennies ; il a par ailleurs attiré l'attention sur le fait que la décision du Conseil constitutionnel, saisi à l'occasion d'un contentieux particulier, aurait un caractère erga omnes.

M. Jean-Jacques Hyest , président, a estimé que l'application de la nouvelle procédure entraînerait une diminution du nombre des recours intentés par les justiciables français devant la Cour européenne des Droits de l'Homme, ces derniers disposant désormais d'une voie en droit interne pour contester la conformité des lois aux droits et libertés garantis par la Constitution.

M. Hugues Portelli , rapporteur, a souligné le fait que la Cour européenne des Droits de l'Homme n'acceptait d'examiner une requête qu'une fois épuisées les voies de recours en droit interne et a fait observer que la nouvelle procédure présenterait de ce point de vue un avantage certain en termes de délais. Evoquant la question des lois antérieures à 1958, il a rappelé que le bloc de constitutionnalité intégrait des droits et libertés posés avant 1958 qu'il s'agisse de la Déclaration des Droits de l'Homme de 1789, du Préambule de la Constitution de 1946 ou des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République. Enfin, il a attiré l'attention sur le fait que, lorsque le Conseil serait conduit, par le biais de la nouvelle procédure, à déclarer une loi contraire à la Constitution et à en prononcer par conséquent l'abrogation, cette abrogation ne vaudrait que pour l'avenir et ne remettrait pas en cause les situations acquises.

M. Jacques Mézard a rejoint la position du rapporteur pour estimer que l'exercice des fonctions de membre du Conseil constitutionnel était incompatible avec la poursuite de l'exercice de la profession d'avocat. Il a par ailleurs regretté que le moyen tiré de l'inconstitutionnalité d'une loi ne puisse être relevé d'office par le juge. Enfin, il a dénoncé le caractère particulièrement flou de la disposition permettant au Conseil constitutionnel d'examiner à nouveau une loi en cas de « changement de circonstances ».

M. Pierre-Yves Collombat s'est interrogé sur le nombre de textes de l'arsenal législatif français qui pourraient être abrogés au moyen de la nouvelle procédure, faisant observer que, chaque année, de plus en plus de lois sont déférées au Conseil constitutionnel et que de nombreux textes sont régulièrement modifiés par le Parlement. Il a estimé que la procédure de la question de constitutionnalité n'aurait véritablement de portée qu'en ce qui concerne les libertés publiques.

En réponse à cette observation, M. Jean-Jacques Hyest , président, M. François Pillet et Mme Marie-Hélène Des Esgaulx ont cité un certain nombre de dispositions de la législation française susceptibles d'être déclarées inconstitutionnelles, dans le code des douanes, le droit fiscal ou encore le droit de l'environnement.

Revenant sur l'impossibilité faite au juge de soulever d'office le moyen tiré de l'inconstitutionnalité d'une loi, M. Hugues Portelli , rapporteur, a rappelé que les parties développaient souvent un certain nombre de stratégies à l'occasion d'un procès, et qu'elles pouvaient préférer invoquer l'inconventionnalité d'une loi plutôt que de poser la question de constitutionnalité.

Puis la commission a examiné les articles du projet de loi et les amendements dont elle était saisie, tous présentés par le rapporteur.

Article 1 - Mise en oeuvre de la question prioritaire de constitutionnalité

Auteur

Objet

Sort de l'amendement

M. Portelli, rapporteur

1

Extension du régime des incompatibilités des membres du Conseil constitutionnel

Retiré

M. Portelli, rapporteur

2

Suppression du délai de deux ans imparti aux juridictions du fond pour statuer sur la recevabilité de la question de constitutionnalité et introduction de l'obligation de la décision concernant la transmission de la question de constitutionnalité au Conseil d'Etat ou à la Cour de cassation

Adopté

M. Portelli, rapporteur

3

Conséquence de l'amendement n° 2

Adopté

M. Portelli, rapporteur

4

Obligation de motivation des décisions relatives au renvoi de la question de constitutionnalité au Conseil constitutionnel

Adopté

M. Portelli, rapporteur

5

Rédactionnel

Adopté

M. Hugues Portelli , rapporteur, a proposé un amendement tendant à compléter l'article 1er (conditions de mise en oeuvre de la question de constitutionnalité) afin de prévoir que les fonctions de membre du Conseil constitutionnel sont incompatibles avec l'exercice de la profession d'avocat, celle d'officier public ou celle d'officier ministériel.

M. Christian Cointat s'est prononcé contre l'instauration d'un tel régime d'incompatibilité.

M. Jean-Jacques Hyest , président, a rappelé que la liste des incompatibilités avait été périodiquement allongée pour viser, notamment, les mandats locaux, et qu'il était désormais délicat de compléter cette liste sans créer, entre des professions, des inégalités qu'il serait difficile de justifier.

M. François Pillet a appuyé la position du rapporteur, faisant observer que, à ses yeux, la nouvelle procédure faisait obstacle à ce qu'un avocat membre du Conseil constitutionnel puisse continuer à plaider dans des procédures contentieuses au cours desquelles pourrait être soulevée la question de constitutionnalité.

M. François Zocchetto a estimé qu'il était préférable de faire référence à la notion de conflit d'intérêt, afin de viser l'ensemble des personnes susceptibles d'intervenir dans une procédure contentieuse, et qu'il était probablement nécessaire de poursuivre la réflexion sur le régime des incompatibilités des membres du Conseil constitutionnel.

M. Jean-Jacques Hyest , président, a proposé de reporter l'examen de cette question à une prochaine réunion de la commission.

M. Hugues Portelli , rapporteur, a retiré son amendement n° 1.

Article 2 - Coordinations

Auteur

Objet

Sort de l'amendement

M. Portelli, rapporteur

6

Mention dans le code des juridictions financières à la question de constitutionnalité

Adopté

La commission a adopté le projet de loi organique ainsi rédigé.

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